RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du livre de Vincent Lemieux, “Les partis politiques et les élections.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec: État et société. Tome I, chapitre 9, pp. 203-218. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 509 pp. Collection: Société: dossiers documents. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation de l'auteur accordée le 13 août 2004 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[203]

Vincent Lemieux

Professeur émérite, département de science politique, Université Laval

Les partis politiques
et les élections
.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec : État et société. Tome I, deuxième partie: “L’État, la société et la politique.” chapitre 9, pp. 203-218. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 509 pp. Collection: Société: dossiers documents.



Les partis sont des organisations qui cherchent à faire élire des candidats aux postes d'autorité suprême dans une collectivité. Ils prennent pour cela des positions, généralement exprimées dans des programmes, qui se traduisent plus ou moins dans des politiques publiques et dans d'autres actions dont les électeurs tiennent compte quand ils décident de leur vote. Les élus, quand il y en a, forment avec d'autres membres l'organisation d'un parti, vouée au choix des candidats et, à l'occasion, d'un leader, ainsi qu'aux activités de financement. Enfin, un parti forme avec d'autres partis un système partisan, et la position relative du parti dans le système conditionne ses succès et ses échecs.

Dans ce chapitre nous traiterons de ces différentes composantes des partis, en nous concentrant sur les partis provinciaux du Québec. Après une présentation générale des élections et des partis fédéraux, il ne sera plus question de la scène fédérale que dans la mesure où elle permettra de mieux comprendre les partis provinciaux ou encore de les situer par rapport aux partis fédéraux (pour des ouvrages généraux sur les partis du Québec, voir Pelletier, 1976, et Lemieux, 1982).


LES RÉSULTATS
DES ÉLECTIONS PROVINCIALES
DE 1956 À 1989

Pour avoir une vue générale de l'évolution des partis depuis 1960, il n'y a rien de mieux que de considérer d'abord les résultats des dix élections provinciales, de 1956 à 1989 (voir le tableau 1).

Si l'on considère le système des partis plutôt que chacun des partis spécialement, on peut découper trois sous-périodes, à partir du tableau 1. Elles correspondent aux trois décennies de la période 1960-1989.

Dans les années 1960 le système est bipartite, la compétition étant limitée ou presque à l'Union nationale et au Parti libéral. Cette situation dure depuis les élections de 1948, après que le Bloc populaire, en 1944, fut venu troubler le bipartisme traditionnel en obtenant l'appui de 14 % des votants et en gagnant quatre sièges. Les 5 % de votants obtenus par le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), en 1966, ajoutés aux 3 % obtenus par le Ralliement national (RN), annoncent cependant une modification du système des partis.

Cette modification devient manifeste aux élections de 1970. Deux nouveaux partis font une percée sur la scène électorale. Le Parti québécois est formé de dissidents du Parti libéral, avec René Lévesque à leur tête, et d'anciens du RIN et du [204] RN. Le Ralliement cr6ditiste, quant à lui, est formé d'anciens du Ralliement national et se recrute aussi parmi les militants du Parti du Crédit social, qui a alors des succès aux élections fédérales (voir le tableau 2). Les élections de 1970 sont les premières au Québec où quatre partis font élire chacun au moins sept candidats. Il n'y en aura d'ailleurs pas d'autres par la suite. Le réalignement (Lemieux, Gilbert et Mais, 1970), commencé en 1970, s'étendra jusqu'en 1976, alors que l'un des deux nouveaux partis de 1970, le Parti québécois, obtiendra la majorité des sièges et formera le gouvernement.

Tableau 1

RÉSULTATS DES ÉLECTIONS PROVINCIALES
AU QUÉBEC, DE 1956 À 1989

Année

Union nationale

Parti
libéral

Parti québécois

Ralliement créditiste

Autre

Nombre total de sièges

Taux de participation

1956

0,52(72)

0,45(20)

0,03(1)

(93)

0,77

1960

0,47(43)

0,51(51)

0,02(1)

(95)

0,82

1962

0,42(31)

0,56(63)

0,02(1)

(95)

0,80

1966

0,41(56)

0,47(50)

0,12(2)1

(108)

0,74

1970

0,20(17)

0,45(72)

0,23(7)

0,11(12)

0,01(0)

(108)

0,84

1973

0,05(0)

0,55(102)

0,30(6)

0,10(2)

0,00(0)

(110)

0,80

1976

0,18(11)

0,34(26)

0,41(71)

0,05(1)

0,02(1)

(110)

0,85

1981

0,04(0)

0,46(42)

0,49(80)

0,01(0)

(122)

0,83

1985

0,56(99)

0,39(23)

0,05(0)

(122)

0,76

1989

0,50(92)

0,40(29)

0,10(4)2

(125)

0,75

Source : Rapports du Directeur général des élections.

Les chiffres qui ne sont pas entre parenthèses représentent des pourcentages de votes, les chiffres entre parenthèses représentent des nombres de sièges.

1. En 1966 le Rassemblement pour l'indépendance nationale obtient 5 % des votes et le Ralliement national en obtient 3 %. Les deux n'ont aucun siège.

2 En 1989 le Parti Égalité obtient 4 % des votes et 4 sièges.



Les élections de 1981 consacrent l'existence d'un nouveau bipartisme. Un peu comme au début des années 1960, les deux principaux partis, qui sont maintenant le Parti libéral et le Parti québécois, obtiennent ensemble, en 1981 et en 1985, 95 % des votes exprimés. Ce pourcentage tombe cependant à 90 % en 1989, comme il était tombé à 88 % en 1966. Nous nous demanderons plus loin s'il n'y a pas là un signe avant-coureur d'un nouveau réalignement.

Le taux de participation est d'au moins 80 % durant toute la période, sauf en 1966, puis en 1985 et 1989. Notons que les deux taux les plus élevés, soit 84 % en 1970 et 85 % en 1976, sont en progression importante par rapport au taux de l'élection précédente. Ils arrivent à des élections où le gouvernement sortant perd beaucoup d'appuis [205] et où au moins un parti qui apparaît relativement nouveau, en ce qu'il n'a pas dirigé récemment le gouvernement, en profite. En 1970 l'Union nationale, qui est le parti du gouvernement sortant, tombe de 41 % des votes, en 1966, à 20 %, et deux nouveaux partis, le Parti québécois et le Ralliement créditiste en profitent. En 1976, le Parti libéral, qui avait obtenu 55 % des voix exprimées en 1970, n'en a plus que 34 %, alors que le Parti québécois grimpe de 30 % des votes à 41 %, et l'Union nationale, de 5 % à 18 %. Tout se passe donc comme si le taux de participation augmentait beaucoup d'une élection à l'autre et atteignait des sommets élevés, quand il y a de façon concomitante une grande insatisfaction envers le gouvernement sortant et l'existence d'au moins une solution de rechange nouvelle, très mobilisatrice de l'insatisfaction. À l'inverse, quand une de ces conditions n'est pas remplie, ou aucune des deux, le taux de participation tend à décroître, ou encore à se maintenir à un bas niveau. Par exemple, à l'élection de 1985 il y a changement de gouvernement, mais le Parti québécois ne perd que 10 points de pourcentage, passant de 49 % à 39 % des votes. Le parti d'opposition, le Parti libéral, ne représente pas une solution vraiment nouvelle et est pour cela peu mobilisateur. De façon concomitante, la participation n'est que de 76 %, soit beaucoup moins qu'en 1981.


LES RÉSULTATS DES ÉLECTIONS FÉDÉRALES,
AU QUÉBEC, DE 1957 À 1993

Treize élections fédérales se sont déroulées depuis 1957. Le tableau 2 en donne les résultats au Québec, en indiquant, de plus, le parti qui a formé le gouvernement, majoritaire ou minoritaire, à la suite de ces élections.

Comme on le voit, le système des partis fédéraux au Québec, qui est en fait un sous-système d'un système plus vaste, est très différent du système des partis provinciaux. À la suite des élections fédérales de 1958, il y a une certaine similitude entre les deux systèmes puisque le Parti conservateur est le parti dominant sur la scène fédérale, et l'Union nationale sur la scène provinciale, contre les partis libéraux. Toutefois, cette similitude est éphémère. De 1962 à 1980, le Parti libéral est celui qui obtient le plus de votes et le plus de sièges sur la scène fédérale, contre trois partis de plus en plus faibles, le Crédit social, le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique, alors que sur la scène provinciale la compétition est beaucoup plus vive. Trois partis différents dirigent le gouvernement du Québec durant cette période, le Parti libéral (de 1962 à 1966, puis de 1970 à 1976), l'Union nationale (de 1966 à 1970) et le Parti québécois (de 1976 à 1980).

Les résultats des tableaux 1 et 2 infirment la thèse du contrepoids, fondée sur les résultats des années 1940 et 1950, alors que les électeurs du Québec optaient majoritairement pour l'Union nationale sur la scène provinciale et pour le Parti libéral sur la scène fédérale. De 1963 à 1976, le gouvernement à Ottawa est toujours libéral, qu'il soit majoritaire ou minoritaire, et pourtant le gouvernement est aussi libéral à Québec la plupart du temps, soit pendant dix années sur quatorze. Il est vrai qu'ensuite la thèse du contrepoids semble plus vraisemblable. De 1976 à 1981, le Parti québécois gouverne à Québec, alors que le gouvernement à Ottawa est libéral, sauf durant le bref [206] intermède conservateur, de 1979 à 1980. Et quand le gouvernement devient conservateur à Ottawa, en 1984, il redevient libéral à Québec, l'année suivante. De 1985 à 1993, on ne peut cependant pas parler d'opposition entre les deux gouvernements. Le gouvernement libéral à Québec est plus près du gouvernement et du Parti conservateur que du Parti libéral fédéral, à cause surtout des excellentes relations personnelles entre les deux premiers ministres, Brian Mulroney à Ottawa et Robert Bourassa à Québec.

Tableau 2

RÉSULTATS DES ÉLECTIONS FÉDÉRALES
AU QUÉBEC, DE 1957 À 1993

Année

Parti conservateur

Parti libéral

Bloc québécois

Crédit social

Nouveau Parti démocratique

Autre

Nombre total de sièges

Taux de participation

Gouvernement

1957

0,31(9)

0,58(2)

0,02(0)

0,09(0)

(75)

0,74

conservateur minoritaire

1958

0,50(50)

0,46(25)

0,01(0)

0,02(0)

0,01(0)

(75)

0,79

conservateur minoritaire

1962

0,30(14)

0,39(65)

0,26(26)

0,04(0)

0,01(0)

(75)

0,78

conservateur minoritaire

1963

0,20(8)

0,46(47)

0,27(20)

0,07(0)

0,00(0)

(75)

0,76

libéral minoritaire

1965

0,21(8)

0,46(56)

0,18(9)

0,12(0)

0,03(2)

(75)

0,71

libéral minoritaire

1968

0,21(4)

0,54(56)

0,16(14)

0,08(0)

0,01(0)

(74)

0,72

libéral majoritaire

1972

0,16(2)

0,46(56)

0,24(15)

0,06(0)

0,06(1)

(74)

0,76

libéral minoritaire

1974

0,20(3)

0,51(60)

0,16(11)

0,06(0)

0,07(0)

(74)

0,67

libéral majoritaire

1979

0,14(2)

0,62(67)

0,16(6)

0,05(0)

0,03(0)

(75)

0,75

conservateur minoritaire

1980

0,13(1)

0,68(74)

0,06(0)

0.09(0)

0,04(0)

(75)

0,68

libéral majoritaire

1984

0,50(58)

0,35(17)

0,09(0)

0,06(0)

(75)

0,76

conservateur majoritaire

1988

0,53(63)

0,30(12)

0,14(0)

0,03(0)

(75)

0,75

conservateur majoritaire

1993

0,14(1)

0,33(20)

0,49(54)

0,02(0)

0,02(0)

(75)

libéral majoritaire

Source : Rapports du Directeur général des élections.

Les chiffres qui ne sont pas entre parenthèses représentent des pourcentages de votes, les chiffres entre parenthèses représentent des nombres de sièges.



S'il y a une constante dans le vote fédéral au Québec, c'est plutôt qu'il n'est jamais arrivé qu'un parti susceptible de diriger le gouvernement, mais dont le chef n'était pas du Québec, obtienne plus de votes qu'un autre parti susceptible de diriger le gouvernement, mais dont le chef était du Québec. En 1957, alors que Louis Saint-Laurent est encore chef du Parti libéral, celui-ci obtient beaucoup plus de votes au Québec (58 %) que le Parti conservateur (31 %), même si dans six des neuf autres provinces le Parti conservateur obtient plus de votes que le Parti libéral. De 1958 à 1965, aucun des chefs des grands partis n'est du Québec, mais quand Pierre Elliott Trudeau devient chef du Parti libéral, en 1968, il surclasse tous ses rivaux au Québec, et ce jusqu'aux élections de 1980. E en sera de même de Brian Mulroney, chef du Parti conservateur, en 1984 et en 1988. En 1993, le Parti libéral, dont Jean Chrétien est maintenant le chef, finira par obtenir plus de votes que le Parti conservateur, mené par [207] Kim Campbell de la Colombie-Britannique. Il en aura cependant beaucoup moins que le Bloc québécois, mené par Lucien Bouchard, qui profite de l'impopularité au Québec du Parti conservateur et du Parti libéral à la fois, un peu comme le Crédit social, en 1962 et 1963, avait profité de l'impopularité des deux mêmes partis, associés à des gouvernements récents, tous deux impopulaires (sur ce point voir Pinard, 1975). Dans les deux cas, notons-le, ces tiers partis prétendaient d'ailleurs pouvoir détenir la balance du pouvoir.

En reprenant une distinction qui est courante dans le domaine de la santé publique, on pourrait dire que pour les électeurs francophones du Québec, le gouvernement fédéral est davantage le lieu de la protection que celui de la promotion de leurs intérêts, alors que le gouvernement du Québec est davantage le lieu de la promotion que celui de la protection de leurs intérêts. C'est pourquoi les électeurs accordent une prime importante, lors des élections fédérales, à un parti dont le chef est du Québec, si ce parti est susceptible de diriger le gouvernement ou encore de détenir la balance du pouvoir. Un tel parti apparaît plus apte que les autres à protéger leurs intérêts.

Pour ce qui est des taux de participation, notons qu'ils varient de 67 % à 79 %, alors qu'ils varient de 74 % à 85 % sur la scène provinciale. Ajoutons, cependant, que depuis le milieu des années 1980, les taux sont aussi élevés sur le plan fédéral que sur le plan provincial. Quand le taux de participation aux élections fédérales est relativement élevé, comme en 1958, en 1962 et en 1993, les situations sont un peu les mêmes que celles qui entraînent un fort taux de participation sur la scène provinciale. Le parti, qui a dirigé le gouvernement au cours de la période précédente, est devenu très impopulaire et au moins un parti, qui n'a pas été associé au gouvernement, ou si peu, dans les années précédentes, mobilise le mécontentement. C'est le Parti conservateur, en 1958, le Parti du Crédit social, en 1962, et le Bloc québécois, en 1993.

Quand les taux sont relativement bas, comme en 1965 et en 1968, et surtout en 1974 et en 1980, le parti du gouvernement sortant augmente sa part de votants ou tout au moins la maintient (c'est le cas en 1965). Les partis d'opposition ou bien sont très faibles (comme en 1980) ou encore ne se démarquent guère les uns des autres, aucun d'entre eux ne réussissant à mobiliser de façon importante le mécontentement limité qui existe chez les électeurs.


LES POSITIONS DES PARTIS
DANS LES ESPACES PARTISANS,
QUÉBÉCOIS ET CANADIEN

Il serait beaucoup trop long d'étudier dans le détail les programmes et les politiques des partis qui ont gouverné le Québec ou qui ont eu une présence importante dans l'opposition, depuis 1960. Nous voudrions plutôt proposer une interprétation générale, à partir de quelques traits pertinents qui permettent de distinguer entre les positions des partis, ou leurs positionnements, comme on le dit aujourd'hui, sous l'influence des travaux de marketing politique.

Les programmes des partis du Québec ont été beaucoup étudiés, dans des optiques diverses (voir, en particulier, Pelletier, 1980 ; Landry et Duchesneau, 1987). Il en a été [208] de même de leurs politiques, en particulier des lois qu'ils ont fait adopter (Landry, 1990 ; Lemieux, 1991a). D'autres ouvrages, qui ont porté sur des partis spécifiques, ont traité, entre autres sujets, des programmes et des politiques de ces partis (voir en particulier Cardinal et al., 1978, sur l'Union nationale ; Fraser, 1984, sur le Parti québécois ; Lemieux, 1993, sur le Parti libéral). Enfin quelques articles ou chapitres d'ouvrages collectifs ont proposé des interprétations générales pour l'ensemble des partis (par exemple, Boily, 1992 ; Pelletier, 1989 ; Lemieux, 1992).

L'interprétation que nous voulons suggérer repose sur les distinctions suivantes:

1) Il y a trois espaces où les partis élaborent ou appliquent des programmes ou des politiques. On peut nommer partisan le premier espace qui concerne l'organisation et le fonctionnement des partis y compris dans l'appareil gouvernemental. Le deuxième espace peut être nommé québécois (ou intra-sociétal). Les programmes et les politiques qui s'y rapportent ont trait à l'organisation et au fonctionnement de la société québécoise, dans ses multiples secteurs. Le troisième espace est l'espace canadien (ou extra-sociétal). Il s'agit principalement des relations fédérales-provinciales et des questions constitutionnelles.

2) Les partis se positionnent l'un par rapport à l'autre dans chacun de ces trois espaces, et ces positionnements sont évalués par des électeurs dont nous postulons qu'ils sont davantage sensibles que rationnels. Les électeurs, selon ce postulat, sont attentifs à ce qu'ils peuvent sentir des programmes partisans, des politiques publiques et des personnages politiques qui les incarnent. Cette sensibilité porte sur deux aspects des positions et positionnements des partis. Il y a d'abord les mesures contenues dans les positions, qui sont évaluées bienfaisantes ou malfaisantes, mais il y a aussi les conduites et les relations exprimées dans ces mesures, qui sont évaluées bienséantes ou malséantes. Par exemple, quand, en 1982, le gouvernement du Parti québécois réduit le salaire des employés du secteur public, non seulement ceux-ci évaluent-ils que c'est une mesure malfaisante, mais encore jugent-ils (et d'autres avec eux) que cette conduite est malséante parce que le gouvernement renie sa signature, c'est-à-dire les engagements qu'il avait pris par les conventions collectives ou autrement. Selon notre postulat, les électeurs seraient sensibles à des événements comme ceux-là plutôt que d'être rationnels en ce sens qu'ils calculeraient, de façon comparée, les coûts et les avantages des différentes mesures promises ou réalisées par les partis.

On peut interpréter à l'aide de ces notions les résultats des élections provinciales au Québec depuis 1960.

Il y a changement de gouvernement en 1960, qui est produit par un faible déplacement net de votes, comme le montre le tableau 1. L'Union nationale passe de 52 % des votes exprimés, en 1956, à 47 % en 1960, alors que le Parti libéral passe de 45 % à 51 %. Les autres changements de gouvernement, dans la suite, seront produits par des déplacements nets toujours plus grands que celui-là. C'est dans l'espace québécois et dans l'espace canadien que semblent s'être produits les changements qui ont été favorables au Parti libéral et défavorables à l'Union nationale, durement éprouvée par les morts successives de Maurice Duplessis, en septembre 1959, et de Paul Sauvé, en janvier 1960. Ces morts, dans une conjoncture de légère récession économique, ont probablement porté atteinte à la garantie de bienfaisance dans l'espace québécois qu'offrait l'Union nationale depuis plusieurs années. Les accusations [209] de corruption, à la suite de l'affaire du gaz naturel, ont aussi fait apparaître le parti comme moins bienséant dans cet espace. De plus, la formation d'un gouvernement conservateur majoritaire à Ottawa a, en quelque sorte, sapé le positionnement de l'Union nationale dans l'espace canadien où elle exploitait avec succès la soi-disant complicité malséante du Parti libéral provincial avec le gouvernement libéral centralisateur d'Ottawa.

Les élections de 1962 surviennent un peu plus de deux ans après celles de 1960. Le gouvernement est toujours conservateur à Ottawa, bien que minoritaire. Le gouvernement libéral à Québec s'est montré assez revendicateur envers lui, pour des fins de bienfaisance envers la société québécoise, ce qui lui assure un avantage par rapport à l'Union nationale dans l'espace canadien. Le thème principal de la nationalisation de l'électricité assure aussi un avantage aux libéraux dans l'espace québécois. Cette mesure apparaît comme un gage de bienfaisance pour de nombreux électeurs, même si les coûts de la nationalisation sont élevés. Il semblerait toutefois que c'est davantage l'évaluation positive des mesures prises par le gouvernement libéral dans l'espace québécois qui expliquerait les succès des libéraux (sur ce point, voir Pinard, 1969). Ajoutons que, dans l'espace partisan, Jean Lesage et son équipe apparaissent comme plus aptes à la bienfaisance et à la bienséance dans l'organisation et le fonctionnement du gouvernement que le nouveau chef de l'Union nationale, Daniel Johnson, alors dévalorisé dans la plupart des médias, où on l'affublait de l'appellation peu élogieuse de Danny Boy.

Des élections de 1962 à celles de 1966, il y a des changements dans les positionnements des partis, et ce dans les trois espaces. Dans l'espace partisan, le chef du Parti libéral, Jean Lesage, est surnommé Ti-Jean la taxe, pour avoir augmenté les impôts. Durant la campagne électorale de 1966, qu'il fait dans un style présidentiel, sa popularité est à la baisse, face à un Daniel Johnson et à une Union nationale dont le prestige a été un peu rehaussé à la suite des assises de 1965, qui ont modernisé le parti. Dans beaucoup de milieux ruraux, les réformes du gouvernement libéral sont mal accueillies, en particulier la création de polyvalentes pour l'enseignement secondaire, ce qui oblige les élèves éloignés à de longs parcours dans des autobus scolaires. Des parents jugent ces mesures malséantes, parce qu'ils sont inquiets des relations entre garçons et filles qui s'établissent dans ces autobus. Dans l'espace canadien, le gouvernement Lesage a connu des ratés dans sa défense de la formule Fulton-Favreau d'amendement constitutionnel. Daniel Johnson a publié son livre, Égalité ou indépendance, et un parti indépendantiste, le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), enlève au Parti libéral des appuis chez les jeunes, chez les étudiants surtout (les 18-20 ans votent pour la première fois en 1966). Même si l'Union nationale n'obtient que 41 % des votes exprimées, contre 47 % au Parti libéral, elle est appelée à diriger le gouvernement, puisque 56 députés unionistes sont élus contre 50 libéraux, dans une carte électorale qui n'a été réformée que partiellement par le gouvernement libéral (sur les élections de 1960, 1962 et 1966, voir Lemieux, 1969).

Dans l'espace québécois, le nouveau gouvernement de l'Union nationale prolonge la révolution tranquille, en particulier dans les lois qu’elle fait adopter (sur ce point, voir Lemieux, 1991a), ce qui apparaît malséant à sa clientèle traditionnelle. Après la mort subite de Daniel Johnson, en septembre 1968, son successeur Jean-Jacques [210] Bertrand fait adopter la loi 63, qui donne des garanties à la langue anglaise. Cette mesure est jugée malfaisante par beaucoup d'électeurs francophones, qui reprochent aussi à Bertrand son attitude conciliante dans l'espace canadien, face à un Pierre Elliott Trudeau qui dirige, depuis 1968, le gouvernement libéral à Ottawa. Quand arrivent les élections de 1970, l'espace partisan est complètement transformé. Non seulement Bertrand a-t-il succédé à Johnson, mais Robert Bourassa a remplacé Jean Lesage à la tête du Parti libéral, et deux nouveaux partis sont apparus. Le Parti québécois a été créé en 1968, à la suite de la scission qui s'est produite dans le Parti libéral, en 1967, quand René Lévesque et ses amis ont quitté le parti après avoir échoué dans leur tentative de le convertir à la souveraineté-association. Le RIN s'est sabordé, et ses militants ainsi que plusieurs éléments du Ralliement national ont rejoint le Parti québécois. Il y a aussi le Ralliement créditiste, dont le chef est Camille Samson, qui profite des succès que connaît le Crédit social sur la scène fédérale. Les résultats en sièges obtenus sont aberrants, comme le montre le tableau 1. Le Parti libéral perd un peu de terrain, par rapport à 1966, mais fait élire 22 députés de plus. Le Parti québécois obtient plus de votes que l'Union nationale et que le Ralliement créditiste, mais ne fait élire que 7 députés, contre 17 pour l'Union nationale et 12 pour le Ralliement créditiste (sur ces élections, voir Lemieux, Gilbert et Blais, 1971). Dans plusieurs milieux, on réclame une réforme de la carte électorale mais aussi du mode de scrutin.

De 1970 à 1973, le gouvernement libéral apparaît bienfaisant et bienséant à la fois dans l'espace québécois. Les 100 000 emplois promis par Robert Bourassa, lors de la campagne électorale de 1970, sont créés, dans une conjoncture économique favorable. Même si la mesure est critiquée dans les milieux intellectuels, l'emprisonnement de beaucoup de personnes lors de la crise d'Octobre 1970, puis celui des trois leaders syndicaux, en 1972, à la suite de leur refus de se soumettre à la loi, ne sont pas désapprouvés, loin de là, par l'opinion publique (sur la crise d'Octobre, voir Bellavance et Gilbert, 1971). Le gouvernement fait aussi approuver, en 1970, une mesure très populaire, la loi de l'assurance-maladie. Dans l'espace canadien, Bourassa satisfait les nationalistes en refusant les accords de Victoria et profite, à partir de 1972, de la faiblesse du gouvernement libéral, minoritaire à Ottawa. Dans l'espace partisan, le Parti québécois devient de plus en plus le principal adversaire du Parti libéral. Ils profitent tous deux du déclin accéléré de l'Union nationale. Celle-ci n'obtiendra plus que 5 % des votes aux élections de 1973. Il n'y a pas eu de réforme du mode de scrutin, mais la carte électorale a été complètement refaite. Les écarts par rapport à la circonscription moyenne ne dépassent pas 25 % (sur la réforme du système électoral, voir Massicotte et Bernard, 1985). Le Parti libéral a un avantage de 25 % des votes sur le Parti québécois, ce qui lui donne à peu près tous les sièges, soit 102 sur 110 (sur cette élection ainsi que sur la précédente, voir Latouche, Lord et Vaillancourt, 1976).

Le positionnement du gouvernement libéral se dégrade dans l'espace québécois de 1973 à 1976. La conjoncture économique n'est plus favorable à la création d'emplois, le gouvernement est accusé d'avoir mal géré les grèves dans les écoles et dans les hôpitaux, et des bruits très répandus de corruption entourent la construction accélérée du stade olympique en vue des jeux de 1976. Le gouvernement fait adopter la loi 22 sur la langue, qui mécontente à la fois les anglophones et les francophones. Dans l'espace canadien, le gouvernement libéral, à Ottawa, est redevenu majoritaire en 1974, [211] et son opposition au Parti québécois banalise en quelque sorte le gouvernement Bourassa, auquel le premier ministre Trudeau ne fait pas confiance. René Lévesque en acquiert un certain prestige, et Rodrigue Biron, qui a succédé à Gabriel Loubier à la tête de l'Union nationale, a plus de panache que son prédécesseur, ce qui contribue encore plus à affaiblir la popularité relative de Robert Bourassa dans l'espace partisan. Comme l'Union nationale en 1966, le Parti québécois forme le gouvernement avec seulement 41 % des votes exprimés, le Parti libéral tombant à son plus bas niveau depuis 1948 (34 % des votes). L'Union nationale connaît un regain de vie, grâce en particulier à l'appui des anglophones et allophones de Montréal, insatisfaits de la loi 22 (sur cette élection, voir Bernard, 1976).

De 1976 à 1981, le gouvernement du Parti québécois, qui profite d'une conjoncture économique favorable, fait adopter plusieurs mesures réformistes, dont la Charte de la langue française n'est pas la moindre, ou loi 101, qui va plus loin que la loi 22 pour ce qui est de la prédominance du français. Il y a aussi la réforme du financement des partis, qui limite celui-ci aux seules personnes physiques. Les montants souscrits aux partis sont limités et rendus publics, quand ils sont de 100 $ ou plus. Bien d'autres mesures font apparaître le gouvernement bienfaisant et bienséant à la fois dans l'espace québécois, du moins chez ceux qui ne désapprouvent pas son programme social-démocrate et souverainiste. La position souverainiste du Parti québécois dans l'espace canadien demeure minoritaire, comme le montrent les résultats du référendum de 1980, perdu par une marge de presque 20 % des votes (41 % pour le oui, et 59 % pour le non). Cela n'empêche pas le Parti québécois de gagner les élections de 1981, par le plus faible écart en votes exprimés (49 %, contre 46 % au Parti libéral) depuis 1944. Dans les milieux libéraux, Claude Ryan, qui a succédé à Robert Bourassa en 1978, est rendu responsable de cet échec. En particulier, sa malséance envers ses adversaires et même ses alliés, dans l'espace partisan, aurait été jugée sévèrement par les électeurs (sur cette élection, voir Bernard et Descoteaux, 1981, ainsi que plusieurs chapitres de Crête, 1984).

En 1983, Robert Bourassa succède à Claude Ryan, qui a quitté la direction du Parti libéral en 1982. Le gouvernement du Parti québécois est déjà en mauvaise position dans les trois espaces, ce qui ne fera que s'accentuer jusqu'aux élections de 1985. Dans l'espace canadien, le gouvernement, dont la position constitutionnelle a été affaiblie par la défaite référendaire de 1980, se trouve finalement isolé lors des négociations constitutionnelles de la fin de 1981. La nouvelle constitution canadienne sera adoptée sans l'accord du gouvernement du Québec, après que celui-ci eut manœuvré pour qu'une coalition de provinces s'oppose aux visées du gouvernement d'Ottawa. Il est difficile pour le Parti québécois d'accuser, de façon crédible, ses adversaires de malséance, étant donné qu'il s'est lui-même prêté à des jeux qui manquaient de bienséance. Dans l'espace québécois, le gouvernement est durement touché par la récession du début des années 1980, ce qui porte atteinte à sa bienfaisance. Toutefois, c'est peut-être davantage le geste malséant posé à l'endroit des employés du secteur public, dont les salaires sont réduits, contrairement à ce que prévoyaient les conventions collectives, qui est ressenti négativement dans l'électorat. Dans l'espace partisan enfin, René Lévesque finit par être contesté à l'intérieur du parti. Il est remplacé, en 1985, par Pierre-Marc Johnson, qui ne peut empêcher la [212] défaite du Parti québécois aux élections de décembre 1985. Le Parti libéral passe de 46 % à 56 % des votes exprimés, son plus fort pourcentage depuis 1962, alors que le Parti québécois tombe de 49 % à 39 % des voix (sur cette élection, voir en particulier Blais et Crête, 1986).

Par rapport à l'élection de 1985, celle de 1989 produit le déplacement net des votes le plus limité de toute notre période. Le Parti québécois passe de 39 % à 40 % des votes exprimés, alors que le Parti libéral tombe de 56 % à 50 %, à cause surtout du Parti Égalité, qui recueille 4 % des votes exprimés. Ce parti a été créé à la suite de l'adoption, en 1988, de la loi 178 sur l'affichage commercial. La loi interdisait l'usage de l'anglais à l'extérieur des commerces, tout en le permettant, à certaines conditions, a l'intérieur. La campagne électorale de 1989 est marquée de quelques tensions dans les négociations du gouvernement avec les syndicats, mais autrement le positionnement des partis dans l'espace québécois ne change guère de 1985 à 1989. Dans l'espace canadien, les relations entre le gouvernement libéral et le gouvernement conservateur élu à Ottawa en 1984, puis réélu en 1988, sont coopératives, ce qui se concrétise dans leurs efforts communs pour faire adopter l'accord du lac Meech, visant à ce que le Québec puisse adhérer à la nouvelle constitution canadienne. Dans l'espace partisan, Jacques Parizeau a succédé, en 1988, à Pierre-Marc Johnson, comme chef du Parti québécois. Même si Parizeau fait une bonne campagne électorale, il n'est pas plus populaire que Robert Bourassa ; son équipe non plus, dont les vedettes sont pour la plupart des vétérans de l'époque du gouvernement péquiste, de 1976 à 1985.

À la veille des élections de 1994, on peut s'interroger sur les effets qu'auront auprès des électeurs certains des changements survenus depuis 1989 dans les trois espaces : le remplacement de Robert Bourassa par Daniel Johnson à la tête du Parti libéral, la récession économique qui n'en finit plus, les mesures de restriction dans le budget de l'État, associées au nouveau chef du Parti libéral, le rejet de l'accord de Charlottetown lors du référendum de 1992, les succès du Bloc québécois aux élections fédérales de 1993 et la formation d'un gouvernement libéral majoritaire, dirigé par Jean Chrétien, à la suite de ces élections.


LES ÉLUS, L'ORGANISATION, LE MEMBERSHIP
ET LE FINANCEMENT DES PARTIS

Les travaux de Réjean Pelletier (1984, 1991), entre autres, après ceux de Robert Boily (1969), ont montré l'évolution qui s'est produite dans les caractéristiques des élus depuis 1960.

Les femmes, tout à fait absentes en 1960, sont maintenant un peu plus nombreuses. Il n'y en avait qu'une, Claire Kirkland-Casgrain, chez les élus de 1970, mais 8 chez les élus de 1981, et 23 chez les élus de 1989. Pour ce qui est de l'âge, la moyenne ne varie guère, avec cependant une baisse sensible au moment des élections comme celles de 1976 où il y a un renouvellement important du personnel politique. Réjean Pelletier donne des moyennes d'âge de 1960 à 1981 (1984, p. 93). Elles oscillent entre quarante-neuf ans (en 1960) et quarante-deux ans (en 1976).

[213]

Les élus sont de plus en plus scolarisés de 1960 au milieu des années 1970. En 1960, 57 % d'entre eux avaient reçu une formation universitaire, alors qu'en 1976 il y en a 80 %. Depuis cette élection, la proportion de ceux qui ont une telle formation varie de 75 % à 85 % environ. Pour ce qui est de la profession, il y a toujours de 15 % à 20 % des élus qui sont avocats ou notaires, mais avec l'arrivée du Parti québécois les professionnels du culturel (enseignants et autres professionnels du monde scolaire, journalistes, écrivains, artistes) se retrouvent nombreux à l'Assemblée nationale. Ils forment 37,5 % de la députation du Parti québécois en 1981, mais seulement 7 % de la députation du Parti libéral, qui comptait par contre 19 % d'industriels et de commerçants, contre 7 % seulement pour le Parti québécois (Pelletier, 1984, p. 89). Il y a là une constante qui se manifeste aussi en 1985 et en 1989.

Les candidats aux postes d'élus sont généralement choisis par des assemblées d'investiture auxquelles peuvent participer tous les membres en règle du parti. Les directions centrales sont généralement absentes ou discrètes dans le processus, beaucoup plus que dans la plupart des démocraties occidentales (sur ce point, voir Ranney, 1981). Il ne faut cependant pas sous-estimer les moyens directs ou indirects dont elles disposent pour imposer un candidat de leur choix, lorsqu'elles y tiennent.

Le choix du chef se fait de manière différente dans les deux principaux partis. Dans le Parti québécois, le chef (nommé président) est choisi par le vote de tous les membres du parti qui veulent bien l'exercer. C'est ainsi que Pierre-Marc Johnson fut choisi en 1985. Après sa démission en 1987, le mécanisme de choix ne s'est pas appliqué puisque Jacques Parizeau fut le seul candidat à la présidence en 1988.

Dans le Parti libéral, le chef est choisi selon le mécanisme traditionnel où des délégués, les uns ex officio, les autres élus dans chacune des circonscriptions, votent pour les candidats au poste de chef dans un congrès au leadership. C'est ainsi que Robert Bourassa a été choisi en 1970, contre Claude Wagner et Pierre Laporte. Il en fut de même du choix de Claude Ryan contre Raymond Garneau, en 1978, puis de celui de Robert Bourassa, de nouveau, contre Pierre Paradis et Daniel Johnson, en 1983.

L'organisation des partis a évolué depuis le début des années 1960. À ce moment-là, il y a chez les libéraux une Fédération distincte du Parti qui a une certaine autonomie par rapport aux élus et à l'organisation électorale. Chaque année, les membres de la Fédération se réunissent en congrès. Les commissions, dont tout particulièrement la commission politique, jouent un rôle important. Le président de la Fédération a de la visibilité et les associations de circonscriptions, comme d'ailleurs les regroupements régionaux, sont actifs, même si la situation est variable d'une circonscription et d'une région à l'autre. Par un effet de contagion, l'Union nationale, à la suite des assises de 1965, cherche elle aussi à se donner une organisation plus officielle et un fonctionnement plus démocratique.

Chez les libéraux, des tensions existent, depuis la fondation de la Fédération au milieu des années 1950, entre l'organisation électorale traditionnelle et celle de la Fédération (sur ce point, voir Comeau, 1965). La direction du Parti, autour de Jean Lesage, évalue que ces tensions sont une des causes de la défaite du Parti. Après un long processus de révision, la Fédération est abolie au début des années 1970. Ses membres sont désormais considérés comme formant l'aile militante du Parti, à côté de l'aile parlementaire et de la permanence. Avec les années, et le passage de l'idéologie [214] de la participation, les associations de circonscription et les regroupements régionaux sont devenus moins actifs. Le congrès du Parti ne s'est plus réuni que tous les deux ans, le conseil général et le comité exécutif prenant du fait même plus d'importance.

Le Parti québécois est fondé en 1968, au moment où le Parti libéral remet en question sa Fédération. Les anciens libéraux, dont René Lévesque, qui élaborent la constitution du nouveau parti, veulent un parti où la participation sera répandue à tous les paliers (local, régional et national), mais où on évitera les tensions et excès qu'a connus le Parti libéral. Il n'y a pas de commission politique et on cherche, dans un premier temps, à limiter la représentation et le pouvoir de l'aile parlementaire dans les principales instances du parti : congrès, conseil national et conseil exécutif. Une double structure est mise en place, une pour la fonction politique du parti, l'autre pour sa fonction électorale (sur ce point, voir Larocque, 1971).

Avec les années, la participation des militants aux paliers local et régional a, elle aussi, décru dans le Parti québécois. Une enquête faite en 1990 par des étudiants sur quelques circonscriptions de la région de Québec a montré que, dans le Parti québécois comme dans le Parti libéral, les organisations de circonscription étaient peu actives hors des périodes électorales. Tout se passe comme si, du fait de la multiplication des sondages d'opinion, l'opinantisme avait plus ou moins remplacé le militantisme (Lemieux, 1991b). C'est de plus en plus par le marketing politique fondé sur des données de sondages, davantage que par l'action militante, que les partis cherchent maintenant à convaincre les électeurs. Ces opérations de marketing sont dirigées par des spécialistes associés à la direction centrale du parti, plutôt que par les organisations locales. Les électeurs sont vus comme des opinants (d'où le terme d'opinantisme), plutôt que comme des destinataires de l'action militante.

Il est difficile d'obtenir des chiffres fiables sur le membership des partis. Les partis eux-mêmes ne savent pas trop quel est, à un moment donné, le nombre de leurs membres en règle. Angell (1987) a estimé que, de 1976 à 1985, le nombre de membres du Parti québécois avait oscillé de 75 000 à 300 000 environ, le plafond étant atteint au milieu de 1981, après la victoire aux élections d'avril, et le plancher au début de 1985, alors que le Parti vivait des divisions internes et que les sondages lui accordaient moins de 40 % des intentions de vote.

On peut penser que dans le Parti libéral il y a eu également des oscillations assez importantes. Le parti comptait sans doute moins de 100 000 membres en 1977 et en 1978, après en avoir compté beaucoup plus de 1960 à 1976. En 1985, on a peut-être atteint le chiffre de 200 000 membres pour retomber autour de 100 000 membres depuis.

Les sommes d'argent recueillies par les partis ont elles aussi évolué depuis 1978, année depuis laquelle elles sont connues. Le Parti libéral a atteint son sommet à la fin des années 1980 avec plus de huit millions de dollars et son plancher en 1981, avec dix fois moins d'argent. Quant au Parti québécois, son sommet se situe en 1981 avec près de cinq millions de dollars, et son plancher en 1986 avec un peu plus d'un million de dollars (Massicotte, 1991). Les sommes versées par l'État ne sont pas incluses dans ces montants.

Les revenus et dépenses des partis politiques ont été touchés par deux réformes importantes depuis 1960. D'abord celle de 1963, sous le gouvernement libéral de Jean [215] Lesage, qui a limité les dépenses des candidats et des partis en campagne électorale et qui leur a fourni un remboursement d'une partie de ces dépenses, à certaines conditions (la principale étant, pour les candidats, d'obtenir au moins 20 % des votes exprimés). La deuxième réforme fut accomplie par le gouvernement du Parti québécois en 1977, peu de temps après sa victoire à l'élection de 1976. La réforme touchait cette fois le financement des partis et des candidats. Seuls les électeurs (ou personnes physiques) pouvaient contribuer à ce financement, limité à 3 000 $ par année (maintenant, on peut fournir 3 000 $ à chacun des partis). Des incitations fiscales étaient mises en place pour encourager les électeurs à verser de l'argent aux partis. Le nom de tous ceux qui ont versé annuellement 100 $ ou plus est publié dans un rapport du Directeur général des élections.

Évidemment, les entreprises ou autres personnes morales (syndicats, associations volontaires, etc.) peuvent toujours contourner la loi en fournissant à des électeurs des montants que ceux-ci verseront à un parti, celui-ci sachant fort bien quelle est la source de cette contribution. Il est difficile de faire la preuve de telles pratiques. Quoi qu'il en soit, les règles sur le financement des partis ont eu pour effet de rendre ceux-ci plus dépendants des simples électeurs et, par là, de prendre la mesure de leur popularité de façon plus tangible, bien que moins exacte, que par les sondages.


CONCLUSION

Après avoir subi des transformations importantes au cours des années 1970, le système des partis provinciaux du Québec s'est stabilisé au cours des années 1980. La polarisation créée par le référendum de 1980 a laissé en place deux grands partis, le troisième parti, en votes obtenus, ne dépassant jamais 4 % des suffrages exprimés. Ce fut le cas de l'Union nationale en 1981, et du Parti Égalité en 1989. Au cours des années 1970, par contraste, le troisième parti avait toujours au moins 10 % des suffrages exprimés. Il en eut même 20 % en 1970 (voir le tableau 1).

Il y a cependant des signes avant-coureurs d'un changement prochain dans le système des partis, d'autant plus que les prochaines années seront sans doute éprouvantes pour l'un ou l'autre des deux grands partis actuels.

On n'a pas suffisamment noté dans les analyses des résultats électoraux de 1989 que le taux de participation a baissé, par rapport à l'élection précédente, pour la troisième fois consécutive. Ce taux, qui était de 85 % en 1976, n'était plus que de 83 % en 1981, que de 76 % en 1985, et que de 75 % en 1989. Depuis le milieu des années 1980, il est moins élevé, en moyenne, que celui des élections fédérales au Québec.

On peut voir dans ces trois baisses consécutives une indifférence qui s'accroît, dans l'électorat, envers les choix offerts par les deux grands partis. Sauf sur le plan constitutionnel, leurs positions se sont rapprochées depuis le début des années 1980. Il se peut cependant qu'au moment des élections de 1994, l'écart s'agrandisse entre un Parti libéral qui opte pour la réduction de l'Etat et un Parti québécois qui, dans l'optique d'une indépendance prochaine, opte plutôt pour une construction nouvelle de l'État.

[216]

Quoi qu'il en soit, les élections de 1994 et le référendum, qui pourrait suivre quelque temps après si le Parti québécois est appelé à former le gouvernement, mettront à dure épreuve l'un ou l'autre des partis. Si le Parti libéral perd les élections et le référendum, il risque de connaître des tensions internes considérables, qui seraient évidemment beaucoup moins grandes si, ayant perdu les élections, il gagne le référendum. Dans ce cas, c'est le Parti québécois qui serait mis à l'épreuve, car une nouvelle défaite référendaire, après celle de 1980, serait sans doute fatale pour son option souverainiste. La situation ne serait guère meilleure pour lui s'il perdait, contre toute attente, les prochaines élections. Le Parti libéral serait alors élu pour un troisième mandat consécutif, ce qui n'est pas arrivé depuis les années 1950.

L'Union nationale a été créée au milieu des années 1930 et a subi, trente-cinq ans plus tard, en 1970, une défaite dont elle ne s'est jamais remise. Pour le Parti québécois, créé en 1968, l'heure de vérité approche, du moins si l'on croit au destin inéluctable des partis de génération. Ceux-ci ne pourraient guère se prolonger comme partis majeurs après trente ou trente-cinq ans de vie (sur ce point, voir Lemieux, 1986). Il n'est toutefois pas impossible que le Parti québécois réussisse à se renouveler, que ce soit dans la foulée de la souveraineté ou autrement, et que la victime du réalignement à venir soit plutôt le Parti libéral, devenu incapable de survivre aux scissions reliées au réalignement, contrairement à ce qu'il a toujours réussi dans le passé.


BIBLIOGRAPHIE

ANGELL, H.M., 1982, « Le financement des partis politiques provinciaux au Québec » dans V. LEMIEUX (dir.), Personnel et partis politiques au Québec, Montréal, Boréal, p. 69-99.

ANGELL, H.M., 1987, « Duverger, Epstein and the Problem of the Mass Party : The Case of the Parti Québécois » dans Revue canadienne de science politique, vol. 20, no 2, p. 363-378.

BELLAVANCE, M. et M. GILBERT, 1971, L'Opinion publique et la crise d'Octobre, Montréal, Le Jour.

BERNARD, A., 1976, Québec : élections 1976, Montréal, Hurtubise HMH.

BERNARD, A. et B. DESCOTEAUX, 1981, Québec : élections 1981, Montréal, Hurtubise HMH.

BLAIS, A. et J, CRÊTE, 1986, « La clientèle péquiste en 1985 : caractéristiques et évolution » dans Politique, no 10, p. 5-29.

BOILY, R., 1969, « Les candidats élus et les candidats battus » dans V. LEMIEUX (dir.), Quatre élections provinciales au Québec, 1956-1966, Québec, les Presses de l'Université Laval, p. 69-122.

BOILY, R., 1982, « Les partis politiques québécois – perspectives historiques » dans V. LEMIEUX (dir.), Personnel et partis politiques au Québec, Montréal, Boréal, p. 27-68.

CARDINAL, M., V. LEMIEUX et F. SAUVAGEAU, 1978, Si l'Union nationale m'était contée, Montréal, Boréal.

COMEAU, P.A., 1965, « La transformation du Parti libéral québécois » dans Revue [217] canadienne d'économique et de science politique. vol. 31, no 3, p. 358-367.

CRÊTE, J. (dix.), 1984, Comportement électoral au Québec. Chicoutimi, Gaëtan Morin.

FRASER, G., 1984, Le Parti québécois, Montréal, Libre Expression.

LANDRY, R., 1990, « Biases in the Supply of Public Policies to Organized Interests : Some Empirical Evidence » dans W.D. COLEMAN et G. SKOGSTAD (dir.), Policy Communities and Public Policy in Canada, Mississauga, Copp Clark Pitman, p. 291-311.

LANDRY, R. et P. DUCHESNEAU, 1987, « L'offre d'interventions gouvernementales aux groupes : une théorie et une application » dans Revue canadienne de science politique, vol. 20, no 3, p. 525-552.

LAROCQUE, A., 1971, Défis au Parti québécois, Montréal, Le Jour.

LATOUCHE, D., G. LORD et J.G. VAILLANCOURT (dir.), 1976, Le processus électoral au Québec : les élections provinciales de 1970 et 1973, Montréal, Hurtubise HMH.

LEMIEUX, V. (dir.), 1969, Quatre élections provinciales au Québec, 1956-1966, Québec, les Presses de l'Université Laval.

LEMIEUX, V. (dix.), 1982, Personnel et partis politiques au Québec, Montréal, Boréal.

LEMIEUX, V., 1986, « L'État et les jeunes » dans F. DUMONT (dix.), Une société de jeunes ?, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 325-335.

LEMIEUX, V., 1991a, Les Relations de pouvoir dans les lois. Comparaison entre les gouvernements du Québec de 1944 à 1985, Sainte-Foy, les Presses de l'Université Laval et l'Institut d'administration publique du Canada.

LEMIEUX, V., 1991b, « La participation et les partis politiques » dans J.T. GODBOUT (dir.), La Participation politique, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 41-55. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences. JMT.]

LEMIEUX, V., 1992, « Partis politiques et vie politique » dans G. DAIGLE (dir.), Québec enjeu, Montréal, les Presses de l'Université de Montréal, p. 625-645. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

LEMIEUX, V., 1993, Le Parti libéral du Québec. Alliances, rivalités et neutralités, Sainte-Foy, les Presses de l'Université Laval.

LEMIEUX, V., M. GILBERT et A. BLAIS, 1970, Une élection de réalignement. L'élection générale du 29 avril 1970 au Québec, Montréal, Le Jour.

MASSICOTTE, L. et A. BERNARD, 1985, Le Scrutin au Québec : un miroir déformant, Montréal, Hurtubise HMH.

MASSICOTTE, L., 1991, « Le financement des partis au Québec – Analyse des rapports financiers de 1977 à 1989 » dans F.L. SEIDLE (dir.), Le Financement des partis et des élections de niveau provincial au Canada, (vol. 3 de la Collection d'études de la commission Lortie), Toronto, Dundurn Press, p. 3-47.

PELLETIER, R. (dit.), 1976, Partis politiques au Québec, Montréal, Hurtubise HMH.

PELLETIER, R., 1980, « Les partis politiques et l'État » dans G. BERGERON et R. PELLETIER (dit), L'État du Québec en devenir, Montréal, Boréal, p. 241-261.

PELLETIER, R., 1984, « Le personnel politique » dans Recherches sociographiques, vol. 25, no 1, p. 83-102.

PELLETIER, R., 1989, Partis politiques et société québécoise, De Duplessis à Bourassa, 1944-1970, Montréal, Québec/Amérique.

[218]

PELLETIER, R., 1991, « Les parlementaires québécois depuis cinquante ans : continuité et renouvellement » dans Revue d'histoire de l’Amérique française, vol. 44, no 3, p. 339-361.

PINARD, M., 1969, « La rationalité de l'électorat : le cas de 1962 » dans V. LEMIEUX (dir.), Quatre élections provinciales au Québec, 1956-1966, Québec, les Presses de l'Université Laval, p. 179-195.

PINARD, M., 1975, The Rise of a Third Party (édition augmentée), Montréal, McGill-Queen's University Press.

RANNEY, A., 1981, « Candidate Selection » dans D. BUTLER, H.R. PENNIMAN et A. RANNEY (dir.), Democracy at the Polls, Washington, American Enterprise Institute for Public Policy Research, p. 75-106.


[16]

NOTES SUR
LES COLLABORATEURS


Vincent Lemieux

Vincent Lemieux est professeur titulaire au département de science politique de l'Université Laval. Ses recherches et ses enseignements portent principalement sur les partis et les politiques publiques ainsi que sur la théorie du pouvoir, des réseaux et des coalitions. Il a publié de nombreux ouvrages, dont les plus récents sont La structuration du pouvoir dans les systèmes politiques (1989), Les relations de pouvoir dans les lois (1991) et Le Parti libéral du Québec (1993).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 1 janvier 2013 13:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref