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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Sécularités religieuses. Syndromes de la vie ordinaire” (1999)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Raymond Lemieux, Sécularités religieuses. Syndromes de la vie ordinaire”. Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, no 33, 1999, pp. 19-50. Montréal : Département de sociologie, UQAM. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 26 février 2004.]

Introduction

De quelles douleurs ces regards sont-ils captifs ?
Michel de Certeau [1] 

Bien qu'ils donnent lieu à de nombreuses études, les constats de sécularisation [2] laissent des vides dans la compréhension des dynamiques sociales contemporaines, marquées de religiosités paradoxales. Certes, les définitions techniques du terme sont séduisantes : elles permettent de saisir certaines réalités importantes et de les expliquer avec une relative simplicité. La définition du concept proposée par Peter Berger et Thomas Luckmann, par exemple, est opérationnelle. La sécularisation constitue, pour eux, « I'autonomisation progressive de secteurs sociaux qui échappent à la domination des significations et des institutions religieuses [3] ». Une telle position se situe dans le sillage des études de Max Weber : elle repose sur les idées-force de rationalité et de désenchantement (Entzauberung) et vise à rendre compte de cette expérience moderne de la conscience qui pousse les citoyens à penser que le monde se construit de plus en plus par leur propre  action, et non qu'il est le produit d'une force extérieure. Un tel concept est un outil éminemment précieux dans les études « régionales » : il permet de comprendre comment le Québec a vécu, par exemple, un processus de sécularisation effectif de ses institutions scolaires et de ses institutions de santé dans la deuxième moitié du XXe siècle. Que ce processus ne soit pas terminé, comme le montrent les débats actuels à propos de l'enseignement confessionnel dans les écoles publiques, n'affaiblit en rien les analyses qu'on peut en faire par ailleurs. 

Mais jusqu'à quel point peut-on parler d'une sécularisation globale des sociétés ? De larges secteurs de l'action sociale peuvent bien échapper aux contrôles traditionnels des institutions religieuses, qui s'en trouvent en même temps affaiblies sinon marginalisées, la question reste entière : une société peut-elle échapper à toute dimension religieuse ? La religion n'est-elle pas plus qu'un épiphénomène de la vie sociale dont l'appropriation serait le propre de quelques institutions traditionnelles ? N'est-elle pas plutôt une dimension structurelle de la vie en société ? Accepter une telle hypothèse de travail, cependant, implique de repenser la plupart de nos jugements concernant la dynamique de la modernité. Pour ce faire, il s'agira non plus seulement de poser que, désormais, les sociétés se construisent à travers le travail des humains, mais aussi de se demander comment elles le font et en quoi la religion est une dimension inhérente à cette production. Alors, plutôt que de voir dans la modernité un combat à finir pour se libérer des mythes et croyances véhiculés par les institutions religieuses (non sans un certain dualisme qui ressemble beaucoup à ce qu'ont été, en d'autres temps, les explications religieuses du bien et du mal), il faut apprendre à saisir les déplacements de la structure religieuse de la pensée et de l'agir modernes. Il faut apprendre à saisir comment la modernité, et surtout dans ses formes les plus avancées, est susceptible de créer d'autres mythes et d'autres systèmes de croyances que ceux que reconnaissaient les Anciens. Il faut chercher comment elle induit des comportements tout aussi religieux que les premiers, mais plus difficiles à saisir dans la mesure où le concept de religion est encore réservé par le langage commun à ce qu'on a pris l'habitude de définir comme tel. 

Radicalisons la question. Si la religion est « l'établissement, à travers l'activité humaine, d'un ordre sacré englobant toute la réalité, i.e. d'un cosmos sacré qui sera capable d'assumer sa permanence face au chaos [4] », il faut bien admettre logiquement que la raison moderne n'échappe pas plus à l'enchantement que les sagesses qui l'ont précédée. Dès lors qu'il prétend se prévaloir d'une cohérence globale, l'imaginaire que produit cette raison n'a-t-il pas besoin de s'appuyer sur un cosmos sacré par lequel il intègre le monde dans sa totalité ? Toute globalité, à commencer par celle qui sert de principe justificatif aux rationalités économiques contemporaines, n'est-elle pas enchanteresse ? Elle suppose, en tout cas, qu'en dehors d'elle, c'est le chaos.


[1]     M. de Certeau, « L'espace du désir ou le "fondement" des Exercices Spirituels », Christus, vol. 20, no 77, 1973, pp. 118-128.

[2]     La bibliographie sociologique sur le sujet est extrêmement vaste. Pour une idée des problématiques les plus récentes, par aires géographiques, voir Sociology of Religion, vol. 60, no 3, automne 1999, p. 209-339 (numéro spécial intitulé The Secularization Debate, Special Issue. Guest Editor, sous la direction de William H. Swatos, Jr., de l'Association for the Sociology of Religion. Pour une bibliographie un peu plus ancienne mais complète à son époque, voir K. Dobbelaere, « Secularization : A multidimensional concept », Current Sociology, vol. 29, no 2, été 1981.

[3]     P. Berger et T. Luckmann, « Aspects sociologiques du pluralisme », Archives de sociologie des religions, no 23, janvier-juin 1967, pp. 117-127.

[4]     P. Berger, La religion dans la conscience moderne, Paris, Centurion, 1971, p. 94.


Revenir au texte des auteurs: Raymond Lemieux, sociologue Dernière mise à jour de cette page le dimanche 21 janvier 2007 18:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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