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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'institutionnalisation de la sociologie au Québec. Entre rupture et continuité (2007)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-François Lepage, “L'institutionnalisation de la sociologie au Québec. Entre rupture et continuité”. Un article publié dans les Cahiers de recherche sociologique, no 44, sep-tembre 2007, pp. 117-130. Montréal: Département de sociologie de l'UQÀM et Les Éditions Liber, 2007. [Autorisation formelle accordée par le directeur de la revue, M. Marcelo Otero, le 4 mars 2008, de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

L'évolution de la sociologie québécoise est déterminée, au-delà d'une certaine contingence, par un jeu d'alliances de formes de pensées, de tensions et de débats qui ponctuent son développement. 

Parce que ce sont les sociologues eux-mêmes qui écrivent l'histoire de leur discipline, il est souvent malaisé de distinguer les faits qui jalonnent l'évolution de la discipline sociologique du travail d'interprétation historique qu'on a tenté de construire autour d'eux. Derrière les débats d'idées entourant l'histoire d'une discipline se cachent d'autres débats souvent plus profonds qui mettent en cause les méthodes, les théories, les façons de pratiquer la sociologie, de même que la capacité des sociologues à définir ces grandes tendances méthodologiques ou théoriques, ou du moins à les infléchir. L'histoire de la sociologie québécoise n'y échappe pas. 

Pour plusieurs, l'histoire de la sociologie québécoise commence dans les années 1940 avec le début de l'institutionnalisation de la discipline dans les universités francophones [1]. Selon la thèse communément admise, cette institutionnalisation est allée de pair avec le passage d'une science sociale fortement marquée de l'empreinte de la religion catholique vers une pratique sociologique de plus en plus soucieuse de la rigueur et de l'objectivité caractéristiques des disciplines scientifiques. Cette transition est en fait présentée, notamment par Jean-Charles Falardeau et Marcel Fournier [2], comme une rupture plutôt brusque grâce à laquelle la sociologie a acquis à la fois son caractère scientifique et son statut de discipline universitaire, se débarrassant du carcan religieux dans lequel elle était enfermée depuis des décennies. 

Avec la parution récente de L'engagement sociologique, la tradition sociologique du Québec francophone (1886-1955), Jean-Philippe Warren met fin à près de quarante ans de relative unanimité dans l'interprétation historique du développement de la discipline [3]. Il remet en question cette thèse de la rupture, en insistant sur la tradition sociologique que les sociologues contemporains ont héritée de leurs prédécesseurs de la première moitié du vingtième siècle, et ouvre la porte à un débat qui engage moins les faits que leur interprétation historique. L'objectif de cet article est d'analyser les tenants et aboutissants de ce débat, et d'en proposer une interprétation sociologique. 

La théorie des champs de Pierre Bourdieu offre le cadre de cette interprétation. Il s'agit d'appréhender la sociologie [4] québécoise à la fois comme un champ de forces et de luttes [5], au sein duquel les agents sont en concurrence pour le monopole de l'autorité spécifique au champ, « inséparablement définie comme capacité technique et comme pouvoir social [6] ». Les sociologues luttent entre eux pour occuper des positions symboliques susceptibles de leur permettre d'imposer une définition légitime [7] de la pratique sociologique [8]. À l'instar du champ scientifique, le champ sociologique québécois a cette particularité qu'« il n'existe pas d'instance à légitimer les instances de légitimité [9] ». Bourdieu propose ainsi une perspective constructiviste où la légitimité des pratiques, leur caractère proprement sociologique, ne s'acquiert qu'au sein du champ, en fonction de sa configuration ponctuelle, résultat des luttes antérieures et de sa relative autonomie [10]. La théorie des champs de Bourdieu est loin d'être inusitée dans l'étude de la sociologie québécoise : Fournier, qui fut l'élève de Bourdieu, a largement contribué à diffuser la pensée de son maître au Québec, notamment avec ses travaux sur la sociologie québécoise. Il s'agit donc de poursuivre l'analyse dans les mêmes termes où elle a commencé. 


[1] Jean-Charles Falardeau, « Antécédents, débuts et croissance de la sociologie au Québec », Recherches sociographiques, vol. 15, nos 2-3, 1974, p. 135-166 ; Marcel Fournier et Gilles Houle, « La sociologie québécoise et son objet : problématiques et débats », Sociologie et sociétés, vol. 12, no 2, 1980, p. 21-43 ; Gilles Bourque, « Société traditionnelle, société politique et sociologie québécoise, 1945-1980 », Cahiers de recherche sociologique, no 20, 1993, p. 45-83.

[2] Jean-Charles Falardeau, art. cité, Marcel Fournier, « L'institutionnalisation des sciences sociales au Québec », Sociologie et sociétés, vol. 5, no 1, 1973, p. 27-58 ; Marcel Fournier et M. Trépanier, « La sociologie dans tous ses états », Recherches sociographiques, vol. 26, no 3, 1985, p. 417-444 ; Marcel Fournier, « Notes pour une histoire de la sociologie québécoise suivies d'éléments de réflexions sur l'avenir », dans R. Lahaise (dir.), Québec 2000. Multiples visages d'une culture, Montréal, Hurtubise HMH, 1999, p. 287-322.

[3] Jean-Philippe Warren, L'engagement sociologique. La tradition sociologique du Québec francophone (1886-1955), Montréal, Boréal, 2003.

[4] « La discipline est un champ relativement stable et délimité, donc relativement facile à identifier : elle a un nom reconnu scolairement et socialement [...] ; elle est inscrite dans des institutions, des laboratoires, des départements universitaires, des revues, des instances nationales et internationales (congrès), des procédures de certification des compétences, des systèmes de rétribution, des prix » (Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d'agir, 2001, p. 128).

[5] Ibid., p. 69.

[6] Pierre Bourdieu, « La spécificité du champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison », Sociologie et sociétés, vol. 7, no 1, 1975, p. 91-92.

[7] « légitime signifiant susceptible d'être reconnu, validé ou, mieux homologuée [...], en l'état des instruments de communication, de connaissance et de critique » (P. Bourdieu, Science de la science.... op. cit., p. 139-140).

[8] P. Bourdieu et L.J.D. Wacquant, Réponses, Paris, Seuil, 1992, p. 73-75 ; Y. Gingras, « L'institutionnalisation de la recherche en milieu universitaire et ses effets », Sociologie et sociétés, vol. 23, no 1, 1991, p. 50.

[9] P. Bourdieu, « La spécificité du champ scientifique... », art. cité, p. 97.

[10] P. Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, p. 114 ; P. Bourdieu, Science de la science..., op. cit., p. 95.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 5 mars 2008 11:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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