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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Pierre Lemieux, Confessions d'un coureur des bois hors-la-loi (2001)
Postface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Pierre Lemieux, Confessions d'un coureur des bois hors-la-loi. Montréal: Les Éditions Varia, 2001, 157 pp. Collection: “Sur le vif”. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 10 mars 2007 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Postface
Claire Joly

Le coureur des bois que j’ai connu n’a rien d’un criminel. Épris de liberté, jaloux de son indépendance, Pierre Lemieux a toutefois eu la générosité de m’accueillir dans son univers et de me le faire partager. Dans cet homme, rien d’autre que droiture et intégrité. Il ne fait pas que professer des principes, il les vit. Je ne suis pas certaine qu’il sache tricher. Le coureur des bois que j’ai connu est une des rares personnes qui n’existe autrement qu’en étant fidèle à lui-même. 

J’ai rencontré d’autres coureurs des bois le jour où le gouvernement fédéral est venu porter la Bonne Nouvelle au village en la personne de deux jeunes étudiants. Il s’agissait, disait-on, d’aider les gens à demander leur permis de possession d’armes à feu. Pierre et moi avons donc tenu une manifestation de deux personnes pour dénoncer la loi auprès de nos concitoyens. 

J’ai parlé à beaucoup d’hommes qui avaient deux fois mon âge. Ils avaient vécu une vie pacifique, n’avaient jamais commis de crimes. Parce qu’ils possédaient des armes, ils allaient être fichés comme moi et deux millions de Canadiens dans le registre de la police. Ils comprenaient que les intentions étaient louables, mais restaient perplexes. Leur bon sens ne leur mentait pas. 

La futilité de ce genre de mesures en matière de prévention des morts violentes, qu’il s’agisse d’homicides, de suicides ou d’accidents, est notoire dans la littérature criminologique et sociologique. Au Canada, l’efficacité de la vieille loi de 1977 sur les armes n’a jamais pu être établie. Le Vérificateur général le déplorait dans son rapport annuel de 1993. Il critiquait aussi le gouvernement pour avoir adopté la loi de 1991 sans disposer des données permettant d’évaluer son impact éventuel. Pourtant, quelques années plus tard, le gouvernement suivant récidivait en adoptant C-68. 

Il a fallu payer un lourd tribut pour donner bonne conscience à quelques politiciens. D’abord en termes monétaires : la facture de l’opération de fichage s’élève à quelque 500 millions de dollars, deux ans avant la pleine entrée en vigueur de la loi. Beaucoup plus grave, la loi institue d’inquiétantes pratiques policières. Par exemple, elle confère à la police de nouveaux pouvoirs de perquisition, sans mandat dans certains cas. Ce sont les libertés civiles qui reculent. 

Le jour de notre manifestation de deux personnes, j’ai aussi rencontré un policier. Nous avions annoncé notre présence, tant et si bien qu’un agent de la Sûreté du Québec accompagnait les étudiants dépêchés par le gouvernement fédéral. C’était une femme, assez petite. Elle portait un revolver à la hanche, de la manière ostentatoire à laquelle nous ont habitués les policiers. Elle était femme, donc, mais d’abord représentante ce jour-là de l’ordre établi. 

Je ne lui ai pas révélé que j’avais déjà entretenu des desseins criminels. J’ai déjà voulu porter une bombe aérosol de poivre de Cayenne dans mon sac à main. Je serais passible de dix ans de prison pour prendre cette simple précaution, car les bombes aérosol de gaz irritant ou lacrymogène sont des « armes prohibées » au Canada. Leur possession à des fins d’autodéfense contre d’éventuels agresseurs est interdite sous prétexte qu’elles pourraient servir à commettre des crimes. Paradoxe inquiétant s’il en est un. 

Je n’ai pas non plus avoué à cette femme en uniforme que j’ai déjà voulu dormir avec une arme chargée dans la maison, une nuit que j’étais seule au fond des bois. Si on s’était introduit chez moi, et à condition que j’arrive à téléphoner, elle et son revolver mettraient bien 30 minutes pour se porter à ma rescousse. Que faire si l’intrus arrivait jusqu’à ma chambre ? Elle me répondit le plus sérieusement du monde : on peut toujours garder une batte de baseball. 

Reste que la loi interdit en pratique l’accès aux outils les plus efficaces pour dissuader les agressions, voire exercer une légitime défense telle que définie par le code criminel canadien. En fait, les dernières lois découragent moins le crime que l'usage défensif des armes par d’honnêtes citoyens quand la fuite et impossible et que les policiers ne peuvent intervenir assez rapidement. 

Je ne fais pas l’apologie de la violence, ni d’une société où tout le monde garderait un revolver dans sa table de chevet. Je plaide le principe du libre choix en matière de protection de dernier recours, alors que l’État tente de se substituer à mon jugement d’individu responsable au nom d’une utopie sécuritaire. 

Je ne crois pas à cette chimère. Je ne m’identifie pas non plus à ces femmes qui la poursuivent en maniant la matraque législative. Je m’indigne que cette loi réduise les hommes à des bourreaux en puissance. Peut-être paient-ils pour les violences que d’autres ont commises. 

Je m’inquiète aussi de ce que la vie privée de deux millions de Canadiens soit scrutée tous les cinq ans sous prétexte qu’ils sont a priori des menaces pour leur communauté, leur famille, voire pour eux-mêmes. C’est la présomption d’innocence et le droit à la vie privée qui sont piétinés, au mépris des principes fondamentaux sur lesquels nos sociétés ont été érigées pour empêcher les dérives étatiques. Rien ne saurait justifier une société où de paisibles citoyens doivent rendre des comptes à un État qui les soumet à un arbitraire bureaucratique. Dans les dernières lois sur les armes, je vois la manifestation d’un monde qu’on se doit de refuser. 

Ce monde n’aurait pas été imaginé par le coureur des bois que j’ai connu. Il a nommé sa maison l’Abbaye. Il a fait de la forêt son refuge, son sanctuaire, mais il se sent de moins en moins maître chez lui. L’État le déclare hors-la-loi pour avoir souhaité une terre de liberté. 

J’aspire comme lui à vivre dans un monde où il y aura toujours assez de place pour exister en tant qu’individu. C’est le plus merveilleux endroit que je puisse imaginer. Toutes les aventures y sont possibles. C’est un monde où l’on peut réellement s’épanouir, s’inventer, rêver son univers et en créer un autre le lendemain. C’est la terre que j’ai envie d’habiter et de célébrer. 

Claire Joly


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 22 mars 2007 11:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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