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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe (1955)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Michel Leiris, Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe. Paris: UNESCO-Gallimard, 1955, 192 pp. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi, Ville de Saguenay. Collection: Race et société. [La diffusion de ce livre, dans Les Classiques des sciences sociales, a été accordée le 3 avril 2008 par M. Jean Jamin, directeur de la revue L'Homme, responsable de l'héritage intellectuel de l'auteur. Un grand merci à M. Jean-Luc Bonniol pour ses démarches pour l’obtention de cette permission.]

Introduction

Effectué pour le compte de l'Unesco le présent travail met en œuvre, avec des documents empruntés à des sources bibliographiques, une bonne part des matériaux originaux recueillis par l'auteur durant les deux voyages qu'il a faits en Martinique et en Guadeloupe et au cours des nombreux entretiens qu'il a pu avoir à Paris avec des Français de couleur originaires des Antilles. 

Ayant obtenu l'une des bourses d'études données par le Ministère de l'Éducation nationale à l'occasion du centenaire de la Révolution de 1848 et bénéficié, en outre, d'une subvention du Service universitaire des relations avec l'étranger ainsi que d'une mission de la Direction générale des relations culturelles (conférences à Port-au-Prince, dans le cadre de l'activité de l'Institut français d'Haïti), l'auteur a fait du 26 juillet au 13 novembre 1948 un premier voyage aux Antilles, dont les buts étaient les suivants : 1° examen rapide du folklore de la Martinique, de la Guadeloupe et d'Haïti (c'est-à-dire des trois Antilles qui ont à la fois le français comme langue officielle et le créole français comme langue populaire) en vue de rechercher ce qui peut y être relevé comme traits de civilisation d'origine africaine ; 2° prise de contact avec les intellectuels des trois îles afin de resserrer les liens culturels tant avec la République d'Haïti qu'avec les nouveaux départements français, nécessairement handicapés à cet égard par rapport à des départements plus proches. 

Aux observations rassemblées au cours de ce premier voyage s'adjoint la masse plus importante des notes d'enquête et autres documents recueillis, du 21 mars au 21 juillet 1952, en Martinique, en Guadeloupe et dans les principales dépendances de cette dernière, au cours du séjour que l'auteur y a fait, procédant – selon les termes d'un contrat conclu avec le Département des sciences sociales de l'Unesco – à « l'examen critique des moyens mis en œuvre en vue d'intégrer à la vie de la communauté nationale les groupes humains d'origine non européenne » établis aux Antilles françaises. Il était convenu que cette étude purement sociologique ne prendrait pas la forme d'une enquête administrative et serait menée en toute objectivité, abstraction faite de considérations d'ordre politique. 

Si la vie d'une communauté nationale s'exprime par sa culture (au sens large du terme) et si la culture ainsi conçue se définit à chaque moment de son évolution comme l'héritage social à partir duquel (le reprenant, le modifiant, y ajoutant des éléments nouveaux acquis par voie d'invention ou d'emprunt et rejetant, à l'inverse, une part plus ou moins grande de ses éléments traditionnels) chaque génération montante organise ses conduites et prépare une base de départ pour la génération suivante, intégrer à la vie de la communauté française des groupes que leur origine différencie sensiblement des autres constituants de cette communauté, cela veut dire amener les groupes en question à prendre leur part entière de la culture française, ce qui implique qu'ils ne se borneront pas à la recevoir passivement mais participeront à son élaboration, puisqu'il est entendu qu'une culture, quelle qu'elle soit, loin d'être donnée une fois pour toutes, apparaît sujette à des transformations auxquelles les divers groupes dont se compose la société qu'elle caractérise contribuent dans la mesure exacte où ils y sont intégrés et se trouvent, par conséquent, à même d'exercer leur influence. Faire participer intégralement à la vie française les groupes d'origine non européenne établis en Martinique et en Guadeloupe, cela signifie donc amener les Martiniquais et les Guadeloupéens de couleur, aujourd'hui citoyens français une égalité concrète (point seulement juridique) avec les autres citoyens et leur donner les moyens d'intervenir de manière positive dans le développement de la culture nationale, sans qu'ils doivent renoncer pour autant à ce qui leur appartient en propre sur le plan des particularismes régionaux et peut déjà représenter, en tant que tel, un apport original. 

L'intégration de ces groupes d'ascendance non européenne (ou d'ascendance mixte) à la vie de la communauté française ne saurait être tenue pour effectivement réalisée tant que n'auront pas été atteints les objectifs suivants :

 

1. Diffusion de ce que nous avons coutume de regarder comme notre patrimoine culturel dans les masses « de couleur » (au sens le plus étendu de l'expression : tous ceux qu'on tient pour autres que des Blancs, quelle que soit leur origine), masses qui en dehors des éléments de couleur constituant la majeure partie de la bourgeoisie instruite comprennent la quasi-totalité des classes laborieuses et dont la vie apparaît, dans l'ensemble, située dès longtemps dans l'orbite de la civilisation française, de sorte que le problème de diffusion culturelle posé ici s'avère être, essentiellement, un cas particulier du problème général de l'éducation populaire. 

2. Création de conditions permettant à ces masses de couleur d'apporter à la culture française, au moins par le truchement de certains de leurs représentants agissant sur le plan proprement « culturel », la contribution spécifique qu'il est permis d'attendre, de la part d'éléments que leur provenance relie – ne serait-ce que lointainement et de façon très fragmentaire – à des civilisations autres qu'européennes. 

3. Élimination des préjugés raciaux (l'intégration ne pouvant, par définition, être complète dans une société tant qu'il subsiste des préventions entre les groupes d'origines ethniquement différentes qui la composent) : a) préjugés des Blancs, qui tendent à assigner aux autres groupes une position marginale si ce n'est inférieure ; b) préjugés des gens de couleur, tendant à les opposer aux Blancs ou à les diviser entre eux (selon leur provenance ou leur degré de coloration).

 

L'action menée aux Antilles françaises dans le sens de cette triple perspective et ses résultats éventuels définissaient donc le cadre général de mon étude ; celle-ci exigeait, pratiquement, que fussent examinés les points suivants :

 

1. Les conditions générales d'existence, la vie matérielle (alimentation, habitat, travail, hygiène, etc.) et les façons de vivre, vu que les faits culturels (au sens étroit) ne sont pas compréhensibles si on les isole de leur contexte social et que l'assimilation de la culture française par les masses envisagées suppose un minimum de commodités d'existence.
 
2. L'enseignement et, plus généralement, l'éducation sous toutes ses formes, officielles et officieuses.
 
3. L'apport proprement « antillais » de la Martinique et de la Guadeloupe à la culture française : arts populaires, littérature orale ou écrite, etc.
 
4. Les relations entre groupes originaires racialement différents.
 
5. Le problème des rapports, sur place ainsi qu'à la métropole, entre Français d'Europe et gens de couleur martiniquais et guadeloupéens.

 

Pour effectuer cet examen dans le temps fort restreint (quatre mois environ) dont je disposais pour travailler sur le terrain, j'ai utilisé divers moyens d'information qui m'ont fourni des matériaux, complétés, à Paris, grâce à mes notes anciennes et à des recherches bibliographiques :

 

1. Collecte de documents administratifs et non administratifs (rapports de chefs de service, tableaux statistiques, comptes rendus, articles de presse, etc.) ;
 
2. Interviews de personnalités aussi nombreuses et variées que possible appartenant aux divers cercles sociaux : administration, représentation élue, corps enseignant, économie, syndicats, armée, clergé, professions libérales, etc. ;
 
3. Observations personnelles (dans la vie quotidienne telle que je l'ai menée durant mes séjours à Fort-de-France, Basse-Terre et Pointe-à-Pitre ou bien au cours de déplacements effectués intentionnellement soit à l'intérieur des deux îles soit dans les dépendances de la Guadeloupe).

Ce dernier procédé – qu'on peut à peine appeler « procédé » puisqu'il se réduit à peu près à écouter et regarder, ainsi qu'à relever, lors d'une enquête menée sur un point donné, maint détail tout à fait extérieur à l'objet de ladite enquête – m'a été particulièrement utile pour l'étude des relations interraciales, sujet très délicat à aborder de front dans des régions où sévissent encore de nombreux préjugés (dont ceux qui en sont affectés n'ont souvent pas conscience) et sur lequel il est en tout cas malaisé – à tout le moins dans limites d'entretiens forcément brefs pour la plupart et ne présentant, en règle générale, nul caractère d'intimité - d'obtenir des réponses valables, même de la part d'interlocuteurs doués de la bonne volonté la plus certaine et disposés à s'expliquer sur une question qui, tant pour les originaires blancs que pour les originaires de couleur, représente un point sensible. 

En dehors de quelques personnes qui sont pour moi déjà des connaissances de longue date, amis aujourd'hui des plus chers que j'ai rencontrés lors de mon séjour de 1948, voire même antérieurement à ce premier voyage : M. Aimé Césaire, député maire de Fort-de-France, et tout son entourage tant familial que municipal, le Dr Robert Rose-Rosette, directeur du service vétérinaire et président de l'Union départementale des syndicats d'initiative de la Martinique, Me Georges Gratiant, du barreau de Fort-de-France, M. et Mme Aristide Maugée, professeurs de l'enseignement du second degré (Martinique), M. Albert Joyau, maire du Prêcheur (Martinique), M. Nestor de Kermadec, professeur en retraite, et de nombreux membres de sa famille (Guadeloupe) ; je dois remercier très particulièrement, pour l'aide substantielle qu'ils m'ont apportée sous des formes diverses en Martinique, MM. Christian Laigret, préfet, et André de Passillé, secrétaire général, Mgr Varin de la Brunelière, évêque, le commandant Robert, chef d'état-major du colonel commandant supérieur des troupes du groupe Antilles-Guyane, M. Guelfi, vice-recteur, M. Jacques Chevallier proviseur du lycée Schœlcher, et Mme Chevallier, inspectrice de l'enseignement du premier degré, MM. Louis de Laguarrigue, président du Syndicat des planteurs et manipulateurs de canne, Charles Clément, président du Syndicat des distillateurs, Eustache Lotaut, président de la Fédération mutualiste, Victor Lamon, secrétaire de l'Union départementale des syndicats cégétistes, Manuel Nogret, directeur adjoint de la Banque de la Martinique, Auguste Joyau, président du club du Fort-Royal, H. Saë, secrétaire général de la Fédération des œuvres laïques, et Mlle Emma Pilotin, assistante sociale ; en Guadeloupe : MM. Gaston Villeger, préfet, Olivier Philip, directeur du cabinet, et Rousselet, sous-préfet de Pointe-à-Pitre, Mgr Gay, évêque, le lieutenant-colonel Volff, commandant militaire, MM. Eric Steib, proviseur du lycée Carnot et vice-recteur par intérim, Élie Chaufrein, proviseur du lycée Gerville-Réache, Edinval, secrétaire de l'Union départementale des syndicats et de la Fédération des œuvres laïques, Ernest Bonnet, président du Syndicat des producteurs exportateurs de sucre et de rhum, Mercier, directeur de l'usine Darboussier, Gallet, directeur administratif de l'usine, Beauport, Mes Gerty Archimède et Gérard Saingolet, du barreau de Pointe-à-Pitre, MM. Henri Stehlé, directeur du Centre de recherches agronomiques des Antilles et de la Guyane françaises, et Valérien Yoko, président de la Caisse de crédit agricole mutuel. Dans les deux départements, j'ai trouvé l'assistance la plus efficace en même temps qu'un excellent accueil auprès de MM. les directeurs de la population, de la santé, du travail, de l'enregistrement, des services agricoles et des eaux et forêts, qui m'ont fait obligeamment bénéficier de leurs savoirs respectifs et à qui je dois une part importante de ma documentation. En Guadeloupe, grâce au commandant Létin, commandant de l'aéroport de Raizet, et grâce à l'Aéro-Club, j'ai pu effectuer divers déplacements sur des parcours pour lesquels il n'existait pas de liaison aérienne régulière, et je dois, par ailleurs, au capitaine Peyraud, commandant de la gendarmerie de Pointe-à-Pitre, d'avoir pu profiter de la jeep de ses subordonnés pour parcourir Marie-Galante lors de la visite que j'ai faite de cette dépendance. 

Il m'est pratiquement impossible de nommer ici tous ceux qui mériteraient d'être nommés ; d'une manière générale, j'aurais mauvaise grâce à ne pas rendre hommage à la compréhension dont ont fait preuve à mon égard, quelle que soit leur couleur et à quelque milieu social qu'elles appartiennent, presque toutes les personnes à qui je me suis adressé pour les besoins de mon enquête. Je garde une gratitude toute spéciale à M. Guy Lasserre, chargé de mission du Centre national de la recherche scientifique, qui prépare actuellement une thèse de doctorat portant sur la géographie humaine de la Guadeloupe et qui m'a fait profiter, dans l'esprit de la collaboration la plus ouverte et la plus cordiale, de la connaissance profonde qu'il a du milieu guadeloupéen. J'ajoute que je n'aurais même pas eu la possibilité matérielle d'effectuer un premier voyage, qu'un deuxième a suivi grâce à l'appui de l'Unesco, sans la confiance qui m'a été faite par mon maître de toujours, le professeur Paul Rivet, directeur honoraire du Musée de l'homme, et par le professeur Charles-André Julien. Enfin, M. Gilbert Gratiant, professeur à Paris au lycée Claude-Bernard, a bien voulu m'aider dans la révision de ce travail pour ce qui concerne la Martinique, son pays d'origine. 

Il est souhaitable qu'un nombre accru de chercheurs tant originaires que métropolitains s'attachent à l'étude de la Martinique et de la Guadeloupe îles dont on peut dire qu'en dehors du travail du R. P. Delawarde sur les paysans martiniquais, paru en 1937, et de l'ouvrage (géographique, mais dont certains chapitres débordent ce cadre) consacré à la Martinique par M. Eugène Révérât et publié en 1949, la vie sociale n'y a fait l'objet, même partiellement, d'aucune description systématique. Si l'étude des contacts est une branche importante de la science des cultures l'intérêt théorique de l'ethnologie antillaise apparaît d'autant plus certain qu'il s'agit d'une région du monde où se sont rencontrées des civilisations très diverses en même temps que s'y opérait un grand brassage humain ; vu les problèmes sociaux qui s'y posent avec acuité, son intérêt pratique n'est pas moins considérable.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 3 mai 2008 8:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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