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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Michel Leiris, L’homme sans honneur. Notes pour le sacré dans la vie quotidienne. (1994)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Michel Leiris, L’homme sans honneur. Notes pour le sacré dans la vie quotidienne. Transcription et fac-similé par Jean Jamin. Édition établie et annotée par Jean Jamin. Paris: Jean Michel Place, Éditeur, 1994, 166 pp. Collection: Gradhiva. Une édition numérique réalisée conjointement par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Laval, Québec. [La diffusion de ce livre, dans Les Classiques des sciences sociales, a été accordée le 3 avril 2008 par M. Jean Jamin, secrétaire général de la revue L'Homme, responsable de l'héritage intellectuel de l'auteur.]

[9]

L’homme sans honneur.

Notes pour Le sacré dans la vie quotidienne


Présentation *

Jean Jamin

Lue ou prononcée le 8 janvier 1938 lors d’une séance du Collège de Sociologie qui avait été fondé quelques mois plus tôt par Georges Bataille, Roger Caillois et Michel Leiris, la conférence par laquelle celui-ci aborde le thème du sacré dans la vie quotidienne peut être non seulement perçue comme un « temps fort » (Jean Wahl) des activités du Collège mais considérée comme une étape importante dans la démarche et l'œuvre de son auteur.

Au moins Leiris nous invite-t-il à le penser puisque, publiée en juillet 1938 dans la Nouvelle Revue française [1], cette conférence, deux fois rééditée depuis [2], fut citée par lui dans ses Titres et travaux [3] où cependant n'aurait dû figurer, ainsi qu'il le souligna dès le préambule, que « la face sciences humaines » de son activité. Serait-ce qu'à ses yeux « Le sacré dans la vie quotidienne » dût relever peu ou prou de son second métier, celui d'ethnographe alors qu'un lecteur rapide - comme le fut Georges Sadoul [4] - aurait été enclin à n'y voir qu'une « suite de souvenirs d'enfance d'un petit bourgeois né dans le XVIe arrondissement au début du siècle », et à n'en retenir que l'aspect à proprement parler plus littéraire que scientifique ?

[10]

Le destin du texte viendrait confirmer cette impression, accréditer même cette rapidité de lecture. Publié puis repris dans des revues à caractère plutôt littéraire, absent des fichiers et cartons de la bibliothèque du Musée de l'Homme qui cependant signalent et contiennent presque tous ses travaux ethnographiques que lui-même, administrativement attaché au Musée depuis sa fondation en 1937, avait pris le soin d'y déposer, non réutilisé dans Cinq études d'ethnologie dont la composition et la parution furent postérieures (1969) à la rédaction des Titres et travaux, curieusement absent du recueil critique Brisées (1966) tout autant que du choix d'articles de Zébrage (1992), « Le sacré dans la vie quotidienne » paraît bien avoir été placé sous l’emprise fût-elle éditoriale de la littérature, et rien que d'elle.

La question posée plus haut peut être alors reprise, voire inversée dans la mesure où c'est la citation de ce texte dans ses Titres et travaux qui devient singulière. Leiris se serait-il un instant laissé abuser par un titre qui, associant la notion de sacré à celle de vie quotidienne, proposant une recherche de l'un au sein de l'autre, annonce une réflexion que l'on imagine dûment articulée entre ces deux objets que, depuis Marcel Mauss, la pensée ethnologique française a inscrits dans l’ordre de ses préoccupations et dans le champ de ses investigations ?

L'affirmer supposerait que Leiris en eût oublié le contenu, un oubli tout à fait improbable si l'on sait l’importance que revêtit pour lui « Le sacré dans la vie quotidienne » : texte charnière entre L'Âge d'homme dont il reprend d'ailleurs quelques éléments ou épisodes (la salamandre, l’hippodrome d'Auteuil, les cabinets où, tous les soirs, son « frère ami » et lui se racontaient des histoires imaginaires qui, dans ce lieu, devenaient presque initiatiques, etc.) et La Règle du jeu dont il préfigure le premier tome Biffures.

Au reste, bien d'autres raisons peuvent être invoquées, et justifier la place que, tardivement - précisément peu de temps après la parution de Fibrilles, troisième tome de La Règle du jeu dans la conclusion duquel s'amorce une réflexion sur son double métier d'ethnographe et d'écrivain, le [11] premier envisagé comme l'auxiliaire du second -, Leiris accorde à son texte, nous engageant de la sorte à y découvrir une autre charnière : celle où s'articuleraient ses deux métiers, « activités conjuguées qui sont pour lui, écrit-il dans ses Titres et travaux, comme les deux faces d'une recherche anthropologique au sens le plus complet du terme : accroître notre connaissance de l'homme, tant par la voie subjective de l'introspection et celle de l'expérience poétique, que par la voie moins personnelle de l'ethnologie. »

En rangeant « Le sacré dans la vie quotidienne » comme d'ailleurs L'Afrique fantôme parmi ses travaux ethnologiques, Leiris aurait-il voulu jalonner voire consacrer - dans cet insipide résumé de vie qu'est la bibliographie d'un chercheur - une telle ambition ? Mieux encore, aurait-il cherché à légitimer, par ces deux références perdues au milieu d'autres de nature plus scientifique, disons plus conventionnelles, son projet d'une « anthropologie généralisée » ? On peut le croire, surtout que ses travaux, ici recensés par lui afin de les soumettre à l’appréciation d'un comité scientifique qui devait statuer sur son passage de maître à directeur de recherches au C.N.R.S., représentaient un enjeu de carrière dont on peut supposer que toute légèreté et toute fantaisie en étaient d'emblée écartées. Ce qui, bien sûr, tend à appuyer le côté intentionnel d'un tel classement lequel, pour tardif qu'il fût, n'en était pas moins significatif puisque, approchant de la retraite, Leiris s'autorisait à dire enfin dans et devant l'institution ce que, depuis L'Afrique fantôme, l'institution lui avait enjoint de taire ou de séparer : son activité d'écrivain.

Mais c'eût été logique qu'en la circonstance il adjoignît à ces deux références d'autres qui ressortissaient plus nettement à la littérature. Au lieu de cela, il les renvoya dans un préambule biographique... Juste un titre puis une date jetée au fil de la plume, dans une introduction à un texte résumant une carrière scientifique, mais où étaient néanmoins rappelées son adhésion passagère au mouvement surréaliste, ses activités de poète et de critique, [12] son ambition « autobiographique », mais où également était dressée une hiérarchie de ses métiers : le premier - celui d'écrivain - paraissant de la sorte introduire au second - celui d'ethnographe. Face à une institution officielle dotée d'un esprit que l'on imagine volontiers rationaliste, voire formaliste, l'attitude peut être jugée provocante ou à tout le moins entachée de coquetterie. Considérons du reste qu'au su de ceux qui dépendent d'une telle institution et qui chaque année doivent lui remettre un rapport dit « d'activités », elle comporte un certain risque : celui de ne pas être pris au sérieux - scientifique il s'entend. Mettons le même que, près de quarante-cinq ans plus tôt, Leiris prit en publiant L'Afrique fantôme au retour d'une mission ethnographique et linguistique qui, sous la direction de Marcel Griaule, le mena durant deux ans de Dakar à Djibouti.

D'abord présentée comme un journal de route - à vrai dire très « personnel » - de cette expédition, L'Afrique fantôme fit, dès sa parution en 1934, figure de gaffe ; une gaffe que l'on pourrait qualifier d'épistémologique si l'on sait qu'à l'époque le positivisme continuait de mordre sur les faits sociaux, une gaffe que l'on eût pu croire être celle d'un débutant (qu'était d'ailleurs Leiris) tant l'auteur semblait si peu se soucier des précautions oratoires de  l’ethnologie universitaire et se montrait si peu respectueux de ses conventions narratives. Au départ recruté comme « secrétaire-archiviste », de la mission, Leiris joua ce rôle jusqu'à l'exaspération, mettant « les pieds dans le plat » chaque fois qu'il le put. Sans vergogne, en fait ethnographe scrupuleux et attentif, il nota, décrivit et archiva tout ce que la mission recueillait ou visitait, - y compris « lui-même », introduisant alors le point de vue de l'observateur dans ce lieu où les bonnes mœurs de ï ethnographie voulaient qu'il fût tu : sur le terrain, dans l’observation même.

Il y a quelque amusement à observer que la toute première publication de ce qui fut sans doute la première grande mission de terrain de l'ethnologie française se traduisit par un trébuchement de son scientisme et [13] occasionna une sérieuse entorse à un savoir-vivre ethnographique dont l'institution avait jusqu'alors conçu les règles en « cabinet ». Ce que la communauté professionnelle de l'époque (certes peu délimitée et marquée) dut prendre pour une perversion de ses méthodes ou pour une indiscrétation vis-à-vis de ses procédés se révéla être en somme une remise en cause des tables d !observation qu'à grand-peine elle tentait de dégager de celles qui gouvernaient les sciences de la nature. D'une expérience de terrain dont on attendait qu'elle devînt un laboratoire, Leiris, effrontément, en fit du quotidien où les mythes des autres et les rêves à soi avaient le même poids, - sans autre paillasse que le corps le plus souvent fatigué de  l’ethnographe qui les notait. Mais au-delà du faux pas (qu'il tenta plus tard de se faire pardonner en rédigeant la minutieuse et conventionnelle monographie sur La langue secrète des Dogons de Sanga), Leiris, à cause peut-être de ces « gaffes », posait un problème de méthode et, vraisemblablement sous la pression d'un terrain qu'il sentit et vécut jusqu'au bout de sa plume, inaugurait tout un champ de réflexions sur la relation observateurs-observés. En somme, si l’on reprend la remarque de Jean Duvignaud à propos du Collège de Sociologie [5], on peut considérer que se trouvait déjà là esquissé le rattachement du savoir de l'homme sur l'homme au cheminement de l'être individuel qui le découvre.

Dans L'Afrique fantôme, Leiris observait que « c'est en poussant le particulier jusqu'au bout qu'on atteint au général, et par le maximum de subjectivité qu'on touche à l'objectivité ». Décrivant l'un, se fondant sur l'autre, il écartait la démarche objectiviste et les prétentions positivistes de sciences par définition humaines (l'ethnologie ou la sociologie) dont l'approche, semblait-il dire, ne pouvait faire l'économie de cette question : comment et à quelles conditions un sujet peut-il poser d'autres sujets en objets de connaissance ? Bien qu'elle ne soit pas explicitement formulée en ces [14] termes, les conceptions et projets anthropologiques qu'aussi bien dans son œuvre d'écrivain que dans ses travaux d’ethnographe Leiris ébaucha, la supposent et la soulèvent. Bien plus, ils y répondent en partie, soulignant par contraste l'hypocrisie voire la vanité qu'il y aurait à prétendre que le regard de l'observateur puisse être neutre, impartial, extérieur en tout cas à son objet, lequel s'avère être déjà du sujet, - ne serait-ce d'ailleurs que par ce sujet (celui-ci singulier) à travers qui, inéluctablement, l’ethnographe accommode son regard sur les autres : l'« informateur indigène » qu'il élit par affinité ou nécessité comme guide de ses pas et interprète de ses désirs. Alors dire, décrire ce que d'ordinaire l’ethnographe tait ou cache, soit l'écho de sa présence ou les va-et-vient furtifs entre son informateur et lui, soit encore lui-même et ces quelques bribes mentales (idéologiques, mythologiques) que la culture dont il est issu accroche subrepticement mais fermement à sa panoplie « d'homme de science », voilà une des tâches que Leiris essaya de mener à bien. Prendre ainsi la mesure de l'ethnographe sur l’implication duquel Leiris - et avec lui ses compagnons du Collège de Sociologie [6] - mit l'accent. Déterminer par conséquent quel serait le degré d'incertitude ou la marge d'erreur auquel son étude serait soumise s'il ne la soumettait à une physique voire à une métaphysique de l’observation qui recentrât son regard et l'insérât dans le champ de ses investigations. Tel fut en gros le pari qu'il entendait tenir quitte à déborder l’ethnologie officielle, laquelle, en dépit de l'intérêt que Mauss portait au vécu de l'ethnographe et à la valeur documentaire de son carnet de route, engageait à l'époque un autre pari : après celui des choses sociales, déjà celui du positivisme du signe.

L'élargissement de la méthode d'observation, en partie dû à une expérience d'écrivain et à un projet poétique qui inclinent à se préoccuper sinon à rendre compte du rapport de soi au monde, provoque un [15] remembrement de ses terrains de prédilection et, plus subtilement, un changement d'objet.

Les notions de distanciation, d'exotisme, les représentations de l'autre, de la différence sont infléchies, remaniées, réajustées en fonction de critères non plus d'ordre géographique ou culturel mais d'ordre méthodologique : rendre étranger ce qui paraît proche ; étudier avec la minutie d'un ethnographe « exotique » rites et lieux sacrés des institutions contemporaines [7] ; devenir des observateurs observant ces autres qui sont eux-mêmes, à la limite cet autre qui est soi-même ; se faire, écrit Leiris au début de ses Titres et travaux, le témoin, extérieur en quelque sorte, de ce qui se déroule en soi. L'ethnographie du quotidien, que cette démarche suggère, se mue presque naturellement en une ethnographie du familier dont, bien sûr, la mesure est donnée par le vécu de l'ethnographe. Ainsi, la position nouvellement dévolue à ce dernier par rapport à son objet - non plus hors de lui mais impliqué dans et à travers lui - définit-elle une nouvelle position de l’ethnographe par rapport à l’ethnographie, une nouvelle conception de celle-ci : à la fois science et morale d'action, connaissance et intervention (engagement dirait-on maintenant) à la fois enquête et quête de l’être.

« Le sacré dans la vie quotidienne » paraît répondre à un tel projet, même si, d’emblée, Leiris s'ingénie une fois encore à brouiller les cartes. La notion de sacré, associée à celle de vie quotidienne, y semble en effet - ceci dès le titre - profanée (profanation d'ailleurs accentuée par le fait que Leiris s'approprie l'une et l'autre, il parle de sa vie quotidienne comme il traite de son sacré). De plus, cette vie quotidienne, dont il cherche à dresser la topographie sacrée, est ici remémorée, exhumée, à l'évidence reconstruite et non point dépeinte à la manière d'un ethnographe pour qui le présent [16] reste le temps privilégié de l'enquête. Elle est celle de son enfance, en quelque sorte celle des origines.

C'est donc un sacré « ancien » que l'on pourrait croire révolu, situé en tout cas au début de lui, et c'est une vie quotidienne que l'imparfait relègue dans un passé presque inachevé qui intéressent Leiris, qui seuls fondent et définissent ce qu'est pour lui le sacré - qui lui permettent de discerner quelle en est la couleur (p. 74). L'approche est surprenante car ce glissement vers soi, ce gauchissement des notions, amorcés au début de la conférence, n'empêchent nullement son auteur de s'en tenir au titre qui, ne serait-ce que par le redoublement de l'article défini qui confine au général, tend à tromper son auditoire comme il trompera plus tard quelques-uns de ses lecteurs (Georges Sadoul et René Guenon entre autres). Trompe-t-il Leiris ? Se trompe-t-il lui-même ?

On serait en droit de le penser, n'était la rigueur avec laquelle, en conclusion de son exposé (dont le titre sera malgré tout maintenu lors de sa publication dans la N.R.F.), Leiris plie, non sans humour, ses souvenirs d'enfance à la définition maussienne du sacré. Ce qui, en recouvrant d'un sens anthropologique le particulier confessé, hausse ce dernier au rang de l'universel et, par là, justifie l'énoncé du titre. L'approche expérimentée voire préconisée dans L'Afrique fantôme se trouve donc ici répétée, presque radicalisée. Nul doute qu'une telle répétition, eu égard à l'esprit de l'ethnologie officielle de l’époque, apparût comme une récidive. D'une certaine manière, le gauchissement mettons méthodologique du « sacré dans la vie quotidienne » transformait les « gaffes » de L'Afrique fantôme (qu'on aurait pu mettre sur le compte de la jeunesse ou de l’inexpérience) en délits de pensée et de méthode. L'infraction était confirmée mais n’empêchait pas son auteur de poursuivre, obstinément, jusque dans ses derniers retranchements, celui auquel l'ethnologie n'avait certes pas prévu d'appliquer ses règles : l'ethnographe. Empruntant à l'une notions, procédures ou définitions, il alla même jusqu'à les déplacer sur l'autre, proposant alors ce qui, dans les termes, [17] dut être une contradiction provocante : une sorte d' « ethnographie de soi-même », laquelle ne pouvait être, distanciation oblige (ultime concession faite à l'ethnographie), que celle de son enfance.

En ce sens, la notion de sacré que Leiris déporte vers ces lieux anciens et primitifs de l’ être rejoint la conception que Laure (Colette Peignot) formula quelques mois après qu'elle eut entendu la conférence de Leiris [8]. À ceci près toutefois qu'au lieu de rechercher la « part éternelle » ou universelle du sacré dans des « états de transe », « exceptionnels », « hors quotidien » [9], Leiris la découvre dans ces moments qu'elle appelait « pré-sacrés », régions de vie plutôt sourdes que la durée, la répétition rendent familières, presque silencieuses tant elles demeurent secrètes, enfouies, et dont la familiarité a quelque chose de mystérieux et d'exaltant. Comme si le sacré, certes fait de ruptures et d'oppositions d'espaces ou d'objets [10] nécessitait, pour être ressenti, vécu, une dimension temporelle, j'allais dire habituelle (que du reste Leiris traduit stylistiquement, recourant à l'imparfait, temps de l’inachevé, et utilisant des locutions et propositions circonstancielles) qui inscrive les objets, espaces ou gestes sur lesquels il porte ou qui le contiennent dans la périodicité, c’est-à-dire dans une régularité codifiée, proche de la mise en scène, proche du rite - perspective quasi imposée par cette faillite de la mémoire ou ces failles de l'être que Leiris, non sans amertume, observe pour lui-même : « Mais en vérité, écrit-il dans Frêle bruit [18] (4e tome de La Règle du jeu,), quand je m'attache à rassembler tout ce que mon passé a pu contenir de proprement fulgurant, je ne ramasse rien que de disséminé, de disparate et de si peu cohérent que cela montre, plutôt qu'une profusion, combien j'ai dû m’ingénier, cherchant de tous côtés de quoi meubler ce vide : l'absence d'un événement majeur dont serait issu ce qui, pour le reste de mon existence, aurait eu force de loi. »

Cette lente et laborieuse recherche des choses qui sont comme sédimentées au fond de soi élève le mouvement même qui les dévoile à la dignité d'un acte rituel, pour ainsi dire sacré. Car, pour reprendre la terminologie de Bataille, l'intensité communielle, l'expérience fusionnelle [11] avec cet être qui est soi tendent à y devenir optimales, même si elles paraissent sans cesse remises en cause au fur et à mesure que la quête révèle des régions de l'être qui, au bout du compte, s'avèrent n’en jamais être vraiment les aplats. C'est que, pour Leiris, le sacré - ou du moins ce qui le fait surgir - réside peut-être dans ce mouvement vertigineux par lequel il tente de saisir l'ordinaire de soi, mais que la mémoire, avec sa paresse naturelle, disperse, élude, lézarde et maintient dans une zone d'ombre et de silence aussi vide de secrets que les mots qui cherchent à en percer l'intimité sont pleins de sens... Tout entière prise dans ce combat paradoxal, souvent pathétique, avec la mémoire, la course au bout de soi n'est pas sans lien avec celle que l'ethnographe, aux prises avec une mémoire cette fois collective, mène au bout des autres.

En apparence « banalisée », tant par son rejet dans le passé que par les lieux et objets dans lesquels Leiris la découvre s'enraciner, la notion de sacré semble chez lui dépourvue de toute idée de perte, de déchirure ou de dépense qu'au contraire Colette Peignot, et partant Bataille, mettaient à son fondement. Il semble même que, pour lui, ce soit la perte qui, par la discontinuité qu’elle introduit, inaugure le profane et désenchante le monde. L'épisode du petit soldat, mentionné dans « Le sacré dans la vie quotidienne » [19] (p. 72) puis repris, développé, dans le premier chapitre de Biffures, laisse entrevoir un tel renversement de perspective.

La minutie hésitante avec laquelle Leiris campe le décor du lieu où se déroule cette scène dramatique pour l'enfant qu'il est : la chute d'un soldat « de plomb ou de carton-pâte » (« un des éléments du monde, écrit-il, auxquels, Voir sur ce point les notes que Bataille et Leiris rédigèrent pour l'édition « hors commerce » du Sacré de Laure (repris dans ses Écrits, op. cit., 1978, pp. 159-170).en ce temps-là, j'étais le plus attaché ») ; le fait que sa chute soit répétée, décrite à nouveau dans chacun des huit premiers paragraphes de Biffures ; la fréquence des incises et des parenthèses qui à la fois enrobent et fracturent l'incident en autant d'entrées que la mémoire permet... Tout décidément tend à retarder l'échéance de l'événement, à suspendre cette perte que, par son geste malhabile, l'enfant appréhende, à la mettre en scène. Tout se passe comme si Leiris voulait apprivoiser la fugacité et la violence de ce moment qui, introduisant La Règle du jeu, dit déjà de son expérience intime ces deux choses apparemment contradictoires qui feront son ordinaire d'homme et qu'il s'emploiera à toujours mettre en présence dans un lieu - l'écriture - où pourtant elles ne peuvent que s'opposer : une maladresse manuelle et une passion du langage, de la langue et des mots écrits.

Car le soldat tombé mais non cassé lui fait s'écrier « ... reusement », un vocable d'enfant qu'une personne de son entourage à l'instant présente (« mère, sœur ou frère aîné ») corrige en « heureusement ». Rabattant brusquement sa joie de découvrir le jouet intact, la remontrance - au début vue comme une invasion du profane - a pour lui l'effet d'une « stupéfiante découverte » (p. 72). Elle ouvre une brèche dans son monde sacré d’enfant au sein duquel objets, paroles et gestes avaient la plénitude et la coïncidence des origines. Elle capture son vocable pour le lui restituer rectifié selon les règles d'un univers de langue dont il découvre la préexistence et l'extériorité. Mais la surprise passée, cet univers bientôt pourvu « d'antennes mystérieuses » devient celui où les mots, de choses à soi, se transforment, alors corrigées, domptées, en choses d'abord communes puis officielles ; où, devrait-on dire, le sacré gauche de « ... reusement » - chahuté par la [20] remontrance - se transmue en le sacré droit de « heureusement ». Moment donc fondamental sinon fondateur où il appert que les mots peuvent être pris et mis de travers, tordus, écorchés, révélant - par un décalage serait-il phonétique - un monde étrange et envoûtant, proche d’un monde sacré ou au moins merveilleux (comme Leiris aura plus tard tendance à le concevoir [12]) mais dont on ne sait s'il est gauche ou droit, un monde en suspension.

Aussi la maladresse accidentelle par laquelle Leiris inaugure Biffures et sur laquelle il termine pratiquement « Le sacré dans la vie quotidienne » (maladresse manuelle et verbale somme toute normale pour un enfant) prend-elle valeur de métaphore. Bien plus, elle devient cause voire nécessité, en tout cas ouverture. Non seulement elle témoigne de son quotidien (qu'il a par ailleurs décrit çà et là dans L'Afrique fantôme puis dans L'Âge d'homme) mais, enrayant l’ordre des choses et blessant le corps des mots, elle est comme investie d'une vertu que l’on pourrait croire civilisatrice : faute use de désordre, elle rappelle la présence d'un ordre et appelle une remise en ordre, quand bien même celle-ci serait biaisée, quelque peu transgressive ainsi que Leiris s'ingénia à la rendre, tordant le sens des mots, cherchant à leur faire rendre gorge (Glossaire, j'y serre mes gloses), brisant la coulée des phrases (significative est la fréquence des parenthèses, des incises, des appositions, de la ponctuation qui entre autres caractérisent son style), respectueux cependant de leurs règles d'accord ou soucieux de leur en découvrir de nouvelles... Toujours préoccupé de la règle comme le montre, le titre qu'il choisit de donner à ses essais « autobiographiques » : La Règle du jeu.

Depuis longtemps familiarisé avec une maladresse qu'au début de L'Âge d'homme il perçut inscrite dans son propre corps, Leiris a certes appris à en mesurer les dangers et, sans doute, à prévenir la chute, la faute [21] ou encore le malheur qu'on s'attendrait à ce qu'elle provoquât, ne fût-ce que par le déséquilibre qu'elle ne pouvait manquer d’introduire entre lui et le monde. Trop vive, trop voyante peut-être, déjà présente dans une écriture qui, faute d'avoir su ou pu - sauf une fois (Aurora) - produire une fiction que l’on eût attendue de la part d'un écrivain, emmêle diverses figures de soi, Leiris parait s'en accommoder, s'y appuyer, en jouer même pour découvrir un univers dont cette maladresse ne fait que chahuter l’ordre bien que, par contraste, elle en souligne les lois. Tel le Décepteur (Trickster diraient les anglo-saxons) des contes d'Afrique noire, toujours gaffeur quoiqu’un peu ficelle, en apparence brouillon ou empêtré, Leiris détraque le cours (bien sûr ordonné) des événements, énonce d'autres règles qui le parodient et qui, somme toute, en proclament l'arbitraire. Rien n'est plus clair sur ce point que la manière dont il conduit son projet « autobiographique », réussissant ce tour de force à parler de lui tout au long de L'Âge d'homme et des quatre tomes de La Règle du jeu sans pratiquement jamais fournir de renseignements qui permettraient d'établir sa « biographie », préférant la « mosaïque » de L'Âge d'homme ou le puzzle de La Règle du jeu à la chronologie des Confessions, subissant et utilisant alors, avec un plaisir que l’on imagine malin, les imperfections d’une mémoire spontanément rebelle à la succession du temps.

En fait « naturelle » comme celle qui, en revanche, accuse Billy Budd (ce Beau Marin de Melville dont la voix sous l'influence de sentiments violents est sujette à une « hésitation organique » qui l’empêchera de contester les accusations de Claggart et qui entraînera sa déchéance puis sa mort), la maladresse de Leiris ne le condamne pas. Elle n'est pas ce secret défaut de la cuirasse qui mettrait celui qu'elle recouvre en danger sournois de blessure ou de mort. La cuirasse elle-même semble maladroitement portée, comme si Leiris voulait - en ceci encouragé par sa malhabileté de nature - placer de travers ce qu'il est convenu de tenir droit. Sorte de tour de saltimbanque qui, par de subtiles manipulations, ferait accroire que les [22] choses peuvent être aussi bien regardées à l'envers ou déformées sans que leur essence en soit altérée.

De ce point de vue, la figure de l'oncle maternel esquissée dans L'Âge d'homme (marginal quoique - parce que ? - acrobate, en réalité jongleur dans un cirque) aurait la fonction d'une allégorie, voire d'un sourd leitmotiv dont le rythme, certes moins insistant que celui qui soutient les images de Judith et Lucrèce, serait plus profond, plus proche, plus « corporel ». Son entrée dans la vie de Leiris (du moins ce que ce dernier en retient ou en confesse) le situe d'emblée sous le signe de la maladresse : vivant très modestement, séparé de sa première femme « avaleuse de sabre », handicapé par une fracture du poignet (le comble pour un jongleur !), il vient de trouver asile chez les parents de Leiris ; la mère, un jour entrant dans sa chambre et portant le jeune Michel dans ses bras, glisse, tombe, se cogne la tête à l'angle d'un meuble, saigne, et bien sûr entraîne l'enfant dans sa chute, lequel, heurtant violemment son menton contre le sol, ne parvient plus à remuer les mâchoires, ne peut donc articuler aucune parole ni, de ce fait, exprimer son mal sinon par des cris ou des pleurs (dont on ne sait jamais, s'agissant d'un enfant, s'ils sont de peur ou de douleur) ; l'impuissance de l'oncle, le bras en écharpe, à les secourir... Manifestement, rien ne va plus, ou plutôt tout va de travers, se dérègle, alors qu'on se serait attendu à ce que l'oncle, précisément qualifié dès le titre du chapitre « d'acrobate », rétablît l'équilibre des choses ou conjurât par sa présence leur éventuel désordre. Au lieu de cela, il est vu comme « la cause première de l'accident », - faute à son poignet cassé qui, l'amenant sur le territoire de Leiris, provoque, par une étrange contagion de plaies et de bosses et par un non moins étrange emballement des gestes, toute une cascade de faux pas au bout desquels le jeune Michel Leiris pour la première fois (dans le récit et peut-être dans la chronologie avant l'épisode de la « gorge coupée ») perd la parole, se trouve dans l'incapacité [23] de dire... fût-ce « ... reusement » ou bien son étonnement de ne découvrir dans cet acrobate que tout enfant eût été ravi d'approcher rien d'autre qu'un empoté qui faisait plutôt naître des pleurs et des cris que des rires ou des soupirs d'aise... Cette scène semble tenir lieu d'ouverture secrète à son « opéra fabuleux ». En effet, derrière la mêlée peu acrobatique des corps et des cris que décrit Leiris, se profile le thème déhanché, syncopé, presque en mineur de la vie de l'oncle, à vrai dire son côté gauche pour lequel, dans la suite, Leiris ne dissimule ni son intérêt ni son attachement au point de s'en avouer « très proche » et de reconnaître qu'il eut sur lui « une grande influence » : cette maladresse sociale, cet « abaissement », cette « déchéance » ou encore, eût suggéré Rimbaud, cet « encrapulement » qui l'amena notamment à « ramasser ses femmes, l'une dans la sciure des pistes, l'autre presque sur le trottoir »... Vie agitée et dévoyée qu'un entourage bourgeois se croyait obligé de juger « scandaleuse » et « sotte », mais d'où surgissait une sorte de poésie populaire voisine de celle qu'inventa plus tard Jacques Prévert. Envers touchant et pour Leiris fascinant de la prodigieuse habileté manuelle de son oncle, laquelle s'enfuit, comme un flocon qu'encore et toujours les mains des enfants tentent d'attraper, un jour de neige...

Ni mal donc, ni malédiction, ni faute, la maladresse chez Leiris est surtout erreur, « gaffe », simple, quasi innocent raté des gestes ou des paroles qui, excoriant les surfaces du monde, y révèle que chaque mot, chaque chose peut être - ainsi que le prédit cette maladresse qui est d'abord gaucherie - gauchie, c'est-à-dire, eût noté Bataille, qui peut être regardée comme la parodie d'une autre, ou bien comme la même chose sous une forme décevante (L'Anus solaire).

Radicalisée, cette idée est reprise par Leiris dans « Le sacré dans la vie quotidienne ». Annonçant l'épisode de « ... reusement » et se rappelant le trouble particulier qui naissait en lui à l’occasion de « corrections d'audition ou de lecture » qui faisaient apparaître pour un même mot des [24] variantes phonétiques, il remarque que le langage « se trouvait là comme tordu et que dans le minime écart qui séparait les deux vocables - devenus tous deux pleins d’étrangeté quand, maintenant, je les comparais l’un à l’autre (comme si chacun d'entre eux n'était que l'autre écorché et tordu) - s'ouvrait une brèche apte à laisser passer un monde de révélation. » (p. 72). Ce monde découvert par maladresse où le sens un instant trébuchait, où les conventions phonétiques patinaient, était près de constituer pour lui le « domaine par excellence du sacré ».

Là encore, dans cette conception quasi structurante de la maladresse, l’influence de - et la référence à – l’ethnographie est particulièrement sensible. C'est en effet presque toujours à partir de ses propres faux pas ou maladresses - au début bien « naturelles » pour qui pénètre dans ces mondes étrangers - que l’ethnographe accède à l'ordre des autres, en prend conscience ; c'est souvent avec elles qu'il commence d'observer et c'est, dans la plupart des cas, grâce à elles qu'il recompose le mouvement social ou l'appareil idéologique qui les a désignées comme telles, en somme comme erreurs sans lesquelles non seulement la connaissance mais la perception de ce qu'ils sont lui seraient impossibles. Vieille idée certes, mais qui chez Leiris prend une couleur particulière dans la mesure où, la poussant jusqu'au bout et la retournant vers lui, il suggère que la connaissance de soi n’est elle-même envisageable que par le regard des autres qui, de soi, viennent d'abord dire ceci : qu'on est maladroit.

La démarche de Leiris débute en fait de la même manière que se termine celle de Proust : par un faux pas [13]. Elle se risque ensuite vers des « parages hasardeux » qui, de par le déséquilibre introduit, fissurent le quotidien, le « décompressent » dirait Sartre, et dans lesquels des fragments d'être ou de sens peuvent s'engouffrer sans que toutefois Leiris paraisse craindre qu'ils s'y perdent, étant lui-même trop absorbé par son désir de les assembler et [25] de les ajuster à la façon d'un joueur de puzzle, - puzzle dont les pièces, au début séparées puis mélangées par respect de la règle du jeu, représentent autant de morceaux originels que la patience, l'intuition et à présent l'habileté de la mémoire constitueront, alors réunies selon leur configuration et leur couleur, en régions primitives de l’être, de son « être-au-monde »...

D'un autre point de vue, cette démarche n'est pas sans rappeler celle d'un funambule, mais d'un funambule qui, avant sa performance, aurait pris la peine de vérifier qu'un filet fût tendu en dessous de lui afin de parer à la chute qu’occasionnerait le moindre de ses faux pas. A cet égard, elle diffère assez nettement de celle que Bataille, plus « religieux », proposait, cherchant à ce que le faux pas fût poussé jusqu'au péché, jusqu'au sacrilège, voire jusqu’au sacrifice, faux pas qui rentrait dès l'abord dans une problématique de la faute. À cet égard également, l'approche de Leiris suppose et s'assure qu'un univers de règle et de langue (le filet ?) préexiste au sujet, lui est sinon antérieur du moins extérieur. La loi, l'ordre, l'arbitraire aussi lui en sont révélés par ces minces écarts de langage ou par ces gestes malhabiles qui sont au début de l’être, presque au début de l'art.

Il n'y a donc chez Leiris ni apologie de la perte ni incitation à la dépense (de vie : « le sacrifice ») auxquelles Bataille - portant il est vrai les activités du Collège de Sociologie à bout de bras - accordait par contre tant d'importance.

L'enfant du « Sacré dans la vie quotidienne » et de Biffures ne perd pas son jouet. Il gagne même une syllabe qui lui ouvre les grilles du langage : le « heu » de « heureusement ». L'acrobate de L'Âge d'homme « provoque » certes la chute du jeune Leiris, le laisse ensuite sans voix, mais en revanche lui dévoile - fût-ce par la structure du récit ou par la mise en scène des souvenirs - tout un monde de frasques où point déjà, encore timide cependant, comme un accent de blues qui annonce cette passion du jazz et des danses nègres que Leiris manifestera plus tard... (musique syncopée, [26] corps déhanchés qu'une étonnante virtuosité maintient au bord du temps et de l'équilibre, et qui, par ce gauchissement des notes et ce balancement des gestes que celle-ci pousse parfois jusqu'au trébuchement, au seuil de la maladresse, ne pouvaient manquer de séduire et d'émouvoir le jeune homme Leiris).

C’est que, à l'instar des bons joueurs, Michel Leiris eut certainement horreur de perdre, bien qu'il sût qu'il lui manquerait sans cesse une carte pour gagner la partie qu'il avait décidé de mener avec lui-même : l'as de pique, signe de la mort, cette ultime maladresse de la vie que l'ethnographe ne pourrait jamais arranger et qui, toujours, se jouerait sans l'autobiographe.



* Cette présentation reprend, modifié, un article que j'ai publié en 1981 dans la revue L'Ire des vents (n° 3-4, pp. 98-118), et intitulé : « Quand le sacré devint gauche ».

[1] 26e année, n° 298, 1er juillet 1938, pp. 26-38. Conférence située entre celle de Bataille (« L'apprenti-sorcier ») et celle de Caillois (« Le vent d'hiver ») - l'ensemble, réuni sous le titre « Pour un Collège de Sociologie », constituant une sorte de manifeste où chacune de ces conférences prenait valeur de texte-programme.

[2] Voir Change (n° 7  1970, pp. 63-72), plus récemment Denis Hollier (éd.), Le Collège de  Sociologie, Paris Gallimard, 1979, pp. 60-74. Dans la suite, je me référerai à cet ouvrage dont une nouvelle édition, augmentée, doit paraître prochainement chez Gallimard dans la collection « Folio Essais ».

[3] Opuscule multigraphié, rédigé en août 1967 et destiné au Centre National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.) auquel, comme ethnographe, Leiris a appartenu jusqu'en 1971. Cet opuscule a été publié peu après sa mort dans la revue Gradhiva (n° 9, 1991, pp. 5-13), puis repris dans le recueil posthume C’est-à-dire (Paris, Editions Jean-Michel Place, 1992).

[4] Georges Sadoul, « Sociologie sacrée », Commune, n° 60, 1938, pp. 1515-1525 (cit. par D. Hollier, op. cit,. 1979, pp. 567-572).

[5] Dans son article « Caillois et l'imaginaire », Cahiers internationaux de sociologie, LXVI, 1979, p. 91.

[6] Voir la manière dont Bataille concevait la démarche du sociologue qui, étudiant le fait social (dont Bataille supposait qu'il « représente la totalité de l'existence), devait prendre en compte autant la société que l'individu, aussi bien l'objet que son observateur, sous peine de faire de l'un ou de l'autre « l'oiseau décervelé des lois savantes » (cf. notamment la première note de « L'apprenti-sorcier », in Hollier, op. cit., 1979, p. 36).

[7] Ce fut notamment là le projet du Collège de Sociologie, tel qu'on le trouve exprimé dans le « manifeste » d'abord publié dans Acéphale de juillet 1937, puis repris dans l'introduction à « Pour un Collège de Sociologie » que Caillois rédigea pour la N.R.F. de juillet 1938. On peut y lire que la sociologie « s'est trop limitée à l'analyse des structures des sociétés dites primitives, laissant de côté les sociétés modernes et que l'objet précis de l'activité envisagée par le Collège peut recevoir le nom de sociologie sacrée en tant qu'il implique l'étude de l'existence sociale dans toutes celles de ses manifestations où se fait jour la présence active du sacré (in D. Hollier, op. cit., 1979, p. 33 et p. 34).

[8] Reprenant la dernière phrase de l'exposé de Leiris sous une forme interrogative, Colette Peignot le concevait ainsi : « Quelle couleur a pour moi la notion même de sacré ? Le sacré est ce moment infiniment rare où la part éternelle que chaque être porte en soi entre dans la vie, se trouve emportée dans le mouvement universel, intégrée dans ce mouvement, réalisée. » (Laure, Écrits, Paris, U.G.E., 1978, p. 111).

[9] Laure, op. cit., 1978, pp. 111-112.

[10] Leiris y insiste en distinguant le pôle droit (chambre parentale, haut-de-forme et revolver de son père) et le pôle gauche (W.C. où tous les soirs il s'enferme avec son frère, salamandre) de sa géographie sacrée. Cette distinction entre sacré droit et sacré gauche, parallèlement utilisée par Caillois et Bataille, fut empruntée à R. Hertz qui, dans Sociologie religieuse et folklore (Paris, PUF, 1970, pp. 84-109, Ire édition : 1926) souligna l'ambiguïté du sacré, lequel se clive en un pôle droit, pur, faste, localisé (qui force « le respect, l'amour, la reconnaissance ) et un pôle gauche, impur, néfaste, diffus (qui provoque « le dégoût, l'horreur et l'effroi »). Voir aussi, Roger Caillois, L'Homme et le sacré ( Paris, Gallimard, 1976, pp. 42 sq.).

[12] Voir son « essai » sur le merveilleux dans le dernier tome de La Règle du jeu : Frêle Bruit, pp. 323-379.

[13] À la fin du Temps retrouvé, se rendant à une matinée chez la princesse de Guermantes, le narrateur bute contre des pavés mal équarris de la cour de l'hôtel, faux pas qui lui donne une sensation de félicité semblable à celle de la madeleine et qui lui fait retrouver le temps perdu...



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 septembre 2015 10:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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