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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges Leroux, “Présence d’Hannah Arendt”. Un article publié dans Le Devoir, Montréal, Édition du samedi, 21 septembre 2003 – idées. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 novembre 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Texte de l'article

Georges Leroux, “Présence d’Hannah Arendt


Titre VO : Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain
Description : Sous la direction de Daniel Dagenais, Presses de l'Université Laval, Québec, 2003, 611 pages.

 

Les raisons pour lesquelles le dialogue avec la pensée d'Hannah Arendt est aujourd'hui devenu essentiel ne sont pas simples. Ceux de ses lecteurs qui veulent replier son ambition sur une lecture purement adossée à l'histoire en sous-estiment la portée philosophique universelle. Ils effacent trop rapidement l'importance de son rôle dans la transition de la philosophie politique d'une période polarisée par le communisme à celle que nous connaissons, portée par le triomphe du libéralisme. Ils minimisent de la sorte le caractère profond de son analyse du totalitarisme, qui est de nous faire comprendre notre exigence de liberté comme devoir et notre histoire comme danger. 

En revanche, ceux qui brandissent sa philosophie du monde commun comme pure légitimation de l'expérience démocratique américaine occultent entièrement la lucidité du regard qu'elle a porté sur son temps -- et notamment sa critique féroce de l'individualisme --, un regard qu'elle ne manquerait pas de porter sur le nôtre. Arendt fut, insistons-y, l'une et l'autre : critique implacable de la dérive totalitaire, elle fut aussi une philosophe, à la fois limpide et intense, de «la condition de l'homme moderne», selon le titre du grand ouvrage de sa maturité. 

Dans un recueil d'une richesse exceptionnelle, le sociologue Daniel Dagenais a réuni un ensemble de contributions qui entreprennent non seulement de relire les analyses du phénomène totalitaire (on retrouvera tous ces écrits rassemblés dans l'édition des Origines du totalitarisme, publiée sous la direction de Pierre Bouretz, Gallimard, « Quarto », 2002), mais également de les prolonger dans une critique de la postmodernité qui ouvre un horizon très différent des perspectives découpées par Hannah Arendt. 

Parce que les auteurs réunis ici partagent une même interprétation de la crise de la modernité, ils engagent avec elle un dialogue qui permet une lecture du totalitarisme au présent. L'antisémitisme, le nazisme, le stalinisme ne sont pas seulement des faits passés dont il s'agirait d'exposer les conditions de possibilité, ce sont aussi des constantes, des menaces qui ne cessent de faire irruption : la transformation de la nature humaine comme but ultime de la tyrannie, l'antihumanisme lié à la terreur radicale, la rupture avec toute tradition et le fantasme d'un commencement absolu, tout cela demeure associé à l'expérience postmoderne et permet de prolonger les analyses d'Arendt au sein même du monde actuel. 

Pour ces auteurs, le monde totalitaire analysé par Arendt comme monde déstructuré dans l'effondrement de la société occidentale est encore le nôtre. Il l'est certes d'abord comme monde asservi aux dominations, mais plus encore en tant que monde livré à l'oubli du politique et au triomphe pathologique de l'économie et de l'organisation. 

Mal et modernité 

Cette réflexion vient à point. Dans l'urgence de comprendre la mondialisation de la terreur autant que les systèmes qui la rendent possible, ces essais nous invitent à retrouver chez Arendt les instruments d'une compréhension renouvelée de la vérité de l'époque. Des problèmes aussi difficiles que la question du mal dans la terreur, un véritable abîme pour la pensée -- abordé ici dans un essai important de Dario de Facendis --, peuvent en effet être repris dans son anthropologie et réarticulés sur l'angoisse actuelle du mal. 

On en dirait autant du stalinisme analysé comme industrie par Jacques Mascotto, qui propose aussi un essai percutant sur le terrorisme d'avant et d'après le 11 septembre. D'autres, comme la nature même de la modernité, sa genèse, ses crises au sein du capitalisme, sont l'objet d'analyses qui, sans être inscrites directement dans la pensée d'Arendt, en constituent pour ainsi dire le contrepoint : c'est le cas des deux contributions majeures de Michel Freitag, où on trouvera un exposé historique lumineux de la construction des premiers totalitarismes et une critique impitoyable de l'américanisation comme totalitarisme systémique. 

Les modèles théoriques mis en oeuvre ici se fondent sur une lecture complexe de l'histoire du XXe siècle et le dialogue avec la pensée d'Arendt manifeste la fécondité de sa pensée, pour ne rien dire de sa profonde pertinence aujourd'hui. Dédié au regretté Hubert Guindon, qui signe un bel essai sur le nationalisme, ce livre montre la richesse de la sociologie critique au Québec. 

La pensée de la liberté 

Au même moment paraît une étude de Francis Moreault sur la pensée de la liberté dans l'oeuvre d'Arendt. Principe essentiel de la fondation politique, c'est-à-dire de toute initiative humaine en vue du bien commun, l'amour de la liberté est présenté comme la matrice de sa pensée politique. 

Attentif à l'inspiration grecque de cette pensée, l'auteur propose une recherche ancrée dans l'histoire de la philosophie mais aussi dans l'expérience moderne qui a tant inspiré le travail d'Hannah Arendt. Ce livre est beaucoup plus que l'essai annoncé par son sous-titre, c'est une étude fouillée, écrite dans l'admiration de l'effort déchirant d'Arendt pour retrouver, contre l'apolitisme contemporain, une expérience politique substantielle. Notons également la réédition du livre de Martine Leibovici consacré au judaïsme et à l'antisémitisme dans l'oeuvre d'Arendt, où l'auteur reprend toutes les questions liées non seulement à l'identité juive mais aussi à la tradition sioniste et au judaïsme moderne, où la philosophe, qui fut le témoin âprement contesté du procès Eichmann, trouva les sources de sa pensée de la libération et du monde commun.

 

Hannah Arendt, une Juive - Expérience, politique et histoire

Martine Leibovici
Préface de Pierre Vidal Naquet
Desclée de Brouwer, Paris, 2002, 484 pages 

Hannah Arendt, l'amour de la liberté - Essai de pensée politique

Francis Moreault
Presses de l'Université Laval, Québec, 2003, 236 pages


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 janvier 2007 11:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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