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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Raymond Lemieux, “Connaissance et salut” (1986)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Raymond Lemieux, Connaissance et salut”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Raymond Lemieux et Réginald Richard, Gnoses d'hier et d'aujourd'hui, pp. 19-45. Québec: Université Laval, Groupe de recherches en sciences de la religion, 1986, 316 pp. Collection: Les Cahiers de recherches en sciences de la religion, vol. 7. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 26 février 2004].

Introduction

Pour l'introduire d'un jeu de mots, on aurait pu titrer le présent collectif : De l'Agneau à la Gnose. Comme tous les jeux de mots, celui-ci n'est pas gratuit. L'Agneau, dans le monde chrétien, c'est le symbole de l'innocence. Antidote à l'orgueil mortifère des savoirs de l'homme, il traverse l'histoire pour nous éblouir de sa pureté. On le retrouve tout autant dans la piété populaire, présent des bergers à l'enfant de la Crèche, que dans l'idéal monastique : pureté du corps qui se conjugue à la pauvreté et au refus du pouvoir dans l'obéissance. 

L'Agneau, qu'une étymologie médiévale renvoyait déjà au non-connaissant (a-gnosein), c'est l'obéissant, le pauvre absolu, le pur, celui qui est libre du désir, affranchi du travail de la pulsion. L'envers de la gnose en quelque sorte, à l'opposé du savoir qui se conjugue, lui, avec pouvoir, richesse, jouissance, tous ces mirages de l'appétit débridé. S'il est une connaissance nécessaire au chrétien, c'est bien celle qui représente le seul savoir utile, celui qui concerne la séduction des savoirs à l'origine de la chute de l'homme, les pièges de l'arbre de connaissance. Si savoir et du salut sont inconciliables, la connaissance issue de la foi est l'antidote du savoir des hommes, la gnose et l'esprit chrétien ne peuvent qu'entretenir des rapports polémiques. 

Quand il cherche à compter sur ses propres moyens, l'homme est renvoyé aux mirages de son désir, illusions du Malin. Le chrétien doit les rejeter radicalement. Quelque chose dans la notion chrétienne de salut cherche ainsi à se donner comme pure confiance du fidèle à son créateur et rédempteur. Cette disponibilité au désir de l'Autre ne peut que lui rendre suspecte toute voie qui s'imposerait du lieu du Même, là où l'histoire serait sous le contrôle de l'homme. Dans cette dialectique du refus (du monde) et de la disponibilité (à la grâce) le chrétien peut en venir, s'il y met la vigueur d'une passion pour son propre salut, à dénier toute valeur aux oeuvres : sola fide, disait Luther. Seul l'Autre peut garantir à l'homme sa justification et cela, dans la prédestination d'une histoire qui est elle-même pur produit du désir de l'Autre. 

Bien avant Luther, de telles idées avaient conduit certains groupes au refus radical d'un monde qui ne pouvait qu'être mauvais, oeuvre du Malin, et qui ne méritait pas qu'on s'attarde à tenter de le changer, ni qu'on tente de se changer soi-même, oeuvres de toute façon impossibles. On trouve au Moyen Âge les expressions les plus radicales de cet impossible salut par les mains de l'homme chez les Vaudois, les Cathares, dans les fratricelles en marge du mouvement d'Assise. Son esprit traverse l'histoire du christianisme. Luther en son temps ne fera que lui donner une pureté nouvelle, socialement féconde (Boudin, 1984). Au coeur même du catholicisme, au XIXe siècle, alors que le savoir-faire technique est en train d'apprendre à l'homme comment à dominer le monde et prétend lui procurer la maîtrise de son histoire, il est radicalisé dans l'idéal angélique dont se nourrissent certaines communautés de religieuses, idéal qui semble pour ces femmes le seul antidote possible aux excès d'un monde qui, ailleurs, serait pris de folie (Arnold, 1984). 

Quoi qu'il en soit de la radicalité de ses expressions, cette dialectique du refus et de la disponibilité questionne l'historien comme le théologien. Qu'est-ce que le salut chrétien ? Quels rapports celui-ci entretient-il avec les autres formes que peut prendre la quête du salut dans les sociétés travaillées par le christianisme ? Y a-t-il une modalité chrétienne de cette quête qui s'écarte des autres, ou bien qui les intègre, les transforme ou encore les assume quitte à les critiquer ? 

C'est là un premier axe du développement possible des recherches concernant les gnoses, anciennes ou contemporaines. Si on définit le terme, sommairement, comme une quête du salut par la connaissance, quels rapports y a-t-il entre cette quête et celles des grandes traditions religieuses ?. Quels rapports, par exemple, le salut chrétien entretient-il avec les outils que les hommes se donnent pour appréhender et contrôler leur place dans l'univers ? Quels rapports entretient-il avec la connaissance en général et, par extension, avec le salut du monde qui, s'il est une fin recherchée par l'homme, doit bien reposer quelque part sur une certaine organisation de la connaissance ? Quels rapports le salut chrétien a-t-il avec le pouvoir transformateur et créateur de l'homme dans l'univers ? [1] 

Vieux débat, qui n'a pas fini d'opposer les milices de la foi aux soldats de la raison. Vieux débat qui n'a pas fini non plus de brandir la foi en la raison pour combattre les raisons de la foi. Nous ne nous attarderons pas longtemps sur ce terrain - en état de guerre appréhendé - de réflexions tant historiques que théologiques dont il faut attendre, pourtant, des éclairages précis. Quelle spécificité la foi judéo-chrétienne représente-t-elle dans l'histoire ? En quoi le salut chrétien est-il irréductible à quoi que ce soit d'autre ? Un lien est-il pensable entre ce salut et celui du monde, celui qu'on nomme progrès, entre la Cité de Dieu et la Cité terrestre. 

Nous nous attarderons plutôt à un autre axe de questionnement. Si les mouvements gnostiques, quand ils proposent des voies de salut par la connaissance, mettent en cause l'innocence de l'Agneau, s'ils prennent distance par rapport aux conceptions chrétiennes du salut, ils mettent également en cause le rapport de l'homme à la connaissance. De quoi s'agit-il ? Quel type de connaissance y évoque-t-on ? En quoi la connaissance gnostique présente-t-elle une spécificité ? Peut-il seulement exister une connaissance capable d'assurer à l'homme un salut ? Quels rapports entretient, ou peut entretenir, la gnose avec les autres pratiques sociales de la connaissance et ceci, plus particulièrement dans les sociétés qui nous regardent, là où les savoirs les plus valorisées sont ceux qui se disent, par ailleurs, scientifiques ? 

Pour cerner d'un peu plus près ces questions, nous proposerons dans un premier temps de voir ce qu'il en est de la connaissance et de la gnose comme pratiques sociales ; ensuite nous nous demanderons en quoi une connaissance peut être dite scientifique ; enfin, dans un troisième temps, nous nous interrogerons sur les rapports entre gnose et science, délaissant le terrain de la religion qui est notre point de départ, pour celui de la critique de la connaissance et de l'épistémologie.


[1]     Il s'agit de nous donner ici un premier concept opérationnel du terme « gnose ». Nous ne prétendons pas par la en totaliser l'histoire. On trouvera par ailleurs un rapport sommaire mais rigoureux de cette histoire, nous permettant de justifier la définition que nous proposons ici, dans l'article « Gnose » de l'Encyclopaedia Universalis (Deluzan, 1980).


Revenir au texte des auteurs: Raymond Lemieux, sociologue Dernière mise à jour de cette page le dimanche 21 janvier 2007 18:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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