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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Vincent Lemieux, “Les masses”. Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 78, janvier-juin 1985, pp.121-123. Paris: Les Presses universitaires de France. [Autorisation formelle de l'auteur accordée le 13 août 2004 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Vincent Lemieux, 

Les masses”. 

Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 78, janvier-juin 1985, pp.121-123. Paris : Les Presses universitaires de France.

 

L'atelier s'est réuni sous la présidence de Jacques Zylberberg. Sept conférenciers ont pris la parole. 

Ettore A. Albertoni a d'abord traité des masses dans la pensée des doctrinaires des élites (Mosca, Pareto, Michels) et, en particulier, dans celle de Mosca. Évitant de confondre la pensée de Mosca avec celle d'autres auteurs, dans une inexistante « école italienne des élites », la communication a voulu fournir un apport scientifique, documenté et critique à la connaissance de ce penseur politique qui appartient à la meilleure tradition culturelle européenne, au tournant du XIXe siècle et du XXe siècle. La longue vie de Mosca devient ainsi une importante occasion de réflexion sur le tourment de l'histoire italienne depuis l'Unité nationale jusqu'au fascisme. La communication d'Albertoni constate que le problème théorico-pratique de Mosca est d'assurer la formation d'une classe dirigeante politique ayant une ample légitimation de la part des gouvernés. Par conséquence, le rapport que Mosca voit entre classe politique et masses gouvernées est un rapport d'osmose continue et non pas d'opposition ou, pire, de refus. 

Alf Schwarz note, pour sa part, que le concept de masse introduit à une grande variété de significations. Les interprétations s'étendent de la tradition pseudo-scientifique d'une certaine psychologie des masses, marquée par un conservatisme romantique et nostalgique de l'idée de l'individualité forte et libre, jusqu'à l'invocation messianique des masses porteuses de tous les espoirs d'un humanisme révolutionnaire. La thèse de la déchéance des masses ainsi que celle de l'élévation par les masses véhiculent pourtant une même obsession de la montée irréversible de l'homogénéité ; la hantise de l'homogénéité stérilisante des niasses anonymes dans la lecture libérale, la quête à tout prix d'une direction homogène qui assure l'unité du mouvement des masses dans la lecture marxiste. La même insistance sur le phénomène de l'homogénéisation se retrouve en thermodynamique. Deux équations peuvent annoncer les possibilités d'une exploration thermodynamique du phénomène masse : la déchéance du système par l'homogénéisation progressive de ses éléments dynamisateurs et la déchéance du système par l'usure irréversible des énergies disponibles pour assurer la stabilité et l'équilibre du système. 

Jean Rémy n'oppose pas le terme « masse » à celui d'élite. Il ne l'associe pas non plus à celui de foule ou de masse rassemblée dont on analyserait le comportement spécifique. La société de masse est vue plutôt comme une dérive d'un processus d'individuation, qui tend à diminuer le sentiment d'appartenance collective comme base d'un projet commun suscitant une forte identification. Ce processus d'individuation fait du projet individuel l'origine et le centre des sens. L'individu est ainsi idéalisé comme un lieu permanent de maîtrise et de choix. Combiné avec une revendication « d'être égal à » s'exprimant dans le langage courant à travers des expressions comme « si tu as cela, pourquoi pas moi », il en résulte non seulement une comparaison, mais une multiplication du processus d'imitation diffus... Ceci entre d'ailleurs en conflit avec une volonté d'être différent sinon original. 

Aujourd'hui on ne distingue plus, selon Jacques Beauchard, la diversité des métamorphoses qui caractérisent l'agrégation des grands nombres. Qu'il s'agisse du transit des voyageurs, du trafic automobile, de manifestations collectives, le comportement des grands nombres est interprété suivant la conduite la plus probable d'un individu sériel, représentatif d'un milieu, voire d'un âge. Suivant l'accroissement contemporain des vitesses d'échange, certains prophétisent l'implosion inéluctable de la masse. En fait, la masse, multitude d'individus séparés mais fortement agrégés et physiquement proches les uns des autres, entretient en elle une grande diversité de formes collectives (ribambelle, queue-leu-leu, file indienne, cohue, cohorte, cortège, etc.), dont les morphologiques complémentaires ou contraires sont fondatrices du lien social ; elles ritualisent chaque jour les passages entre les sphères privées et publiques. Surtout, plus la masse se densifie du fait de l'accroissement et de l'accélération des transits, plus les formes grégaires intermédiaires tendent à se multiplier en se diversifiant ce qui prévient une homogénéisation fatale. 

Vincent Lemieux remet en question la notion de masses et la vision de la société qu'elle implique. La « massification « est sans doute un fait historique, dans certaines sociétés. C'est aussi, plus généralement, une tendance et une tentation qui motivent l'action des gouvernements, mais il ne faut pas penser que les « masses » y sont soumises inéluctablement. La société, vue de loin, peut apparaître comme massive ou massifiée, mais, lorsqu'on s'en rapproche, elle apparaît plutôt comme traversée de réseaux sociaux. Ces réseaux la rendent moins passive qu'on ne pense face aux tentatives de massification, ou plus généralement de domination qu'exercent sur elle ceux qui sont chargés officiellement de la réguler, c'est-à-dire de la gouverner. Cette façon de concevoir la société suppose une vue plus complète de la socialité. Comme Paul Mus l'enseignait au Collège de France, la socialité est faite des mouvements opposés de la sociétation et de la sociabilisation. La première, c'est la constitution de la société de haut en bas, alors que la seconde, c'est sa ramification de proche en proche, sur le terrain. La sociabilisation se fait par des réseaux sociaux qui peuvent être fonctionnels ou dysfonctionnels par rapport aux entreprises de sociétation. 

Selon Marc Guillaume, la masse se différencie du peuple, de la foule, de la classe sociale, de la communauté, en ce sens principalement que le lien social y est réduit à son minimum. En particulier le lien que tissent les mass media constitue un degré zéro de la communication et les informations diffusées engendrent un « savoir » de nature singulière, non pas en termes de contenus mais en termes de socialité engendrée. Les analyses de Brecht, de Sartre et de bien d'autres ont montré comment les communications modernes engendrent la massification, la sérialisation. On peut reprendre ces analyses à partir de l'hypothèse suivante : un savoir irradié est dépourvu de savoir commun. Il y a là une différence radicale avec le savoir épidémique qui est toujours accompagné d'un méta-savoir : non seulement tu sais ce que je t'ai dit, mais je sais que tu le sais et tu sais que je sais que tu le sais, etc. L'absence de savoir commun explique en partie la multiplication des sondages ou des représentations sociales stéréotypées qui engendrent des artéfacts de savoir commun. 

Enfin, Jean Baudrillard, reprenant les thèmes de son livre A l'ombre des majorités silencieuses, affirme que la masse réalise ce paradoxe de n'être ni un sujet ni un objet. Tous les efforts pour en faire un sujet se heurtent à une impossibilité de prise de conscience autonome. Tous les efforts pour en faire un objet, pour la traiter et l'analyser comme une matière brute, selon des lois objectives, se heurtent à l'évidence inverse de l'impossibilité d'une manipulation déterminée des masses ou d'une appréhension en formes d'éléments, de relations, de structures et d'ensembles. Selon Baudrillard, les masses ne sont pas en deçà mais au-delà du politique. Elles exécutent dans leur pratique « naïve » la sentence d'annulation du politique.

 

Vincent Lemieux.
Université Laval.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 30 mai 2008 14:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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