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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques Légaré, Nicole MARCIL-GRATTON et Yves CARRIÈRE, “Vieillir en emploi. Un choix inscrit dans l’avenir démographique du Québec.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Rodrigue Blouin, Gilles Ferland, Alain Larocque, Claude Rondeau et Lise Poulin Simon, Vieillir en emploi, chapitre 1, pp. 11-29. Québec : Les Presses de l'Université Laval, 1991, 199 pp. Actes du 46e congrès annuel des relations industrielles organisé par le département des relations industrielles de l’Université Laval, avril 1991. [Autorisation accordée par l'auteur le 24 août 2004.] [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 24 août 2004]

[11]

Jacques Légaré,
Nicole MARCIL-GRATTON et Yves CARRIÈRE

Groupe de recherche sur la démographie québécoise,
Université de Montréal

Vieillir en emploi.
Un choix inscrit dans
l’avenir démographique du Québec
”.


Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Rodrigue Blouin, Gilles Ferland, Alain Larocque, Claude Rondeau et Lise Poulin Simon, Vieillir en emploi, chapitre 1, pp. 11-29. Québec : Les Presses de l'Université Laval, 1991, 199 pp. Actes du 46e congrès annuel des relations industrielles organisé par le département des relations industrielles de l’Université Laval, avril 1991.


Introduction
Le vieillissement de la population du Québec (1961-2011)
Le vieillissement de la population d’âge actif le déterminisme démographique
Le nouveau visage de la population active
Démographie et gestion de la main-d'œuvre, une nécessaire alliance
Conclusion
Bibliographie


INTRODUCTION

Du point de vue du démographe, la question du vieillissement à venir de la population n’en est plus une ; elle fait désormais partie des données inéluctables de la réalité québécoise des prochaines décennies. Les adultes d’aujourd’hui vivront leurs derniers jours entourés, une fois sur cinq, soit deux fois plus souvent que maintenant, de personnes qui comme eux seront dites âgées. Ce vieillissement de la structure par âge verra son apogée d’ici quelque 40 ans, au moment où toutes les générations ballonnantes du « baby-boom », peu soutenues par les générations anorexiques du « baby-bust » qu’elles auront consciemment maintenues squelettiques, auront grossi démesurément les rangs de l’âge d’or. Cette perspective fait couler beaucoup d’encre, pour ne pas dire qu’elle fait sonner l’alarme quant au sort des générations montantes qui devront, si l’on maintient les attentes actuelles en matière de soutien entre générations, porter sur leurs épaules peu nombreuses la charge croissante de faire vivre des aînés qui se fera proportionnellement de plus en plus lourde. Et ce ne sont pas que des mots : en 1986, on pouvait compter sur les efforts de six Québécois d’âge actif pour combler les besoins d’une personne âgée de 65 ans et plus ; d’ici 30 ans, la même charge ne sera plus supportée que par deux ou trois adultes en âge de travailler.

Cet aspect du vieillissement, certes le plus spectaculaire et sans doute le plus pressant en ce qui a trait à la planification des ressources et à la gestion de la politique de retraite, fait la manchette et laisse dans l’ombre d’autres aspects du processus, dont celui du vieillissement en emploi. En effet, on oublie trop souvent d’attirer l’attention sur les nombreux effets du vieillissement de la population, autres que ceux qui sont dus à l’augmentation du poids relatif des personnes âgées. Car le vieillissement est par définition un processus, dont les effets se font sentir graduellement et qui touche d’abord les groupes d’âge actif.

[12]

Nous espérons démontrer ici que ce processus de vieillissement de la population d'âge actif est, au Québec, déjà bien engagé, qu'il va inévitablement s'accélérer, et que, à partir d'aujourd'hui, toute politique de gestion réaliste devra tirer profit du vieillissement de la main-d’œuvre. Notre exposé portera tant sur la population d'âge actif que sur la main-d'œuvre elle-même.


LE VIEILLISSEMENT
DE LA POPULATION DU QUÉBEC
(1961-2011)

Pour mieux comprendre les fondements des affirmations précédentes, replaçons d'abord brièvement l'évolution de la population d'âge actif dans le contexte plus général du vieillissement de la structure par âge au Québec, grâce à ces images très parlantes que sont les « pyramides des âges » (Marcil-Gratton, 1990) de la figure 1.

En 1961, la pyramide présente une forme triangulaire presque parfaite qui justifie l'appellation que lui ont donnée ses premiers concepteurs. À la base de la pyramide on trouve le groupe des 0-19 ans, ces enfants du baby-boom qui sont nés nombreux et ont survécu grâce à la diminution de la mortalité infantile. Ces jeunes représentent près de la moitié de la population en 1961 (44,3%). Le sommet, quant à lui, présente une mortalité encore forte, les vieux mourant rapidement après avoir franchi le seuil de ce qui correspond encore à la « vieillesse ». Le poids relatif des 65 ans et plus est alors de 5,8% de l'ensemble de la population québécoise. Entre ces deux extrémités de la pyramide se trouve la population adulte d'âge actif (20-64 ans). Cette population est assez jeune, malgré le « creux » des générations nées pendant la grande crise économique et qui ont, en 1961, entre 20 et 30 ans. Parmi la population d'âge actif, les 20-44 ans représentent à cette époque deux personnes sur trois.

Un quart de siècle plus tard, la pyramide des âges présente une distorsion majeure due à la chute importante et persistante de la fécondité depuis les années 1960. Les bébés manquent à l'appel depuis 20 ans, et ces générations creuses (1966 à 1986) réduisent la part des jeunes, qui passe de 44,3% en 1961 à 27,4% en 1986. À l'instar de la base, le sommet de la pyramide se transforme peu à peu. Grâce à une espérance de vie améliorée, la population âgée repousse la frontière de la vieillesse ; à 65 ans, c'est désormais à « l'âge d'or » qu'on accède. Cette démocratisation de la vieillesse se traduit par une croissance du poids relatif des 65 ans et plus. En 1986, les personnes âgées représentent 10% de l'ensemble de la population, deux fois plus qu'en 1961. Quant à la population d'âge actif, elle souffre du ballonnement causé par les enfants du baby-boom qui envahissent massivement le marché du

[13]

FIGURE 1

Pyramides des âges. Québec, 1961, 1986, 2011

Sources : Recensements du Canada 1961 et 1986 ; Perspectives démographiques du Québec et de ses régions, 1986-2046, Québec, Bureau de la statistique du Québec, 1990.

[14]

travail. Les 20-64 ans représentent 62,9% de la population totale contre 50% en 1961. Toutefois, la distribution entre les 20-44 ans et les 45-64 ans demeure sensiblement la même qu'auparavant.

Comment se présentera la pyramide des âges dans 20 ans ? Celle-ci aura presque complété sa mutation, s'éloignant définitivement de sa forme triangulaire traditionnelle, pour épouser l'inquiétante silhouette du champignon nucléaire. Si les tendances actuelles de faible fécondité se poursuivent (environ 1,5 enfant par femme), le poids des jeunes se réduira davantage, passant de 27,4% à 20% au cours des 20 prochaines années. Pour sa part, celui des personnes âgées pourrait atteindre 16%, soit trois fois plus qu'en 1961. Qu'en sera-t-il alors de la population adulte d’âge actif ? Son poids relatif demeurera passablement stable par rapport à la situation actuelle (64%), mais la structure de cette population aura été profondément transformée par le vieillissement. Les enfants du baby-boom seront devenus les travailleurs vieillissants et les générations creuses nées entre 1966 et 1986 constitueront les jeunes actifs. Ces derniers, moins nombreux à se présenter sur le marché du travail, auront eu à faire face au poids massif des « boomers » grisonnants.

Comme on peut le constater, l'évolution de la population active des 20 prochaines années, autant dans son importance quantitative que dans sa structure par âge, sera subordonnée au déterminisme démographique.


LE VIEILLISSEMENT
DE LA POPULATION D’ÂGE ACTIF :
LE DÉTERMINISME DÉMOGRAPHIQUE

L'évolution démographique d'une région donnée constitue un élément important pour la planification et la gestion des ressources, qu'elles soient humaines ou autres. Plus les comportements démographiques sont appelés à se modifier rapidement et profondément, plus il importe de tenir compte de la démographie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'évolution démographique des pays développés a connu sensiblement le même cheminement. Cette évolution a pour effet, entre autres, de modifier le rapport de dépendance des jeunes et des personnes âgées, et conduit inévitablement au vieillissement de la population d'âge actif. Ces modifications de structure sont à ce point inéluctables qu'il est tout à fait justifié d'utiliser l'expression « déterminisme démographique ». La figure 2 présente l'évolution de ces différents indices depuis 1961 et les tendances à prévoir au cours des 20 prochaines années.

[15]

FIGURE 2

Rapports de dépendance et vieillissement de la population d'âge actif.
Québec, 1961-2011

Courbe A : Rapport de dépendance des personnes âgées =
((65 + )/(20 - 64)) x 100.

Courbe B : Rapport de dépendance des jeunes
((0 - 19)/(20 - 64)) x 100.

Courbe C : Rapport de dépendance global
((0 - 19) + (65 + )/(20 - 64)) x 100.

Courbe D : Indice de vieillissement de la population d'âge actif
((45 - 64)/(20 - 64)) x 100.

Sources : Recensements canadiens et projections du Bureau de la statistique du Québec.


[16]

Voyons d'abord le rapport de dépendance global défini comme le nombre de « dépendants », jeunes (0-19 ans) et vieux (65 ans et plus), par rapport à la population adulte d'âge actif (20-64 ans), En 1961, ce rapport était de un pour un alors qu'aujourd'hui il est d'environ six inactifs pour dix actifs potentiels. D'ici les 20 prochaines années, avec comme hypothèse une fécondité se stabilisant à 1,5 enfant par femme, le rapport de dépendance global se maintiendra à son niveau actuel. À première vue, la situation semble donc s'être nettement améliorée.

Pour mieux saisir l'influence de l'évolution du rapport global, il est préférable d'analyser ses différentes composantes. La figure 2 indique une évolution très différente selon qu'il est question du rapport de dépendance des jeunes ou des personnes âgées.

Le rapport de dépendance des jeunes a chuté considérablement entre 1961 et 1991, passant de 88,9% à 41,1%. D'ailleurs, cette chute explique à elle seule la baisse du rapport de dépendance global au cours de la même période. Avec l'hypothèse d'une fécondité se stabilisant à 1,5 enfant par femme jusqu'en 2011, il y aura ralentissement de la baisse par rapport à la période précédente. Pour sa part, le rapport de dépendance des personnes âgées a connu une tout autre évolution. Celui-ci est en constante ascension depuis 1961. De 1961 à 1991, le taux de croissance annuel moyen était de 1,4%. Au cours des 20 prochaines années, ce taux de croissance sera de 2,0% par année. Ces deux tendances opposées, d'une part, la baisse du rapport de dépendance des jeunes et, d'autre part, la hausse de celui des personnes âgées, se conjuguent pour stabiliser le rapport de dépendance global. Les personnes âgées occasionnant des coûts plus élevés pour la société (retraite et soins de santé par exemple), ces changements dans les composantes du rapport de dépendance provoquent une augmentation de la charge attribuée à chaque personne d'âge actif. Voyons maintenant comment a évolué cette population d'âge actif depuis 1961, et de quelle façon elle se transformera d'ici 2011.

La courbe D de la figure 2 présente l'indice de vieillissement de la population d'âge actif adulte (20-64 ans). Il représente la proportion des 45-64 ans dans cette population. De 1961 à 1991, cet indice demeure particulièrement stable à près de 32%. La période qui s'étend de 1991 à 2011 présente toutefois une situation tout à fait différente. Notons d'abord que ce n'est pas une perspective démographique se basant sur des hypothèses quelconques. Les générations qui, en 2011, constitueront la population d'âge actif adulte sont aujourd'hui parmi nous. On parle en effet des générations nées entre 1947 et 1991. L'effet du vieillissement graduel des générations du baby-boom se fera donc pleinement sentir. Les 45-64 ans constitueront la [17] moitié des personnes adultes d'âge actif alors que depuis plus de 30 ans elles n'en représentaient qu'une sur trois. La proportion des 45-64 ans va donc augmenter de plus de 50% entre 1991 et 2011.

Ce vieillissement inéluctable de la population d'âge actif, engendré par le déterminisme démographique, nous met, dès aujourd'hui, en garde contre certaines politiques de gestion des ressources humaines qui tendent à exclure de la main-d'œuvre les travailleurs et travailleuses plus âgés. Mais la main-d'oeuvre de demain ne sera pas seulement plus âgée ; elle aura d'autres attributs qu'il est aujourd'hui possible de prévoir (Marcil-Gratton et Légaré, 1987).


LE NOUVEAU VISAGE
DE LA POPULATION ACTIVE

Une meilleure formation des hommes et des femmes,
des jeunes et des moins jeunes

Au moment où elle vieillira de façon importante, la population d'âge actif subira une mutation qui modifiera considérablement les enjeux de ce processus de vieillissement. Les progrès de l'éducation au Québec, remarquables pour les hommes mais peut-être encore plus importants pour les femmes, avant de profiter aux personnes qui franchiront le seuil de l'âge d'or dans 20 ans, amélioreront énormément le profil de la main-d’œuvre vieillissante (Nault, 1990).

La figure 3 présente la population des adultes d'âge actif au Québec en 1986 et en 2011, par âge, sexe et niveau de scolarité atteint. En 1986, on note que 43% des Québécois et Québécoises âgés de 45 à 64 ans n'ont que huit ans ou moins de scolarité ; pour les plus âgés d'entre eux (60-64 ans), ce nombre dépasse les 50%. Ce sont eux qui aujourd'hui sont, à tort ou à raison, classés comme « analphabètes fonctionnels ».

Les progrès de l'instruction ont créé entre les générations plus âgées et les plus jeunes une sorte d'entonnoir éducationnel, avec une disparité énorme de formation entre les jeunes actifs et leurs aînés. Ceux qui n'ont qu'une formation du primaire représentant 43% des 45-64 ans contre à peine 10% des 20-44 ans. Chez les plus jeunes (20-24 ans), cette proportion n'est que de 4,5%.

Si les femmes de 45-64 ans ne sont pas aujourd'hui plus « analphabètes » que les hommes, elles se sont vu par ailleurs restreindre l'accès aux études supérieures, ce qui n'a pas manqué par la suite d'influencer le rôle

[18]

FIGURE 3

Population des adultes d'âge actif, par âge, sexe et niveau de scolarité.
Québec, 1986 et 2011

[19]

qu'elles ont pu jouer sur le marché de l'emploi. Cette discrimination selon le sexe est en voie de disparition chez les jeunes d'âge actif, si on en juge par le pourcentage de ceux qui avaient un grade universitaire en 1986 :

Groupes d'âge

Hommes

Femmes

45-64 ans

9,7%

4,2%

20-44 ans

13,7%

10,4%

20-24 ans

6,2%

7,3%


Le ministère de l'Éducation du Québec prévoit même que sur 100 élèves commençant le cycle primaire en 1987, 68% des filles et 54% des garçons atteindront le collégial.

En 2011, l'effet d'entonnoir aura à toutes fins utiles disparu. Les disparités de formation entre les générations et entre les sexes évaluées à l'aide du plus haut niveau de scolarité atteint seront devenues minimes en 2011 et ne concerneront vraiment plus que les plus âgés (60-64 ans) :

Groupes d'âge

Primaire

Secondaire

Postsecondaire

45-64 ans

6%

40%

54%

20-44 ans

4%

42%

55%


Dans 25 ans, les jeunes filles qui ont eu autant et même davantage accès aux études supérieures, jadis réservées aux garçons, formeront les générations devenues actives vieillissantes. Elles auront alors « normalisé » la distribution selon l'âge des femmes de certaines professions telles que la médecine, le droit et l'administration des affaires. Ce qui nous amène au deuxième volet du nouveau visage de la population active des prochaines années.

Des travailleuses
de plus en plus semblables aux travailleurs

La participation sans cesse croissante des femmes au marché du travail viendra modifier encore plus fondamentalement le profil des actifs vieillissants. L'histoire de l'activité des femmes encore jeunes n'aura pas été autant marquée par la discontinuité que celle de leurs aînées, leur cycle de vie professionnelle n'aura pas toujours cédé le pas devant celui de leurs responsabilités familiales, et l'accès à une éducation équivalente à celle des hommes aura bonifié leur profil en matière d'emploi. Les travailleurs âgés seront de plus en plus souvent des travailleuses qui, à l'image de leurs confrères, auront, au cours d'une vie professionnelle de longue durée, acquis l'expérience et la compétence associées à leur niveau de formation.

[20]

Prenons à témoin les courbes des taux d'activité à chaque âge pour les générations de femmes nées entre le début des années 1920 et le début des années 1950 (figure 4) (Marcil-Gratton, 1991). Aux générations de 1919-1923 correspond un comportement traditionnel à l'égard de l'activité. Un semblant de départ de vie active à laquelle on met fin dès l'âge de 22 ans pour se consacrer au mariage et à la maternité. À 30 ans, seulement 25% de ces femmes détiennent un emploi. Leur retour à la vie professionnelle s'effectue au gré du délestage des responsabilités maternelles. Entre 45 et 55 ans, environ 45% travaillent à l'extérieur du foyer. Aux abords de la soixantaine, qu'elles ont fêtée à la fin des années 1970, elles ont pris une retraite anticipée après n'avoir travaillé que quelques années, souvent dans des emplois n'exigeant pas la qualification qu'elles n'ont pas eu l'occasion d'acquérir.

FIGURE 4

Proportion de femmes actives à chaque âge
pour diverses générations, Canada

Source : Enquête sur la famille de Statistique Canada (1984) et projections des auteurs.


[21]

La même évolution cyclique de la vie active s'observe jusqu'aux générations nées après la Seconde Guerre. Cependant, à tous âges, les taux d'activité augmentent, et le retour au marché du travail se fait de plus en plus tôt, par une fraction de plus en plus grande de femmes. À 30 ans, plus de 50% des femmes des générations de 1944-1948 travaillent ; à 35 ans, c'est plus de 60% d'entre elles que l'on retrouve sur le marché du travail.

Les générations de 1949-1953, issues du baby-boom, se démarquent des générations précédentes en ce qu'elles ne se retirent pas en grand nombre du marché du travail entre 20 et 30 ans ; 60% d'entre elles demeurent actives à ces âges, tout en devenant mères, 75% ayant au moins un enfant en 1984. Ces femmes feront toutes partie des « vieilles » d'âge actif d'ici dix ans. Nos projections indiquent qu'elles arriveront à cet âge après avoir occupé de meilleurs emplois, pendant un temps beaucoup plus long que leurs aînées. Ajoutons que si leur courbe de vie active n'a pas encore rejoint celle des hommes de leurs générations, elle s'en rapproche de façon inexorable. Les femmes actives sont désormais une composante essentielle de la population active et de son vieillissement (Fellegi, 1988).

Ce nouveau visage de la population active aura des implications importantes sur la gestion de la main-d'œuvre vieillissante. Pour justifier notre prise de position sur le maintien et, surtout, sur une incitation à tirer profit du vieillissement de la main-d'oeuvre, nous illustrerons la situation par l'étude de l'avenir de la main-d'oeuvre masculine.


DÉMOGRAPHIE ET GESTION
DE LA MAIN-D'ŒUVRE,
UNE NÉCESSAIRE ALLIANCE

Taux d'activité des hommes de 55 ans et plus

La population active d'une région donnée est, comme on l'a vu précédemment, en partie tributaire de la population d'âge actif. Toutefois, à ce bassin de main-d'oeuvre potentiel on doit conjuguer les taux d'activité par âge afin d'estimer la partie de cette population qui est effectivement sur le marché du travail. Pour évaluer l'ampleur du vieillissement de la main-d'oeuvre, on devra donc tenir compte de l'évolution des taux d'activité des travailleurs plus âgés. À des fins d'analyse, nous ne retiendrons que la situation des hommes (figure 5), l'effet de génération étant beaucoup moins marqué pour ces derniers. Rappelons-nous toutefois que le comportement des femmes face à l'activité s'apparentera de plus en plus à celui des hommes.

[22]

FIGURE 5

Évolution du taux d'activité des hommes de 55 ans et plus,
Québec, 1961-1990 (Suède, Japon, France, 1985)

Sources : Recensements canadiens, enquête sur la population active, 1990, et données de l'OCDE.


Depuis 1961, on assiste à une baisse continue du taux d'activité des hommes de 55 ans et plus. D'abord, chez les 55-64 ans, le taux d'activité passe de 79,8% à 61,1% entre 1961 et 1990. Cette baisse est plus prononcée depuis 1981 puisque à cette époque le taux d'activité était de 74%. Ce phénomène n'est sûrement pas étranger aux modifications apportées en 1984 au Régime des rentes du Québec. La retraite anticipée alors adoptée permet aux travailleurs âgés de 60 à 64 ans d'accéder à la retraite avec des prestations réduites de façon actuarielle.

[23]

Du côté des 65 ans et plus, on ne peut que constater une marginalisation de plus en plus marquée du travail rémunéré. Alors que le taux d'activité était de 27,4% en 1961, il n'était plus que de 8,1% en 1990.

Comment le Québec se compare-t-il à d'autres pays industrialisés en ce qui concerne l'activité des hommes de 55 ans et plus ? Il peut être intéressant de situer le Québec par rapport à certains pays qui tendent soit vers le maintien en activité, soit vers l'incitation au retrait précoce du marché du travail. Le taux d'activité des travailleurs âgés varie grandement d'un pays à l'autre, tant pour des raisons d'ordre culturel que pour des raisons liées à la gestion des ressources humaines (politique face à la retraite anticipée par exemple). À des fins de comparaison, nous avons retenu trois pays. La France qui, depuis le début des années 1970, favorise le retrait précoce de la vie active, réduisant même à 60 ans l'âge normal de la retraite en 1983 (Guillemard, 1990). La Suède, qui favorise plutôt la retraite partielle depuis 1976. Finalement, le Japon qui, préoccupé par le vieillissement démographique, a opté pour le maintien en activité des travailleurs âgés (de Broucker, 1988). Trois politiques différentes se traduisant par des taux d'activité spécifiques à chacun, comme en fait foi la figure 5, le taux d'activité des 55-64 ans variant de 50,1% pour la France à 83,0% pour le Japon. Chez les 65 ans et plus, ce taux varie de 5,3% à 37,0%.

Voyons maintenant comment le taux d'activité influence d'une part le vieillissement de la main-d'oeuvre, et d'autre part le rapport retraités/ actifs.

Taux d'activité et vieillissement de la main-d'œuvre

La figure 6 nous présente l'évolution du poids relatif des grands groupes d'âge dans la population active masculine. Dans un premier temps, regardons comment a évolué cette distribution entre 1961 et 1991. On note une croissance chez les 15-24 ans jusqu'en 1981, année où la proportion des jeunes travailleurs atteint 22,2% de l'ensemble des actifs. Cette proportion redescend par la suite sous son niveau de 1961, c'est-à-dire 16,1% en 1991.

Les 25-44 ans présentent le phénomène inverse ; baisse qui atteint son minimum en 1971, à 46,5% de l'ensemble des actifs, puis remontée jusqu'en 1991 pour dépasser les 55%. Du côté des travailleurs plus âgés, les 45 ans et plus, leur poids parmi les actifs demeure relativement stable de 1961 à 1991 (près de 30%).

Les fluctuations observées chez les 15-24 ans et les 25-44 ans s'expliquent en bonne partie par le passage graduel des générations du baby-boom d'une classe d'âge à une autre, tel un « chien dans un boa ». Ce passage va [24] se prolonger au cours des prochaines années, entraînant un vieillissement inéluctable de la main-d'oeuvre masculine. (Reportons-nous à la partie située à la droite de la ligne pointillée.)

FIGURE 6

Répartition des hommes actifs par grand groupe d'âge
Québec, 1961-2011 (Suède, Japon, France, 2011)

Sources : Recensements canadiens, projections du Bureau de la statistique du Québec et données de l'OCDE.


Notons d'abord que nous avons appliqué les taux d'activité de 1990 à chacun des groupes d'âge pour l'ensemble de la période considérée (1991-2011). Nous posons donc comme hypothèse une stabilité des taux d'activité. Le poids des 15-24 ans poursuit sa baisse entamée à la fin des années 1970 pour atteindre 14,2% en 2011. Chez les 25-44 ans, le début des années 1990 marque un net renversement de la tendance récente. La chute [25] de leur poids relatif sera particulièrement importante pour passer de 55,8% à 42,9% au cours des 20 prochaines années. Si le renversement semble très marqué chez les 25-44 ans, il l'est davantage chez les travailleurs plus âgés. En effet, alors que la période de 1961 à 1991 se soldait par une baisse du poids relatif de ce groupe d'âge (baisse selon un taux annuel moyen de 0,4%), la période qui s'étend de 1991 à 2011 sera le témoin d'une poussée spectaculaire de la proportion des travailleurs âgés parmi la population active masculine (taux de croissance annuel moyen de 2,3%). Alors qu'en 1986 il y avait un homme actif âgé de 45 ans ou plus pour deux actifs de 25-44 ans, en 2011 ce rapport ne sera plus que de un pour un. Compte tenu de ce vieillissement appréhendé de la population active, est-il réaliste de penser pouvoir réduire de façon importante le poids relatif des 45 ans et plus en favorisant le retrait précoce de la vie active ? Pour répondre à cette question, nous avons appliqué à la population québécoise de 2011 le taux d'activité des travailleurs âgés de 55 ans et plus des pays retenus plus haut, ainsi que le taux en vigueur au Québec en 1961. Les proportions des 45 ans et plus dans la population active sont alors les suivantes (voir figure 6)

taux du Québec (1990)

42,9%

taux du Québec (1961)

47,7%

taux de la France (1985)

40,9%

taux de la Suède (1985)

45,3%

taux du Japon (1985)

49,1%


Si l'on reste dans le domaine du réalisme, deux options s'offrent au Québec : réduire le taux d'activité des travailleurs âgés et adopter la tendance française, ou augmenter ce même taux et adopter la tendance suédoise. Ces deux options nous conduisent respectivement à une proportion de 40,9% et 45,3% de 45 ans et plus parmi la population active masculine en 2011, alors qu'une stabilité des taux actuels conduit à une proportion de 42,9%.

Il semble dès lors évident que le vieillissement de la main-d'œuvre est d'abord et avant tout le résultat d'un processus démographique qui ne pourrait être contourné par une chute, planifiée ou non dans une politique ayant pour objectif d'abaisser l'âge réel de la retraite, du taux d'activité des travailleurs âgés. Pour s'en convaincre, une réduction à zéro du taux d'activité des 55 ans et plus résulterait tout de même en une augmentation de la proportion des 45 ans et plus dans la population active, pour les hommes toujours, qui passerait de 28,1% à 31,3% entre 1991 et 2011. De plus, une telle perspective réduirait le nombre d'actifs masculins de 17%, ce qui n'est pas sans effet sur le fardeau économique des actifs.

[26]

Taux d'activité et rapport retraités/actifs

Voyons maintenant quel a été l'effet de la baisse du taux d'activité des travailleurs âgés et du vieillissement démographique sur le rapport de dépendance entre retraités et actifs. Dans un premier temps, nous allons analyser l'évolution entre 1961 et 1991, pour ensuite évaluer l'influence de ces deux phénomènes au cours des 20 prochaines années (figure 7).

FIGURE 7

Rapport de dépendance des hommes inactifs de 55 ans et plus *,
Québec, 1961-2011 (Suède, Japon, France, 2011)

Sources : Recensements canadiens, projections du Bureau de la statistique du Québec et données de l'OCDE.


[27]

Entre 1961 et 1991, l'effet conjugué du vieillissement et de la baisse du taux d'activité influence à la hausse le rapport de dépendance, qui passe de 10,8% à 19,7%. Pour mieux saisir le seul effet du vieillissement de la population, nous avons gardé constant le taux d'activité de 1961 chez les 55 ans et plus (courbe inférieure). On constate alors un écart considérable entre les deux courbes ; le rapport de dépendance en 1991 n'est plus que de 13,2%. Le passage de 10,8% à 13,2% est dû essentiellement au vieillissement de la population, tandis que celui de 13,2% à 19,7% s'explique plutôt par la baisse du taux d'activité des travailleurs âgés.

En gardant constants les taux d'activité de 1990, la tendance à la hausse du rapport de dépendance ira s'accélérant jusqu'en 2011, alors qu'il sera de l'ordre de 31,0%. Il est donc multiplié par trois par rapport à 1961. Si on avait plutôt conservé le taux d'activité des 55 ans et plus de 1961, le rapport serait, en 2011 toujours, de 20,1%. L'écart entre les deux courbes étant presque exclusivement lié à la chute de l'activité des 55 ans et plus, on pourrait qualifier cet écart d'« effet liberté 55 ».

Précédemment, nous avons remarqué qu'une hausse du taux d'activité des travailleurs âgés avait relativement peu d'influence sur le vieillissement de la main-d'œuvre d'ici 2011. L'écart du poids relatif des 45 ans et plus parmi la population active masculine entre la « tendance France » et la « tendance Suède » serait d'un peu plus de 10%. Toutefois, le rapport de dépendance retraités-actifs varie de façon importante en fonction du taux d'activité des travailleurs âgés (voir figure 7) :

Rapport retraités/actifs

taux du Québec (1990)

31,0%

taux du Québec (1961)

20,1%

taux de la France (1985)

35,6%

taux de la Suède (1985)

25,6%

taux du Japon (1985)

16,8%


L'écart entre la « tendance France » et la « tendance Suède » est ici très important, soit près de 40%. Que dire de la « tendance Japon », dont, pour diverses autres raisons, on ne saurait recommander la mise en œuvre au Québec.

[28]

Le vieillissement de la main-d'œuvre est, on l'a démontré, inévitable *. Non seulement est-il inévitable, mais nous avons, de plus, démontré qu'il constitue un élément de solution indispensable aux difficultés économiques posées par le vieillissement démographique. Plus encore, nous nous devons de remettre en question une politique de gestion de la main-d'œuvre qui tend explicitement à exclure une partie de la population appelée à être de plus en plus importante et, vraisemblablement, en meilleure santé qu'auparavant (Gaullier, 1988).


CONCLUSION

Depuis toujours, l'évolution démographique a été ignorée en tant que variable déterminante dans la politique de gestion de la main-d'oeuvre, et plus particulièrement de la main-d'œuvre âgée. Si cette exclusion de la démographie était sans conséquence dans le passé, à court terme elle risque d'acculer la société vieillissante à la faillite. À la question « Vieillir en emploi : a-t-on le choix ? », le démographe répond que ce choix est déjà inscrit dans l'avenir démographique du Québec. Non seulement ne peut-on éviter le vieillissement de la population active, encore faudra-t-il le soutenir par le maintien en activité des travailleurs âgés : des pratiques d'accès précoce à la retraite, comme il s'en crée encore aujourd'hui, ont eu sans doute leurs justifications dans d'autres contextes et selon d'autres critères (Légaré et Desjardins, 1987). En fonction de l'évolution démographique, elles font maintenant figure de mesure suicidaire. Les travailleurs âgés seront demain plus nombreux, plus scolarisés, et compteront de plus en plus de femmes dans leurs rangs, trois caractéristiques nouvelles d'une main-d'oeuvre qui sollicite une transformation en matière de gestion des travailleurs âgés. Celle-ci devra tenir compte des caractéristiques socio-démographiques de la main-d'œuvre d'une entreprise donnée dans ce qu'il est convenu d'appeler la gestion prévisionnelle de l'emploi (Garibal, 1990). À l'avenir, démographes et gestionnaires en ressources humaines auront intérêt à unir leurs outils d'analyse, tant dans une perspective d'ensemble du vieillissement de la main-d'œuvre que dans une perspective plus limitée, soit le vieillissement de la main-d'oeuvre dans l'entreprise. Si l'environnement a son « effet de serre » à combattre par suite de certaines inconsciences du passé, essayons [29] d'éviter à la gestion de la main-d'oeuvre les problèmes déjà décelés de l'« effet liberté 55 ». Nous devrons rapidement passer de la question « a-t-on le choix de vieillir en emploi à une autre de plus en plus pressante, « comment y arriver ? ».


BIBLIOGRAPHIE

BROUCKER, P. DE, « Vieillissement et gestion du personnel au Japon », Futuribles, no 126, novembre 1988, p. 25-40.

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GARIBAL, M., « Les conséquences du vieillissement de la population active », Journal officiel de la République française, avis et rapports du Conseil économique et social, no 10, 1990, 121 p.

GAULLIER, X., La deuxième carrière : emplois, âges et retraites, Paris, Éditions du Seuil, 1988, 357 p.

GUILLEMARD, A.-M., « Les nouvelles frontières entre travail et retraite en France », La Revue de PIRES, no 2, hiver 1990, p. 41-98.

LÉGARÉ, J. et B. DESJARDINS, « Pour une remise en question de l'universalité de l'âge normal de la retraite », European Journal of Population / Revue européenne de démographie, vol. 3, no 2, 1987, p. 123-129.

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MARCIL-GRATRON, N., « Vieillir comme on a vécu : la clef pour décoder la vieillesse de demain », Revue internationale d'action communautaire, no 63, printemps 1990, p. 57-66.

MARCIL-GRATRON, N. et J. LÉGARÉ, « Vieillesse d'aujourd'hui et de demain. Un même âge, une autre réalité ? », Futuribles, no 110, mai 1987, p. 3-21.

NAULT, F., « Vieillissement et scolarisation de la population québécoise », Cahiers québécois de démographie, vol. 19, no 2, automne 1990, p. 309-323.



* Rapport de dépendance des hommes inactifs de 55 ans et plus (inactifs de 55 ans et plus, ensemble des actifs) x 100.

* Notons que si nous ajoutons à cette problématique la situation plus complexe du travail des femmes, le vieillissement de la main-d'œuvre devient plus important. Le taux d'activité des femmes risque de s'élever davantage à des âges plus avancés (50 ans et plus), ce phénomène étant lié à un effet de génération (voir section « Des travailleuses de plus en plus semblables aux travailleurs »).


Retour au texte de l'auteur: Jacques Légaré, démographe, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le dimanche 20 janvier 2013 10:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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