RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-François LESSARD “Quelle crise du libéralisme ?” Un article publié dans Le Devoir, Montréal, édition du jeudi, 30 avril 2009, page A7 — idées. [Autorisation accordée par l'auteur le 30 avril 2009 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-François LESSARD

Quelle crise du libéralisme ?


Un article publié dans Le Devoir, Montréal, édition du jeudi, 30 avril 2009, page A7 — idées.

Mots clés: Économie, Libéralisme, Crise économique, Canada (Pays), États-Unis (pays)

Le libéralisme est en crise, entend-on ces jours-ci. Certains semblent même pressés de nous annoncer sa mort. Il faut bien entendu se méfier. Les annonces concernant le décès du capitalisme et de la démocratie sont déjà légion! Il serait plutôt malvenu d'ajouter trop rapidement une nouvelle nécrologie, celle du libéralisme.

D'abord, il faut savoir de quoi on parle. Le libéralisme, comme toutes les grandes idéologies, est à la fois vaste et diversifié. Il y a le libéralisme politique, celui qui privilégie la liberté de conscience, de religion et d'expression. Dans ce cadre, il peut facilement être avancé que nos sociétés sont profondément libérales, et s'empresser d'ajouter que peu seraient enclins à laisser aller ces acquis.

Le libéralisme qui fâche, et que certains souhaitent voir affaibli grâce à la crise économique et financière actuelle, c'est le libéralisme économique. Celui que l'on qualifie également de néolibéralisme. Les instigateurs intellectuels de son renouveau au XXe siècle sont des individus comme Friedrich Von Hayek et Milton Friedman. Ses plus grands promoteurs politiques auront été Margaret Thatcher et Ronald Reagan. On revendique l'indépendance des marchés par rapport au politique. De plus, on réclame l'extension du modèle économique à l'ensemble des sphères de la société. L'influence néolibérale a été largement diffusée dans les dernières décennies. Des politiques néolibérales sont depuis appliquées même par des partis politiques qui se disent «de gauche».

Rejet de la voie libérale ?

Ce néolibéralisme domine donc depuis plus d'une génération. L'application de ses préceptes nous a conduits là où nous en sommes aujourd'hui. Au-delà de la crise financière, c'est à une crise profonde du modèle que nous assistons. L'utopie financière de croissance toujours soutenue et continue a du plomb dans l'aile. On réalise enfin que l'idée qui a dominé les marchés jusqu'à tout récemment, celle selon laquelle il est possible de prendre des risques tout en évitant d'en supporter les conséquences, est un non-sens. Nous nous retrouvons face à une extrême complexité des produits financiers, à une grande fragilité des fonds spéculatifs, à un marché monétaire sans règles réelles et à une opacité des paradis fiscaux.

Devant cette situation, on en vient à prédire le rejet de la voie libérale. C'est aller un peu vite en affaire. C'est d'abord négliger les capacités d'adaptation du libéralisme, qui pourtant ont été importantes en ce qui a trait à la «menace communiste» au XXe siècle. Mais c'est aussi — et peut-être surtout — ne pas prendre en compte certaines données fondamentales concernant nos sociétés contemporaines.

Sans chercher à avancer un propos éristique, il peut être avancé que, loin d'être en crise, le libéralisme économique se porte plutôt bien. Ce qui est en crise actuellement, ce sont les marchés financiers (et par ricochet l'économie réelle). Par contre, les bases de légitimité du libéralisme économique apparaissent toujours aussi solides, n'en déplaise à ses contempteurs. Trois éléments viennent accréditer la thèse: le rôle de l'État, la centralité de la concurrence sociale et, enfin, le règne de la société de crédit.

Crédits illimités pour la finance

On ne cesse de nous prévenir depuis de nombreuses années: nous avons vécu au-dessus de nos moyens pendant trop longtemps. D'où les coupes en santé, le sous-investissement en éducation et les budgets amputés dans l'ensemble des autres services à la population (accès à la justice, protection du consommateur, etc.). Les coffres étant désormais vides, on nous a appliqué la politique du «aucune autre solution n'est envisageable». Or, quelle n'est pas notre surprise de voir les gouvernements courir au chevet du monde de la finance, déployant des centaines de milliards de dollars afin de s'assurer de son bon rétablissement.

Bref, il n'y a plus d'argent pour soigner, éduquer et protéger les citoyens. La sphère sociale doit se débrouiller par elle-même. Par contre, les crédits sont presque illimités pour la sphère financière. Banques, compagnies d'assurance et constructeurs automobiles (qui sera le prochain?) se voient offrir des largesses impensables quand il s'agit de soigner et d'éduquer les êtres humains. L'État providence se transforme en État protecteur du marché et de la finance. Nous sommes bien loin d'un recul du libéralisme. Plus que jamais, l'acteur étatique est à son service.

Il ne faudrait pas non plus sous-estimer à quel point l'idéologie néolibérale de la concurrence est profondément ancrée dans nos sociétés. Le devenir de l'individu repose désormais uniquement sur lui-même. On ne cesse de le lui marteler. Il doit poursuivre une formation qui lui sera utile à très court terme. Et s'il perd son emploi? Alors, ce sera à lui de faire la preuve qu'il peut s'adapter. Il aura l'«occasion» de se renouveler, c’est-à-dire de prendre à sa charge une nouvelle formation.

Inégalités sociales

Il se doit donc d'être compétitif, car il est en concurrence. S'il échoue, personne sauf lui n'en sera responsable. Ce discours dominant trouve ses origines directement dans le néolibéralisme. Il a aussi pour effet de justifier les inégalités sociales: «Vous êtes pauvre? C'est que vous n'avez pas fait les bons choix.» Il fallait plutôt viser un emploi comme gestionnaire en finance!

Ce même discours néolibéral est tout aussi puissant dans le domaine du libre-échange. Avec la crise, nous avons pourtant peu entendu parler de retour au protectionnisme. Pourtant, on ne cesse de nous répéter qu'il existe quelque part des gens qui prônent un retour à des politiques protectionnistes. Ceux-ci sont accusés d’avoir une vision à court terme (ce que les banquiers, financiers et gestionnaires n'ont pas, eux!), et surtout de causer une baisse des niveaux de vie. Une fois passé l'étonnement de voir des gestionnaires et des économistes néolibéraux se préoccuper de nos niveaux de vie, il est nécessaire de rappeler certains faits.

Solidité du libéralisme

On nous affirme que le retour du protectionnisme, c'est le retour des nationalismes exacerbés et d'une crise économique encore pire. On n'a qu'à regarder l'Histoire pour s'en apercevoir, proclame-t-on. Quelle histoire? Quel moment? L'époque avant les accords de libre-échange élaborés dans les années 1980? Celle des Trente Glorieuses? Ou encore le protectionnisme qui a présidé à l'envolée industrielle des États-Unis dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle? Les époques de protectionnisme ont plutôt permis un développement social plus juste et moins sauvage. Bien que le discours libre-échangiste soit truffé de faussetés, reconnaissons qu'il domine.

Dernier élément à venir consolider la thèse de la solidité du libéralisme économique: les solutions de sortie de crise envisagées. Les taux d'endettement individuel n'ont jamais été aussi élevés, bien que les familles n'aient jamais eu aussi peu d'enfants. Il existe des différences nationales; néanmoins, nous avons affaire à la même dynamique partout: l'endettement est en hausse et atteint des records.

Maladie du système

Que propose-t-on pour sortir de la crise? Mis à part les centaines de milliards en fonds publics, on nous annonce qu'il faut débloquer le crédit. Pour quoi faire? Pour que les gens encore plus endettés contribuent à faire fonctionner le système.

Ce système est bel et bien malade, il préside à la déstructuration de nos sociétés. Néanmoins, l'idéologie qui le légitime se porte plutôt bien. C'est pourquoi on tente de résoudre la crise actuelle à partir de recettes économiques libérales. C'est une erreur de penser que, parce que la finance et l'économie sont affaiblies, le libéralisme l'est tout autant. La crise nous révèle, au contraire, toute sa puissance. Il demeure un horizon de pensée, qui pour l'instant encore, donne l'impression d'être indépassable.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 11 mai 2009 13:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref