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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges Leroux, “Religion et morale dans l'école pluraliste. Le détournement du Rapport Proulx. François Legault déconfessionnalise les écoles, mais qui aurait pu prévoir que c'était pour les vider de la religion et des normes?”. Un article publié dans Le Devoir, Montréal, édition du 1er juin 2000 – idées. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 novembre 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]
Texte de l'article

Georges Leroux, “Religion et morale dans l'école pluraliste.
Le détournement du Rapport Proulx. François Legault déconfessionnalise les écoles,
mais qui aurait pu prévoir que c'était pour les vider de la religion et des normes?


La discussion suscitée par le Rapport Proulx sur la confessionnalité scolaire ne manquait pas de richesse, les enjeux étaient complexes. Soucieux de donner au principe d'égalité une application concrète, ce rapport recommandait principalement trois choses: la déconfessionnalisation des écoles, la suppression de tout enseignement confessionnel soutenu par l'Etat et l'introduction progressive d'un enseignement culturel des religions. Ces recommandations impliquaient le renoncement aux clauses dérogatoires favorisant les catholiques et les protestants et elles excluaient par ailleurs une solution qui, bien qu'elle ait été reconnue respectueuse du principe de l'égalité, fut écartée en raison de ses difficultés d'application: l'approche dite communautarienne, qui ouvrait la possibilité d'un enseignement de plusieurs confessions selon les milieux. Dans ce débat, où les signataires de la présente tenaient des positions différentes, il ne fut jamais question de réduire, en le découpant à la hache, l'espace réservé dans l'école à la transmission des symboles et des normes. Il était question de décider du statut confessionnel des écoles, des privilèges de certaines confessions, du caractère confessionnel, moral ou culturel de la transmission dans une société pluraliste et démocratique. 

Quelle solution le ministre Legault propose-t-il à société? Rien de moins que de réduire de moitié les heures consacrées à ces finalités et de maintenir les prérogatives des catholiques et des protestants. Il déconfessionnalise les écoles, mais qui aurait pu prévoir que c'était pour les vider de la religion et des normes? Cette solution constitue peut-être à ses yeux un compromis viable, elle n'est qu'une démission de fait devant les exigences des uns et des autres. Incohérente en regard du principe d'égalité, elle favorise les confessions chrétiennes protégées par les clauses dérogatoires. Ce qu'elle leur donne d'une main cependant, elle le leur retire de l'autre, en confinant tout le monde, partisans de la confessionnalité et tenants de la laïcité, à la portion congrue. Une heure par semaine, pour ainsi dire rien du tout Cette solution aura réussi à faire démissionner l'épiscopat catholique et toute la coalition gravitant autour de ce foyer. Quant à la coalition pour la déconfessionnalisation, ses représentants ont beau dénoncer l'ambiguïté du modèle proposé, qui n'annonce pas franchement ses objectifs et garde le flou sur les échéances et les responsabilités, ce qu'ils réclamaient pour l'enseignement culturel des religions et pour l'enseignement moral se trouve passé à la trappe. Est-ce bien cela que nous voulions, ce gigantesque délestage de tout l'héritage moral et religieux ? 

Pourquoi un pareil détournement ? 

La loi 118 est maintenant adoptée. Elle effectue un détournement de plusieurs consensus issus des débats. Au premier rang de ces consensus, la nécessité de conserver au primaire comme au secondaire un espace pour la transmission des normes et des symboles. Alors que l'on affirme avec force la place, dans une société pluraliste, du domaine moral et du domaine religieux dans l'ensemble des connaissances à transmettre dans l'école, les aménagements proposés aboutissent à deux conséquences inacceptables: d'abord, la confusion du domaine religieux et du domaine moral, une position équivoque et dépourvue de rigueur, où on se trouve bien forcé de ne reconnaître qu'une motivation pragmatique: tasser dans un fourre-tout marginal l'inessentiel, le non-utile. Ensuite, une réduction du temps consacré à ces matières qui compromet entièrement la possibilité de les enseigner, et encore plus d'y préparer des enseignants. 

D'où vient que la discussion riche du Rapport Proulx ait produit des solutions si décevantes, si peu adaptées à la complexité des enjeux? Tout était déjà, on peut le suggérer, dans le Rapport Inchauspé, issu des Etats généraux de l'éducation. Un rapport unanimement loué pour la clarté de ses objectifs: gagner du temps pour les «matières utiles». L'enseignement religieux et moral, comme les autres matières inscrites sous le titre de Développement de la personne, devait céder la place. Par une habile stratégie qui, sur la base de ces prémisses, charcute les heures dévolues à l'enseignement religieux et moral, au primaire et au secondaire, et par une ouverture non moins stratégique vers l'enseignement culturel des religions en 4e et 5e secondaire, - introduit selon le programme d'une laïcité ouverte, mais placé néanmoins, et non sans confusion, sous l'égide de l'éthique, maître-mot de la rationalité contemporaine -, le tour est joué et presque en silence. Cela s'appelle un superbe coup fourré qui a peut-être trompé le ministre lui-même! 

Un débat et des corrections nécessaires 

Mesurant les conséquences de la politique annoncée pour l'avenir de la jeunesse québécoise, une jeunesse qui partage les requêtes de culture et de sens de toutes les sociétés pluralistes, nous demandons l'ouverture d'un dialogue public sur ces enjeux. Nous croyons qu'il fallait mettre un terme à la confessionnalité des écoles et c'est l'élément positif de la solution que nous avons devant nous. Nous ne remettons pas non plus en cause l'exclusion de la solution communautarienne: le débat a montré qu'elle était non seulement peu praticable, mais qu'elle pouvait être contreproductive sur le plan de l'intégration démocratique. 

Nous croyons cependant nécessaire de nous demander. la réduction de la transmission du symbolique dans l'école est-elle la bonne solution pour l'école pluraliste? Où s'effectuera la rencontre des énoncés de croyance, des pratiques symboliques et des orientations normatives qui appartiennent aux traditions religieuses, philosophiques et éthiques de l'humanité ? Où se développera leur critique et leur appropriation ? Voulons-nous ne transmettre que l'utile et refouler ce qui met en question la nature de l'utile ? S'il ne s'agit concernant le religieux et le moral que d'un catalogue vétuste d'objets patrimoniaux, qu'il faudrait maintenant élargir et communiquer aux autres cultures venues habiter la maison commune, on peut comprendre une telle marginalisation. Pour nous, il s'agit de bien plus. Ce legs de constructions signifiantes, de symboles et de normes engageant tous les passages de la vie individuelle et collective, de propositions permettant de construire graduellement les choix d'une vie bonne, tout cela n'a-t-il rien à apporter à la formation de la jeunesse de nos sociétés «tout commerce», une jeunesse qui montre chaque jour davantage le visage inquiet de sa quête de sens, de sa recherche de fondements ? 

Si ces principes ont une légitimité, le débat devrait se réamorcer sur les propositions suivantes. Premièrement, compte tenu de l'importance du principe de l'égalité, nous ne pouvons en aucune manière cautionner le maintien prévu des clauses dérogatoires sans échéances précises qui marqueraient nettement le statut transitoire des mesures protégeant le privilège des catholiques et des protestants. 

Deuxièmement, dans le but de respecter le consensus démocratique atteint au cours des débats récents sur l'importance à accorder à la dimension religieuse et morale dans la construction de la cité commune, trois questions doivent trouver une solution satisfaisante. 

Il faut d'abord clarifier et distinguer les objectifs des cours de formation morale de ceux qui donnent accès à la culture religieuse de l'humanité. S'il est possible de concevoir une certaine intégration de ces deux domaines, il s'impose de ne pas les confondre ni d'asservir l'un à l'autre. L'introduction de l'éthique au secondaire, une mesure prometteuse, devra s'effectuer de manière rigoureuse et elle ne doit pas devenir un slogan pour enterrer la religion. 

Il faut ensuite donner au domaine religieux et moral l'espace nécessaire permettant l'atteinte des objectifs éducatifs visés. Les propositions actuelles débouchent sur une pure figuration. Les compressions envisagées, tout particulièrement au secondaire, sapent à sa base le renouvellement souhaité de la formation personnelle au contact des traditions religieuses, philosophiques et éthiques sur lesquelles se construit l'histoire humaine. Il faut maintenir tout au long du secondaire l'importance horaire donnée aujourd'hui à la morale ou à la religion. A la charge du ministère de démontrer que cela empêcherait la mise en oeuvre de toute la réforme actuelle de l'éducation! 

Il faut enfin veiller à permettre un aménagement des tâches tel que l'enseignant spécialisé en enseignement religieux et en enseignement moral puisse disposer d'un régime de travail équivalent à celui de ses homologues des autres domaines. L'entrée de l'étude non confessionnelle des religions pose un défi nouveau qui implique une plus grande professionnalisation, pas un affaiblissement. Le régime actuellement prévu videra l'école secondaire de ses spécialistes. Que veut-on au ministère ? Les remplacer par des improvisateurs, des charlatans ? 

Toutes ces questions exigent un examen urgent. Le Rapport Proulx méritait mieux que les propositions frileuses auxquelles le ministre le fait aboutir.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 26 janvier 2007 20:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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