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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe (1955)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Michel Leiris, RACE ET CIVILISATION. La question raciale devant la science moderne. Paris: UNESCO, 1951, 47 pp. [La diffusion de ce livre, dans Les Classiques des sciences sociales, a été accordée le 3 avril 2008 par M. Jean Jamin, secrétaire général de la revue L'Homme, responsable de l'héritage intellectuel de l'auteur.]

[3]

RACE ET CIVILISATION.

La question raciale devant la science moderne.

Introduction

La nature des hommes est identique ; ce sont leurs coutumes qui les séparent.
Confucius, 551-478 av. J.-C.


Après avoir fait d'innombrables victimes civiles et militaires la récente guerre mondiale s'est terminée, sans que l'humanité y ait trouvé un apaisement, par la défaite de l'Allemagne nazie et des puissances qui avaient fait cause commune avec elle. C'est au nom de l'idéologie raciste — et particulièrement de l'antisémitisme — que les nationaux-socialistes avaient pris le pouvoir et c'est en son nom qu'ils avaient fait la guerre pour unir « tous les Allemands dans une plus grande Allemagne » et imposer au monde entier la supériorité germanique. Avec la chute d'Adolf Hitler on put croire que le racisme était mort ; mais c'était témoigner d'une vue bien étroite et raisonner comme si nulle forme du mal raciste ne sévissait dans le monde en dehors de cette forme — il est vrai la plus extrême et la plus virulente — qu'en avait représentée le racisme hitlérien ; c'était oublier que l'idée de leur supériorité congénitale est fortement ancrée chez la plupart des blancs, même chez ceux qui ne se croient pas racistes pour autant.

Grandes inventions et découvertes, équipement technique, puissance politique : voilà certes pour l'homme blanc des raisons de s'enorgueillir, encore qu'il soit douteux qu'une somme plus grande de bonheur pour l'ensemble de l'humanité ait résulté jusqu'à présent de ces acquisitions. Qui pourrait affirmer que le chasseur pygmée, dans les profondeurs de la forêt congolaise, mène une vie moins adaptée que tel de nos ouvriers d'usine européen ou américain ? Et qui pourrait oublier que le développement de nos sciences, s'il nous a permis d'accomplir d'indéniables progrès, dans le domaine sanitaire par exemple, nous a permis en revanche de perfectionner à tel point les moyens de destruction que les conflits armés ont pris depuis quelques dizaines d'années l'ampleur de véritables cataclysmes ? Reste qu'aujourd'hui encore, dans le vaste carrefour qu'est devenu le monde grâce aux moyens de communication dont il dispose, l'homme de race blanche et de culture occidentale tient le haut du pavé, quelles que soient les menaces de bouleversement qu'il sent monter [4] du dehors et du dedans contre une civilisation qu'il regarde comme la seule digne de ce nom. Sa position privilégiée — dont une perspective historique trop courte l'empêche de voir non seulement combien elle est récente, mais ce qu'elle peut avoir de transitoire — lui apparaît comme le signe d'une prédestination à créer des valeurs que les hommes appartenant à d'autres races et pourvus d'autres cultures seraient capables tout au plus de recevoir passivement. Bien qu'il reconnaisse volontiers que plusieurs inventions lui viennent des Chinois (auxquels il ne refuse pas une certaine sagesse) et que le jazz par exemple lui a été donné par les nègres (qu'il persiste, il est vrai, à regarder comme de grands enfants) il s'imagine s'être fait de lui-même et être le seul à pouvoir se targuer d'avoir reçu, en quelque sorte à sa naissance el en vertu de sa constitution propre, une mission civilisatrice à remplir.

Dans un article récemment publié par le Courrier de l'Unesco, le Dr Alfred Métraux (l'un des ethnographes dont les travaux ont porté sur le plus grand nombre de régions du globe)  écrivait :

« Le racisme est une des manifestations les plus troublantes de la vaste révolution qui se produit dans le monde. Au moment où notre civilisation industrielle pénètre sur tous les points de la terre, arrachant les hommes de toutes couleurs à leurs plus anciennes traditions, une doctrine, à caractère faussement scientifique, est invoquée pour refuser à ces mêmes hommes, privés de leur héritage culturel, une participation entière aux avantages de la civilisation qui leur est imposée. Il existe donc, au sein de notre civilisation, une contradiction fatale : d'une part elle souhaite ou elle exige l'assimilation des autres cultures à des valeurs auxquelles elle attribue une perfection indiscutable, et d'autre part elle ne se résout pas à admettre que les deux tiers de l'humanité soient capables d'atteindre le but qu'elle leur propose. Par une étrange ironie, les victimes les plus douloureuses du dogme racial sont précisément les individus qui, par leur intelligence ou leur éducation, témoignent de sa fausseté. »

Ironie non moins étrange, c'est dans la mesure où les races réputées inférieures prouvent qu'elles sont à même de s'émanciper que, les antagonismes devenant plus aigus dès l'instant que les hommes de couleur font pour les blancs figure de concurrents ou se voient reconnaître un minimum de droits politiques, le dogme racial est affirmé avec une énergie plus manifeste tandis que, paradoxe non moins grand, c'est par [5] des arguments présentés sous le couvert de la Science — cette divinité moderne — et de son objectivité qu'on cherche à justifier rationnellement ce dogme obscurantiste.

Certes — comme le fait remarquer l'auteur de l'article cité — il n'a pas manqué d'anthropologues pour dénoncer le caractère conventionnel des traits selon lesquels on répartit l'espèce humaine en groupes différents et assurer, d'autre part, qu'il ne saurait exister de races pures ; et l'on peut, de surcroît, regarder aujourd'hui comme établi que la notion de « race » est une notion d'ordre exclusivement biologique dont il est impossible — à tout le moins dans l'état actuel de nos connaissances — de tirer la moindre conclusion valable quant au caractère d'un individu donné et quant à ses capacités mentales. N'empêche que le racisme, avoué ou inavoué, continue à exercer ses ravages et que le genre humain, aux yeux du plus grand nombre, continue d'être divisé en groupes ethniques clairement délimités, doués chacun de sa mentalité propre, transmissible par l'hérédité, étant admis comme une vérité première qu'en dépit des défauts qu'on peut lui reconnaître et des vertus qu'on veut bien croire inhérentes à certaines des autres races, c'est la race blanche qui occupe le sommet de la hiérarchie, au moins par les peuples qui passent pour les meilleurs de ses représentants.

L'erreur qui fournit un semblant de base théorique au préjugé de race repose principalement sur une confusion entre faits naturels, d'une part, et faits culturels, d'autre part, ou — pour être plus précis — entre les caractères qu'un homme possède de naissance en raison de ses origines ethniques et ceux qu'il tient du milieu dans lequel il a été élevé, héritage social que trop souvent, par ignorance ou intentionnellement, on omet de distinguer de ce qui est en lui héritage racial, tels certains traits frappants de son apparence physique (couleur de la peau, par exemple) et d'autres traits moins évidents. S'il est des différences psychologiques bien réelles entre un individu et un autre individu, elles peuvent être dues pour une part à son ascendance biologique personnelle (encore que nos connaissances à ce sujet soient fort obscures) mais ne sont en aucun cas explicables par ce qu'il est convenu d'appeler sa « race », autrement dit le groupe ethnique auquel il se rattache par la voie de l'hérédité. De même, si l'histoire a assisté à réclusion de civilisations très distinctes et si les sociétés humaines actuelles sont séparées par des différences plus ou moins profondes, il n'en faut pas chercher la cause dans l'évolution raciale de l'humanité amenée [6] (par le jeu de facteurs tels que la modification dans les situations respectives des « gènes » ou particules qui déterminent l'hérédité, leur changement de structure, l'hybridation et la sélection naturelle) à se différencier à partir de la souche unique dont tous les hommes qui peuplent aujourd'hui la terre sont vraisemblablement issus ; ces différences s'inscrivent dans le cadre de variations culturelles qu'on ne saurait expliquer ni par le soubassement biologique ni même par l'influence du milieu géographique, pour impossible qu'il soit de négliger le rôle de ce dernier facteur, ne serait-ce que comme élément faisant partie intégrante des situations auxquelles les sociétés ont à faire face.

Bien que la source des préjugés raciaux doive être recherchée ailleurs que dans des idées pseudo-scientifiques qui n'en sont pas la cause mais plutôt l'expression et n'interviennent que secondairement, comme justification et comme moyen de propagande, il n'est pas sans importance de combattre de telles idées, qui ne laissent pas d'égarer nombre de gens, même parmi les mieux intentionnés.

Faire le point de ce qu'on est fondé à regarder comme scientifiquement acquis quant aux domaines qu'il convient d'assigner respectivement à la « race » et à la « civilisation » ; montrer qu'un individu, compte non tenu de ce qui lui vient de son expérience propre, doit le plus clair de son conditionnement psychique à la culture qui l'a formé, laquelle culture est elle-même une formation historique ; amener à reconnaître que, loin de représenter la simple mise en formule de quelque chose d'instinctif, le préjugé racial est bel et bien un « préjugé » — à savoir une opinion préconçue — d'origine culturelle et qui, vieux d'à peine plus de trois siècles, s'est constitué et a pris les développements que l'on sait pour des raisons d'ordre économique et d'ordre politique : tel est le but de la présente étude.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 septembre 2015 11:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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