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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Benoît Lévesque et al., “Budget Bachand. Une rupture avec la social-démocratie québécoise”. Un article publié dans le journal, Le Devoir, Montréal, édition du mardi, 13 avril 2010, page A7 — idées. Appuient ce texte: Gilles L. Bourque, Martine D’Amours, Michel Doré, Christian Jetté, Marilyse Lapierre, Robert Laplante, Marguerite Mendel, Luc Martin, Michel Rioux, Joseph Yvon Thériault, Yves Vaillancourt. [Autorisation de M. Lévesque accordée le 13 avril 2010 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]



Benoît Lévesque
Sociologue et professeur émérite (UQAM)

Budget Bachand.
Une rupture avec la social-démocratie québécoise”.

Un article publié dans le journal, Le Devoir, Montréal, édition du mardi, 13 avril 2010, page A7 — idées.


Pour un premier ministre qui a «les deux mains sur le volant», le dernier budget est apparu comme le moment idéal pour réaliser un grand virage à droite, même si le feu était encore au rouge. La crise financière, la crise économique et maintenant la crise des finances publiques avaient préparé les citoyens à l'annonce de grandes réformes transformatrices.

Mais en mettant en avant le principe de l'utilisateur-payeur et en proposant des contributions régressives, le ministre Bachand a d'abord répondu aux demandes des gens d'affaires et des «lucides» qui leur font écho. Ces derniers ont bien sûr applaudi, pendant qu'une immense majorité exprimait clairement son indignation, comme en ont fait état les médias.

Rétablir l'équilibre des finances publiques s'impose dans la perspective de l'intérêt général. Mais pourquoi, à la différence de la plupart des autres gouvernements, exiger un tel retour dès 2014 ? D'autant plus que l'opération représente un risque supplémentaire pour une reprise encore fragile. L'augmentation de taxes régressives est de taille: 2,5 milliards de la TVQ, 1,6 milliard sur l'essence, une contribution de 1,5 milliard pour la santé, un même montant étant imposé à tous, sauf aux personnes très pauvres. Les taxes et les impôts vont augmenter de presque 30 % d'ici 2014.

Le ministre annonce de plus un ticket modérateur de 500 millions pour la santé et des hausses du tarif patrimonial de l'électricité. Même pour les gens qui gagnent moins de 20 000 $, le crédit de solidarité ne pourra compenser. Enfin, 90 % des hausses d'impôt touchent les ménages alors que la contribution des entreprises est inférieure à 10 %. Si l'on ajoute à cela les compressions budgétaires, on peut retenir que la classe moyenne et les moins bien nantis sont beaucoup plus durement atteints que les plus fortunés. Ce budget s'attaque aux fondements mêmes du modèle québécois d'inspiration sociale-démocrate.

[Photo : Jacques Nadeau, Le Devoir. Si le ministre et le premier ministre tiennent compte des citoyens dits lucides, ne devraient-ils pas, de par leurs responsabilités et leur mandat, se préoccuper au moins autant des citoyens dits solidaires?]


Une rupture avec une tradition de concertation

Le ministre Bachand s'en est remis exclusivement aux opinions de quelques économistes mobilisés pour un travail de comptable. C'est une erreur, car pour penser l'avenir, il faut dégager des compromis qui permettront de réunir toutes les énergies collectives et de susciter l'enthousiasme nécessaire pour relever de tels défis.

Depuis le début des années 1980, les sommets socio-économiques ont montré qu'en prenant le temps nécessaire et en se donnant des outils appropriés, il est possible de faire évoluer les mentalités et les pratiques dans le sens de l'intérêt général. Non seulement la concertation avec la société civile a-t-elle été absente pour prendre ce grand virage amorcé avec le budget, mais ce dernier indique en outre que la participation citoyenne sera réduite avec la disparition de plusieurs organismes autonomes ou paritaires.

Une vision tronquée de l'économie

La vision économique du ministre est tronquée. Il affirme sans broncher «que les taxes à la consommation freinent moins la croissance économique que les impôts sur le revenu personnel des individus». Une analyse plus équilibrée exigerait de considérer également les conséquences néfastes d'une taxation régressive, comme l'ont fait en 2009 les économistes Stiglitz, Sen et Fitoussi dans leur Rapport sur la mesure de la performance économique et du progrès social. Un fardeau fiscal trop lourd pour les moins nantis peut avoir des conséquences négatives non seulement sur la qualité de vie de l'ensemble de la société, mais aussi sur son développement économique.

Dans le cas des biens publics comme l'éducation et la santé, la majorité des économistes admettent que la régulation marchande ne permet pas d'elle-même une allocation optimale des ressources. Soutenir les citoyens et les outiller pour qu'ils participent davantage ou mieux à la production de ces services peut représenter des économies réelles ainsi qu'un avancement sur le plan de la démocratie.

À la différence des biens privés purement marchands, s'en remettre au principe de l'utilisateur-payeur pour les services collectifs fait la preuve d'un sérieux manque de perspective, surtout pour un ministre des Finances. L'idée que tout bien a un prix prend du sens quand il est possible d'établir une équivalence entre un bien et un prix, comme c'est le cas des biens privés. Mais en raison des conséquences économiques et sociales que représentent les biens publics, il nous semble que la société dans son ensemble se doit d'être partie prenante des décisions et des coûts qui en résultent.

De même, la protection sociale ne peut reposer sur le principe de l'équivalence entre ce que l'on donne et ce que l'on reçoit. Il faut passer d'un point de vue purement individuel (dans le sens égoïste du terme) pour adopter le point de vue du citoyen soucieux de l'intérêt général et du vivre-ensemble, à quoi nos dirigeants politiques doivent nous inviter, notamment à l'occasion des grandes décisions.

Une vision tronquée de la société

Le budget fait appel aux Québécois comme si leur société n'était composée que d'individus. Si la société moderne est effectivement composée d'individus, elle peut aussi être caractérisée par son capital social, ses communautés, ses associations, ses coopératives, ses mouvements sociaux, ses appartenances multiples. Sous cet angle, ce qui est satisfaisant pour l'investisseur ou même pour le consommateur ne l'est pas nécessairement pour le citoyen.

Robert Reich, l'ancien secrétaire du Travail sous le président américain Bill Clinton, l'a bien cerné en écrivant que la force du néolibéralisme est d'avoir réussi à laisser croire que ce qui est bon pour l'investisseur (les rendements les plus élevés) et que ce qui est bon pour le consommateur (les prix les plus bas) correspondait à l'intérêt général, laissant ainsi supposer que tel était le nouveau régime de citoyenneté.

Pour ceux qui ont réussi et qui ne voient dans une société qu'une somme d'individus, «rien n'est gratuit, il y a ce que chacun paie et ce que chacun fait payer aux autres». Pas étonnant que le ministre Bachand ait été chaleureusement applaudi par la Chambre de commerce! On sait en revanche que sans soutien collectif, il serait très difficile pour les individus de s'enrichir. En s'en remettant à quelques économistes et en suivant les conseils des mieux nantis, le ministre a adopté un argumentaire qui, se prétendant «lucide», relève au contraire d'une vision tronquée de la société.

En effet, s'en tenir à une vision du citoyen réduite à sa relation d'investisseur et de consommateur, c'est aussi être en déficit de lucidité. Si le ministre et le premier ministre tiennent compte des citoyens dits lucides, ne devraient-ils pas, de par leurs responsabilités et leur mandat, se préoccuper au moins autant des citoyens dits solidaires? Il leur incombe surtout de trouver des mécanismes, notamment institutionnels, pour que les débats et les compromis en découlant soient possibles, comme cela se pratique encore dans les sociétés inspirées par la social-démocratie.

La nécessité d'un débat de société

Comment ont-ils pu penser qu'une grande réforme des finances publiques, dans un contexte de sortie de crise, pouvait échapper à un débat de société? Pourquoi n'ont-ils pas fourni l'ensemble du portrait des finances publiques concernant non seulement la dette brute, mais encore la dette nette du Québec, en prenant aussi en compte celle qu'assume en notre nom le fédéral dans divers domaines, dont celui de la défense?

En démocratie, il nous semble difficile, voire téméraire, de proposer une grande transformation sans qu'une vision globale ne lui donne sens. Le chantier sur la social-démocratie, auquel nous travaillons depuis quelques mois, prend aujourd'hui toute son importance. Nous réitérons notre invitation à y participer. Nous croyons que la social-démocratie renouvelée pourrait fournir un cadre permettant de mieux arrimer, dans la perspective d'un développement durable, la démocratie représentative et la démocratie sociale, de même que le développement économique et le développement social. Il ne s'agit pas ici d'un combat d'arrière-garde visant le maintien de «vaches sacrées». Mais plutôt que de nous agenouiller devant le «veau d'or», nous proposons d'adapter la social-démocratie aux défis contemporains pour que de nouvelles formes de solidarité puissent être inventées.

* * *

Benoît Lévesque - Sociologue et professeur émérite (UQAM)

Appuient ce texte: Gilles L. Bourque, Martine D'Amours, Michel Doré, Christian Jetté, Marilyse Lapierre, Robert Laplante, Marguerite Mendel, Luc Martin, Michel Rioux, Joseph Yvon Thériault, Yves Vaillancourt.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 15 avril 2010 7:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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