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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Denise Lemieux, “Les Mélanges religieux.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS, 1850-1900, pp. 63-92. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1971, 327 pp. Collection : Histoire et sociologie de la culture, no 1. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS,
1850-1900.

Les mélanges religieux
1841-1852.

Par Denise Lemieux

[pp. 63-92.]

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS, 1850-1900, pp. 63-92. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1971, 327 pp. Collection : Histoire et sociologie de la culture, no 1. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

I. Origine et buts officiels du journal
II. Un mouvement national et religieux : la tempérance
III. L'éducation
a) Droits de l'Église en éducation
b) L'instituteur idéal
c) Définition de l'éducation primaire
IV. La colonisation et l'émigration
V. L'agriculture
Conclusion

[63]

À différents points de vue, la période des années 1840 semble marquer un tournant dans l'histoire du Bas-Canada. On y situe l'origine d'une série de transformations qui affecteront non seulement la vie religieuse de l'époque mais aussi d'autres aspects de la société canadienne-française du XIXe siècle. La publication d'un journal sous la direction de l'évêque de Montréal, Mgr Bourget, fit partie d'une série de mesures d'abord prônées par l'évêque précédent, Mgr Lartigue. L'étude de quelques thèmes de ce journal révèle les intentions de l'Église, ainsi que certaines modalités de son action et de son interprétation des événements.


I. Origine et buts officiels
du journal


D'après le père Léon Pouliot, la fondation de la French Canadian Missionary Society en 1839, ayant pour but la conversion des Canadiens français au protestantisme, aurait été la cause immédiate de la fondation du journal dont l'idée initiale était pourtant de Mgr Lartigue : « Le projet d'un journal de propagande et de défense religieuse est donc antérieur de onze ans à la French Canadian Missionary Society. L'existence de celle-ci en pressa-t-elle la réalisation ? La chose paraît certaine. » [1] Mais plus que quelques missionnaires protestants, l'apparition au XIXe siècle d'une élite libérale en quête d'un pouvoir et d'un leadership qui la fait se heurter entre autres aux leaders religieux, constitue un danger permanent pour l'Église du Bas-Canada. [2] Les événements de 1837-38 viennent faire éclater cette opposition au grand jour.

Le contenu des Mélanges des premières années permet de soutenir ces deux points à la fois : si on y trouve de nombreuses attaques contre les [64] « prédicants » et les colporteurs de bibles, les controverses avec l'Aurore font souvent état du mandement de Mgr Lartigue au sujet de l'insurrection ainsi que des questions historiques pouvant s'y relier (certaines condamnations faites par Grégoire XVI, la condamnation de Galilée, de La Mennais, du prêt-à-intérêt).

À ces deux facteurs, il faudrait ajouter les difficultés d'organisation auxquelles l'Église avait à faire face : faiblesse numérique du clergé, divisions et rivalités au sein de l'Église, etc. Diverses mesures sont prises par Mgr Bourget pour remédier à ces difficultés intérieures et l'on peut voir le journal comme l'un de ces moyens d'action. On peut lui attribuer la même fonction que le journal confère à l'organisation subséquente de conférences ecclésiastiques, celle de créer l'unité au sein du clergé.

« Par l'établissement de ces conférences, le clergé du diocèse de Montréal donne une nouvelle preuve du bon esprit qui l'anime ... En effet qu'est-ce qui fait la force du clergé ? ... Sa force, comme dans tout autre corps politique vient de l'union car outre qu'elles (les conférences) resserrent les liens pré-existants de fraternité et d'affection, elles font connaître à chacun la volonté de tous et par là, elles donnent lieu à un concert d'opérations par lequel sont emportés d'emblée, tous les obstacles, que des attaques partielles n'auraient pas surmontés. » [3]

Au cours de ses onze années de parution, le journal eut huit éditeurs : M.-C. Prince, futur évêque de Saint-Hyacinthe (21 décembre 1840 à 1843) ; Janvier Vinet (novembre 1843) ; J.-M. Bélanger, A.-T. Lagarde (février 1846) ; J.-M. Bélanger (juin 1846) ; Hector-L. Langevin, un laïc (septembre 1847) ; Jos. Larocque, plus tard coadjuteur de Mgr Bourget (juillet 1849) ; F.-X. Derome (septembre 1851 à 1852).

Dans le prospectus de 1840, le journal est présenté comme un moyen d'action donné par la Providence. Le but du journal est peu précis : on y parle d'enseigner, de diriger l'action du peuple.

« Notre plan le voici : nous ferons de la religion la base de tous nos enseignements ; nous nous attacherons principalement à éclairer le peuple sur ses devoirs, nous l'aiderons volontiers de nos conseils. En général montrer à toutes les classes la route du bonheur ; encourager le bien de quelque part qu'il vienne ; censurer le mal avec l'accent de la charité. Quant à la politique, malgré l'utilité qu'elle présente, on sent que ce n'est que bien secondairement qu'elle peut entrer dans un semblable recueil ; nous nous bornerons à relater les événements principaux du jour... » [4]

Le journal avait, au début, la forme d'un feuillet de quelques pages ; en 1842, on le décore d'une vignette au dessin surchargé de symboles. L'éditeur donne des explications à ce sujet : la religion est personnifiée sous les traits d'une femme, Marie, « qui préside à toutes les opérations qui se font dans ce diocèse ».

[65]

« Elle est environnée de toutes parts d'épaisses ténèbres qui expriment les erreurs de toutes espèces dans lesquelles sont plongées toutes les nations... La tiare, la mire, la croix archiépiscopale, l'étole et les autres vêtements sacrés que vous voyez renversés à ses pieds vous font connaître que les riches ornements dont elle couvre ses pontifes ne sont faits que pour relever la gloire et la majesté de son culte... » [5]

Peu après, le format des Mélanger change et l'on annonce la transformation suivante :

« Faire un journal exclusif, c'est pour ce pays chose impossible, chose jugée. On veut dans une feuille périodique un compte rendu de ce qui fait l'objet de préoccupations habituelles de la société, on veut qu'elle puisse fournir à l'aliment des conversations, des distractions à l'esprit fatigué de l'étude ou des affaires, de l'amusement même aux gens désoeuvrés ... On veut donc qu'un journal soit l'organe de l'opinion publique en politique d'abord, en littérature, dans les arts mêmes et dans l'industrie. » [6]

Les Mélanges prennent un nouveau nom : Mélanges religieux, scientifiques, politiques et littéraires. Ils prennent la forme d'un journal à grand format. Le plus grand changement est peut-être la décision de s'occuper de politique.

« La partie politique sera confiée à un laïc ... Nous aborderons franchement les questions de politique générale et celles particulières à notre pays... Nous serons Canadiens et catholiques avant tout... Quand à la polémique religieuse nous ne la craindrons pas. Nous sommes avant tout le champion du catholicisme en ce pays et la cause sacrée de la religion nous la défendrons jusqu'à la mort. » [7]

L'année suivante, l'éditeur des Mélanges examine le résultat de ces différents changements.

« Quant à la politique, nous avons compris combien il était difficile et dangereux pour nous d'aborder cette nouvelle carrière. Non pas comme quelques personnes ont pu le prétendre, parce que la politique n'était pas de notre ressort. »

Le prêtre est éminemment qualifié pour commenter la politique, dit la suite du texte. Il est le défenseur-né de toutes les vérités.

« Nous pensons au contraire que le prêtre par cela seul qu'il est prêtre, parce qu'il doit être plus que tout autre étranger à l'ambition et à l'intérêt personnel, est appelé à connaître les faits et les événements de la société ; parce qu'il a la mission de Dieu pour les juger et les apprécier ; parce qu'il est le gardien né de la morale en tous lieux, en tous temps et que la morale est liée nécessairement aux institutions sociales ; parce qu'il a la mission d'instruire, de protéger les peuples comme les individus. » [8]

[66]

Après avoir évoqué les critiques faites aux positions politiques du journal, l'éditeur entreprend de défendre ces positions.

« Il faut à un journal une couleur, un drapeau, et quoique la politique que nous avons choisie fut plutôt une appréciation générale, un résumé universel qu'une discussion d'opinions et une polémique de partis, elle dut avoir son but et sa couleur. Ainsi avons nous été catholiques avant tout, persuadés que les intérêts généraux de notre nationalité et de notre pays reposaient sur cette base et que les autres intérêts particuliers tiraient de ce sentiment un principe de vie et de force incontestable ... C'est ainsi que nous avons embrassé la cause de la liberté et le parti populaire aussitôt que nous y avons vu des espérances fondées de justice et de prospérité future... Et tout en nous rangeant par convictions dans le parti libéral, nous n'avons pas cessé d'attendre et de demander avec lui une justice plus grande, des libertés plus vraies, un oubli du passé plus complet, une réparation plus large des torts et des erreurs dont le souvenir est vivant au coeur de tous. » [9]

Peu après la publication de cet éditorial, on mentionne les difficultés financières du journal pour en annoncer la suspension momentanée. Le mois suivant, les Mélanges religieux reparaissent avec un nouvel éditeur (janvier Vinet). Il annonce ses intentions concernant la politique.

« Car la raison et la vérité nous forcerons d'être avant tout chrétien catholique et la nature d'être canadien ...

« Il est aisé de présumer par ce que nous venons de dire quelle sera la couleur politique de notre journal ; ou plutôt on peut apercevoir qu'elle n'en aura point d'autre que d'être catholique et par conséquent protectrice de l'ordre, des lois et de la constitution. En général, elle se bornera à donner des extraits des journaux en cette matière... » [10]

Le nouvel éditeur a-t-il reçu ordre de taire ses allégeances politiques ? La nomination de D.-B. Viger, en décembre 1844, donne lieu à de grandes controverses dans les journaux. À cette occasion, les Mélanges soutiennent Viger et reprennent l'allure d'un journal politique.

« Nos lecteurs ont remarqué sans doute que depuis quelque temps, la politique tenait dans nos colonnes une place plus étendue que d'ordinaire. Il ne faut pas être surpris. La circonstance où nous nous trouvons est assez extraordinaire pour que nous nous en occupions activement. On doit se rappeler que notre journal quoique spécialement religieux est néanmoins politique et que cette matière n'y est pas étrangère... Ce n'est pas que nous faisions dépendre la religion de l'État. Nous savons qu'elle doit être libre et indépendante. Mais nous savons combien lui sont préjudiciables les luttes intestines. » [11]

Il s'ensuit un appel à l'unité de la nation contre l'esprit de parti.

En 1845, de nouvelles difficultés financières mettent en cause l'existence des Mélanges religieux. Dans une assemblée, les prêtres de Chambly et de Dorchester décident de faire une souscription pour soutenir le journal. [12] [67] Une lettre, écrite par un prêtre, fait l'histoire de la publication et affirme que les Mélanges visent avant tout à défendre les intérêts du clergé.

« La littérature, le commerce, l'agriculture, la politique, etc., ont chacun leur journal et il n'y aurait que le corps du clergé, corps si haut placé et si bien établi dans l'opinion publique, qui manquerait d'un journal pour prendre ses intérêts, interpréter ses volontés et soutenir la cause sainte dont il est le propagateur et le soutien... » [13]

Le correspondant ajoute que les opinions sont divisées concernant la politique et il affirme que le journal n'a soutenu aucun parti exclusivement. Cette lettre n'a pas le poids d'un éditorial mais révèle les difficultés que posent les prises de position politiques du journal. Les éditeurs qui sont en charge de la publication à partir de janvier 1846 réalisèrent cet idéal de neutralité (J.-M. Bélanger et A.-T. Lagarde). On se refuse également à combattre les journaux protestants. [14] Soulignons que cette période correspond à la fin du gouvernement Viger-Papineau. De l'entrée de Lafontaine au gouvernement jusqu'à sa démission, le journal soutiendra sa politique. Il conservera ensuite ses faveurs au parti libéral, désapprouvant cependant les éléments radicaux du parti.

En septembre 1847, le nouvel éditeur est un laïc (Hector-L. Langevin) et le format du journal est encore une fois modifié. Les Mélanges sont dits « oeuvre politique ».

« C'est l'encouragement du public qui nous porte à cette amélioration ; et la conviction que nous avons que ce n'est pas seulement une oeuvre religieuse que nous avons à faire mais une oeuvre politique que nous avons à maintenir, nous assure de plus fermes soutiens de cette même oeuvre, et de celui du public en général qui lui a fait un accueil si généreux. [...] Nous serons catholiques avant tout, mais non pas seulement  catholiques par conviction mais catholiques par nationalité. Les Mélanges seront encore politiques, c'est-à-dire qu'ils seront toujours prêts à prendre la défense des institutions auxquelles nous tenons si fort, de la langue qui nous maintient peuple, des lois qui sont notre plus ferme appui et, en général de tous nos droits qui ne doivent jamais se perdre. Nous accorderons justice égale à tous les partis... » [15]

Par la suite, les Mélanges prendront position sur tous les sujets politiques importants. Leurs adversaires s'attaqueront à leur droit d'en traiter. [16] En 1851, alors que l'on annonce la retraite de Lafontaine et de Baldwin, les Mélanges changent une fois de plus d'éditeurs.

Un incendie mit fin à la publication des Mélanges. Mgr Bourget soutiendra plus fard une autre publication, le Nouveau Monde.

Nous n'avons pas étudié les idées politiques du journal et c'est la principale lacune de notre recherche. Nous avons plutôt abordé les questions [68] suivantes qui nous apparaissaient liées de près à la vie sociale et religieuse de l'époque : le mouvement de tempérance, l'éducation, l'émigration et la colonisation, l'agriculture.


II. Un mouvement national et religieux :
la tempérance


Les premiers volumes des Mélanger religieux font une large part à tout ce qui concerne les retraites prêchées par Mgr de Nancy et continuées par les Oblats, retraites qui constituent une première phase d'animation dans la réorganisation de l'Église du Bas-Canada au milieu du XIXe siècle. [17] Ces « missions » se confondent en partie avec le mouvement de tempérance qui deviendra très important dans l'action de l'Église. Avant les retraites, quelques prêtres s'étaient faits les promoteurs de ce genre d'association et, dès 1841, Chiniquy profite du passage de Mgr de Nancy à Québec pour inaugurer une colonne de tempérance dans sa paroisse de Beauport. [18] Le rôle de premier plan joué par Chiniquy dans les croisades de tempérance est étudie en détail dans le livre de Marcel Trudel. [19] Aussi nous nous y attarderons peu ; rappelons seulement que les Mélanges feront leur large part dans la création du personnage Chiniquy. Nous essaierons plutôt de montrer, comment, à travers les Mélanges religieux, on assiste à une tentative qui vise à transformer ces associations de tempérance en mouvement religieux et national.

Les comptes rendus concernant les sociétés de tempérance occupent une large place dans les Mélanges. Le 11 février 1842, le journal publie un mandement de Mgr Bourget pour « l'établissement des sociétés de tempérance et de charité ». [20] Le texte insiste sur l'uniformité d'action qui résultera de ce mouvement.

« Qu'on se le rappelle toujours bien, l'uniformité de conduite et l'union, c'est là toute notre force. »

On présente l'union et l'uniformité comme deux armes et le passage qui suit viendrait appuyer l'hypothèse que l'Église, à cette époque, transpose sur le plan spirituel les luttes sociales et politiques à l'échec desquelles elle a participé en 1837-38.

« Or ces deux armes n'ont jamais été plus nécessaires que dans le grand combat qui s'engage aujourd'hui surtout contre l'intempérance : car c'est vers ce point que nous désirons surtout attirer l'attention de nos lecteurs. C'est un ennemi cruel et dévastateur, un ennemi qui nous a courbé sous un joug de fer pendant 200 ans, qui a régné en maître et en souverain [69] dans nos villes et nos campagnes, qui a porté dam nos âmes le poignard de la mort et la ruine dans nos fortunes ... Aujourd'hui, donc, il devient pour nous de la plus haute importance de réunir toutes nos forces contre cet ennemi commun. Aujourd'hui, il faut de toutes parts sonner l'appel et refaire marcher à rangs serrés contre les intempérants les aides et les suppôts de notre ennemi... et que les Mots UNION UNIFORMITÉ soient le motto de notre bannière. » [21]

Mgr Bourget, le jour de Pâques de la même année, fait un sermon sur la tempérance : 250 hommes sont reçus membres de la Société de tempérance totale dont le vicaire général, M. Hudon, devient le directeur. [22] Le dimanche suivant, la Société de tempérance totale se réunit et résout à l'unanimité de demander « l'autorisation d'honorer saint Jean-Baptiste comme patron de l'association ». Les Mélanges publient cette requête ainsi que la réponse de l'évêque, précédées du commentaire suivant :

« Cette démarche de nos concitoyens, en même temps qu'elle nous révèle le bon esprit qui les anime, nous a paru hautement significative. En effet, la fête nationale du Canada, qui, comme toutes les fêtes nationales a pu être souvent l'occasion de beaucoup d'excès, semble destinée à devenir une fête qui, non seulement attestera le progrès moral et la sobriété de nos compatriotes, mais prouvera en même temps la noblesse de leur caractère. » [23]

Pour sanctionner davantage cette union du patron national et de la tempérance, Mgr Bourget annonce que le pape, « qui se fait gloire d'être le chef de la tempérance, comme il est chef de l'Église », accorde une indulgence plénière le jour de la Saint-Jean-Baptiste à tous ceux qui feraient partie de la tempérance totale. [24]

En choisissant ce patron, « cet homme dont le nom Jean-Baptiste semble identifié avec Canadien », [25] on semble vouloir accentuer le caractère national de la société de tempérance, tandis que l'indulgence et la référence au pape en marquent le caractère religieux.

Au cours d'une mission à Saint-Eustache, on érige un monument à la tempérance sur la place publique. Ici, on s'approprie un nouvel emblème national.

« La procession des quatre compagnies, au nombre de mille cinq cent personnes, portant l'insigne national, la feuille d'érable... » [26]

La société de tempérance fait bientôt frapper une médaille dont les Mélanges font la description suivante :

« ... de la grosseur d'une piastre du Mexique ... sur la face, on voit un Saint-Jean-Baptiste debout, tenant à la main la croix au sommet de laquelle se détache une banderole [70] portant le mot tempérance. Au dessus est le castor et la feuille d'érable, emblèmes nationaux ; et tout autour de la face on lit : Il ne boira ni vin ni liqueur enivrante. Sur l'exergue, est Jésus en croix, la mère des douleurs debout, au pied de la croix d'un côté, et de l'autre, le soldat qui présente l'éponge imprégnée de fiel et de vinaigre... »

Dans le même article, l'éditeur suggère à ses compatriotes « une pensée à la fois religieuse et patriotique », dont la teneur ne laisse pas de doute sur l'intention de faire des sociétés de tempérance une société nationale réunissant tous les Canadiens français.

« On sait que Saint-Jean-Baptiste est le patron adopté par la société de tempérance canadienne de Montréal ; le jour de la solennité les associés peuvent gagner une indulgence plénière. Ce saint est aussi le patron national du Canada. Ne serait-il pas possible de s'entendre à ce moment, pour faire dans toutes les paroisses de la fête de la tempérance et de la fête nationale, une seule et même fête, sans distinction d'engagements, sous une seule et même bannière. 

On fait des suggestions pratiques concernant les manifestations.

« La tempérance est établie à peu près partout ; les associés pourraient se procurer à l'aide de souscriptions volontaires, une bannière portant l'image de saint Jean-Baptiste, ornée des emblèmes nationaux ; et chacun d'eux porterait la médaille surmontée d'une boucle de ruban bleu à la boutonnière, avec une feuille d'érable... » [27]

Il semble que cette adoption des symboles nationaux et la suggestion de célébrer ensemble la nation et la tempérance donne lieu à une réorganisation de la société Saint-Jean-Baptiste. Le 9 juin 1843, on trouve dans les Mélanges un extrait de la Minerve annonçant une réunion pour réorganiser l'association de la Saint-Jean-Baptiste. [28] Cette société, fondée par Ludger Duvernay en 1834, végétait depuis quelques années. Le 13 juin, les Mélanges reproduisent l'extrait suivant de l'Aurore :

« Enfin, le 9, grâce aux soins et peines que se sont donnés quelques-uns de nos concitoyens, entre lesquels nous devons distinguer M. L. Duvernay, le fondateur de l'ancienne association, on a pu dans une assemblée d'un bon nombre de citoyens réunis au marché Sainte-Anne, organiser la société Saint-Jean-Baptiste dont on a nommé le vénérable D.-B. Viger le président... » [29]

Le 24 juin, la fête est célébrée par les deux sociétés. Le récit des Mé1anges décrit les associés de la tempérance qui partent de la cathédrale et se rendent en procession à l'église paroissiale ou les attendent les membres de la Société canadienne. Le directeur de la société de tempérance chante la messe. Le prédicateur « insinue ingénieusement qu'en célébrant le retour de la fête nationale, il serait à désirer que le nom national aussi de Ville-Marie que portait autrefois cette ville, et qui avait été donné par nos pères, [71] lui fui rendu ». Un régiment écossais joue des airs nationaux pendant la messe. Après la messe, la Société canadienne, avec sa musique et sa bannière, va reconduire les associés de la tempérance.

« Tous les associés étrangers à la société de tempérance défilèrent alors au milieu des rangs de l'autre société qui s'ouvrirent à cet effet, et s'étant découverts en passant devant leur bannière, ils allèrent prier un moment dans la cathédrale. De retour sur la place trois hourras furent poussés par cette foule émue, et tous les rangs se brisèrent et se confondirent, pour ne plus offrir aux yeux des nombreux spectateurs que des amis et des frères unis dans un même sentiment d'amour et de nationalité ; réalisant ainsi la devise de leur drapeau : l'union fait la force. »

À la suite de cette description, l'éditeur des Mélanges écrit que les citoyens ont compris 1es devoirs qu'impliquait leur nom de Canadien et qu'ils ont placé leur fête nationale sous les auspices de la religion « car le catholicisme est le premier élément de notre nationalité ». [30]

En plus de contribuer à l'organisation de ces fêtes les Mélanges en font la chronique et en tirent la signification.

« C'est ainsi que nous entendons la nationalité canadienne : la religion, le catholicisme d'abord, puis la patrie ... le Canada sans le catholicisme, c'est un drapeau sans couleur. Notre religion c'est notre première distinction nationale, en même temps qu'elle est la base de nos institutions. C'est parce que nous sommes catholiques que nous sommes une nation dans ce coin de l'Amérique, que nous attirons les regards de toutes les autres contrées, l'intérêt et la sympathie de tous les peuples ... C'est parce que nous sommes catholiques que nous sommes quelque chose dans ce pays. Voilà pourquoi les ennemis de notre nationalité ont été invariablement les ennemis de notre religion, non seulement par fanatisme, par intolérance religieuse, mais par raisonnement, par principe politique... Ce ne sont pas des frontières, ni même des lois et des administrations politiques et civiles qui font une nationalité, c'est une religion, une langue, un caractère national en un mot. » [31]

Nous avons ici un thème important de l'idéologie des Mélanges, le lien du religieux et du national. Au fil des événements et de l'action à entreprendre, il sera repris et parfois reformulé tout en restant essentiellement le même. [32]


III. L'éducation

Si l'état des croyances religieuses en 1840 inquiétait les évêques et les amena à trouver des moyens d'action aptes à susciter un réveil de la foi, l'organisation de l'Église souffrait elle aussi de grandes faiblesses : disproportion entre le petit nombre de clercs et l'immensité du territoire à desservir [33], [72] pauvreté de la formation théologique du clergé, difficultés concernant le recrutement et la formation des prêtres ainsi que la nomination de nouveaux évêques. À cela s'ajoutaient les conflits suscités par l'érection de nouvelles paroisses et la création de diocèses autonomes. Ce problème d'ordre légal était en partie réglé lors de la nomination de Mgr Bourget à Montréal. Celui-ci entreprit de suppléer aux déficiences numériques et qualitatives du clergé afin de permettre à l'Église de conserver le contrôle dans les domaines de l'éducation et de la bienfaisance. Ce domaine des hôpitaux et des asiles lui fut peu conteste et ne donna pas lieu à des controverses. L'éducation par contre mit l'Église en conflit avec d'autres groupes.

Les Mélanges, dès leur début, consacrent des articles reliés directement ou indirectement à des fondations de communautés ou d'institutions religieuses. Le journal publie quelques articles concernant le voyage de Mgr Bourget en Europe et son intention d'en ramener des communautés. D'autres articles cherchent à établir les traditions de l'Église dans l'éducation et le soin des malades et présentent des modèles d'institutions en d'autres pays ainsi que des portraits de fondateurs.

En ce qui concerne l'attitude de l'Église vis-à-vis l'éducation primaire, avant 1840, nous référons le lecteur à l'article de Fernand Ouellet. [34] Jusqu'au début du XIXe siècle, l'Église, tout en considérant l'éducation comme relevant de son domaine exclusif, ne s'occupa presqu'exclusivement que de l'enseignement secondaire et collégial, formant les prêtres et les membres des professions libérales.

L'introduction du système parlementaire et la diffusion de l'idéologie libérale feront prendre conscience de l'importance de l'éducation pour une population en bonne partie illettrée. Trois groupes tenteront de traduire leurs idées et leurs intérêts dans un système scolaire. En 1801, c'est l'État qui, par la loi de l'Institution royale, tente d'organiser l'enseignement primaire. Ce système reçut surtout l'appui de la population anglaise. En 1829, la nouvelle bourgeoisie canadienne-française inscrit ses idées nationalistes dans la loi des Écoles d'assemblées. Ces écoles entrent en concurrence avec les écoles royales ainsi qu'avec les écoles de fabriques ; ces dernières, mises sur pied par l'Église en quelques endroits, avaient été réalisées en 1824 par la loi dite « des écoles de fabriques ».

L'initiative de l'État et des laïcs dans l'enseignement primaire fut perçue par l'Église comme un danger pour la foi et les moeurs ; elle décida donc d'y intervenir à son tour. L'avènement de Mgr Lartigue au siège de Montréal marque le changement d'attitude de l'Église à l'égard de l'instruction primaire. Des efforts d'organisation seront entrepris mais demeureront très partiels. Ainsi en 1837, Mgr Lartigue fait venir quelques Frères des Écoles chrétiennes. En 1839, il publie un mandement qui laisse voir sa [73] volonté d'organiser l'enseignement primaire par des religieux. Cette action, poursuivie par Mgr Bourget, trouve maints échos dans les Mélanges religieux.

De 1836 à 1841, les organisations scolaires périclitèrent, en l'absence de toute législation. Entre-temps, le rapport Buller (1838-1839) suscite une vive opposition de la part du clergé catholique. Les évêques multiplient les démarches pour faire rejeter ce projet. De la même façon, après l'Union, nous les voyons intervenir pour faire modifier la législation scolaire dont la première ébauche est votée en 1841.

Les Mélanges religieux ne constituent qu'une documentation partielle et partiale sur l'action du clergé concernant toute la législation scolaire présentée ou votée au cours des douze années de leur publication. Nous nous limiterons ici à présenter la position des Mélanges sur les droits de l'Église en éducation, à l'occasion du projet de loi de 1841. Nous indiquerons aussi quelques interventions des Mélanges dans la période qui suit. En second lieu, nous examinerons l'image de l'instituteur idéal présentée par les Mélanges. Enfin, nous verrons comment le journal définit l'éducation primaire.

a) Droits de l'Église en éducation

Les Mélanges religieux présentent une analyse critique du projet de loi de 1841, au moment où le bill est soumis à la législature. Ce bill confiait l'administration locale des écoles à des commissaires élus. Un Surintendant général, dépendant du gouvernement, mais non responsable « était chargé de répartir les fonds de l'État, affectés à l'éducation, entre les districts scolaires. Il était de plus chargé de la création d'un bureau d'examinateurs, ayant pour fonction l'examen des instituteurs, le choix des manuels, l'organisation de la visite des écoles et le règlement de tout litige dans ce domaine ». Les écoles seraient financées, à la fois par des contributions prélevées par les commissaires et par les fonds du gouvernement dont l'une des sources était constituée par les biens des Jésuites.

Dans un article du 13 août 1841, les Mélanges religieux s'en prennent au pouvoir du surintendant.

« La pensée-mère de ce projet est de concentrer dans les mains d'un seul homme (qui peut être un étranger aux canadiens, étranger à leur religion) tous les pouvoirs nécessaires pour former à son goût la jeunesse du pays. » [35]

Un peu plus loin, l'auteur défend le droit de propriété du clergé sur les biens des Jésuites.

« Encore si une telle commission fonctionnait avec son propre argent ; mais pas du tout ; c'est avec l'argent d'autrui. Bien pis, c'est avec l'argent pris au dépôt sacré, confié dès l'origine à l'Église catholique de ce pays. »

[74]

De ce droit de propriété, on passe au droit des évêques d'administrer le système scolaire.

« C'est l'héritage de l'Église que l'on distribue à qui l'on veut, à des ennemis peut-être... Les évêques ont pourtant réclamé la jouissance de leurs droits encore en 1838, dans une pétition adressée au puissant lord Durham, qui avait promis d'y porter sa scrupuleuse attention. Mais ... on veut passer l'éponge sur les pouvoirs salutaires que l'Église tient de son divin fondateur, CEUX DE SURVEILLER L'ÉDUCATION DE SES ENFANTS ET D'ADMINISTRER LES BIENS QUI LUI SONT CONFIÉS. »

Le même article ajoute que les évêques sont tenus de surveiller la conduite des enfants dont ils sont les pères spirituels. Cette partie de l'argumentation, liant éducation et morale reviendra dans presque tous les articles sur l'éducation. Enfin on mentionne la possibilité que les évêques refusent leur participation au système scolaire tel que défini par le projet de loi. Le même numéro du journal contient la lettre des évêques à la législature pour faire abroger le bill ainsi qu'une lettre établissant les traditions de l'Église dans l'enseignement classique et la nécessité d'y appliquer les ressources financières constituées par les biens des Jésuites.

Le 20 août 1841, le journal publie la lettre de l'Évêque de Québec, qui s'en prend à la non-confessionnalité du système, au pouvoir du surintendant et à l'usage des biens des Jésuites. Ici encore, on affirme que l'éducation ne saurait être profitable à la société que si elle est basée sur la religion. [36] Les Mélanges commentent cette lettre : L'Église est une institution qui doit protéger son existence.

« Voilà donc que l'épiscopat canadien tout entier sans la moindre dissidence de vues, a fait entendre sa noble protestation devant le pays. On doit en tenir compte et cela d'autant plus que ce n'est pas au nom d'un individu que la vérité et la justice réclament leurs droits par cet organe, mais au nom d'un corps légalement établi, canoniquement constitué ; en un mot au nom d'une église qui a ses titres, ses garanties, son passé, son avenir et qui doit par conséquent protéger son existence. » [37]

En plus de ces textes commentant directement le projet de loi une série d'articles sur l'instruction catholique commence dans le même numéro. [38] Les deux premiers articles évoquent les traditions de l'Église dans l'enseignement classique ; mais pour retrouver une tradition dans l'enseignement primaire, il faut remonter aux origines de la colonie. On évoque également les frères des écoles chrétiennes arrivés de France en 1837. Enfin on ajoute que, pour le peuple canadien, l'enseignement religieux a remplacé l'enseignement profane.

« Il est vrai que cette province n'a pas souffert de cette privation... Parce que le bon sens et la probité native du peuple canadien y suppléaient ; parce que l'enseignement [75] religieux surtout remplaçait pour lui, en grande partie, l'enseignement profane... Voilà ce qui a fait du peuple canadien d'abord un peuple si moral ; puis par une conséquence nécessaire un peuple réfléchi, intelligent, soigneux de tous ses intérêts. » [39]

Les réclamations du clergé aboutirent à une modification du projet de loi. Entre autres choses, on décida de constituer deux bureaux d'examinateurs distincts, l'un catholique et l'autre protestant. Les Mélanges regrettent que l'on n'ait pas remis les biens des Jésuites à l'Église et que la loi ne fasse pas mention du clergé catholique [40]. Les élections des commissaires d'écoles en 1842 seront l'occasion de tenter d'inscrire dans les faits les droits de l'Église dans l'éducation, ignorés par le projet de loi de 1841.

Le journal du 7 janvier 1842, reproduit l'annonce suivante extraite du Canadien.

« C'est lundi prochain (10) que doit se faire le choix des commissaires, en même temps que celui des officiers municipaux. Nous espérons que MM. les curés et leurs vicaires se montreront partout disposés à accepter la charge des Commissaires des Écoles dans leurs paroisses respectives ; car nous ne doutons nullement de la disposition des habitants à jeter d'abord les yeux sur leurs Pasteurs spirituels comme les premières personnes à nommer pour avoir la direction des écoles paroissiales. » [41]

Dans le feuilleton suivant on trouve :

« Nous n'avons encore des renseignements sur les élections des commissaires d'écoles que d'une seule place, la paroisse de St-Hyacinthe. Il paraît que ces élections y ont été très favorables. On y a élu entre autres le curé de la paroisse, le directeur du collège et le seigneur du lieu. De nouveaux rapports que nous avons reçus depuis, d'une dizaine de paroisses, nous présentent ces élections également avantageuses, et partout on y a fait le choix de MM. les curés. » [42]

Le mois suivant, les Mélanges reproduisent un article du Canadien qui discute d'une objection soulevée par l'Aurore des Canadas, concernant l'élection des curés : « Les ministres de la religion sont par état les premiers gardiens de la morale, et la morale, on ne le niera pas, est la partie principale de l'éducation du peuple, et partout elle doit être le fondement. » [43]

Une modification de la loi institua plus tard le curé commissaire de droit, ce qui était reconnaître officiellement le pouvoir de l'Église au niveau local. Dans le projet de loi de 1845, ce poste devient sujet à élection. La loi dans l'ensemble subit la critique des Mélanges.

« Comme il n'y est pourvu en aucune manière aux moyens de garantir à l'autorité ecclésiastique, la surveillance de l'instruction religieuse et morale, qui est, comme nous l'avons démontré, tellement essentielle à l'éducation élémentaire que celle-ci ne peut [76] exister sans l'autre... Le clergé ne peut donc lui prêter son action, qu'en autant que le bon sens public lui assurera la somme d'autorité et de surveillance que lui refuse la loi et du moins qu'elle s'obstine à ne pas vouloir lui reconnaître. Comme d'un côté, nous sommes persuadés que dans le plus grand nombre de paroisses, le bill rencontrera beaucoup d'opposition et sera difficilement mis à exécution si le curé fait lui-même la plus grande partie des démarches et de la besogne, et que d'un autre côté, la coopération du curé ne peut être que mesurée et accidentelle, il est bien aisé de comprendre que le bill, au lieu de hâter le progrès de l'éducation, pourrait bien avoir un effet tout contraire, ou du moins le paralyser... » [44]

Un autre texte publié deux mois plus tôt, formule plus explicitement une menace de non-participation au système, menace que nous trouvions déjà en 1841.

« L'Église doit donc réclamer, où la chose est possible, l'enseignement et la surveillance de la religion dans les écoles, avec la détermination bien arrêtée de travailler à l'éducation du peuple, en dehors du gouvernement si ce dernier lui refuse cet enseignement et cette surveillance dans les écoles. » [45]

Ces textes sont importants si l'on tient compte de l'intensification de « la guerre des éteignoirs » au cours de cette période et des différentes modifications de la loi sur l'éducation. Mgr Bourget finira par publier un mandement contre les éteignoirs en 1850 ; mais seule une étude détaillée nous permettrait de voir jusqu'où les conflits entre l'Église et les législateurs ont suscité ou accéléré l'opposition populaire et quel fut le rôle du clergé à différents échelons de la hiérarchie.

Il est évident que l'Église utilisa son pouvoir pour faire modifier les lois successives. En 1850, un projet de loi rétablit un système de contributions volontaires ; mais le projet semble accroître le pouvoir du gouverneur et du surintendant sur des points tels que la nomination des commissaires et la détermination du nombre d'écoles. L'influence du pouvoir religieux en serait d'autant diminuée. Soixante et onze prêtres, réunis à l'évêché examinent le projet de loi et disent qu'ils n'ont pas demande le rappel de la loi actuelle. Le 6 août, on annonce que le bill a été retiré ; victoire que les Mélanges attribuent aux nombreuses réclamations de la presse.

b) L'instituteur idéal

Si les Mélanges réclament la surveillance du système d'éducation par le clergé, ils prônent également l'enseignement par des religieux. Ce dernier point faisait partie du plan de Mgr Lartigue concernant l'éducation primaire mais nous avons déjà mentionné que l'Église n'avait pas les effectifs nécessaires pour le réaliser à cette époque. [46] La période de 1830 à 1900 voit [77] une augmentation rapide des ordinations [47] et, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les enseignants laïcs sont peu à peu supplantés par les enseignants religieux. [48]

Il existe dans les Mélanges, surtout à leurs débuts, plusieurs articles commentant les arrivées et fondations de communautés enseignantes.

« Inutile d'observer que les instituteurs qu'ils voudraient nous procurer, auront toujours un avantage infiniment supérieur sur tous les autres. On fait toujours bien une chose que l'on fait par goût et par choix ; une chose qui est censée devoir être notre seule et unique occupation, à laquelle on a voué sa vie et son existence et dont le succès constitue son véritable bonheur... » [49]

Mgr Bourget, dans un mandement, exprime le souhait de voir s'élever dans chaque paroisse une maison de frères et une maison de soeurs. [50] En 1848, un article signale que les vocations dans les couvents sont plus nombreuses que jamais. [51] Mais examinons les textes plus directement idéologiques.

En 1843, le surintendant fait publier une circulaire dans laquelle il soulève la question du salaire de l'instituteur et insiste sur la nécessité de le bien payer pour qu'il fasse vivre sa famille. Le journal commente :

« Si nous avions quelques suggestions à faire ce serait celle de procurer au pays comme instituteurs des hommes voués par état à ce genre d'occupation... En effet, pour peu qu'on veuille faire attention, l'homme le moins clairvoyant ne peut s'empêcher de voir la supériorité des écoles tenues par les frères des écoles chrétiennes... » [52]

Le premier argument invoqué est l'économie, le second la compétence et enfin, l'article parle plus loin de la morale. La moralité est également le critère majeur pour la sélection des instituteurs laïcs.

« L'instituteur officiel doit être l'homme de confiance des familles qu'il remplace auprès des enfants, du ministre du culte dont il devient l'aide pour ce qui concerne la morale et l'instruction religieuse, de l'autorité civile pour ce qui forme le domaine de celle-ci ...

« Cependant, il n'est pas requis pour être instituteur de sortir d'une école normale ou même d'avoir assisté à des leçons de pédagogie dans les grandes écoles primaires ; il suffit en général de passer les examens obligatoires ; et d'être un homme de caractère irréprochable, pénétré de sentiments religieux et comprenant les devoirs de la fonction qu'il veut remplir. » [53]

[78]

Cet article est écrit peu avant l'annonce de la formation d'une association d'instituteurs à Québec. [54] Au moment même où un rapport du surintendant soulignait que nos instituteurs étaient misérablement rétribués, [55] le chroniqueur des Mélanges compare leurs salaires avec ceux des autres pays et conclut que les « canadiens ont montré beaucoup de zèle dans l'éducation et qu'il ne connaît aucune nation qui en ait montré autant ». [56]

Quelques années plus fard, quand le surintendant propose l'établissement d'une école normale et d'un journal pédagogique, les Mélanges écrivent :

« L'établissement d'écoles normales, la publication d'un journal d'éducation sont choses que nous approuvons mais sous les réserves et aux conditions convenables. Beaucoup de bien ou beaucoup de mal peut advenir de ces institutions selon les principes sur lesquels on les basera. Nous n'avons pas lieu de douter qu'on veuille faire des écoles normales ou d'un journal d'éducation, des pierres d'achoppement contre lesquelles viendraient se briser ces principes catholiques dont le mépris ou l'oubli a été si cruellement préjudiciable à ces sociétés d'Europe, aujourd'hui menacées dans leurs bases, par suite d'une mauvaise éducation ». [57]



c) Définition de l'éducation primaire

L'image de l'instituteur idéal où la moralité et l'économie l'emportent sur la compétence, nous conduit à une question fondamentale : l'Église voulait-elle vraiment l'instruction du peuple ? Il n'est pas facile de cerner la conception que le journal se fait de l'instruction primaire ; définie de plus en plus comme nécessaire, elle constituerait cependant un risque pour la foi. Seule l'éducation religieuse permettrait d'éviter ce danger.

« Nous sommes très disposés à féliciter le Docteur Meilleur de son zèle à favoriser l'éducation dans cette province et nous sommes parfaitement convaincus de la droiture et de la pureté de ses intentions. Cependant nous ne pouvons partager en principe l'opinion que lui prête la Gazette de Sherbrooke qu'on ne doit pas parler de religion dans les écoles des localités où se trouve une population de croyances religieuses divergentes. Nous ne comprenons pas l'éducation sans religion et conséquemment sans morale et nous ne voyons pas ce qui pourraient suppléer à son enseignement dans les écoles... » [58]

Vannée suivante, les Mélanges rapportent un discours prononcé par le même surintendant au cours d'une « mission ».

« ... il leur dit... qu'il aimait à considérer la religion et l'éducation comme deux soeurs qui se tenaient par la main, pour mieux se soutenir, qu'ils ne pourraient conserver leur nationalité qu'à l'aide de la religion de leur père et de l'éducation qu'ils donneraient à leurs enfants. » [59]

[79]

En 1843, Les Mélanges font campagne pour l'organisation de bibliothèques paroissiales. Après avoir évoqué un âge d'or où les gens vivaient dans l'insouciance du lendemain, l'article énumère les maux « qui sont venus depuis s'abattre sur notre chère patrie ».

« Cependant, tout n'est pas perdu, Dieu nous a donné d'autres biens pour nous consoler de la perte des autres... Or à aucune période de notre histoire, l'instruction ne fut plus populaire, indispensable... Nous avons besoin de connaître et d'étudier notre religion, nos lois, notre droit civil et politique, notre histoire, notre langue, les événements, les faits, les découvertes, les inventions et les progrès de l'industrie, les améliorations et les réformes dans l'exploitation des terres, dans les modes d'agriculture, etc., parce que dans tout cela notre bien-être moral et matériel, notre existence comme peuple, notre vie entière est souverainement intéressée... Propager l'instruction et l'amour de la lecture jusque dans les campagnes les plus reculées, voilà ce que nous proposons... »  [60]

Suit une liste de recommandations pour la constitution de bibliothèques par le curé de chaque paroisse, « gardien par état des moeurs et de la science ». Dans ce texte l'éducation est présentée comme un rempart de la religion : « Le clergé commence à voir assez généralement que l'éducation industrielle d'un peuple est le salut de la religion ou de l'établissement religieux dans le Canada... » [61]

La propagande en faveur de cette « oeuvre des bons livres »n'est cependant pas un simple soutien de l'instruction. Elle s'accompagne d'une croisade contre les livres « pernicieux », en particulier le roman. [62]

En janvier 1844, on trouve dans les Mélanges, un article où l'instruction populaire est comparée à la religion de la façon suivante :

« On sait que l'instruction, bien loin de calmer les appétits naturels et d'étancher cette soif de bonheur qui tourmente le genre humain ne fait que l'augmenter... D'un autre côté, l'instruction populaire ne fera jamais le miracle d'établir une certaine égalité dans les fortunes, pas plus que d'élever le plus grand nombre des intelligences au même niveau ... (l'auteur ajoute qu'il y aura toujours des maîtres) nous sommes persuadés que c'est la religion seule et non l'instruction populaire qui peut tempérer ce mal nécessaire et inévitable ... Le moyen d'améliorer le sort du peuple ne consiste pas précisément à l'instruire, mais à rendre ses maîtres compatissants, charitables et humains. Tant que la religion ne sera pas à la base de l'instruction et des moeurs publiques, nous croyons que nous serons longtemps sans pouvoir nous écrier véritablement : maintenant le peuple est libre, il est heureux. » [63]

Ici l'instruction est vue d'une façon négative même si l'on évoque une instruction dont la base serait la religion. Un autre article du même genre est publie en mars 1845, intitulé : L'instruction seule engendre le crime. [64] [80] Enfin, en 1847, l'on voit réapparaître en son entier la thèse que l'éducation ne convient pas aux classes pauvres.

« ... l'éducation en général, nous disons en général parce que nous acceptons des exceptions honorables, ne convient pas à cette classe ; elle peut souvent lui nuire et encore bien davantage à la société, car c'est ordinairement de cette classe que sortent les demi-savants, les demi-docteurs qui troublent le repos des familles et qui résistent à l'autorité tant civile qu'ecclésiastique. Sans être éteignoirs de l'éducation ni du bon sens, nous pensons que l'éducation religieuse suffit à ces sortes de gens ; une éducation plus relevée ne servirait qu'à leur inspirer de l'orgueil et de la vanité et à vouloir les faire sortir de l'état que la Providence leur a assigné ; l'éducation religieuse est la seule qui puisse leur faire supporter avec patience et même avec joie les peines attachées à leurs travaux ; cette éducation leur convient et leur suffit, aussi tant que l'Église subsistera, elle ne leur manquera pas. » [65]

Ce n'est donc pas sans quelques réticences que ce journal favorise l'éducation populaire ; celle-ci est toujours mise en relation avec la formation morale, et la nécessité des connaissances profanes n'est pas affirmée d'une façon constante.


IV. La colonisation
et l'émigration

La période correspondant à la parution des Mélanges religieux vit un accroissement de l'émigration aux États-Unis ainsi que l'apparition de sociétés de colonisation. Fernand Ouellet a étudié les relations entre cette émigration et la situation économique, démographique et sociale d'alors. [66] Il semble que l'émigration, qui se poursuit tout au long du XIXe siècle, remonte aux années 1820 et prend racine dans un déséquilibre entre l'accroissement de la population et une situation agricole défavorable : l'épuisement des sols par la pratique de techniques routinières, le morcellement des terres, une politique restrictive des seigneurs dans la concession de terres nouvelles, l'arrivée massive d'immigrants britanniques, tout cela rendait de plus en plus problématique l'établissement des jeunes à l'intérieur des seigneuries déjà surpeuplées. L'industrie forestière absorbait une partie des surplus de population tandis qu'une autre partie se dirigeait vers les États-Unis.

Pendant la période 1840-1850, la conjugaison de ces différents facteurs entraîne un accroissement de l'émigration aux États-Unis. Autour de ce problème s'opère l'union très brève de groupes aussi opposés que l'Église et l'Institut canadien. La solution entrevue est la colonisation.

Le thème de la colonisation commence à apparaître dans les Mélanges religieux en 1843 et devient un sujet important au cours des années 1847-48.

[81]

En 1843 quelques textes font de l'état de l'agriculture la cause de l'exode vers les États-Unis. [67] Vers la fin de l'année 1844, on trouve une critique de l'émigration aux États-Unis. Cet article a pour but d'attirer l'attention du lecteur sur une annonce de vente de terres dans le district de Roxton des Townships de l'Est.

« Il est douloureux de voir chaque année un grand nombre de jeunes canadiens, passer aux États-Unis pour y faire, on peut le dire, le pénible métier d'esclaves, tandis que le pays manque de bras pour défricher les forêts immenses qui nous environnent encore de toutes parts et qui couvrent des fonds si précieux et si fertiles... » [68]

On insiste alors sur l'importance de la colonisation et on cite l'exemple d'un curé qui a réussi à faire émigrer dans une colonie voisine le surplus de population de sa paroisse.

« Mais on comprend que les Canadiens regardent, avec raison, les secours, de la religion comme indispensables pour pouvoir se fixer dans ces nouvelles habitations, et si on les voit passer chez nos voisins pour y subir le triste état dont nous avons parlé... plutôt que d'aller s'établir presqu'au milieu des forêts, comme font les étrangers, ce n'est que dans l'espérance de pouvoir se procurer pendant cet exil les moyens de s'établir au milieu de leurs concitoyens et de n'être point privés des avantages de la religion. On sait aussi que les Canadiens ne peuvent vivre isolés et que ce n'est qu'avec la plus grande difficulté qu'ils se font aux coutumes des étrangers... » [69]

Quelques jours après cette première prise de position les Mélanges annoncent le départ de quatre Oblats pour la région du Saguenay. On voit ici la colonisation s'intégrer au schème missionnaire.

« Nous espérons qu'avec l'aide du gouvernement disposé à rendre justice aux Canadiens français... le Saguenay sera bientôt, comme le Saint-Laurent, bordé de paroisses et qu'on verra de charmantes églises qui témoigneront de la foi de nos colons. S'il n'eut été que des Jésuites, qui ont été les pionniers de la colonisation, de la civilisation dans ce pays, cela se serait vu depuis longtemps. » [70]

La colonisation, dans ce texte, est aussi associée à la conversion des « sauvages », élément important du thème des « missions ».

« Il n'y a pas de doute qu'un semblable établissement ne peut manquer de donner un grand élan à cette nouvelle colonisation qui est, dit-on, déjà si prospère et qu'il ne contribue puissamment à faire peupler les rives du Saguenay. Ce doit être aussi de la Baie des Ha Ha que les missionnaires partiront tous les printemps pour aller évangéliser les sauvages de Chicoutimi, Tadoussac, de St-Maurice, du Grand-Lac, etc. Nous ne désespérons pas de voir les lumières de la foi se communiquer de poste en poste et pénétrer ainsi jusque chez les Esquimaux eux-mêmes. » [71]

[82]

Pour freiner l'émigration aux États-Unis, les Mélanges incitent le clergé à organiser la colonisation à l'intérieur de cadres religieux.

« Nos Évêques seront sans doute disposés à procurer les secours de la religion, et MM. les Curés feraient acte de patriotisme en engageant leurs paroissiens à émigrer in globo vers les terres de la Compagnie. On nous dit que Mgr de Montréal a déjà recommandé la chose à son clergé. » [72]

On trouve ce plan d'émigration dans un article en 1847.

« Il faudrait former une société capable d'acheter quelques-uns des lots de bonnes terres, qui sont encore incultes, pour les céder à des prix aussi modiques que possible, à cette multitude de jeunes gens qui ne peuvent plus trouver de place ni d'emploi dans nos paroisses. En quittant le toit paternel, ils partiraient avec une troupe nombreuse de frères et d'amis ; ou bien ils iraient rejoindre ceux qui les auraient déjà devancés. La chapelle avec son humble clocher et sa croix si éloquente au coeur du malheureux adoucirait les rigueurs de l'exil. Un prêtre accompagnerait la petite colonie et les enfants ne seraient pas séparés de leur père. » [73]

À la fin de 1847, les Mélanges publieront une série de lettres d'un prêtre irlandais, l'abbé B. O'Reilley, missionnaire des Townships de l'Est qui, décrivant la situation des Canadiens aux États-Unis et dans les townships, réclame l'action des évêques et du clergé : il demande une association pour freiner l'émigration aux États-Unis.

« Que cette association ait un double but : réunir tout le talent, le patriotisme et l'influence de nos citoyens en faveur des établissements qui se doivent faire en dedans des limites de la province ; ensuite que l'association dirige toute son action et son énergie à obtenir la coopération des trois branches de la législature. » [74]

O'Reilley ira défendre ses idées devant l'Institut canadien et on assistera à une brève alliance entre l'Église et l'Institut canadien en vue de la fondation de l'association. Mais avant d'aborder ce sujet, un résumé de la situation politique nous paraît nécessaire.

En 1848, devant l'anti-britannisme naissant des Canadiens anglais, causé par la nouvelle politique commerciale de l'Angleterre, Lord Elgin, afin de conserver les liens du Canada avec la métropole, décide de s'appuyer sur le nationalisme canadien-français. Il seconde officiellement le mouvement de colonisation organisé par « le clergé, la puissante influence du Bas-Canada ». [75] Il entend du même coup enlever des mains de Papineau un instrument d'agitation. Papineau, disait-il, s'était saisi de cette association « comme moyen de se donner de l'importance aux yeux de ses compatriotes et d'assouvir sa passion du pouvoir en insultant l'Angleterre. » [76]

[83]

Le 16 mars 1848, Bernard O'Reilley, missionnaire de Sherbrooke, est invité à prononcer une conférence à l'Institut canadien sur un thème qu'il a déjà traité dans les journaux. Cette conférence est reproduite dans les Mélanges religieux. L'association à fonder est « une oeuvre nationale, une autre mission ».

« Elle réparera, autant du moins que cela est possible, la longue injustice de plus d'un demi-siècle. Elle prouvera par l'établissement des colonies qui se doivent former sous des auspices que les hommes qui ont morcelé, aliéné, vendu les terres incultes de la province pour qu'elles ne tombassent point entre les mains des Canadiens français, étaient non seulement les ennemis invétérés du sang français, mais les plus grands ennemis de tout le Canada. » [77]

Si l'association est présentée comme l'oeuvre de l'Institut, sa réalisation s'appuie également et surtout sur le clergé et la paroisse.

« Vous me demanderez maintenant comment nous nous proposons de mettre notre plan en opération. D'abord le clergé de toutes les paroisses se mettant à la tête du mouvement chez eux, recommandant notre oeuvre, et formant des comités locaux qui devront se mettre en rapport avec le comité de régie, nul doute que l'on obtiendra que toutes les familles canadiennes du pays se joignent à l'association. »

Enfin, un dernier aspect du discours digne d'être souligné concerne l'avenir de la colonisation.

« Je ne crois pas trop espérer de vos efforts, en disant qu'avant 25 ans vous verrez la plus grande partie de cette vaste lisière des Townships jusqu'à la Beauce, se remplir d'une vaste population dont l'industrie exploitera les richesses minérales et les ressources manufacturières qui abondent sur chaque lieue carrée. Vous verrez plus de vingt-cinq paroisses nouvelles, où la croix du clocher veillera sur la jeune colonie ; où dans des écoles nombreuses, on enseignera la langue de France, où des mains canadiennes dirigeront des moulins, des factoreries, les ateliers, au lieu de se mettre à la merci des étrangers dans les États voisins. » [78]

Le 5 avril, une assemblée se tint au marché Bonsecours, où fut fondée l'association dite Établissements des « Townships ». Mgr Bourget, Papineau et O'Reilley y prononcèrent des discours ; le premier fut élu président et le second vice-président de l'association. Les Mélanges donnent le compte rendu des résolutions adoptées tout en soulignant que l'assemblée de cinq à six mille personnes n'a fait qu'applaudir les résolutions sans en comprendre le contenu. [79]

L'on apprend que Mgr Bourget et O'Reilley ont parlé de l'association qualifiant cette oeuvre d'oeuvre catholique ; celui qui en sera membre

« rendra non seulement un service à la patrie en conservant dans son sein des enfants industrieux, capables de lui faire honneur et de développer ses ressources de toutes sortes ; [84] mais encore il rendra un grand service à sa religion, en retenant au pays des milliers de ses membres, qui s'en vont aux États-Unis y perdre le plus précieux des biens, la foi catholique ; il lui rendra un service, car en conservant au Canada une population religieuse, il contribuera à étendre la connaissance de la religion catholique, à augmenter les membres de cette religion, et à lui ménager un plus grand nombre de ses défenseurs. » [80]

La scission entre les deux groupes que O'Reilley avait cru pouvoir rallier autour d'un objectif « national » s'accentue entre la première assemblée du 5 avril et celle qui aura lieu le 14 juillet 1848. Nous pouvons saisir certains aspects de cette lutte dans les numéros des Mélanges parus entre ces deux dates. Cette opposition s'exprime surtout dans les controverses avec l'Avenir. Les sujets sont d'abord des allusions plus ou moins voilées quant à l'assemblée de fondation du mouvement. Mais la discussion porte bientôt sur l'approbation donnée par l'Avenir à la révolution de 1848 et aux principes républicains. [81] L'Avenir réclame le rappel de l'Union auquel les Mélanges s'opposent. [82] Les Mélanges appellent l'Avenir, le journal de Papineau et s'en prennent directement au leader, rappelant les malheurs nés des troubles de 1837-38. La colonisation n'est généralement pas le sujet de ces controverses. Quelques bribes ici et la nous permettent de deviner, d'une part, que l'association officielle végète et, d'autre part, qu'une action personnelle a été entreprise par Mgr Bourget. C'est ce que nous verrons maintenant.

Une lettre aux Mélanges dit que le Journal de Québec déplore avec raison le peu d'efficacité du projet.

« Ne pourrait-on attribuer avec justice l'apathie des citoyens à l'indifférence, au manque d'activité des officiers nommés à la dernière assemblée publique ? Qu'ont fait ces messieurs depuis lors, ont-ils cherché à organiser efficacement l'association... ont-ils cherché à se mettre en rapport avec les campagnes, à y faire organiser des comités locaux ? Sont-ils entrés en pourparlers avec le gouvernement, avec les compagnies des terres ... Non, messieurs, il n'ont rien fait... » [83]

À ceci, on oppose l'action entreprise par un curé parti de Lorette avec les jeunes de sa paroisse pour les installer sur les rives fertiles du Saguenay.

« Et le même zèle pour la Propagation de la foi, pour l'extension de notre divine religion, le même amour de la patrie et de ses institutions, n'anime-t-il pas chacun de nos curés... Pourquoi ne verra-t-on pas chacun d'eux se mettre à la tête d'une petite colonie... ? Ne sont-ils pas assurés d'avance de l'approbation, de l'encouragement de nos vénérables évêques, qui n'ont pas hésité un instant à accepter la présidence de l'association... » [84]

[85]

Une lettre du 25 avril 1848, de O'Reilley à la Minerve, tout en présentant de façon optimiste l'ordre des tâches à accomplir, fait état des « retards inévitables que l'association a dû essuyer ». [85] Mais, dans l'édition des Mélanges de la même date, un petit entrefilet pourrait être très révélateur quant aux intentions du gouverneur de négocier directement avec le clergé.

« L'Évêque de Montréal, président de l'association des Établissements Canadiens des Townships, accuse, avec gratitude, la réception de 20 livres sterling courant, qu'il a plu à son Excellence de lui adresser hier, pour aider à l'oeuvre des missions, dans les nouveaux townships... » [86]

Les Mélanges, en annonçant la publication prochaine d'une circulaire préparée par l'association, ajoute le commentaire suivant :

« Nous sommes bien aise d'apprendre cette nouvelle, car on nous annonce un progrès quelconque, et c'est ce progrès que le public désire connaître. Pour notre part, nous nous sommes adressés deux fois à un des secrétaires de l'association ; la première fois nous avons reçu une réponse qui allait à dire qu'on ne pouvait rien dire pour le moment, pour la raison qu'on n'avait rien à dire ; la seconde fois, on a gardé un silence profond... Nous espérons que nous ne nous trompons pas et que l'association avance... » [87]

Une lettre de O'Reilley reproduite dans les Mélanges annonce que tout est arrangé pour diriger à Roxton les personnes qui veulent y prendre des terres. Il mentionne également une démarche qu'il a faite avec Papineau. Il ajoute que l'association n'a pas eu de réponse du gouvernement et en attribue la faute au comité central. Il regrette surtout qu'on n'ait pas organisé l'association dans tout le pays. [88]

Mais le 13 juin, les Mélanges reproduisent du Canadien une lettre de l'abbé O'Reilley qui laisse deviner les échecs de l'association.

« Jusqu'à présent, à l'exception de Saint-Denis de Kamouraska, pas une paroisse n'a donné signe d'approbation à notre société. Qui oserait nier l'urgence d'une action prompte. Néanmoins, les campagnes sont restées muettes sur la colonisation des townships. » [89]

En juillet 1848, une assemblée a lieu pour élire à nouveau les officiers de l'association. Le résultat de cette assemblée tumultueuse où se combattent réformistes et partisans de l'Avenir n'a pas l'heur de plaire aux Mélanges qui désapprouvent clairement cette fois l'association et annoncent une action prochaine complètement en marge de l'association.

« Mais nous ne croyons pas que ce soit là quelque chose de suffisant pour engager nos concitoyens à continuer à communiquer avec le comité. Au contraire ce doivent être là [86] de puissantes raisons pour engager nos compatriotes, tant de Montréal que des campagnes, à suspendre leurs relations avec ce comité et à ne lui faire tenir aucun argent, jusqu'à ce qu'ils apprennent par les journaux, ce que les hommes paisibles, qui ne veulent que le bien du pays et n'entendent pas mettre la politique là où elle n'a que faire, aient fait connaître à quelle détermination ils vont en venir à ce sujet. C'est là quelque chose qui ne se fera pas attendre. » [90]

Quelques mois après, les Mélanges publient une circulaire de l'évêque de Québec dont le sujet est l'organisation de la colonisation sur le modèle de la Propagation de la foi. [91] Le journal continue de faire l'éloge du gouvernement quant à cette question [92] et de célébrer les démarches entreprises par un curé pour établir une colonie au Saguenay. [93]

Dans leurs efforts pour organiser la colonisation, Mgr Bourget et l'abbé O'Reilley semblent s'appuyer sur deux autres mouvements : l'association de la tempérance et celle de la propagation de la foi. Ainsi, au cours d'une assemblée au marche Bonsecours, l'abbé O'Reilley termine son sermon en associant tempérance et colonisation.

« La colonisation des townships est une oeuvre magnifique à laquelle je me suis dévoué tout entier aujourd'hui ; il faut unir à cette belle oeuvre celle de la tempérance. Eues doivent marcher unies, elles doivent prospérer ensemble. Vous les aiderez donc de tout votre pouvoir, parce qu'elles sont toutes deux dans votre intérêt et dans celui de votre pays. » [94]

On mentionne par la suite dans les Mélanges les attaques d'un journal contre Mgr Bourget pour avoir refusé de patronner l'association pour la colonisation [95]. Une lettre de l'abbé O'Reilley, intitulée « Progrès de la colonisation », décrit l'action entreprise par Mgr Bourget.

« D'ailleurs depuis l'élection générale des officiers de l'association, Mgr n'a point cessé un seul jour de chercher par tous les moyens de faire prospérer notre oeuvre. Pour lui donner plus d'efficacité et de solidité, il l'a unie à l'Oeuvre de la Propagation de la Foi. Dans deux circonstances solennelles, à l'assemblée du clergé du 27 juillet et à une réunion de membres des deux associations tenue à l'église Bonsecours dans la première semaine d'octobre, la grande oeuvre des Établissements Canadiens a été adoptée par le clergé et le peuple comme une oeuvre qui devait être chère à la religion et à la patrie. » [96]

Le succès de la société de tempérance apparaît comme la preuve du succès possible de l'autre société.

« Et si quelqu'un objectait encore que c'est une chose impraticable que d'arrêter le torrent d'émigration vers l'étranger, et de faire entendre au peuple l'urgence d'occuper des terres incultes et l'absolue nécessité d'un système amélioré d'agriculture, je n'aurais qu'à [87] désigner la triomphante marche de la société de Tempérance. On reconnaîtra par les progrès étonnants qu'a faits parmi nous cette sainte cause par quelles mains se peuvent et se doivent effectuer les réformes utiles au Canada français. » [97]

Le changement de l'année est prétexte à une récapitulation des événements où l'on écrit que la colonisation a fait un pas de géant, que le clergé a agi, ému par la détresse du peuple. On prédit que « l'on verra bientôt cesser complètement l'émigration malheureuse qui dure depuis trop longtemps ». [98]

Par ailleurs, les années suivantes apportent peu de développement quant à l'idéologie sur la colonisation. À la fin de 1849, les Mélanges publient un rapport d'un comité spécial présidé par Chauveau, chargé de s'enquérir sur les causes de l'émigration et sur les solutions possibles. [99] Ce document n'est pas commenté par les Mélanges. En 1851, douze missionnaires des townships publient un document sur le même sujet. Les Mélanges se contentent d'en souligner l'importance et de le reproduire ; [100] mais cette publication ne semble pas coïncider avec un regain de vie dans une action quelconque.

Il nous eût été difficile de présenter l'idéologie des Mélanges sur la colonisation sans évoquer la lutte menée par l'évêché contre le groupe de Papineau pour diriger l'association. Dans cette lutte l'idéologie sert de soutien en faisant de la colonisation une oeuvre religieuse et nationale. L'intégration de l'action colonisatrice à l'action missionnaire et le lien établi avec l'oeuvre de la Propagation de la Foi et plus tard avec la tempérance contribuent également à en faire le domaine du clergé.


V. L'agriculture

En une période de famine, comme le furent les années que nous étudions, pouvait-on croire à une vocation agricole des Canadiens français ? Dans les Mélanges, à côté de textes factuels, comprenant une description réaliste de la situation agricole et des solutions techniques pour la transformer, nous trouvons une description d'une situation idéale projetée dans le passé et une interprétation de la situation actuelle en termes moraux. En même temps, l'agriculture apparaît comme opposée à l'industrie.

En 1843, on trouve quelques articles célébrant un âge d'or.

« Il n'est plus possible de nos jours de se contenter de la simplicité antique de cette vie modeste et paisible que coulaient nos pères à l'abri de leur toit champêtre, entre leurs travaux et leurs jours de fête, entre l'oubli de la veille et l'insouciance du lendemain. Beaux jours que ceux-là, âge d'or véritable qui rappelait aux yeux étonnés le charme des temps [88] bibliques et des moeurs patriarcales... Lorsqu'on ne connaissait pas ce besoin de luxe et de la richesse, les privations et la misère qui en sont le fruit... ». [101]

Plus loin, après avoir proposé des moyens techniques pour améliorer les terres, on exalte la richesse foncière des habitants canadiens-français et l'on souhaite qu'ils exploitent leurs richesses naturelles.

« Qu'on compte un peu moins sur l'argent mis en circulation par le commerce ; le commerce est essentiellement agiotage et l'agiotage qui peut par circonstance faire la fortune de quelques individus, ne fera jamais celle d'une nation. » [102]

On retrouve l'opposition au commerce et à l'industrie dans un texte décrivant la misère de la paroisse où se construit le canal de Beauharnois.

« ... C'est encore de la civilisation avancée. Damnable industrie qui dessèche le coeur, qui fait perdre tout sentiment de justice et d'humanité, qui traite les hommes comme des machines ; qui ne voit que l'argent qui ne calcule que des profits... cette industrie exagérée a fait le malheur de bien des peuples... elle a fait négliger l'agriculture, la source la plus vraie de richesse... elle a surtout démoralisé des contrées entières car ce n'est plus un problème de savoir d'où viennent l'immortalité et l'incrédulité, l'indifférentisme des populations manufacturières. » [103]

La même année, les Mélanges annoncent que le clergé s'apprête à soutenir les sociétés d'agriculture. [104] Ils soulignent les obstacles aux tentatives de reforme et vont même jusqu'à favoriser une industrie locale.

« Elle (l'agriculture) fera une concurrence désirable à l'industrie qui est et qui sera encore longtemps étrangère, ou plutôt elle donnera la vie, une valeur réelle et durable à l'industrie indigène et contenue dans de justes bornes... elle diminuera le luxe provenant du commerce étranger, ce luxe qui ne se paie et ne s'entretient qu'avec de l'argent, ce luxe qui augmente constamment dans la même proportion que les produits des champs diminuent... » [105]

Si les Mélanges parlent de l'amélioration des techniques agricoles et des obstacles aux réformes dus à la mentalité, celle-ci est caractérisée par le luxe et l'intempérance, causes des malaises sociaux. Les Mélanges s'attaquent donc au goût pour les dépenses somptuaires, trait séculaire de la culture canadienne-française [106] ; la tempérance est proposée comme remède par excellence au problème de mentalité.

« ... s'ils avaient su profiter de ces bonnes années, ils auraient pu mettre quelque chose de côté pour l'avenir ; mais hélas la plupart dissipait leur revenu en luxe, en repas et, et surtout [89] en boisson ; et dans les décrets de la Providence, ces mauvaises années qui ont suivi les bonnes ne sont peut-être que la punition du mauvais usage que l'on a fait de ses dons. Mais voici une nouvelle occasion de réparer nos fautes ; on fait un nouvel appel à la tempérance ; qui pourrait refuser de se ranger sous ses étendards, puisque c'est le mauvais usage de ces boissons qui est la plus grande cause de tous nos malheurs ... Un grand nombre d'entre eux sont déjà trop pauvres pour pouvoir cultiver la terre ; ils n'ont pas le moyen de prendre d'engagés. Qu'arrive-t-il ? La culture est négligée, les champs tombent en friche, et ne produisent pas la dixième partie de ce qu'ils pourraient rapporter... Les jeunes gens forts et vigoureux, voyant qu'on ne veut pas payer leurs travaux un prix raisonnable, s'exilent et s'en vont dans les chantiers où le plus souvent ils se démoralisent et perdent avec leur santé et leurs forces le peu de religion qu'ils avaient encore. Embrassez la tempérance, l'argent que vous épargnerez vous donnera le moyen de vous acquérir des bras pour faire vos travaux, les pauvres trouveront ainsi le moyen de gagner leur vie ; nos jeunes gens trouveront un prix honnête, ne déserteront pas la maison de leurs pères ; la terre prendra une face nouvelle, et la corne d'abondance versera encore ses dons sur nos vertueux Canadiens ». [107]

En 1847 (année où fut mise sur pied la Société d'agriculture du Bas-Canada), les Mélanges font diverses suggestions plus spécifiquement liées à l'agriculture. Ils soutiennent les fondations de sociétés d'agriculture et celle d'un journal d'agriculture. Discutant la publication d'un traité de chimie agricole, Les Mélanges soulignent l'ignorance et le caractère routinier de l'habitant et proposent la formation d'un bureau d'éducation qui aurait pour fonction de réintégrer le texte pour l'adapter à la population rurale. On suggère également dans ce texte la formation de sociétés d'agriculture supportées par l'État : « qu'ils aient le moyen de récompenser ceux qui cultiveront selon des moyens donnés par eux et de punir en poursuivant devant un magistrat ceux qui y manqueraient... » [108]

Le 19 mars 1847, les Mélanges rapportent un extrait de la Minerve annonçant la formation de la Société canadienne d'agriculture, « sorte d'organisme central qui fera le lien entre les sociétés de comté et s'efforcera de suppléer à ce que ces sociétés ne pourront pas faire. On parle de créer un collège agricole, des fermes modèles, un Muséum agricole et des bibliothèques agricoles. Les commissaires d'écoles et les conseilleurs municipaux dans toutes les paroisses du Bas-Canada seront invités à se joindre à la société et les membres du clergé de toutes dénominations en seront membres honoraires. » [109] Le 7 janvier 1848, on annonce la publication d'un journal d'agriculture imprimé dans les ateliers des Mélanges religieux. On engage les notables des paroisses rurales à lire le journal et à en diffuser les connaissances. [110]

[90]

En 1850, on propose de confier l'enseignement agricole au clergé rural.

« Pour une population rurale comme la nôtre, l'instruction rurale accompagnée de démonstrations oculaires, serait la plus prompte et la plus efficace... On a proposé en France de confier au clergé rural l'enseignement de l'agriculture et la direction des fermes modèles dont une serait attachée à chaque presbytère. Peut-être serait-elle d'une application plus facile et plus fructueuse ici qu'en France. Pour l'appliquer, il faudrait qu'il y ait un professorat d'agriculture à chacun de nos séminaires ecclésiastiques. » [111]

Enfin, en 1851, les Mélanges rapportent une action conjointe de Mgr Bourget et de Lord Elgin au sujet de l'amélioration des techniques agricoles. Lord Elgin ayant fait imprimer et distribuer gratuitement aux paysans un livre sur l'agriculture, Mgr Bourget envoie à ses curés une lettre pour faire l'éloge du gouverneur et seconder son action éducative. Il recommande aux curés de faire une assemblée de pères de familles afin de leur distribuer le livre, leur conseillant également de profiter de l'occasion pour fonder une société d'agriculture, la où elle n'existe pas. [112]

Si l'on compare les textes des Mélanges concernant la colonisation et ceux concernant l'agriculture, on trouve des différences assez importantes. Les Mélanges soutiennent l'un et l'autre type d'action mais seule la colonisation est présentée comme une oeuvre nationale et religieuse. Si l'agriculture est présentée comme un mode de vie idéal et est quelques fois mise en opposition avec le commerce et l'industrie, les textes décrivant les problèmes du temps et les articles purement techniques sont plus fréquents que les textes ayant un contenu idéologique. Enfin, si les Mélanges suggèrent à différentes reprises de placer l'enseignement agricole sous la direction du clergé, les raisons invoquées sont souvent d'ordre pratique : la société d'agriculture n'est pas prête à organiser les fermes modèles et deux séminaires seraient prêts.

Il semble qu'en s'attaquant au goût du luxe et à l'intempérance, l'Église ne s'attaque pas qu'à des conduites jugées immorales, mais perçoit ces traits de mentalité comme obstacles aux réformes nécessaires. [113] Vu dans ce contexte, il est moins étonnant de voir la société de tempérance fonder une caisse d'épargne.

L'ensemble des écrits sur l'agriculture est assez peu idéologique. Les interprétations moralisantes exceptées, les descriptions de la situation agricole, les reformes soutenues par les Mélanges et la proposition d'en donner la direction au clergé sont accompagnées de peu d'arguments du genre [91] de ceux que l'on trouve pour l'éducation et la colonisation. Enfin, si l'on décrit les Canadiens français comme des ruraux, on ne fait pas de l'agriculture un élément du nationalisme. On trouve cependant les éléments de ce qui deviendra plus tard le mythe de la vocation agricole des Canadiens français : opposition à l'industrie et au commerce, vus comme immoraux et étrangers, idéalisation de l'agriculture comme mode de vie, valorisation des terres fertiles à défricher. Mais la situation réelle n'était guère propice à l'exaltation des qualités de l'agriculteur canadien-français.


Conclusion

Si en parcourant le journal de « propagande et de défense religieuse » patronné par Mgr Bourget nous tentons d'y lire les intentions cachées de l'Église, nous percevons une certaine volonté d'englober la société civile au sein de la société religieuse. Il va sans dire que la société monolithique ainsi projetée trouve sa racine dans les divisions de la société et dans les luttes de pouvoir auxquelles le groupe de Mgr Bourget participe tant dans la société civile que dans la société religieuse.

Le nationalisme et la moralité sont tour à tour liens unificateurs entre le social et le religieux. Nous avons vu comment la société de tempérance, société à but moral, devient société nationale et religieuse par l'annexion des symboles nationaux. Le journal généralise à tout le pays la célébration de la Saint-Jean-Baptiste. Rappelons le commentaire des Mélanges :

« C'est ainsi que nous entendons la nationalité canadienne, la religion, le catholicisme d'abord, puis la patrie... notre religion c'est notre première distinction nationale, en même temps qu'elle est la base de nos institutions. » [114]

La colonisation est dite oeuvre nationale et religieuse. Ici c'est le recours à l'idéologie missionnaire qui manifeste le caractère sacré de l'oeuvre. Le rôle que l'on fait jouer à l'association de la propagation de la foi renforce ce lien. Cette partie de notre analyse a révélé quelque peu le genre de luttes auxquelles l'idéologie vient prêter son concours.


La moralité, sujet de préoccupation constante des Mélanges, permet d'établir un autre lien entre religion et société. C'est au nom de la morale que l'Église réclame son droit de surveiller le système d'éducation et celui d'enseigner, car « la morale est la partie principale de l'éducation du peuple ». Le prêtre est l'instituteur idéal et, à défaut de prêtre, la moralité est le critère de sélection d'un instituteur. Le curé doit former des bibliothèques car il est « le gardien par état des moeurs et de la science ». [115] On le dit éminemment qualifié pour juger la politique car « il est gardien de la morale [92] et la morale est liée aux institutions sociales ». [116] De plus, à cause de son désintéressement, il réussit mieux que le laïc dans tous les domaines : éducation, agriculture, colonisation. Citant l'exemple de la tempérance, on insinue qu'il est celui qui est le plus apte à réussir les réformes au Bas-Canada ; il est le leader par excellence.

Les mauvaises récoltes, comme divers autres malheurs collectifs, sont des punitions divines pour l'immoralité des citoyens. De la même façon, les livres profanes, les romans en particulier, sont opposés aux « bons livres » dont les Mélanges se font les propagandistes. Les Mélanges publient un mandement de l'évêque de Marseille sur les spectacles, et critiquent les journaux qui décrivent des spectacles profanes à côté de spectacles religieux. [117]

Certains lieux, comme les chantiers, sont sévèrement jugés car ils présentent un danger pour la morale. Un article qui décrit la vie dans les chantiers conclut : « On sait d'abord que la moralité seule peut rendre les peuples puissants et heureux ». Nous savons aussi que l'éducation, quand elle n'a pas à sa base des principes religieux, constitue un danger pour les moeurs.

On pourrait résumer en disant que tout ce qui est extérieur à ce monde domine par l'Église ou par des principes catholiques, est vu comme immoral. Si l'agriculture est présentée comme le mode de vie idéal, on en trouve l'aspect idéologique assez peu développe en comparaison avec le thème de la colonisation. La lutte de pouvoir au sujet de la colonisation donna-t-elle lieu à ce développement de l'idéologie ? Ou la situation agricole laissait-elle peu de place à l'exaltation de la situation présente ? Ou encore l'aspect rural de la société n'étant pas en cause, peut-être n'éprouve-t-on pas le besoin d'insister beaucoup sur cet état de choses. La question demeure, de même que le contenu du journal est loin d'être épuisé.

Denise LEMIEUX



[1] Léon POULIOT, s. j., La réaction catholique de Montréal, 1840-1841, Montréal, Imp. du Messager, 1942, p. 14.

[2] A. BEAULIEU et J. HAMELIN, Les journaux du Québec de 1764 à 1964, Québec, Les presses de l'université Laval, 1965, pp. 114-115. « Mgr Bourget s'inquiétait de l'influence des idées libérales. Aussi lança-t-il dans la mêlée, un journal qui devait sur toutes les questions brûlantes d'alors, donner le point de vue ultramontain en plus de fournir l'orientation que tout bon catholique doit suivre. »

[3] Mélanges religieux, VII, 30 septembre 1845, p. 596.

[4] MR, I, prospectus, p. II.

[5] MR, III, 7 janvier 1842, p. 17.

[6] MR, V, 13 septembre 1842.

[7] MR. ibidem.

[8] MR, ibidem.

[9] MR, VI, 29 septembre 1843, p. 405.

[10] MR, VII, 10 novembre 1843, p. 2.

[11] MR, VII, 16 janvier 1845, p. 133.

[12] MR, VIII, 16 novembre 1845, p. 760.

[13] MR, VIII, 5 décembre 1845, p. 740.

[14] MR, IX, 17 février 1846, p. 27.

[15] MR, XI, 14 septembre 1847, p. 2.

[16] MR, XIV, 24 mars 1851, p. 102.

[17] Un historien enthousiaste de cette période d'effervescence religieuse a souligné que, sans cet éveil des sentiments religieux, Mgr Bourget n'aurait pas eu une base solide où appuyer son pouvoir. Léon POULIOT, S.J., op. cit., p. 25.

[18] MR, II, 17 septembre 1841, p. 184.

[19] Marcel TRUDEL, Chiniquy, Trois-Rivières, Éditions du bien public, 1955.

[20] MR, III, 11 février 1842, p. 91.

[21] MR, III, 11 février 1842, p. 92.

[22] MR, III, 1er avril 1842, p. 207.

[23] MR, III, 12 avril 1842, pp. 238-239.

[24] MR, ibidem.

[25] MR, ibidem.

[26] MR, V, 14 octobre 1842, p. 11.

[27] MR, V, 19 mai 1843, p. 107.

[28] MR, V, 9 juin 1843.

[29] MR, V, 13 juin 1843, p. 163.

[30] MR, VI, 27 juin 1843, p. 194.

[31] MR, VI, 27 juin 1843, p. 204.

[32] Signalons que les sociétés de tempérance se virent adjoindre des fonctions secondaires : fondation de compagnies de musiciens (MR, V, 18 avril 1843, p. 35) et fondation de caisses d'épargne (MR, V, 3 mars 1843 ; MR, V, 16 mai 1843, p. 99).

[33] Lionel GROULX, « La situation religieuse au Canada français vers 1840 », Notre maître le passé, Montréal, Librairie Granger Frères, 1944, pp. 179-232.

[34] Fernand OUELLET, « L'enseignement primaire ; responsabilité de l'Église et de l'État (1801-1836) », Recherches sociographiques, 1961, II, 2, pp. 171-182.

[35] MR, II, 13 août 1841, pp. 65-75.

[36] MR, II, 20 août 1841, pp. 101-102.

[37] MR, ibidem.

[38] MR, II, 20 août 1841, pp. 93-100.

[39] MR, II, 3 septembre 1841, p. 129.

[40] MR, II, 3 septembre 1841, pp. 170-174.

[41] MR, III, 7 janvier 1842 (feuilleton), p. 4.

[42] MR, III, 14 janvier 1842 (feuilleton), p. 9.

[43] MR, III, 11 février 1842, pp. 94-96.

[44] MR, VII, 11 avril 1845, p. 212.

[45] MR, VII, 18 février 1845, p. 97.

[46] F. OUELLET, op. cit.

[47] Louis-Edmond HAMELIN, « Évolution numérique du clergé dans le Québec », Recherches sociographiques, II, 2, (1961), pp. 189-236.

[48] André LABARRÈRE-PAULÉ, Les instituteurs laïques au Canada français, 1836-1900, PUL, Québec, 1965, p. 11.

[49] MR, XI, 14 octobre 1847, p. 21.

[50] MR, XII, 10 novembre 1848, p. 66.

[51] MR, VII, 28 novembre 1843, p. 44.

[52] MR, VII, 19 janvier 1844, p. 151.

[53] MR, VIII, 25 février 1845, p. 110.

[54] MR, VIII, 5 mars 1845, p. 120.

[55] MR, VIII, 14 mars 1845, p. 154.

[56] MR, VIII, 11 mars 1845, p. 144. (Le journal accuse réception du rapport).

[57] MR, XIII, 30 juillet 1850, p. 354.

[58] MR, V, 8 novembre 1842, p. 59.

[59] MR, V, 17 février 1843, p. 282.

[60] MR, V, 28 mars 1843, p. 362.

[61] MR, VI, 16 mai 1843, p. 103.

[62] MR, VII, 20 septembre 1844, p. 878.

[63] MR, VII, 19 janvier 1844, p. 151.

[64] MR, VII, 4 mars 1845, p. 128.

[65] MR, X, 14 mai 1847, p. 287.

[66] Fernand OUELLET, Histoire économique sociale du XIXe siècle, Montréal, Fides, 639 p.

[67] MR, VI, 22 septembre 1843, p. 399.

[68] MR, VII, 10 septembre 1844, p. 655.

[69] MR, ibidem.

[70] MR, VII, 10 septembre 1844, p. 655.

[71] MR, VII, 4 octobre 1844, p. 711.

[72] MR, VII, 13 septembre 1844, p. 664.

[73] MR, X, 11 mai 1847, pp. 277-280.

[74] MR, XI, 9 novembre 1847, p. 76. (Extrait du Canadien).

[75] Mason WADE, op. cit., pp. 282-291.

[76] Ibidem, p. 288.

[77] MR, XI, 28 mars 1848, p. 187.

[78] MR, ibidem.

[79] MR, XI, 7 avril 1848, p. 207.

[80] MR., XI, 21 avril 1848, p. 213.

[81] MR, XI, 21 avril 1848, p. 224.

[82] MR, ibidem.

[83] MR, XI, 9 mai 1848, p. 245.

[84] MR, ibidem.

[85] MR, XI, 9 mai 1848, p. 242.

[86] MR, XI, 25 avril 1848, p. 228.

[87] MR, XI, 26 mai 1848, p. 264.

[88] MR, XI, 2 juin 1848, p. 273. (Lettre datée du 26 mai et adressée au Journal de Québec.)

[89] MR, XI, 13 juin 1848, p. 284.

[90] MR, XI, 18 juillet 1848, p. 423.

[91] MR, XI, 1er septembre 1848, p. 375.

[92] MR, XI, 1er septembre 1848, p. 375.

[93] MR, XI, 12 septembre 1848, p. 388.

[94] MR, XII, 13 octobre 1848, p. 34.

[95] MR, XII, 10 novembre 1848, p. 66.

[96] MR, XII, 21 novembre 1848, p. 78.

[97] MR, XII, 12 novembre 1848, p. 78.

[98] MR, XII, 2 février 1849, p. 161.

[99] MR, XIII, 30 novembre 1849, pp. 81-85-89.

[100] MR, XIII, 29 mars 1850, p. 216.

[101] MR, V, 28 mars 1843 ; Idem, 21 mars 1843.

[102] MR, V, 31 janvier 1843, p. 236.

[103] MR, VI, 15 septembre 1843, p. 372.

[104] Au sujet des fondations des sociétés d'agriculture en 1845, 1847, etc., voir Marc-A. PERRON, Édouard-A. Barnard, 1955, pp. 3-57.

[105] MR, V. 16 mai 1843, p. 103.

[106] Voir F. OUELLET, op. cit., p. 927.

[107] MR, IX, 17 mars 1846, pp. 92-93.

[108] MR, X, 16 février 1847, p. 95.

[109] MR, X, 19 mars 1847, p. 165.

[110] MR, XI, 7 janvier 1848.

[111] MR, XIII, 16 juillet 1850, p. 337.

[112] MR, XIV, 10 janvier 1851, p. 126.

[113] « Cette propension de l'habitant canadien-français aux  dépenses somptuaires et aux investissements improductifs constituait toujours, en dépit des circonstances malheureuses qui l'accablaient, un trait de sa mentalité et un élément durable de sa culture. Ses revenus étaient en trop forte proportion affectés à la satisfaction de son besoin de prestige qui ne se concrétisait pas seulement dans le vêtement mais aussi dans sa pratique religieuse. » Fernand OUELLET, Histoire économique et sociale, p. 884.

[114] MR, VII, 27 juin 1843, p. 204.

[115] MR, VII, 19 janvier 1844, p. 151.

[116] MR, V, 13 septembre 1842.

[117] MR, VII, 15 août 1943, p. 310.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 22 février 2011 10:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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