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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Vincent Lemieux et Réjean Landry, “Les politiques sociales: dilemmes des interventions de l'État-Providence”. Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, Simon Langlois et Yves Martin, Traité des problèmes sociaux. Neuvième partie: “L’intervention: les politiques”. Chapitre 49, pages 997 à 1012. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture, 1994, 1164 pages. [Autorisation de l'auteur accordée le 13 août 2004 de diffuser toutes ses publications.]

Réjean Landry et Vincent Lemieux *

Les politiques sociales: dilemmes des interventions
de l'État-Providence
”.

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, Simon Langlois et Yves Martin, Traité des problèmes sociaux. Neuvième partie: “L’intervention: les politiques”. Chapitre 49, pages 997 à 1012. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture, 1994, 1164 pages.

Introduction
1. L’évolution  des instruments d'intervention de l'État
2. Les causes de la croissance de l'État
2.1. Les déterminants de la demande
2.2. Les déterminants de l'offre
3. Interprétation de la crise contemporaine des interventions de l'État
3.1. Les facteurs explicatifs de la crise
3.2 Les propositions de règlement de la crise
4. L'état de la recherche au Québec
5. Conclusion
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Résumé, par Serge Cantin.

Introduction

Il existe différentes définitions des politiques sociales. Plusieurs d'entre elles sont extrêmement larges. Certains auteurs comme Courchesne [1]  y incluent même les politiques concernant l'éducation postsecondaire et les politiques de péréquation en faveur des provinces canadiennes moins bien pour­vues que d'autres. Dans ce chapitre, à moins d'avis contraire, nous nous en tiendrons à une définition plus restrictive, qui recouvre les interventions de l'État en vue de protéger les individus contre les risques lourds que représentent pour eux la mala­die, la vieillesse, les situations psychosociales diffi­ciles, dont en particulier l'absence ou la perte d'emploi.

Il est utile de considérer les politiques sociales comme des politiques publiques d'un type particu­lier. Les politiques publiques s'interpellent sous l'angle de l'objet ou de la méthode. Sous l'angle de l'objet d'étude, elles renvoient à l'action des acteurs étatiques et des autres acteurs politiques. Sous l'angle de la méthode, elles renvoient à l'ensemble des méthodes utilisées pour décrire, comparer, expliquer et prédire l'action de ces acteurs.

Les politiques publiques constituent des interventions qui visent à amener des individus à faire ce qu'ils ne feraient pas autrement, par exemple à payer des impôts et des assurances pour se protéger contre les risques lourds découlant de la mala­die et de la perte d'emploi. Les gouvernements réalisent leurs interventions en recourant à un vaste répertoire d'instruments à caractère financier, juri­dique et idéologique. La réalisation de ces interventions accapare près de 50 % du PIB de la plupart des pays industrialisés. Ce pool de ressources a transformé l'État pour en faire le plus gros employeur et le plus important acheteur des pays industrialisés. Il n'en fut pas toujours ainsi. C'est pourquoi les travaux de recherche du domaine des politiques pu­bliques s'articulent autour de trois pôles qui font ressortir l'importance croissante des politiques sociales: l'étude de l'évolution des instruments d'intervention de l’État; l'analyse des causes de la crois­sance de l'État; l'interprétation de la crise contemporaine des interventions de l'État.

1. L’évolution  des instruments
d'intervention de l'État

Dans les pays industrialisés, l'individu acquiert des droits politiques à partir du XIXe siècle. Ceux-ci concernent principalement le droit de vote, le droit de parole et le droit d'association. La concrétisation de ces droits s'est réalisée à travers les interventions de l’État-gendarme. Ces interventions visent primordialement à assurer la sécurité des personnes, la protection des biens, la justice et la défense nationale. Les services fournis par l’État-gendarme reposent sur l'utilisation d'instruments de production, c'est-à-dire la mise en place d'organisations publiques de petite taille que sont notamment les ministères de la justice, de la sécurité publique et de la défense nationale. Monopolisant alors l'essentiel des revenus de l'État, ces instruments de production ne représentent plus aujourd'hui qu'une petite part du budget public.

Les interventions de l’État-gendarme visent à réduire les risques découlant des assauts sur les biens, les personnes ou la collectivité. Les risques lourds découlant de la maladie ou de la perte d'emploi sont alors pris en charge par des mécanismes relevant du marché privé, de la famille, ou des communautés religieuses. Les individus qui n'avaient pas les moyens d'acheter les services de santé sur le marché privé devaient compter sur la solidarité familiale ou la compassion des communautés religieuses. Dans la plupart des pays industrialisés, les premières interventions publiques dans le domaine de la santé seront implantées par les gouvernements municipaux plutôt que par les gouvernements nationaux.

Cette conception du partage des risques entre l'État et les individus a prévalu jusqu'à la crise de 1929. Lorsque le quart de la population active se retrouva en chômage, l'optimisme quant à la capacité des personnes à surmonter les risques lourds dé­coulant de la maladie, mais spécialement de la perte d'emploi, fut fortement ébranlé. L'État commence à se substituer aux communautés religieuses et à la famille pour assurer par des politiques sociales la survie des plus démunis qui étaient incapables de surmonter les risques lourds découlant de la maladie, de la vieillesse, de situations psychosociales difficiles et de la perte d'emploi. Les gouvernements se résignèrent alors à recourir à des instruments d'intervention financière qui prirent la forme de paiements de transfert à des personnes ou à des établissements privés de santé. Ces premiers paiements de transfert relevaient toutefois de décisions discrétionnaires des politiciens et des bureaucrates.

L'essor des droits sociaux et leur cristallisation progressive, d'abord dans les lois et règlements, puis dans les chartes des droits de la personne, allaient toutefois transformer profondément les interventions de l'État. Dans le processus d'évolution des droits politiques vers les droits sociaux, on passe d'une philosophie d'intervention gouvernementale qui donne la primauté aux droits formels à une philosophie qui accorde la préséance aux droits réels. Cette évolution s'est caractérisée par une multiplication considérable des droits. Ceux-ci incluent désormais le droit au travail, à l'éducation, à la santé, aux vacances annuelles, aux loisirs, etc.

Cette évolution dans la philosophie des droits individuels a profondément transformé les interventions de l'État, en particulier dans le domaine des politiques sociales. Les paiements de transferts de l'État ne sont plus exclusivement réservés aux personnes incapables de surmonter les risques lourds découlant de la maladie ou de la perte d'emploi; ils sont aussi accordés aux individus de la classe moyenne et de la classe supérieure de façon à les protéger contre les coûts résultant d'un très large éventail de risques qui, autrement, engendrerait un sentiment d'insécurité économique. L'octroi de ces paiements de transfert ne relève désormais plus de décisions discrétionnaires. Leur attribution repose sur des normes juridiques. Tous les individus jouissent désormais du droit à la gratuité sur une vaste gamme de services publics dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l'éducation. Ces interventions de l’État-protecteur, qui prennent la forme de paiements de transfert à des personnes et à des établissements, constituent aujourd'hui la source la plus importante de l'accroissement des dépenses publiques.

L'adoption de règlements représente un autre instrument de transferts sociaux auquel recourt l’État-protecteur. Ainsi, la réglementation gouvernementale redistribue des coûts et des bénéfices entre les producteurs et les consommateurs lorsqu'elle impose des règles contrôlant les méthodes de production, les attributs des biens, les conditions d'emploi, l'entrée des producteurs, les prix, les tarifs, etc. Ces interventions de l’État-protecteur sont de plus en plus contestées. On les accuse notam­ment de maintenir l’inefficience économique en empêchant les mécanismes du marché privé d'éliminer les activités des entreprises et des travailleurs qui sont les moins efficientes. Les effets redistribu­tifs engendrés par la réglementation sont toutefois difficiles à recenser parce que les gouvernements ne sont pas obligés de dresser le bilan des bénéfices et des coûts qui en découlent.

Finalement, l'État contemporain est aussi un État-entrepreneur lorsqu'il devient actionnaire dans des entreprises, qu'il s'agisse d'entreprises publiques ou d'entreprises mixtes. Cet instrument d'intervention de l'État est de moins en moins utilisé dans les pays industrialisés. On assiste plutôt à la privatisation d'une partie des entreprises publiques de certains pays, comme en témoignent éloquemment les cas de la France, de l'Angleterre et du Canada.

En résumé, les instruments d'intervention de l'État ont évolué progressivement de l'utilisation de paiements de transferts discrétionnaires à des personnes vers des paiements de transferts normés visant tant les entreprises que les personnes. De plus, l'État effectue d'importants transferts de richesses entre les individus et les groupes au moyen de ses interventions réglementaires.

2. Les causes de la croissance de l'État

La croissance de l’État-protecteur a été im­pressionnante tant du côté de la multiplication des instruments d'intervention que sous l'angle du processus d'appropriation d'une part croissante de la richesse collective. Il n'y a pas d'unanimité au sujet des facteurs explicatifs de cette croissance. Les travaux sur cette question se partagent en deux groupes principaux: d'un côté, on retrouve des chercheurs qui dressent des listes de déterminants qui, pris un à un, sont plausibles, mais dont l'ensemble constitue un agrégat ad hoc dont les élé­ments ne sont pas reliés les uns aux autres. D'autre part, on retrouve aussi des chercheurs, notamment dans l'école du public choice et du marxisme, qui dérivent les facteurs de croissance de l’État-protecteur de théories déductives. Nous tenterons d'inté­grer les éléments de ces deux catégories de travaux en distinguant les facteurs de croissance selon qu'ils concernent la demande ou l'offre [2].

2.1 Les déterminants de la demande

Les déterminants de la demande s'articulent autour de quatre pôles principaux: la croissance économique, l'évolution démographique, les institutions fiscales et l'action des groupes d'intérêt.

La croissance de l'économie et l'industrialisation constituent des déterminants stimulant à la hausse la demande de services publics. Les transformations de l'économie survenues au cours du XXe siècle ont démontré les déficiences du marché privé relativement à la production de nombreux services publics, notamment dans les domaines de la santé et des services d'éducation. Ces déficiences justifient la demande d'interventions gouvernementales en raison du refus des entreprises de supporter les coûts de production de services dont elles sont incapables de s'approprier en exclusivité une propor­tion de bénéfices qui soit suffisante pour compenser leurs coûts privés. De plus, les néo-marxistes soutiennent que l'évolution du capitalisme a engendré des contradictions qui incitent les entrepreneurs à demander à l'État de produire des services qui résoudront les crises du système capitaliste de production, particulièrement le problème du taux élevé de chômage. Finalement, tout contribue à stimuler l'augmentation des interventions étatiques: les conjonctures de prospérité économique suscitent des demandes de prestations plus généreuses, tandis que les conjonctures de récession engendrent des pressions à la hausse sur la demande de protection additionnelle contre l'insécurité économique.

Tout au long du XXe siècle, le développement économique des pays industrialisés a entraîné une diminution des taux de natalité et de mortalité, qui, à leur tour, ont engendré une forte augmentation de la proportion des personnes âgées. Également, cette évolution démographique s'est accompagnée d'une réduction de la valeur économique des enfants, entraînant ainsi des pressions additionnelles sur la demande de services publics particulièrement dans les domaines de la santé et de l'éducation.

La plupart des services publics, particulièrement dans les domaines de la santé et des services sociaux, sont gratuits. Aucune règle, à l'exception de la file d'attente, ne limite la demande des citoyens. Le mode de financement des services par le recours aux règles générales de taxation ne permet pas aux usagers d'établir un lien direct entre la valeur des bénéfices qu'ils reçoivent et leur coût de production. Cette absence de lien direct crée un univers d'illusion fiscale qui incite les usagers à exprimer une demande excessive de services publics lorsqu'ils sous-estiment les coûts de production. Cette propension est d'autant plus forte que la consommation ne semble pas engendrer de coûts directs et immédiats pour les usagers.

La croissance des interventions étatiques cons­titue aussi une résultante de l'action des groupes d'intérêt [3].   Ceux-ci ont pour but d'articuler les intérêts de leurs membres et de les convertir en demandes d'interventions gouvernementales. Au cours des trente dernières années, ces demandes ont augmenté considérablement en raison de quatre facteurs principaux: d'abord, parce que le nombre de groupes d'intérêts qui intervient dans le processus d'élaboration des décisions politiques a augmenté considérablement; ensuite, parce que le nombre de groupes d'intérêts particuliers ayant le droit d'effectuer des prélèvements obligatoires s'est accru considérablement. Ce mode de financement a eu pour effet d'accumuler des ressources considérables pour certains groupes syndicaux et professionnels qui les ont utilisées pour exercer des pressions qui ont contribué à élargir la gamme des services publics offerts, de même que leur coût de production. Les demandes émanant de groupes de producteurs ont contribué à stimuler de façon toute particulière la croissance des services de santé. En troisième lieu, le nombre des groupes d'in­térêts publics, financés en partie ou en totalité par des subventions gouvernementales, s'est lui aussi accru de façon phénoménale. Ces groupes, qui ont pour objectif de promouvoir les intérêts des consommateurs dans les domaines de l'éducation, de la santé, de l'environnement, des loisirs, etc., exercent eux aussi de fortes pressions à la hausse sur toutes les catégories de services publics. Finalement, le nombre de groupes qui représentent les intérêts des établissements locaux de production de services publics a lui aussi connu une hausse très importante. Qu'il s'agisse d'associations représentant des hôpitaux, des écoles ou des municipalités, ce genre de groupes exerce des pressions sur les gouvernements en vue d'accroître les ressources financières et les pouvoirs de leurs membres.

2.2 Les déterminants de l'offre

La propension à la hausse de l'offre d'interventions gouvernementales est généralement attribuée à trois catégories de facteurs: les bureaucraties publiques, les inerties institutionnelles et les idéologies politiques.

Selon les spécialistes de l'analyse économique de la bureaucratie, le bureau non marchand constitue une dégradation du type pur représenté par l'entreprise privée en situation de concurrence, puisque, soutient-on, le bureau non marchand est soumis plus faiblement que l'entreprise privée au double contrôle des propriétaires et des consommateurs. Cette déficience dans le contrôle du bureau non marchand constitue ainsi un facteur de croissance de l'offre de services publics. Les interprétations proposées se distinguent suivant les objectifs qu'elles attribuent aux bureaucrates: maximisation du budget ou de la quantité produite [4], maxi­misation de la qualité, maximisation du revenu discrétionnaire [5], maximisation de la stabilité et de la sécurité [6].  Cette dernière hypothèse implique que le bureaucrate est plus incité à lutter contre les di­minutions de budget que pour des augmentations maximales de ressources, et qu'il favorise des augmentations graduelles plutôt que maximales des ressources budgétaires.

D'autres types d'inerties institutionnelles contribuent aussi à gonfler l'offre de services pu­blics. La production et la distribution des services publics sont déterminées par des règles stipulées dans des lois et des règlements qui cristallisent juridiquement le partage des coûts et des bénéfices entre les membres de la collectivité. Cette cristallisation a pour effet d'engendrer des droits qui, au fil du temps, sont considérés comme des droits acquis. Ainsi, tous et chacun en arrivent à contester la réduction des bénéfices individuels en s'appuyant sur les droits acquis obtenus sur un large faisceau de services concernant les paiements de transferts, les services de santé gratuits, l'éducation gratuite, etc. Ces engagements, pris un à un dans le court terme par les gouvernements, créent un processus cumulatif qui, à long terme, produit un effet d'inertie où les interventions étatiques en viennent en quelque sorte à correspondre à une machine en mouvement qui tend d'elle-même à poursuivre son mouvement sur la même trajectoire. Rose et Harran ont rendu compte de ces pressions en termes très évocateurs:

De nos jours, gouverner concerne moins le développement de nouvelles politiques que l'obligation d'assumer les conséquences des politiques implantées dans le passé. La plupart des activités du gouvernement ne reflètent pas les décisions présentes, mais bien des décisions prises dans le passé, c'est-à-dire avant que le gouvernement en exercice n’arrive au pouvoir. Un gouvernement nouvellement élu assume immédiatement la responsabilité d'administrer les lois adoptées par ses prédécesseurs; ces lois ont pour effet d'autoriser des dépenses qui grugent une portion significative du produit national et des taxes qui génèrent les revenus pour les supporter. Les lois n'ont pas besoin d'être implantées avec l'approbation des politiciens; elles existent déjà dans la réalité, de même que les agences gouvernementales et les fonctionnaires chargés de fournir les programmes. En outre, leurs clients — retraités, patients d'hôpitaux, élèves — maintiennent une demande effective pour les programmes auxquels ils ont légalement droit. Même dans l'éventualité où un gouvernement nouvellement élu déciderait de ne prendre aucune décision à caractère discriminatoire, il constaterait tout de même que beaucoup de choses seraient néanmoins accomplies en son nom, tellement il existe d'inertie dans les engagements budgétaires incontrôlables [7].

La couleur idéologique des partis au pouvoir constitue un autre déterminant à la base de l'expansion des interventions de l’État-protecteur. Les études empiriques sur l'évolution des dépenses publiques dans les pays industrialisés abordent toutes de façon plus ou moins directe la question suivante: le contrôle de l'exécutif par des partis d'allégeances idéologiques différentes entraîne-t-il des changements dans les dépenses publiques? Ce genre d'études s'intéresse principalement aux variations des dépenses publiques dans le champ des politiques sociales, et en particulier dans les domaines de l'éducation, de la santé et du revenu, suivant que ces dépenses prennent la forme de dépenses directes, de dépenses de transfert ou de dépenses fiscales.

Des partis de gauche forts sont statistiquement associés à l'expansion de la croissance des dépenses publiques [8];  ils sont non significativement associés à l'expansion de la croissance des dépenses publiques pour la période 1973-1980 [9]; en outre, ils sont fortement associés aux dépenses de consommation du gouvernement et faiblement associés aux dépenses de transfert aux individus [10]; des partis de gauche forts sont également associés à l'augmentation des dépenses de santé [11]; à la redistribution fiscale (plus grande progressivité de l'impôt) [12]; à des dépenses publiques à caractère redistributif lorsque les syndicats sont fortement organisés et que l'économie est en expansion [13]; finalement, la gauche est aussi fortement associée à des dépenses à caractère redis­tributif lorsque la droite est faible [14]  La force de la gauche dépend, selon certains auteurs, de la densité syndicale et de la force des organisations syndicales [15].

Inversement, des partis de droite forts sont statistiquement associés au ralentissement de la croissance des dépenses publiques [16]  et à l'augmentation des dépenses d'éducation [17].  Selon certains chercheurs, la force de la droite dépendrait de l'unité des partis de droite et de la durée de leur contrôle de l'exécutif [18].

3. Interprétation de la crise contemporaine
des interventions de l'État

La crise contemporaine des interventions de l'État s'alimente à deux sources principales. D'une part, les interventions de l’État-protecteur n'ont pas réussi à faire disparaître les inégalités qui les justifiaient, particulièrement en matière de santé, de revenus et d'éducation. D'autre part, le ralentissement de la croissance économique et la conjoncture de récession des dernières années ont eu pour effet de ralentir la croissance des revenus des gouvernements tout en portant à la hausse le coût des mesures sociales.

La crise des interventions de l’État-protecteur a suscité l'émergence de travaux de recherche dans deux directions principales: d'un côté certaines études gravitent autour des facteurs explicatifs de la crise, alors que de l'autre certaines études traitent des avantages et des inconvénients de diverses propositions susceptibles de régler ou, tout au moins, d'atténuer la crise.

3.1 Les facteurs explicatifs de la crise

Les réflexions et les travaux expliquant la crise contemporaine des interventions de l’État-protecteur s'articulent autour de deux pôles principaux: le rendement social décroissant des interventions étatiques et les effets pervers des institutions mises en place par les interventions de l'État.

D'après Lambert [19], le rendement social élevé des dépenses gouvernementales dans le domaine social a été rendu possible en raison de trois facteurs: d'abord, un effet d’écrémage qui a permis aux législateurs de mettre en place les projets les plus efficaces; ensuite, un effet de couverture qui a consisté à intégrer par vagues successives des couches de la population qui ne bénéficiaient pas de protection sociale contre les risques lourds découlant de la maladie et de la perte d'emploi; enfin, un effet de prestation qui, en raison de la croissance économique soutenue des trente glorieuses, a permis aux législateurs d'enrichir progressivement les prestations de protection sociale.

Toutefois, le rendement social des investissements publics dans le domaine de la protection sociale tendrait à décroître progressivement au fur et à mesure que l'État produit de plus en plus de services et qu'on se rapproche progressivement de la couverture complète de la population. En termes plus concrets, les gouvernements de plusieurs pays industrialisés ont peut-être atteint un point où les coûts de production des mesures sociales augmentent tandis que les bénéfices qui en résultent diminuent. À la suite d'Hirshman [20], il faut bien souligner que ce jugement relève de l'appréciation qualitative plutôt que d'évaluations systématiques appuyées sur des données empiriques. Cette appréciation qualitative se trouve cependant aussi accréditée en raison du ralentissement de la croissance économique qui accentue les pressions sur la proportion croissante des revenus privés que les individus doivent accepter d'allouer aux prélèvements obligatoires finançant les programmes sociaux.

La modification des caractéristiques des interventions gouvernementales devient de plus en plus difficile à mesure que æ multiplient les interventions, car celles-ci se cristallisent obligatoirement sous la forme de lois et de règlements qui accordent des droits de plus en plus étendus à une proportion toujours plus grande de citoyens. De plus, soutient Bell:

[...] étant donné qu’il y a plus de décisions prises dans l'arène politique que sur le marché, nous assisterons à la multiplication de conflits sociaux. L'arène politique est une aire ouverte où les points de décision sont plus visibles que sur le marché impersonnel; différents groupes s'affronteront plus directement en cherchant à obtenir des avantages ou à résister à des changements qui surviennent dans la société [21].

L'enjeu de ces luttes politiques est élevé parce que la modification des règles concernant le partage des coûts et des bénéfices dérivant des interventions étatiques crée des situations de jeu à somme nulle. Comme les décisions qui s'imposent à la collectivité doivent être prises en conformité aux règles, aucune redistribution de coûts ou de bénéfices n'est possible tant que les règles n'ont pas été changées. Or, toute modification de règles est longue et difficile parce que celles-ci protègent généralement les tenants du statu quo: toute modification de règle exige généralement l'accord de la ma­jorité des membres d'une collectivité [22].

La multiplication des interventions de l'État a accru la part des activités réglementées au sein des secteurs marchand et non marchand en laissant une marge de plus en plus étroite aux activités non ré­glementées qui permettent l'adaptation et l'innova­tion. Les groupes d'intérêt en sont venus à prétendre que les arrangements institutionnels en vigueur leur conféraient un droit de propriété sur le statu quo. Ce système d'incitations véhicule trois autres biais majeurs: un premier biais concerne l'asymétrie incitant les consommateurs et les producteurs à intervenir sur le marché des politiques publiques [23]; un second biais concerne l'asymétrie des incitations à investir dans la protection des acquis fournis par les politiques sociales plutôt que dans la croissance de la richesse collective; un troisième biais concerne l'asymétrie des incitations séparant les individus à hauts revenus des autres en matière de politiques gouvernementales [24].

3.2 Les propositions de règlement de la crise

La crise de l’État-protecteur a engendré deux attitudes opposées: d'un côté, d'aucuns estiment que le jugement porté sur le coût des programmes sociaux concerne essentiellement l'acceptation plus ou moins grande des citoyens quant à l'augmentation de la fraction de leurs revenus privés destinés au financement de meilleurs programmes sociaux. Ce sont des partisans du statu quo qui estiment que l’État-protecteur constitue un bien en soi qu'il convient de protéger indépendamment des coûts qui en résultent. C'est la solution tout État [25].  Les coûts croissants des interventions de l’État-protecteur ont suscité, d'un autre côté, l'émergence d'un grand nombre de propositions de réforme. Les plus radicaux veulent tout privatiser sous prétexte que le marché privé détient le monopole de l'efficience et que l'État détient le monopole de l’inefficience. Toutefois, plutôt que de s'engager dans l'examen global de propositions de réforme, il convient de distinguer les facteurs de croissance de la demande et de l'offre d'interventions gouvernementales qui peuvent être affectées par des décisions des législateurs de ceux qui ne le peuvent pas.

Un premier groupe de propositions de réforme vise à contenir la demande de services. Parmi celles-ci, notons: l'implantation de tickets modérateurs et de tickets orienteurs, l'instauration d'impôts services, la tarification des services consommés, la dissuasion engendrée par l'allongement des files d'attente, par la détérioration de la qualité (réelle ou perçue) des services publics et par diverses mesures bureaucratiques qui compliquent l'accès aux services ou le remboursement des frais assumés. Ce genre de propositions a pour effet d'inciter les individus à diminuer leur demande de services publics ou, encore, de les pousser à consommer des services produits sur le marché privé plutôt que par l'État.

D'autres propositions de réforme s'attaquent à la crise de l’État-protecteur en insistant sur des stratégies qui visent à restreindre l'offre ou à réduire les coûts de production des services publics. Mentionnons l'abaissement des coûts des programmes de prestations uniformes en espèces (allocations familiales, pensions, etc.) par la hausse du taux d'imposition applicable sur ces revenus et l'élimination de l'indexation de ces prestations [26], le relèvement des conditions d'éligibilité aux presta­tions et aux services publics, l'accroissement de la flexibilité des règles régissant les conditions de travail des fonctionnaires, l'attribution de la production de certains services à des producteurs privés (ex.: les services de buanderie des hôpitaux), l'administration d'une partie des établissements de production de services publics par des entreprises privées, l'organisation de la production de certains services publics sur un mode pluraliste et concurrentiel [27].

Les gouvernements des pays industrialisés sont confrontés à une crise qui ne leur laisse aucun choix: ils devront contingenter tant la demande que l'offre. La cristallisation des règles concernant le partage des coûts et des bénéfices des services publics dans des lois et règlements rendra difficile l'adoption et l'implantation de réformes radicales. Les solutions consistant à tout privatiser ou à tout étatiser ne pourront pas être retenues. La solution des problèmes sociaux et économiques requerra un peu plus d'interventions de l'État dans certains cas et du marché privé dans d'autres. L'élargissement de la marge de flexibilité des règles élaborées par des bureaucraties centralisées est perçue comme une solution appropriée dans de nombreux pays. L'élargissement de cette zone de flexibilité appelle une séparation nette entre le financement et la production des services. Cette sépara­tion permet d'organiser un marché interne où certaines organisations, à qui sont attribuées les ressources pour des soins de santé, achètent des services hospitaliers et des services médicaux qui sont offerts par des hôpitaux et des organisations en compétition. De tels marchés internes sont en train d'émerger dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni, en Hollande et en Suède.

4. L'état de la recherche au Québec

La lecture des travaux concernant l'évolution des investissements d'intervention du gouvernement du Québec en matière de protection sociale montre que la situation du Québec ressemble de très prés à celles des autres pays industrialisés [28]  en dépit de toutes les études qui centrent l'attention sur la thèse du retard et du rattrapage [29].

Dans son étude des lois qu'ont fait adopter les gouvernements du Québec, de 1945 à 1985, Lemieux [30] regroupe les lois en quatre grandes catégories, celles de la mission gouvernementale, celles de la mission économique, celles de la mission sociale et celles de la mission éducative et culturelle. Même si la mission sociale ne recouvre pas tout à fait ce que nous entendons ici par politiques sociales, puisqu'elle comprend les lois touchant la sécurité sociale, la santé et les services sociaux, la famille, la condition féminine, les relations et les conditions de travail, l'aménagement social et la consommation, il est utile de voir comment cette mission a été traitée par rapport aux trois autres, qui renvoient à des ensembles plus homogènes.

Les principaux résultats de la recherche mon­trent que la mission sociale s'est traduite par une moins forte proportion de lois (23,2%), dans l'ensemble de la période, que la mission économique (41,7%) et la mission gouvernementale (25,8%), mais par une plus forte proportion de lois que la mission éducative et culturelle (9,4%). Ils montrent aussi que le gouvernement le plus actif quant à la mission sociale a été celui du Parti libéral, de 1970 à 1976. De plus, c'est dans la mission sociale que les lois sont les plus complexes, si on considère les relations de pouvoir qu'elles contiennent, ce qui était l'objet principal de la recherche. Autrement dit, c'est dans les lois de la mission sociale qu'on trouve, en moyenne, le plus de relations de pouvoir, c'est-à-dire de contraintes qu'un acteur donné est habilité à exercer sur un autre acteur.

Par contre, c'est dans la mission sociale qu'il y a le moins de lois à portée universelle, c'est-à-dire qui concernent, potentiellement tout au moins, l'ensemble des citoyens. C'est aussi dans cette mission qu'il y a le plus de contrôles qui sont prévus sur les «commandes» ou l'autonomie d'action de ceux sur lesquels le pouvoir s'exerce. Enfin, avec la mission éducative et culturelle, la mission sociale est celle où le pouvoir sur les finalités et l'organisation des acteurs est le plus souvent présent dans les lois.

Il serait intéressant, dans des recherches ultérieures, de voir si on arrive aux mêmes conclusions, une fois qu'on a mis ensemble les lois qui appartiennent au secteur des politiques sociales, telles que ces politiques ont été définies aux fins de ce chapitre. On pourra alors chercher des explications aux résultats obtenus.

À la rareté des travaux sur les aspects redistributifs des dépenses publiques, se juxtapose la rareté des études empiriques sur le caractère redistributif des lois. Landry et son équipe ont réalisé une analyse de contenu des lois publiques adoptées par l'Assemblée nationale du Québec entre 1960 et 1985 [31], à l'aide d'un questionnaire qui visait à déterminer les caractéristiques des biens offerts ainsi que les bénéficiaires de ces biens. Leurs résultats empiriques indiquent que 13,6% des biens offerts constituent de véritables biens publics purs et que 70% des biens offerts à travers les lois sont réservés à des groupes particuliers parce qu'ils comportent des critères d'exclusion tels l'âge, le sexe, la nécessité de payer un tarif, etc. L'hypothèse de la théorie du public choice, qui soutient que les lois offrent des biens dont les bénéfices iraient aux déten­teurs de facteurs de production alors que les coûts seraient assumés par les consommateurs, n'est pas supportée par les faits. En fait, les lois engendrent plus souvent des bénéfices pour les détenteurs de facteurs de production que pour les consomma­teurs mais en passant sous silence les coûts des interventions gouvernementales. L'hypothèse selon laquelle les partis sociaux-démocrates produisent plus de bénéfices pour les travailleurs que pour les entrepreneurs alors que les partis conservateurs font le contraire n'est pas non plus supportée par les faits. Les entrepreneurs reçoivent toujours plus souvent des bénéfices que les travailleurs, quelle que soit l'orientation idéologique du parti au pouvoir.

Par ailleurs, Godbout [32]  a montré que les arrangements institutionnels de production des services de santé et des services sociaux du Québec ont, au cours des années 1970, engendré trois biais principaux: les travailleurs ont eu tendance à se montrer relativement insensibles aux droits des usagers et à faire passer leurs intérêts corporatistes avant ceux des usagers; les gestionnaires des établissements ont eu tendance à croire qu'ils ne devaient rendre des comptes qu'aux instances ministérielles centrales.

Les travaux récents de Godbout [33]  l'incitent à conclure que les gestionnaires et les travailleurs des établissements reconnaissent de plus en plus, tant au niveau du discours que dans la pratique, la légitimité des demandes et intérêts des usagers. De plus, ajoute-t-il, les gestionnaires et les travailleurs des établissements se sentent de plus en plus imputables à l'égard des personnes concrètes plutôt que des seuls programmes.

Au début de ce texte, nous avons proposé de considérer les politiques sociales comme des politiques publiques d'un type particulier. C'est dans cette voie qu'il faudrait développer la recherche dans les années à venir. Les quelques résultats de recherche que nous venons de signaler fournissent des éléments qui ont rapport avec la réalisation des politiques publiques, mais ils ne permettent pas de reconstituer l'ensemble des processus par lesquels se réalisent les politiques publiques, ceux de l'émergence, de l'élaboration et de la mise en oeuvre des politiques, y compris les processus d'évaluation.

L'étude de ces processus permettrait de voir le rôle joué par les acteurs étatiques et les autres acteurs politiques dans la réalisation des politiques sociales. Par exemple, existe-t-il, comme le prétend le courant dominant dans l'étude des politiques publiques au Canada, des communautés et des réseaux, faits surtout de bureaucrates et de représentants de groupes d'intéressés [34], où se trouveraient les principaux acteurs des politiques publiques ? Ou, au contraire, est-ce que les ministres et leurs entourages partisans, par les encadrements et les arbitrages qu'ils maîtrisent, ne jouent pas des rôles importants, même si ce ne sont pas eux qui semblent déterminer le contenu des politiques? Quoi qu'il en soit, on peut présumer que les prétendues «communautés», formées autour des politiques sociales, sont fort différentes de celles qui sont formées autour des politiques économiques, des politiques culturelles ou des politiques constitution­nelles, d'où l'intérêt qu'il y aurait à tenter de les cerner.

En permettant de reconstituer l'ensemble du processus de réalisation des politiques sociales, ces travaux permettront de faire émerger des principes de management public qui auraient une meilleure emprise sur la gestion des établissements de santé et de services sociaux. Les études empiriques ont déjà démontré que le contrôle par les règles (réglementation) constitue un instrument de gestion d'une efficacité limitée [35].  Des travaux de recherche en cours tendent à montrer que la manipulation des règles exerce des effets uniquement si elle affecte aussi le climat organisationnel [36].  Ces résultats préliminaires de recherche suggèrent que l'amélioration des services publics passe par des in­terventions qui affectent positivement les attitudes des travailleurs et des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux, en d'autres mots, qu'il est désormais nécessaire d'investir dans ce que les sociologues appellent le capital social [37].

5. Conclusion

Les mesures de l'État se sont multipliées par le recours à des instruments d'intervention de plus en plus nombreux qui ont fini par requérir une fraction croissante de la richesse et réglementer une proportion de plus en plus large des activités des individus. Ces interventions ont également eu pour effet de procurer des bénéfices importants à des groupes de producteurs et de consommateurs de services publics qui luttent aujourd'hui contre tout changement significatif en s'appuyant sur le fait que les lois leur ont conféré des droits inaliénables.

De nombreuses propositions de réforme sont toutefois débattues. Les solutions radicales qui auraient pour effet d'accroître fortement le rôle de l'État en matière de protection sociale ou encore de privatiser toute la production des services sociaux paraissent relever de l'utopie. Il importe toutefois de souligner que nous traversons une période de réalignement des valeurs. La peur de la perte d'emploi est redevenue une préoccupation majeure dans tous les pays industrialisés. Cette peur incite les individus à favoriser l'intervention plutôt que le retrait de l'État. En outre, l'insécurité que les citoyens de plusieurs pays industrialisés ressentent à l'endroit de la violence et de la délinquance contribue beaucoup plus à la réhabilitation qu'à la discréditation de l'État-gendarme. À l'opposé, la réhabilita­tion de l'entrepreneurship et la valorisation du marché privé contribuent au rejet de solutions qui passent par des interventions gouvernementales.

Ces tendances opposées feront vraisemblablement évoluer les interventions gouvernementales des pays industrialisés dans deux directions complémentaires: d'un côté, l'État interviendra davantage pour protéger les individus les plus faibles, qu'il s'agisse des jeunes, des aînés ou des handicapés; de l'autre, l'État interviendra moins, notamment en déréglementant, dans le but d'élargir les marges d'activités entrepreneuriales des individus les plus forts.

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Les politiques sociales:
dilemmes des interventions
de l'État-Providence
”.

RÉSUMÉ

par Serge Cantin

Traité des problèmes sociaux EN BREF.  Synthèse préparée par Serge Cantin, Chapitre 49, pages 185-187, Sous la direction de Fernand Dumont, Simon Langlois et Yves Martin.  Québec: Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, 205 pages.

Dans les pays industrialisés, les politiques sociales, c'est-à-dire les interventions de l'État en vue de protéger les individus contre les risques lourds que représentent pour eux la maladie, la vieillesse, la perte d'emploi, etc., drainent, comme on le sait, une part grandissante de la richesse collective. Le présent exposé explore trois thèmes dominants de la recherche actuelle sur les politiques publiques, thèmes qui font ressortir l'importance croissante des politiques sociales: l'étude de l'évolution des instruments d'intervention de l'État; l'analyse des causes de la croissance de l'État; l'interprétation de la crise contemporaine des interventions de l'État.

Jusqu'à la crise de 1929, on peut dire que les interventions de l'État s'étaient limitées à assurer la sécurité des personnes, la protection des biens, la justice et la défense nationale. La crise va démontrer l'insuffisance de ce soutien et marquer le passage de l'État-gendarme à l'État-protecteur. Les gouvernements commenceront alors à recourir à des paiements de transfert aux personnes ou aux établissements privés afin de venir en aide aux plus démunis. Attribués d'abord de manière discrétionnaire, au gré des décisions des politiciens et des bureaucrates, ces paiements de transfert se feront de plus en plus sur une base juridique universelle, jusqu'à la situation prévalant de nos jours où tous les individus jouissen du droit à la gratuité sur une vaste gamme de services publics.

La croissance de l'État-protecteur peut s'expliquer de deux points de vue, à partir de la demande ou de l'offre. Du côté de la demande, quatre facteurs paraissent déterminants. Le premier est lié à la croissance de l'économie industrielle et à l'incapacité du marché privé à répondre adéquatement à la demande de services publics, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé. Le second facteur renvoie à l'évolution démographique des pays industriels, où l'augmentation de la proportion des personnes âgées, jointe à la réduction de la valeur économique des enfants, a entraîné des pressions additionnelles sur la demande de services publics. Le troisième facteur est attribuable au mode de financement propre aux services publics qui, à cause de l'ignorance où il maintient les usages quant au coût de production des services, les incite à exprimer une demande excessive de services. Le dernier facteur de croissance de la demande est à chercher dans la multiplication et dans l'action des divers groupes d'intérêt qui exercent de fortes pressions à la hausse sur toutes les catégories de services publics, qu'il s'agisse des groupes syndicaux ou professionnels, des groupes d'intérêts publics ou encore des associations représentant des hôpitaux, des écoles ou des municipalités. La hausse de l'offre d'interventions gouvernementales serait de son côté attribuable en premier lieu au mode de fonctionnement des bureaucraties publiques qui, soumises plus faiblement que l'entreprise privée (en situation de concurrence) au double contrôle des propriétaires et des consommateurs, auraient de ce fait tendance à accroître l'offre de services publics. S'ajouteraient d'autres types d'inerties institutionnelles imputables à la cristallisation de droits que tout un chacun finit par considérer comme des droits acquis et immuables, par exemple, les services de santé gratuits, l'éducation gratuite. La couleur idéologique des partis au pouvoir constitue un autre facteur d'expansion des interventions de l'État-protecteur. Des études montrent que les partis de gauche sont associés à l'accroissement des dépenses publiques.

La troisième partie du texte offre une interprétation de la crise contemporaine des interventions de l'État. Cette crise s'explique en premier lieu par le ralentissement économique et la conjoncture de récession des dernières années, qui ont eu pour effet de ralentir la croissance des revenus des gouvernements tout en haussant le coût des mesures sociales. Certains estiment en outre que les gouvernements des pays industrialisés ont peut-être atteint un point où les coûts de production des mesures sociales augmentent tandis que les bénéfices qui en résultent, eux, diminuent. Un autre facteur d'explication tiendrait à la difficulté grandissante de modifier les règles qui régissent les interventions gouvernementales et dont bénéficient certains groupes d’intérêts. Pour les personnes appartenant à ces groupes et pour tous les partisans du statu quo, qu'il y ait crise ou non, l'État-protecteur constitue un bien en soi qu'il faut protéger indépendamment des coûts qui en résultent. Du côté de ceux qui au contraire croient en la nécessité d'introduire des réformes, un premier groupe propose des mesures pour contenir la demande de services (implantation de tickets modérateurs et orienteurs, instauration d'impôts-services, etc.), tandis qu'un second groupe recommande plutôt de restreindre l'offre ou de réduire les coûts de production des services publics, par exemple, en relevant les conditions d'éligibilité aux prestations et aux services publics. Quoi qu'il en soit, la crise actuelle ne laisse guère le choix aux gouvernements de contingenter tant la demande que l'offre.

La dernière partie porte sur l'état de la recherche québécoise dans le domaine des politiques sociales. Les études montrent que les investissements du gouvernement du Québec en matière de protection sociale ont connu une évolution comparable à celle des autres pays industrialisés. On apprend également que 23,2 % des lois qu'ont fait adopter les gouvernements du Québec, de 1945 à 1985, concernaient la mission sociale et que c'est dans cette mission qu'il y a le moins de lois à portée universelle (70 % des biens offerts à travers ces lois étaient réservés à des groupes particuliers selon des critères d’exclusion tels que l'âge, le sexe, etc.) et le plus de contrôles sur les bénéficiaires de ces lois. Dans les années à venir, il faudra que la recherche se montre plus attentive aux processus qui entourent l'adoption des lois sociales et par lesquels se réalisent les politiques publiques, notamment en ce qui concerne le rôle des acteurs étatiques et des autres acteurs politiques. Par ailleurs, des résultats préliminaires de recherche suggèrent que l'amélioration des services publics nécessite des investissements dans le capital social afin de modifier positivement les attitudes des travailleurs et des gestionnaires.

La conclusion rappelle que nous traversons actuellement une période de réalignement des valeurs quant au rôle de l'État. Il est raisonnable de penser qu'à l'avenir celui-ci interviendra davantage pour protéger les plus démunis, mais qu'il déréglementera d'autre part dans le but d'élargir la marge de manoeuvre des entrepreneurs.



* Dans la préparation de ce chapitre, les auteurs ont pu compter sur la collaboration de Louis Demers et de Paule Duchesneau. Nous tenons à les remercier.

[1] T.J. Courchesne, Social Policy in the l990’s, Toronto, C.D. Howe Institute, 1987.

[2] Voir C.B. Brown, Health Economics and Polity: Problems and Prescriptions, Toronto, McClelland and Stewart, 1991; J.A. Meyer (sous la direction de), Incentives vs Controle in Health Policy, Washington, D.C., American Enterprise Institute for Public Policy Research, 1985.

[3] B. W. Owen, «Interest Groups and the Political Economy of Regulation», dans: J.A. Meyer (sous la direction de), op. cit., p. 26-52; R. Landry, «Prospective des interventions de l'État», dans: Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux, Le rate de l'État, étude n° 1, Québec, Les Publications du Québec, 1987.

[4] W.A. Niskanen, Bureaucracy and Representative Government, Chicago, Atherton Aldine, 1971.

[5] Jean-Luc Migué et G. Bélanger, «Toward a General Theory of Managerial Discretion» Public Choice, 28,1974, p. 24-28.

[6] B.G. Peters, The Politics of Bureaucrary: A Comparative Perspective, New York, Longmann, 1978.

[7] R. Rose et T. Harran, «Inertia or Incrementalism? A Long Term View of the Growth of Government», dans: A.J. Grath et L. Wade (sous la direction de), Comparative Resources Allocation Politics, Beverly Hills, Sage Publications, 1984, p. 43-72.

[8] F.G. Castles, «The Impact of Parties on Public Expenditures», dans: F.G. Castles (sous la direction de), The Impact of Parties: Politics and Policies in Democratic Capitalist States, Londres, Sage Publications, 1982, p. 85; J.C.M. Van Arnhem et G.J. Schotsman, «Do Parties Affect the Distribution of Income: The Case of Advanced Capitalist Democracies», dans: F.G. Castles (sous la direction de), op. cit.

[9] D.H. Swank, «The Political Economy of Government Domestic Expenditure in the Affluent Democrates, 1960-1980», American Journal of Political Science, 32, 1988, p. 1139.

[10] J.S. O'Connor, «Convergence or Divergence? Change in Welfare Effort in OECD Countries 1960-1980», European Journal of Political Research, 16, 1988, p. 286.

[11] F.G. Castles (sous la direction de), op. cit., p. 75.

[12] A. Hicks et D.H. Swank, «Governmental Redis­tribution in Rich Capitalist Democracies», Policy Studies Journal, 13, 1984, p. 277.

[13] A. Hicks, D.H. Swank et M. Ambuhl, «Welfare Expansion Revisited: Policy Routines and Their Mediation by Party, Class and Crises, 1957-1982», European Journal of Political Research, 17, 1989, p. 421- 494.

[14] J.C.M. Van Arnhem et G.J. Schotsman, loc. cit.

[15] J.S. O'Connor, loc. cit.

[16] F.G. Castles (sous la direction de), op. cit., p. 85; D.H. Swank, loc. cit., p. 1133; J.C.M. Van Arnhem et J.G. Schotsman, loc. cit., p. 327.

[17] F.G. Castles (sous la direction de), op. cit., p. 75.

[18] F.G. Gorg et F.G. Castles, «The Influence of the Political Right on Public Income Maintenance Expenditure and Equality», Political Studies, 29,1981, p. 612.

[19] D.C. Lambert,  L’État-Providence en question, Paris, Economica, 1990.

[20] A. Hirskman, Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983.

[21] D. Bell, «The Revolt against Modernity», The Public Interest, 81, automne 1985, p. 62.

[22] D.W. Rae, «Decision Ruler and Individual Values in Constitutional Choice», American Political Science Review, 63,1,1969, p. 40-53.

[23] M. Olson, The Rise and Decline of Nations, New Haven, Yale University Press, 1983.

[24] M.E. Ethridge, «Collective Action, Public Policy, and Class Conflict», The Western Political Quarterly, 40, 4, 1987, p. 575-592.

[25] L Groulx, «L'État et les services sociaux», chap. 5, dans commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux, Le rôle de l'État, # 1, Québec, 1987.

[26] M.S. Gordon, Social Security Policies in Industrial Countries. A Comparative  Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 345.

[27] C.E. Forget, «Les coûts des services de santé nous amènent-ils à une crise?», conférence prononcée au Congrès provincial de réadaptation, Val-d'Or, 6 mai 1992, 25 p.

[28] Yves Vaillancourt, L'évolution des politiques sociales au Québec, 1940-1960, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1988; J. l. Gow, Histoire de l'administration publique québécoise, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1986.

[29] P. Southam, «Réactions québécoises à l'État-providence en émergence: perspectives historiques», Service social, 38, 2-3,1989, p. 161-178.

[30] Vincent Lemieux, Les relations de pouvoir dans les lois. Comparaison entre les gouvernements du Québec de 1944 à 1985, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval et L'Institut d'administration publique du Canada, 1991.

[31] R Landry, loc. cit.; R Landry et P. Duchesneau, «A qui profitent les lois sociales?», Service so­cial, 38, 2-3, p. 196-219; R Landry, «Biases in the Supply of Public Policies to Organized Interest some Empirical Evidence», dans: W.D. Coleman et G. Skogstad (sous la direction de), Policy Communities in Canada: A Structural Approach, Toronto, Coop, Clark, Pitman, 1990, p. 291-311.

[32] J.T. Godbout, La participation contre la démo­cratie, Montréal, Éditions Saint-Martin, 1983 et La participation des usagers, Montréal, Boréal, 1987.

[33] J.T. Godbout, «Ce qui se passe aux frontières de l'État et de la société», Politique, 19,1991, p. 67-80.

[34] Voir, en particulier, W.D. Coleman et G. Stogstad (sous la direction de), op. cit.

[35] C. Bégin, S. Labelle et F. Bouchard, Le budget: le jeu derrière la structure, rapport préparé pour la commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux, Québec, Les Publications du Québec, 1987.

[36] R Landry, M. Pesant et P. Duchesneau, «Evaluation des limites du contrôle par les règles comme instrument de gestion comparaison des centres publics et privés d’accueil et d’héberge­ment pour personnes âgées», à paraître dans Revue canadienne d'évaluation de  programmes.

[37] J.S. Coleman, Foundations of Social Theory, Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University, 1990; R. Breton, The Non-State-Non-Market Component of the Social Order and the Production of Social Capital, The University of Western Ontario, Papers in Political Economy, n° 17, décembre 1991.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 12 mars 2009 8:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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