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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LES PARTIS ET LEURS TRANSFORMATIONS.
Le dilemme de la participation
. (2005)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Vincent Lemieux, LES PARTIS ET LEURS TRANSFORMATIONS. LE DILEMME DE LA PARTICIPATION. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2005, 221 pp. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation de l'auteur accordée le 13 août 2004 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[15]

LES PARTIS ET LEURS TRANSFORMATIONS.
LE DILEMME DE LA PARTICIPATION

Introduction


Qu'est-ce qu'un parti politique ?
Les trois composantes d'un parti et leurs finalités
Les systèmes de partis
L'approche systémique
Les débats autour de la participation
La répartition des influences entre les participants
Le contrôle de la participation
Plan de l'ouvrage
Résumé


LES PARTIS ET LE DILEMME
DE LA PARTICIPATION

Cet ouvrage a pour idée directrice qu'il existe deux formes de participation aux partis et aux systèmes de partis. La participation peut être plutôt sélective ou plutôt inclusive, miser sur le principe de la simplification ou sur le principe de la diversification. Quand la participation est sélective, elle est plus facilement coordonnable, ce qui peut paraître avantageux dans la poursuite des finalités qui s'imposent aux acteurs partisans. Quand elle est inclusive, elle est plus facilement adaptable, ce qui a aussi ses avantages. D'où un certain dilemme pour les leaders partisans : vaut-il mieux que la participation soit plutôt sélective ou qu'elle soit plutôt inclusive, étant donné les avantages et les inconvénients que chacune de ces options comporte dans la poursuite des activités propres aux partis et aux systèmes de partis ?

Ajoutons que le choix d'une option par les acteurs partisans ne signifie pas qu'ils réussiront à la réaliser. Des partis qui ont cherché dans leur organisation interne à étendre la participation à de nouveaux adhérents n'y sont pas parvenus. À l'inverse, des partis qui ont cherché à maintenir une participation sélective à la prise de décision dans le milieu gouvernemental ont été débordés par leur base. Autrement dit, le caractère sélectif ou inclusif de la participation, dans un parti ou dans un système de partis, est le résultat de contrôles de la part des acteurs partisans, mais aussi de déterminants qui échappent à ces contrôles.

Même si le caractère sélectif ou inclusif de la participation n'explique pas tout des partis et des systèmes de partis, cette opposition nous semble appropriée pour traiter de façon pertinente des acteurs [16] partisans, de la structuration de leurs relations, de leurs activités et des finalités qui orientent ces activités.

Notons que les acteurs partisans sont ou bien des acteurs individuels ou bien des alliances d'acteurs prenant la forme d'associations, de coalitions, de tendances ou d'agrégats (Lemieux, 1998). Il en est ainsi des acteurs dans les partis et des partis en tant qu'acteurs dans le système des partis. Ajoutons que les acteurs partisans peuvent aussi s'allier à d'autres acteurs dans les processus concernant les partis et les systèmes de partis.

Qu'est-ce qu'un parti politique ?

Beaucoup d'auteurs qui ont traité des partis politiques ont noté trois caractéristiques qui, mises ensemble, permettent de les définir dans leur spécificité. D'abord, ce sont des organisations plus ou moins développées et plus ou moins permanentes, une caractéristique qu'ils ont en commun avec beaucoup d'autres organisations. Ensuite, ces organisations cherchent à faire élire des candidats dans un corps électoral, qui comprend une proportion plus ou moins grande des personnes considérées comme adultes dans la collectivité où ont lieu les élections. Cette deuxième caractéristique est plus spécifique que la première, même s'il arrive que des candidats n'appartenant pas à un parti cherchent eux aussi à se faire élire. Enfin, dans les collectivités de nature territoriale, où ont lieu ces élections, ce sont les élus des partis qui occupent les postes officiels d'autorité suprême. Ils sont les seuls à avoir cette prérogative.

Il arrive que des partis naissants soient des organisations sans action électorale et sans élus dans l'appareil gouvernemental. Ou encore, il se peut que de nouveaux partis, rassemblant des élus qui ont quitté des partis existants, n'aient qu'une organisation provisoire. Il demeure qu'un parti, lorsqu'il acquiert une certaine permanence, présente les trois caractéristiques que nous venons de noter.

Les trois composantes d'un parti et leurs finalités

Aux trois caractéristiques des partis correspondent trois composantes qui ont été reconnues par plusieurs auteurs. Le grand spécialiste des partis américains, V.O. Key, est l'un des premiers à avoir distingué les [17] trois composantes dans son ouvrage sur la politique, les partis et les groupes de pression (Key, 1964). À propos des partis, il traite successivement des structures et procédures, du parti et de l'électorat, puis du parti et du gouvernement entendu au sens large. On retrouve cette distinction chez bien d'autres auteurs, dont Sorauf (1968), ainsi que dans l'ouvrage général d'Alan Ware (1996), consacré aux partis politiques et aux systèmes de partis.

La division en trois composantes s'est imposée parce qu'on observe dans les partis trois finalités différentes, complémentaires entre elles. Dans la composante interne, les acteurs partisans ont pour finalité d'organiser les activités de mobilisation des adhérents dans le parti de façon à lui procurer les ressources humaines, financières et informationnelles dont il a besoin. Le maintien de l'unité du parti est souvent considéré comme un moyen nécessaire à l'organisation des activités de mobilisation.

La composante électorale, contrairement à la composante interne, ne se limite pas aux adhérents du parti. Des membres du parti y sont en relation avec des électeurs qui, dans leur grande majorité, n'adhèrent pas au parti. Les activités dans cette composante ont pour finalité d'obtenir le plus de votes possible dans les processus de représentation, les votes et les sièges obtenus conditionnant la présence du parti dans la composante dite gouvernementale.

La composante gouvernementale des partis ne fait pas référence dans cet ouvrage à leur présence au gouvernement, mais à leurs activités concernant la gouverne de la collectivité. Ces activités des partis peuvent tenir à la direction du gouvernement, elles peuvent aussi tenir à leurs actions dans l'opposition, ou même, si les partis n'ont pas d'élus, à des activités exercées hors de l'appareil gouvernemental, mais qui n'en concernent pas moins la gouverne d'une collectivité.

Un qualificatif – actuellement inexistant - dérivé du terme de gouverne, conviendrait mieux que celui de « gouvernemental » pour désigner la troisième composante. Ce pourrait être celui de « gouvernétique », suggéré par Aurel David (1965 : 181), mais ce terme ne s'est pas imposé pour qualifier ce qui se rapporte à la gouverne. Quoi qu'il en soit, la composante que nous dirons gouvernementale met en relation des membres du parti avec des décideurs « alliés » ou « rivaux » qui n'appartiennent pas au parti. Il peut s'agir d'acteurs appartenant à des administrations, à des groupes, à des médias. Cette composante a [18] pour finalité de réaliser, grâce aux décideurs du parti et à leurs alliés, les options de gouverne du parti.

Soulignons que les trois composantes ne sont pas tant définies par les acteurs qui y participent que par les activités et les finalités des acteurs. Les membres des partis et surtout leurs leaders jouent des rôles dans la mobilisation des adhérents, dans la représentation des électeurs et dans la gouverne de la collectivité. Soulignons aussi que les trois composantes fonctionnent souvent entre elles de façon coopérative, mais qu'il arrive que leurs interactions soient conflictuelles. Il est bien connu que des désaccords existent entre les adhérents de la composante interne et les décideurs de la composante dite gouvernementale, entre ces décideurs et les représentants des électeurs ou encore entre les représentants des électeurs et les adhérents de la composante interne.

Les trois composantes sont des sous-systèmes d'un parti en tant que système, qui a sa finalité propre, intégratrice des finalités des composantes. Nous proposons de définir cette finalité des partis par la recherche de la position la plus avantageuse possible dans le système de partis.

Les systèmes de partis

Il existe à travers le monde une grande variété de systèmes de partis. À une extrémité du spectre, il y a des systèmes à parti unique, à l'autre on trouve des systèmes qui comprennent de dix à vingt partis et même plus. Sauf dans le cas des partis uniques, le nombre de partis n'est toutefois pas déterminant de la structuration et du fonctionnement d'un système de partis. Aux États-Unis, le Parti démocrate et le Parti républicain ont alterné, au cours du vingtième siècle, à la présidence et dans leur domination du Congrès, mais dans certains États l'un des deux partis a totalement dominé l'autre durant de longues périodes. Au Québec, le Parti libéral a dirigé le gouvernement provincial sans interruption, de 1897 à 1936, contre un Parti conservateur sans cesse dans l'opposition, alors que les deux partis dirigeaient en alternance le gouvernement fédéral du Canada au cours de la même période.

Quand il y a plus de deux ou trois partis dans un système, la variété des situations est encore plus grande, d'autant plus que des coalitions parlementaires ou ministérielles se forment souvent entre les partis. Les modes de scrutin ne sont pas sans rapport avec le nombre de partis, comme Duverger (1951) a été un des premiers à le montrer. Les modes [19]

de scrutin proportionnels entraînent généralement la présence d'un plus grand nombre de partis dans les assemblées d'élus que les modes de scrutin pluralitaires (à majorité simple) ou majoritaires (à majorité absolue).

Ajoutons que les systèmes de partis diffèrent entre eux selon la place qu'ils occupent dans le système politique d'une société ou d'une collectivité à l'intérieur de la société. Dans les systèmes à parti unique, le parti domine le système politique et impose généralement ses choix aux tribunaux, aux administrations et aux groupes. Dans d'autres systèmes plus compétitifs, comme ceux de la France et de la Grande-Bretagne, les partis ne dominent pas autant le système politique, mais ils contrôlent bien souvent l'action des administrations et des groupes. Aux États-Unis, les groupes de pression et les lobbies sont des acteurs plus puissants que les partis, tournés principalement vers leur composante électorale. Dans tous les cas cependant, on peut poser que les systèmes de partis ont pour finalité la gouverne du système politique sous l'autorité de leaders partisans, étant entendu que cette autorité peut être effective ou non. Nous distinguerons trois dimensions des systèmes de partis, soit une dimension directionnelle relative à l'alternance ou non dans la domination du système, une dimension évolutive relative à l'ouverture ou non du système à de nouveaux partis, et une dimension ministérielle relative au gouvernement par un seul parti ou par une coalition de partis. À la différence des composantes d'un parti qui font référence à des activités orientées par les finalités de ces composantes, les dimensions d'un système de partis renvoient plutôt aux relations qui s'établissent entre les partis dans la poursuite de la finalité du système, soit la gouverne du système politique sous l'autorité des leaders partisans.

En résumé, les partis peuvent être étudiés à trois niveaux. Il y a d'abord le niveau des composantes qui sont des sous-systèmes à l'intérieur des partis considérés comme systèmes. Il y a ensuite le niveau des partis eux-mêmes, qui sont des sous-systèmes à l'intérieur des systèmes des partis, les systèmes à parti unique présentant cette particularité qu'un sous-système se confond avec le système. Il y a enfin le niveau des systèmes de partis, qui sont des sous-systèmes à l'intérieur du système politique où ils sont inclus, les tribunaux, les administrations, les groupes, etc. formant d'autres sous-systèmes, en interaction avec le système des partis.

[20]

L'approche systémique

Dans son ouvrage sur la systémique sociale, Lugan (1996 – 35) dit d'un système qu'il « est un ensemble d'éléments identifiables, interdépendants, c'est-à-dire liés entre eux par des relations telles que si l'une d'elles est modifiée les autres le sont aussi et par conséquent tout l'ensemble est modifié, transformé ».

Le Moigne (1984 : 62), plus soucieux des concepts principaux qui permettent de définir un système, écrit pour sa part qu'un système est :

– « quelque chose (n'importe quoi, présumé identifiable)
– qui dans quelque chose (environnement)
– pour quelque chose (finalité au projet)
– fait quelque chose (activité = fonctionnement)
– par quelque chose (structure = forme stable)
–  qui se transforme dans le temps (évolution) ».

L'étude des interdépendances entre les éléments des systèmes, considérées sous l'angle des finalités, des activités ou des structures, caractérise l'approche systémique. On peut distinguer à cet égard des interdépendances horizontales et des interdépendances verticales, selon qu'elles se produisent entre des entités de même niveau ou entre des entités de niveaux différents. Les interdépendances horizontales qui nous intéressent sont celles qui existent :

– entre les composantes d'un parti ;
– entre les partis dans le système des partis.

L'emboîtement des composantes dans un parti, des partis dans un système de partis et du système de partis dans le système politique, entraîne des déterminations émergentes (des sous-systèmes au système) ou immergentes (du système aux sous-systèmes), qui peuvent être considérées comme des interdépendances verticales qui affectent le tout par les parties ou les parties par le tout. Il y aurait donc interdépendance verticale :

– entre les composantes et le parti :
– entre les partis et le système de partis :
– entre le système des partis et le système politique d'une société.

[21]

Soit un système fait de deux partis majeurs où, à la suite des élections générales, le parti qui formait l'opposition accède à la direction du gouvernement, alors que le parti qui dirigeait le gouvernement se retrouve dans l'opposition. Cette situation et ses conséquences peuvent être interprétées au moyen des cinq types d'interdépendance qui viennent d'être présentés.

Les campagnes électorales sont souvent l'occasion d'un accroissement de l'influence de la composante électorale des partis sur la composante interne et sur la composante gouvernementale, ce qui renvoie à des interdépendances horizontales entre les composantes.

Cet accroissement d'influence de la composante électorale se traduit par des modifications dans l'interdépendance verticale entre le parti et cette composante. En termes de finalités, la recherche de supériorité du parti dans le système de partis est principalement liée, au moment des élections, à la recherche de représentativité dans la composante électorale.

La victoire du parti d'opposition sur le parti de gouvernement modifie l'interdépendance horizontale entre les deux, qui favorise désormais le nouveau parti de gouvernement. À supposer que la victoire du parti d'opposition survienne après une longue domination de l'ancien parti de gouvernement, le système des partis redevient compétitif après avoir été monopolistique. Il y a par là interdépendance verticale entre la victoire du nouveau parti de gouvernement et la transformation du système des partis.

Le système des partis redevenant compétitif, l'influence de certains groupes ou encore des administrations dans le système politique pourra croître ou décroître, par interdépendance verticale entre le système des partis et le système politique.

On voit par cet exemple fictif que chacune des deux interdépendances horizontales et des trois interdépendances verticales peut contribuer à interpréter sinon à expliquer l'évolution des composantes, des partis et du système de partis dans une collectivité donnée. Ajoutons que, selon les systèmes de partis et selon les partis, les interdépendances horizontales et verticales sont plus ou moins serrées ou plus ou moins lâches entre les éléments considérés. Nous aurons l'occasion de l'observer au cours de l'ouvrage et en particulier dans la dernière partie, portant sur les transformations des systèmes de partis et des partis comme systèmes.

[22]

Les débats autour de la participation

Nous avons dit de la participation partisane dans le système de partis ou dans les partis qu'elle était sélective ou inclusive, marquée de simplification ou de diversification. La participation ainsi entendue fait référence à la part active prise par les acteurs partisans et leurs alliés aux processus découlant des finalités des composantes, des partis et des systèmes de partis. C'est ainsi qu'il y a participation des acteurs partisans et de leurs alliés à la gouverne du système politique, à la mobilisation des adhérents dans le parti, à la représentation des électeurs et à la réalisation par des décideurs des options de gouverne du parti. La participation partisane se manifeste également par les relations qui s'établissent entre les partis dans chacune des trois dimensions d'un système de partis, la dimension directionnelle, la dimension évolutive et la dimension ministérielle, qui ont toutes rapport à la gouverne du système politique sous l'autorité de leaders partisans.

Les études sur la participation politique ne traitent guère de cette distinction entre participation sélective et participation inclusive. Elles s'intéressent plutôt aux différents modes de participation en opposant généralement la participation électorale aux autres modalités de participation. D'autres travaux opposent la démocratie de représentation à la démocratie de participation ou encore la participation individuelle à la mobilisation collective. Ces études ont peu d'intérêt pour nous, car elles sont étrangères à notre problématique.

Cette problématique est proche, par contre, de celle qu'on trouve dans l’ouvrage classique de Dahl et Tufte (1973). Ces deux auteurs, qui s'interrogent sur les relations entre la taille et la démocratie, pensent que celle-ci doit satisfaire à deux critères, celui de l'efficacité des citoyens et celui de la capacité du système. Selon le premier critère, il y a démocratie si les citoyens contrôlent les décisions du système politique, alors que selon le second critère il y a démocratie si le système politique a la capacité de répondre aux préférences collectives des citoyens.

Dahl et Tufte montrent qu'il n'y a pas de relation nécessaire entre la taille d'un système politique et la démocratie, mais ils notent qu'avec l'augmentation de la taille des problèmes de coordination se posent (p. 36). Ils se demandent par ailleurs si l'augmentation de la taille n'a pas aussi pour effet de permettre à un système politique de mieux « manipuler » son environnement ou de mieux s'y adapter (P. 110).

[23]

À partir de ces constats et interrogations, nous postulons qu'une participation sélective dans les partis ou dans les systèmes de partis rend plus facile la coordination entre les acteurs partisans et leurs alliés, mais plus difficile l'adaptation par rapport à l'environnement des activités par lesquelles les partis et les systèmes de partis poursuivent leurs finalités propres. À l'inverse, une participation inclusive dans les partis et dans les systèmes de partis rend l'adaptation plus facile, mais la coordination plus difficile.

La répartition des influences entre les participants

Dans la mesure où les acteurs partisans contrôlent les choix qui entraînent une participation sélective ou inclusive aux activités par lesquelles ils poursuivent leurs différentes finalités, un dilemme se présente à eux. La participation sélective rend la coordination plus facile mais l'adaptation plus difficile, alors que la participation inclusive rend la coordination plus difficile mais l'adaptation plus facile. Vaut-il mieux alors opter pour l'une ou l'autre modalité de participation, ou tempérer l'une par l'autre selon les finalités poursuivies ?

Le nombre de participants n'a pas de rapport direct avec le caractère sélectif ou inclusif de la participation. Un système de partis qui comprend plus de partis qu'un autre, ou un parti qui a plus d'adhérents qu'un autre n'est pas nécessairement plus inclusif. La simplification ou la diversification dans la participation fait plutôt référence à la structuration des relations entre les ensembles de participants, le nombre des participants n'étant pas toujours une variable déterminante de cette structuration.

À cet égard, la différence entre une structuration sélective et une structuration inclusive des relations réside dans la répartition des influences entre les catégories de participants. On peut considérer, en effet, que la participation s'exprime surtout par l'influence, c'est-à-dire par le fait qu'un acteur rend ses préférences efficaces dans les dispositions à agir ou dans l'action d'un autre acteur (Lemieux, 1979).

Soit un système à deux partis. La participation des partis à ce système sera sélective si, sur une période de temps donnée, c'est toujours le même parti qui est dominant. Elle sera inclusive si les deux partis alternent à la direction du gouvernement. Ou encore, si le clivage dominant chez les électeurs fait référence à l'intervention du [24] gouvernement dans la société, la participation des électeurs à un parti sera sélective si une forte majorité de ceux qui appuient ce parti sont en faveur d'une plus grande intervention du gouvernement. Elle sera inclusive si les appuis électoraux au parti sont à peu près également répartis entre des électeurs qui appuient une plus grande intervention du gouvernement et des électeurs qui désirent une moins grande intervention.

Parce que la variété des influences est moins grande quand la participation est sélective, celle-ci est plus facile à coordonner que la participation inclusive. La coordination est entendue comme la capacité qu'ont des leaders partisans de contrôler directement ou indirectement tous les acteurs d'une composante, d'un parti ou d'un système de partis, et donc de contrôler par là, en partie tout au moins, les activités orientées par les finalités partisanes. Quant à l'adaptation, elle consiste dans la capacité qu'ont les acteurs partisans de modifier, par leurs contrôles, les activités partisanes en fonction des changements dans l'environnement externe. C'est ainsi que, par rapport à la décentralisation, la centralisation se traduit par une répartition très inégale des influences entre les instances centrales et les instances périphériques, et donc par une participation sélective. La décentralisation, au contraire, mise davantage sur une certaine égalisation de ces influences, et donc sur une participation plus inclusive. Il en est de même dans les systèmes de partis. La grande distinction qui est faite à leur propos entre les systèmes monopolistiques et les systèmes compétitifs renvoie elle aussi à l'opposition entre participation sélective et participation inclusive. Dans un système monopolistique de partis, le parti dominant exerce constamment des influences unilatérales sur les autres partis, ou encore, s'il n'y a pas d'autres partis, sur les groupes d'acteurs susceptibles de se former en parti. Dans un système compétitif, les influences bilatérales sont plus répandues, d'autant plus que lorsque le parti dominant ou la coalition dominante de partis change, les influences unilatérales changent elles aussi de direction, le parti (ou la coalition) B, dominé un certain temps par le parti (ou la coalition) A, le dominant à son tour.

Comme nous le disions au début de l'introduction, nous allons considérer la participation sélective et la participation inclusive comme des options qui comportent chacune des avantages et des inconvénients dans la poursuite des finalités propres aux partis et aux systèmes de partis : nous en ferons l'évaluation dans la conclusion de l'ouvrage.

[25]

À cette fin, nous avons voulu employer des termes dont les contenus sont les plus neutres possible. Dans le langage courant, la sélectivité et l'inclusivité, la simplification et la diversification ont des tonalités négatives, quand elles sont jugées excessives, mais elles ont aussi des tonalités positives quand elles vont contre les excès de l'option contraire. Les deux démarches ont donc leurs qualités et leurs défauts sans que l'une soit considérée comme supérieure à l'autre.

Le contrôle de la participation

Le caractère sélectif ou inclusif de la participation dans les partis et les systèmes de partis est déterminé partiellement par d'autres acteurs du système politique et de son environnement que les acteurs partisans, mais ceux-ci n'en ont pas moins un contrôle important sur l'ampleur de la participation ainsi que sur son caractère sélectif ou inclusif.

Cette part du contrôle est inégale d'une composante à l'autre des partis, et d'une dimension à l'autre des systèmes de partis. Il est plus difficile pour les leaders et les autres acteurs partisans de contrôler la participation dans la composante électorale que dans la composante gouvernementale, et il est plus difficile de la contrôler dans la composante gouvernementale que dans la composante interne. Il est aussi plus difficile de contrôler la fermeture ou l'ouverture d'un système de partis que de contrôler l'existence ou non de coalitions gouvernementales, le caractère monopolistique ou compétitif du système étant encore plus difficile à contrôler que les deux autres traits.

Le contrôle des dimensions d'un système de partis et des composantes d'un parti est entendu comme la capacité, toujours limitée, de réguler les activités pertinentes au système et aux partis selon les finalités qui leur sont propres. Le contrôle est différent de l'influence, dont nous avons dit qu'elle consistait plus généralement en ce qu'un acteur rende ses préférences efficaces dans l'action d'un autre acteur.

Pour ne pas trop compliquer l'analyse, nous allons considérer que le contrôle exercé sur les formes de participation, dans les partis et dans les systèmes de partis, est surtout le fait des leaders partisans et de leurs alliés. Un peu comme Panebianco (1988), nous considérons que les leaders d'un parti sont inclus dans une coalition où il y a des éléments de coopération et de conflit. Cette coalition est changeante, non seulement parce que des leaders en sortent et d'autres y entrent, [26] mais aussi parce que l'ordre de priorité entre les finalités des trois composantes est susceptible d'être modifié. Nous ne parlerons pas, comme Panebianco, de coalition dominante, mais de coalition de leaders d'un parti, en reconnaissant qu'à certains moments plus d'une coalition peut exister dans un parti, l'une d'entre elles dominant l'autre ou les autres (sur les coalitions, voir Lemieux, 1998).

La participation dans les systèmes de partis et dans les partis est d'autant plus inclusive qu'il y a un nombre relativement grand de catégories de participants et d'influences entre les participants. Elle est d'autant plus sélective qu'il y a un nombre relativement petit de catégories de participants et d'influences entre les participants.

On trouve dans le graphique 1 un exemple fictif de deux ensembles dont l'un, représenté par le graphe 1.1, a une participation plus sélective que l'autre, représenté par le graphe 1.2. Nous supposons que les deux graphes 1.1 et 1.2 représentent les instances centrale (C), régionales (R) et locales (L) de l'organisation interne d'un parti.

Graphique 1

Répartition des influences entre les instances centrale, régionales et locales
dans un parti centralisé (1.1) et dans un parti décentralisé (1.2)
.

graph_1_25

Dans le graphe 1.1, l'instance centrale (C) exerce seulement deux influences unilatérales directes, mais elle rejoint indirectement par ces influences toutes les autres instances du graphe. Les instances [27] régionales (R1 et R2) s'influencent entre elles et influencent chacune, de façon unilatérale, deux instances locales (LI et L2 dans le cas de RI, et L3 et L4 dans le cas de R2). Quant aux instances locales, LI et L2 s'influencent de façon bilatérale. Il en est de même pour L3 et L4

La répartition des influences est inégale puisque C influence les cinq autres acteurs, que RI et R2 en influencent trois chacun et que LI, L2, L3 et L4 n'influencent chacun qu'un seul autre acteur.

La répartition des influences est beaucoup plus égale dans le graphe 1.2, où chacun des acteurs influence chacun des autres, directement ou indirectement. L'instance centrale (C) a un certain avantage en ce qu'elle influence directement chacune des autres instances, suivie des instances régionales (RI et R2) qui influencent directement, chacune, quatre autres instances. Les instances locales (LI, L2, L3 et L4) n'influencent directement, chacune, que trois autres instances.

Le graphe 1.1 a la forme d'un appareil, alors que le graphe 1.2 a la forme d'un réseau (Lemieux, 1999). De façon générale, il est plus facile de coordonner un appareil que de coordonner un réseau. C'est là, comme nous l'avons déjà signalé, un des avantages de la participation sélective par rapport à la participation inclusive. En revanche, l'information et les autres ressources circulent plus facilement dans un réseau, ce qui le rend plus adaptable aux changements dans son environnement externe.

Ajoutons que les traits caractéristiques de la participation dans un parti ou dans un système de partis ne sont pas immuables. Il arrive qu'ils soient relativement stables durant une certaine période de temps, mais le plus souvent ils changent quand on considère l'une ou l'autre des dimensions d'un système de partis, ou l'une ou l'autre des composantes d'un parti.

Plan de l'ouvrage

Dans la première partie de l'ouvrage, qui porte sur les systèmes de partis, le chapitre 1 fait la recension des principales typologies des systèmes de partis et traite plus particulièrement de l'opposition entre les systèmes monopolistiques, où un même parti ou une même coalition monopolise la direction du système politique, et les systèmes compétitifs où il y a alternance à cette direction.

[28]

Cette dimension directionnelle ne suffit cependant pas à distinguer les systèmes de partis entre eux. Ces systèmes sont aussi fermés ou ouverts dans leur dimension évolutive, selon que les partis autres que ceux qui forment le gouvernement sont peu importants (ou même absents) ou relativement importants. Le deuxième chapitre traite de cette question.

Une troisième dimension, qui fait l'objet du chapitre 3, doit être prise en compte dans l'étude des systèmes de partis. Dans certains systèmes, les gouvernements de coalition sont fréquents sinon constants. Dans d'autres, ils sont absents ou presque. Il s'agit de la dimension ministérielle d'un système des partis, qui est pluricentrée ou unicentrée selon qu'il y a gouvernement de coalition ou non.

Les trois dimensions permettent de construire, au chapitre 4, une typologie des systèmes de partis fondée sur les deux formes opposées de la participation. Les types vont de la simplification maximale de la participation, quand le système est monopolistique, fermé et unicentré, à la diversification maximale de la participation, quand le système est compétitif, ouvert et pluricentré. À chacun des huit types correspond une configuration particulière des différentes classes de partis.

La deuxième partie de l'ouvrage a pour objet les partis en tant que systèmes. Il y a donc passage du niveau des systèmes de partis au niveau des partis et de leurs composantes. La composante interne est abordée la première, dans le chapitre 5, à travers les grands auteurs qui en ont traité. La centralisation et la décentralisation de l'organisation constituent un thème récurrent chez ces auteurs, la centralisation tendant à simplifier la participation, alors que la décentralisation a pour effet de la diversifier.

Dans la composante électorale, qui fait l'objet du chapitre 6, les partis ont des appuis plus ou moins intensifs ou plus ou moins extensifs, ce qui signifie une participation électorale des différentes catégories de votants qui est plus sélective dans le premier cas que dans le second.

Les partis, dans leur composante dite gouvernementale, ont des positions programmatiques ou opportunistes, et souvent un mélange des deux, selon que leurs options de gouverne supposent une participation plutôt sélective ou plutôt inclusive des tenants de ces options. Le chapitre 7 traite de cette dichotomie.

Un peu comme le chapitre 4, le chapitre 8 présente une typologie, mais au niveau des partis cette fois. Les types définis vont là aussi de la participation la plus sélective, dans les partis centralisés, intensifs et [29] programmatiques, à la participation la plus inclusive, dans les partis décentralisés, extensifs et opportunistes.

La troisième partie de l'ouvrage porte sur les transformations des systèmes de partis et des partis. Elle reprend des constats faits dans les deux parties précédentes et en ajoute d'autres touchant les transformations dans les systèmes de partis et dans les partis. Une attention particulière est accordée aux transformations récentes. Dans le chapitre 9, on se demande si ces transformations vont dans le sens d'une participation plus sélective ou plus inclusive aux systèmes de partis, ou encore si l'évolution se fait dans un sens ou dans l'autre, selon les environnements de ces systèmes.

Dans le chapitre 10, une question un peu semblable est posée à propos de la transformation des partis. Est-ce que les transformations vont dans le sens d'une participation plus sélective aux partis à travers leurs composantes, ou est-ce qu'elle va dans le sens d'une participation plus inclusive ? On trouve à la fin du chapitre un schéma des déterminants de la participation aux systèmes de partis et aux partis, qui permet de retracer les voies par où s'introduisent les transformations.

La conclusion a pour but de montrer comment on peut évaluer les systèmes de partis et les partis à partir des types de systèmes et des types de partis qui deviennent plus fréquents ou moins fréquents durant la période considérée. De plus, un schéma systémique inspiré de la recherche évaluative est présenté, dont il est montré qu'il rejoint l'approche systémique utilisée dans le présent ouvrage. La conclusion se termine par quelques réflexions sur la coordination et l'adaptation dans les systèmes de partis et dans les partis comme systèmes, et par des considérations finales sur le dilemme de la participation.

Résumé

Les principales propositions mises en place dans cette introduction sont les suivantes :

Int. 1 Les systèmes de partis ont pour finalité la gouverne du système politique sous l'autorité de leaders partisans.

Int. 2 Les partis ont pour finalité d'occuper la position la plus avantageuse possible dans le système des partis.

[30]

Int. 3 Dans la composante interne, les acteurs partisans ont pour finalité d'organiser les activités de mobilisation des adhérents.

Int. 4 Dans la composante électorale, les acteurs partisans ont pour finalité d'obtenir le plus de votes possible pour le parti.

Int. 5 Dans la composante gouvernementale, les acteurs partisans ont pour finalité de promouvoir les options de gouverne du parti.

Int. 6 La participation est sélective ou inclusive dans un système de partis ou dans un parti selon que la répartition des influences entre les différentes catégories d'acteurs partisans est plutôt inégale ou plutôt égale.

Int. 7 Les acteurs partisans contrôlent en partie le caractère sélectif ou inclusif de la participation, qui est aussi détermine par d'autres acteurs dans le système politique et son environnement sociétal.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 13 novembre 2012 18:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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