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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Pierre Lemieux, Confessions d'un coureur des bois hors-la-loi (2001)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Pierre Lemieux, Confessions d'un coureur des bois hors-la-loi. Montréal: Les Éditions Varia, 2001, 157 pp. Collection: “Sur le vif”. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 10 mars 2007 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Préface

Par Jacques Plamondon

Les confessions d’un coureur des bois hors-la-loi que le lecteur s’apprête à lire s’inscrivent dans une suite logique d’ouvrages du même auteur où la cohérence des positions impressionne l’observateur attentif que je suis. Un homme révolté, écrit Albert Camus, c’est « un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement... Ce non signifie, par exemple : “les choses ont assez duré”, “jusque-là oui, au-delà non”, “vous allez trop loin”, et encore, “il y a une limite que vous ne dépasserez pas”. En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière »[1]. 

Pierre Lemieux, du plus loin que je me souvienne (je le connais depuis 1965), était prédisposé à la révolte. Il cite lui-même quelques anecdotes de jeunesse qui nous le montrent en rupture de ban avec l’autorité. Camus parlerait alors d’une révolte métaphysique pour désigner cette recherche absolue de liberté. Encore fallait-il que cette révolte trouve un objet plus défini pour son aversion. Elle l’a découvert dans le « monstre froid » qu’on appelle l’État. 

L’État aux yeux de Pierre Lemieux asservit. C’est même sa caractéristique première. Où qu’il intervienne, il rogne la seule souveraineté qui importe, celle de l’individu. C’est ainsi que la valeur suprême à l’enseigne de laquelle s’inscrit l’auteur est celle de la liberté. 

Mais qu’est-ce que la liberté ? Voilà bien une question qui a été au cœur de nos interrogations au sortir de la grande noirceur du duplessisme, époque où j’ai connu Pierre Lemieux, comme je le disais plus haut. Avec Karl Jaspers[2], un auteur influent auprès de nous, il est possible de la définir comme la domination du monde extérieur dont je subis la contrainte. Elle naît lorsque la nécessité extérieure est modelée par moi, de façon consciente, et devient un élément de ma vie personnelle. Elle consiste aussi à vaincre en moi-même l’arbitraire, en ceci que si je suis libre, ma volonté n’est pas dictée par un désir gratuit, mais par ma conviction qu’une chose est juste. Exercer sa liberté, ce n’est pas obéir aveuglément, ni agir arbitrairement, mais se déterminer d’après une certitude intérieure. La liberté demande ensuite que dans le temps, je décide pratiquement de mes buts et de mes raisons. Les possibilités créent des alternatives, entre lesquelles il faut choisir. La raison peut tout accueillir, faire coexister les opposés, les relier entre eux. Elle surmonte les contradictions en pensée. Mais dans la pratique, on ne peut dominer les oppositions concrètes : la pensée qui doit se réaliser dans l’espace et dans le temps doit trancher dans un sens ou dans l’autre. Être libre ici, c’est prendre une décision. 

Le Pierre Lemieux que je connais réalise en lui-même toutes ces conditions, de telle sorte que je rejoins parfaitement Claire Joly qui affirme dans la Postface qu’« il vit ses principes ». Voilà en effet ce qu’il y a de plus frappant chez lui : cette intransigeance à l’endroit de tout ce que l’État, sa bête noire, peut introduire pour atteindre le citoyen, l’infantiliser et s’en faire le tuteur bienveillant, en le déresponsabilisant face aux événements de la vie. 

À l’instar de ces intellectuels engagés qu’il admire, Lemieux a choisi de vivre principalement de sa plume, ce qui n’est pas une mince tâche dans notre société du prêt-à-penser. Il s’est libéré ainsi des servitudes qui autrement auraient pu limiter ses moyens d’action et compromettre une réflexion autonome. Son but n’était assurément pas de se réfugier dans ce domaine qu’il appelle son « abbaye » pour se détacher des grandes questions qui agitent notre société, mais au contraire pour mieux en débattre sur le forum public que ce soit par le biais de son site Web, de la presse à grand tirage ou du livre. Force est de constater qu’il incarne mieux que quiconque au Québec cette nouvelle sorte d’intellectuels publics que l’on voit se développer depuis quelques années aux État-Unis. C’est ainsi que l’Université de Floride, par exemple, offre un programme de formation pour ceux qu’on appelle « public intellectuals », estimant qu’ils peuvent jouer un rôle essentiel dans la protection des valeurs démocratiques, en prenant le risque de s’engager dans les débats de l’heure[3]. 

Depuis plus de vingt-cinq ans, Pierre Lemieux aborde les sujets qui agitent l’opinion publique comme le régime universel d’assurance santé, les contrôles boursiers, la loi contre le tabagisme... À propos de toutes ces questions, il défend des positions inédites, cohérentes avec la philosophie libertarienne qu’il a adoptée, qu’il défend et qu’il développe au fil de ses travaux. Les Confessions… représentent l’exposé le plus récent de la justification du droit de porter des armes, un autre sujet qui le préoccupe depuis plusieurs années. 

Est-il admissible que l’État, au nom du bien commun et d’une sorte de salubrité publique, impose un corset de plus en plus contraignant aux citoyens honnêtes qui veulent acquérir, conserver, transporter et utiliser des armes à feu ? Telle est la question incontournable, pour employer un qualificatif à la mode, à laquelle Pierre Lemieux s’adresse. Pour lui, il s’agit bien d’une question inévitable puisque son libéralisme classique reconnaît d’emblée qu’il existe un droit fondamental pour tout individu de se protéger, de protéger les siens et de protéger sa propriété. 

Or, il est clair depuis quelque temps que ce droit est remis en cause largement. On trouve des justifications pour instaurer un contrôle étatique des armes sous la plume de maîtres-penseurs, de porte-parole officiels d’associations influentes et de politiciens qui répercutent ces opinions sous prétexte qu’un tel contrôle réduirait les dangers d’événements malheureux comme ceux qui périodiquement viennent assombrir les manchettes de nos quotidiens. Dans les universités, par exemple, l’affaire Valery Fabrikant et le drame de l’École polytechnique ont marqué la recrudescence d’une propagande en faveur des contrôles des armes à feu, sans que personne ne s’inquiète de la belle unanimité qui se construit sur le dos de citoyens majoritairement pacifiques, amateurs de chasse ou plus simplement de tir. 

Pierre Lemieux, fidèle à ses principes, vient rompre cette belle unanimité en donnant une voix à l’opinion contraire. Il le fait avec vigueur, avec passion même. De cela, il faut lui être reconnaissant. Audi alteram partem, tel est l’un des adages fondamentaux du droit coutumier. Encore faut-il que l’autre parti s’exprime librement, sans contrainte, sur la place publique. Les Confessions… vont loin dans cette direction et méritent pour cette raison même d’être entendues. 

Pour ma part, je ne partage pas toutes les opinions de l’auteur, mais je trouve important qu’elles soient dites et diffusées le plus largement possible. Il est en effet une chose que j’ai omis de dire à propos de la liberté : c’est qu’elle se réalise dans une communauté humaine. Une opinion préconçue le cède à une vue bien fondée au cours de discussions avec les autres et nous pouvons en venir à admettre d’autres idées au bout d’un échange de points de vue. (C’est la base même de notre liberté politique et sociale.) La liberté exige par conséquent que nous soyons ouverts à tout ce qui le mérite. Elle appelle une largeur d’esprit qui nous rend disponibles à toutes ces valeurs qui se révèlent souvent dans nos vies en paradoxes, en polarités et antinomies. Si nous nous refusons à considérer le point de vue adverse, nous rétrécissons l’espace de la liberté et, à partir de là, la tentation devient grande de la brimer chez les autres, donc de la réduire globalement pour tous. La liberté demeure consciente de ses limites et par conséquent accepte que c’est dans l’objectivité d’une communauté humaine que la liberté de chacun est dépendante de la liberté de tous. 

Voilà comment je souhaite que l’on prenne connaissance du livre de Pierre Lemieux. Il exprime la révolte d’un individu libre contre une législation liberticide. La loi C-68 représente en effet une sorte de pavé de l’ours qui peut rendre la vie insupportable pour tous sous le masque de la défense d’une tranquillité factice, en vertu de laquelle d’honnêtes citoyens, parce qu’ils respectent mieux la loi, deviennent les victimes toutes désignées de criminels sans scrupule qui eux-mêmes se moquent des lois. Le livre de Pierre Lemieux dénonce ce paradoxe. Il faut lui en savoir gré et méditer les leçons qu’il nous sert de manière à fortifier la liberté dans notre société au lieu de l’affaiblir en obéissant à nos peurs. La liberté n’est pas un bien que l’on possède. Elle est en cours d’élaboration en soi et dans la société. Comme telle, elle exige une transformation de soi. Pour que les hommes soient libres, ils doivent communiquer dans la vérité, sans faux-fuyants, sans arrière-pensées, sans restrictions mentales. C’est à ce prix que l’on approchera la vérité, qui informe la prise de décision. Ce n’est donc pas un hasard si, comme l’histoire nous l’apprend, les ennemis de la liberté ont aussi été des ennemis de la vérité (v. g. Hitler, Staline). 

Pierre Lemieux, je le sais, va continuer son combat avec cette détermination qui permet de comprendre les conditions qu’il s’impose au fin fond de son abbaye. Il va protester, dénoncer, vitupérer et confronter à leurs contradictions ceux qui sacrifieraient trop légèrement la liberté. Il est et demeurera dans cette lutte un éveilleur de conscience pour chacun de ses lecteurs, empêchant qu’ils ne sommeillent en laissant l’État veiller de trop près à leur meilleur intérêt… 

Jacques A. Plamondon


[1] Albert Camus, L’homme révolté, in Essais, Paris, Gallimard (coll. « La Pléiade »), 1965, p. 423.

[2] Karl Jaspers, Origine et sens de l’histoire, Paris, Plon, 1954.

[3] Pour plus d’information à ce propos, voir par exemple http://www.publicintellectuals.fau.edu (visité le 6 août 2001).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 23 mars 2007 20:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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