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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rachad Antonius, “Le néoconservatisme québécois et l'échec du mouvement souverainiste: une citoyenneté ambiguë?” Un texte publié dans le livre sous la direction de Micheline Labelle, Rachad Antonius et Pierre Toussaint, LES NATIONALISMES QUÉBÉCOIS FACE À LA DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE. Actes du colloque annuel de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté, pp. 107-122. Conférence d’ouverture du colloque. Montréal, Éditions de l’Institut d’Études Internationales de Montréal, 2014, 2e édition, 319 pp. [Les auteurs, Micheline Labelle, Rachad Antonius et Pierre Toussaint, conjointement avec l’éditeur, Les Éditions IEIM, nous ont accordé le 4 novembre 2015 leur autorisation de diffuser électroniquement ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[107]

LA LOGIQUE DU NATIONALISME
CONSERVATEUR

Le néoconservatisme québécois
et l'échec du mouvement souverai
niste :
une citoyenneté ambiguë
.”

Anne Legaré

Professeure associée, Département de science politique,
Université du Québec à Montréal


[276]

RÉSUMÉ

Des forces sociales de toutes tendances se sont affrontées depuis les années 1960 composant aujourd'hui un échiquier politique contrasté dont il importe d'approfondir la cartographie. Celle-ci a débuté par l'évacuation de la culture de la Révolution tranquille à l'occasion de la défaite du Parti québécois de 2007 en tant qu'opposition officielle et son remplacement par l'Action démocratique, période allant jusqu'à l'élection du Parti québécois à la tête d'un gouvernement minoritaire en 2012. Cette étape a révélé une mutation dans la représentation de l'autre. On s'interrogera sur les caractéristiques de l'extension d'une pensée [277] néoconservatrice comme révélateur de l'affaiblissement du mouvement souverainiste dans le rapport à une diversité sociétale constitutive. Quatre symptômes de cette mutation seront explorés et nous montrerons en quoi l'échec du projet de souveraineté a ainsi fait place à une représentation ambiguë de la citoyenneté.


[107]

La scène politique québécoise a brutalement changé depuis une dizaine d'années. Afin d'identifier le contexte dans lequel est apparu un changement net dans le discours partisan et intellectuel passant de la domination d'un nationalisme progressiste à un nationalisme conservateur, je retiendrai deux moments : la double défaite du Parti québécois (PQ) en tant que parti de gouvernement, mais aussi sa défaite en tant que parti de l'opposition officielle en 2007. Ensuite, on notera en 2012 l'élection du PQ en tant que gouvernement minoritaire faisant face à la mutation de son ancien adversaire et parfois allié, la Coalition Avenir Québec (CAQ). Enfin, on doit reconnaître sa défaite idéologique comme synthèse des aspirations souverainistes.

À titre d'illustration, on notera cette dernière prise de position idéologique que l'on trouvait sur le site du PQ en avril 2013 et qui traduit bien la valse-hésitation du PQ : « La souveraineté du Québec est-elle à gauche ou à droite ? En raison d'une dérive du discours public des dernières décennies, nous [108] sommes portés à associer la souveraineté à la gauche. Mais ce n'est pas le cas ». [1]

Or, j'avancerai que la montée du nationalisme conservateur (plutôt la remontée puisque celui-ci a dominé longuement la scène jusqu'à et avec l'Union nationale) est le symptôme d'une réaction face à cette faiblesse du PQ attribuable autant à son indécision et à son obsession centriste qu'à son progressisme. Le PQ est devenu l'expression d'une fraction sociale conservatrice, autrefois tenue en laisse par Jacques Parizeau jusqu'au soir du référendum, et en même temps l'expression d'une fraction libérale qui est minorisée depuis le positionnement de l'Action démocratique du Québec (ADQ) et de la CAQ.

Le désespoir identitaire de la fraction conservatrice est aujourd'hui manifeste. Voilà pour le diagnostic.

Le problème :
l'inflation d'une pensée conservatrice


Le constat de la diffusion d'un nationalisme conservateur ne cesse pas d'inquiéter. Cette extension dépasse les marges restreintes qui lui avaient été dévolues au sein du mouvement souverainiste depuis les années Parizeau, aux alentours de 1991 jusqu'à son départ, en 1995. La plupart des franges des multiples milieux qui aspirent à la souveraineté du Québec sont actuellement poreuses et semblent accueillir ce vent conservateur sans la distance critique à laquelle on se serait attendu.

En quelques années, on a vu se répandre, effet particulier de certains locuteurs parlant plus fort que d'autres, une sympathie, une résignation devant l'absence de discours alternatif suffisamment répandu, un quasi unanimisme prenant la forme d'une élévation de la définition de peuple québécois au statut de majorité historique compris comme pensée universelle, légitime et stratégique.

[109]

La dite majorité historique est devenue l'équivalent du sujet historique susceptible de fonder le nouvel État auquel plusieurs aspirent. On peut être frappé par le succès d'une telle représentation ayant fait son apparition vers le début des années 2000, et rarement utilisée au cours des années pendant lesquelles le PQ était à la fois libéral au sens philosophique du terme et social-démocrate (certains diront « progressiste »).

Il est devenu impératif de chercher les repères historiques récents qui expliquent une telle apparition et une telle ferveur à l'endroit d'un cadre d'action et d'analyse aussi réducteur qu'inapproprié et même politiquement suicidaire.

Car, dans tous les cas de figure, même celui invraisemblable d'une majorité dite « historique » lors d'un référendum en faveur de la souveraineté, ceux qui sentiraient qu'ils ne font pas partie de cette majorité risquent d'exprimer fortement, pour ne pas dire violemment, leurs frustrations face à ce rejet. Or, nous voulons que ce passage s'effectue dans la plus entière légitimité. De plus, une reconnaissance internationale appuyée sur une dite majorité historique serait même impensable. Les instances internationales parlent de population majoritaire justement pour dire qu'en tant que majorité elles sont susceptibles d'être sujet ou auteur de discrimination, mais on ne parlera jamais de majorité historique dans un sens émancipateur ou correcteur des inégalités

L'unité, la pérennité et la continuité caractérisent le nationalisme conservateur tout entier tourné vers la Conservation, selon les termes de René Lévesque d'une « [...] personnalité qui dure depuis trois siècles et demi » [2]. Or, les faits sont là, le Québec dans sa facture socio culturelle a changé et doit être pensé autrement afin que toute sa population puisse se reconnaître comme destinataire légitime d'un projet de souveraineté.

[110]

À cette fin, il importe de formuler plutôt dans les termes d'un accueil ce qui fonde cet appel à la solidarité.

Voyons maintenant l'identification du repli, de ses causes, de ses sources et son analyse.

En quoi la phase actuelle en est-elle une de repli ?

La période qui s'étend depuis la victoire de l'ADQ en tant qu'opposition officielle de 2007 jusqu'à aujourd'hui se traduit par une pensée dichotomique, une pensée de la division (et non pas de rassemblement) entre majorité et minorités. Cette pensée se centre sur :

  • Le primat du quantitatif au détriment du qualitatif : du privilège de la majorité (historique) au détriment du lien social qui devrait unir l'ensemble ;

  • Le primat de la survie, de la peur de disparaître, retour du « nous Canadien-français » exclusif au détriment du « nous inclusif de Québécois » ;

  • Le primat de la reconnaissance de soi plutôt que l'accueil de l'autre ;

  • Le primat de l'origine plutôt que de la relation à ce qui se transforme ;

  • Le primat de l'électoralisme ou de l'obsession partisane plutôt que de l'approfondissement de la diversité du mouvement social et souverainiste.

On est passé de l'affirmation « maîtres chez nous » à la promotion de l'identité de la majorité (« nous autres ») ! Le choc que suscite la prise de conscience de l'extension actuelle du nationalisme conservateur au Québec est tel qu'il force l'indulgence en se demandant d'où peut bien venir une telle recrudescence.

Causes et sources de ce repli :

Je tenterai d'expliquer la montée de la tendance conservatrice par trois facteurs : un facteur démographique, un facteur politique et un facteur idéologique.

[111]

Le facteur démographique

La diminution du poids démographique du Québec dans le Canada représente un des facteurs qui expliquent la peur de disparaître dans le Canada et le besoin de se comptabiliser chez soi et entre soi. On se comptabilise par rapport à un autre. On voit ainsi apparaître la notion de majorité historique :

Les chiffres sont les suivants :

• En 1951, le Québec représentait 29% de la population canadienne soit presque un tiers ;
• En 2011, cette proportion était passée à 23,5% ;
• En 2031, la population serait de 22% soit moins du quart [3].

La peur de disparaître et le désir de survie vont ensemble et ils prennent forme dans une catégorie d'affirmation et d'exclusion : « nous sommes la majorité et nous sommes donc légitimes ». Or, aujourd'hui, compte tenu du rôle structurant de l'Organisation des Nations Unies (ONU) dans les relations inter étatiques depuis la création de la Société des Nations, la légitimité du pouvoir politique repose moins sur une majorité électorale que sur le respect des droits fondamentaux stipulés dans les chartes.

Le facteur politique

Durant la période de 1975 à 2000, le Québec s'est donné des outils juridico politiques d'affirmation de son identité que sont les différentes chartes. De son côté, le Canada, par ses propres chartes, conteste certains effets de l'application des chartes québécoises. Les décisions des chartes québécoises seront soumises à l'autorité et à la légitimité des chartes fédérales.

Ainsi, le Québec (et les Québécois) vivent une blessure qui déclenche colère et repli.

Des exemples parmi d'autres sont les suivants :

[112]

• Dès 1979, les articles 7 à 13 de la Charte de la langue française furent déclarés inconstitutionnels par la Cour Suprême. Ainsi, le gouvernement du Québec s'est vu tenu d'adopter toutes ses lois dans les deux langues pour se conformer au jugement de la Cour ;

• En 1982, la Charte canadienne des droits et libertés a recours au primat de l'article 23 pour déclarer inconstitutionnel le chapitre VIII de la Charte de la langue française sur la langue d'enseignement ;

• En 1988, la Cour Suprême du Canada valide la décision de la Cour supérieure du Québec sur l'affichage bilingue ;

• En 2009, dans un jugement unanime, la Cour Suprême du Canada « [...] a estimé que le gouvernement du Québec a contrevenu à la Charte canadienne des droits et libertés » et « [...] a invalidé des dispositions de la Charte de le [SIC] langue française [...] » qui « [...] avaient pour but d'empêcher des parents du Québec d'utiliser l'école anglaise privée non subventionnée dans le but d'acquérir le droit d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise financée par les fond publics » [4] (écoles passerelles).

Le poids de ces facteurs politiques est réel et produit ses effets : entre autres, il incite en effet au repli.

Le facteur idéologique


La période des 30 dernières années qui ont précédé la fin du XXe siècle a eu un impact important sur les relations entre groupes sociaux au sein des sociétés occidentales et a ainsi agi sur l'ensemble des représentations du rapport à l'autre qui se sont instituées dans ces sociétés.

C'est justement ce rapport à l'autre qui affecte, dérange, le nationalisme conservateur et le fait surgir. En effet, la prégnance [113] de la représentation de l'autre dans les décisions légitimes des tribunaux des États et des organisations inter étatiques comme l'ONU vise directement à déplacer la légitimité de la majorité vers le respect des droits fondamentaux.

Cette situation est nouvelle et elle porte ombrage justement à cette prétention acquise de fonder la légitimité sur le nombre du groupe dominant.

Droits des minorités

Ainsi, la question des droits des minorités est devenue un facteur prédominant dans les processus de démocratisation des dernières décennies en Occident. Nous verrons donc sa définition, les mesures de promotion des identités et l'esprit qui permet de définir les mesures de non-discrimination.

Dans un rapport des Nations Unies paru en 2010 intitulé Droits des minorités : normes internationales et indications pour leur mise en œuvre, le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme s'appuie sur une étude qui porte sur la mise en œuvre des droits garantis à l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le rapport reprend la définition de minorité telle que définie par le professeur Francesco Capotorti en 1977. Une minorité se définit comme suit :

Un groupe numériquement inférieur au reste de la population d'un État, en position non dominante, dont les membres - ressortissants d'un État - possèdent du point de vue ethnique, religieux ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste de la population et manifestent même de façon implicite un sentiment de solidarité, à l'effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue [5].

De son côté, le juriste José Woehrling souligne que :

[114]

[...] le concept de minorité renvoie à des groupes, à l'intérieur de la société globale, qui présentent une certaine permanence [... ] par le fait que leurs membres partagent tous une caractéristique immuable, ou qui ne se change pas facilement ou pas rapidement. En outre, cette caractéristique commune est d'habitude à l'origine d'une certaine vulnérabilité du groupe par rapport au reste de la société. Dans ce deuxième sens, le concept de minorité semble renvoyer avant tout à celui de « groupe vulnérable » [6].


Mesures de promotion des minorités

Tout d'abord, évoquons la nécessité de promouvoir l'identité des minorités telle que définie par ce même rapport : « La promotion et la protection de l'identité des minorités [...] empêchent l'assimilation forcée et la disparition des cultures, des religions et des langues qui donnent au monde sa richesse et constituent donc une partie de son patrimoine » [7]. Il s'agit du principe de non-assimilation.

La non-assimilation signifie que la diversité et le pluralisme des identités ne sont pas seulement tolérés, mais sont aussi protégés et respectés. Il s'agit d'assurer le respect d'identités différentes tout en veillant à ce que les différences de traitement à l'égard de certains groupes ou membres de ces groupes ne servent pas de prétexte à des pratiques ou politiques discriminatoires. Des mesures positives sont nécessaires pour que la diversité culturelle, religieuse et linguistique soit respectée et pour qu'il soit reconnu que les minorités enrichissent l'ensemble de la société grâce à cette diversité [8].


Mesures anti discriminatoires

Ensuite, voyons ce qui en est de la discrimination et de son élimination :

[115]

L'article premier de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale définit la discrimination comme

[...] toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique [9].

On constate donc qu'est établi le primat des droits de l'Homme sur toute distinction fondée sur l'origine nationale ou ethnique que ce soit ou non proclamé par une majorité dite historique.

Ajoutons encore que le Groupe de travail sur les minorités exprime l'importance de ce principe de la manière suivante : « Les gouvernements ou les populations majoritaires sont souvent tolérants envers les personnes d'origine nationale ou ethnique différente jusqu'à ce qu'elles revendiquent leur propre identité, leur propre langue et leurs propres traditions : c'est alors que souvent la discrimination ou la persécution s'installe » [10].

Recommandations

Plus récemment, le Comité des droits des minorités a insisté sur « [l]a nécessité de veiller à ce que les minorités soient traitées sur un pied d'égalité avec le reste de la population et jouissent des droits de l'homme et des libertés fondamentales sans discrimination d'aucune sorte [...] » [11]. Les États doivent voir « [...] à renforcer les mesures visant à éliminer les obstacles et à élargir l'accès à une participation plus large et plus concrète des [116] [...] personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses ou linguistiques à la vie politique, économique, sociale et culturelle de la société » [12].

Enfin,

[à] sa deuxième session, les 12 et 13 novembre 2009, le Forum sur les questions relatives aux minorités s'est principalement intéressé à la question des minorités et de la participation politique effective. L'une des références majeures pour cette session était le paragraphe 2 de l'article 2 de la Déclaration des Nations Unies sur les minorités, qui énonce le droit des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses ou linguistiques, « de participer pleinement à la vie culturelle, religieuse, sociale, économique et publique ». Pour que la participation des minorités soit effective, il ne suffit pas aux États parties d'assurer formellement la participation des personnes appartenant à des minorités nationales ; ils devraient également veiller à ce que cette participation influe de manière significative sur les décisions prises et permette [...] un sens d'appropriation partagée des mesures adoptées [13].


Analyse

Il m'apparaît évident que les caractéristiques suivantes des droits des minorités s'accommodent mal de la définition du peuple québécois comme majorité historique.

En effet, l'analyse des rapports entre la notion de majorité historique et les trois composantes de la question des minorités : définition, obligations et mesures de non discrimination conduit aux constats suivants.

Tout en se revendiquant comme majorité, la communauté québécoise partageant une même histoire et une même langue, et [117] constituant en effet la population majoritaire au Québec, intériorise la définition et la position de minorité.

Si on compare la définition de minorité adoptée par l'ONU et celle de José Woehrling aux représentations de la communauté québécoise définie en tant que majorité historique, on trouve que tous les traits d'une minorité s'appliquent à cette communauté : le caractère différent du reste de la société canadienne, la permanence, la résistance au changement et la vulnérabilité.

Toute majorité empirique qu'elle est, au sens du droit, la communauté francophone du Québec se définit par elle-même comme une minorité et s'attribue les droits d'une minorité.

De plus, l'étude de ses positionnements politiques - promotion et protection - sont aussi ceux d'une minorité. Toutes les mesures politiques revendiquées par cette communauté coïncident avec les mesures recommandées par l'ONU pour la défense des droits des minorités : promotion et protection de l'identité afin d'empêcher l'assimilation...

Or, une communauté ne peut justement pas se présenter comme telle, prétendant que, parce que majorité, elle aurait plus de droits et fonderait à elle seule, de par son nombre, toute la légitimité.

Cependant, sur le plan de la définition de la discrimination, la position de défensive en tant que minorité dans le Canada passe à offensive au Québec.

Tout se passe comme si cette communauté qui se reconnaît à travers les critères d'une minorité, voulait transgresser sa position et s'instaurer dans une position que j'appellerai d'auto discrimination positive.

Cette communauté se représente elle-même, selon les termes-mêmes de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale par une distinction et une préférence compte tenu de son origine nationale et ethnique [118] (une « [...] personnalité qui dure depuis trois siècles et demi » [14] selon les termes rappelés de René Lévesque ; c'est une approximation historique, mais certainement pas un fait ni sociologique ni politique).

Considérer que sa propre culture peut légitimement s'imposer parce que majoritaire se fait au détriment des apports des autres cultures et est discriminatoire. Mais considérer que sa propre culture est légitime parce qu'elle respecte les droits de l'homme et les droits fondamentaux constitue un enrichissement de l'ensemble et n'est pas discriminatoire.

Selon cet article de la Convention, la communauté qui se discrimine elle-même en se mettant en position d'autorité ou d'exclusion en tant que majorité ne se place pas dans des conditions d'égalité avec le reste de la société.

Une population peut être majoritaire par les caractéristiques qui la définissent, mais le nombre ne l'autorise pas à se donner un statut particulier au détriment des autres ou à instaurer des conditions d'inégalité.

Au cours du siècle dernier, la légitimité est passée des droits de la majorité au primat du respect des droits fondamentaux.

Enfin, quant aux mesures, aux correctifs à prendre contre cette discrimination, la représentation conservatrice de la communauté francophone du Québec se donne elle-même comme une minorité discriminée lorsqu'elle s'affirme comme majorité historique au détriment de tous ceux et celles qui n'en font pas partie. Par ce fait, elle engendre elle-même de la discrimination. Or, en s'instituant majorité, cette communauté discrimine ou subordonne à ses propres objectifs de promotion et de protection les autres communautés et individus d'appartenance ethnique différente.

[119]

Conclusion

De façon extrêmement surprenante, le nationalisme conservateur, qui choisit de s'incarner dans l'expression « majorité historique », intériorise le langage de l'autre et, dans un désir d'affirmation, il le retourne contre lui-même en se traitant comme si il était une minorité.

Devant l'accusation d'ethnicité répandue dans le Canada anglais, cette communauté renforce son affirmation d'un point de vue ethnique.

Partant du statut de minorité dans le Canada, cette communauté se donne le statut de « majorité » au Québec !

Rappelons à cette occasion les manifestations d'une fragilité. Le PQ est divisé par l'ADQ (en 2007), puis par la CAQ (en 2012), et en même temps, par Québec Solidaire (QS) et par Option Nationale (ON). Cette fragilisation qui entraîne une refondation du sujet souverainiste qui prend la forme d'une régression, c'est-à-dire d'un rétrécissement de Québécois à majorité, de Québécois à Canadien-français ou de souche. La notion de « majorité », prétendue légitime, malgré les bonnes intentions démocratiques et le principe d'ouverture à l'autre qui est proclamé, établit une hiérarchie, une distinction, une préférence entre les groupes. Tout en satisfaisant la vanité blessée du Québécois de souche, cette invocation rejette le lien interculturel qui est le nouveau visage des sociétés inclusives et modernes.

En terminant, j'aimerais citer Gilles Duceppe qui, dans une position qu'il a prise concernant un projet récent d'alliance entre les partis souverainistes (le projet de la Convergence nationale) disait ceci : « On ne peut pas faire d'entente qui serait basée sur le seul objectif de faire du Québec un pays. Imaginons un instant qu'il y aurait au Québec un parti souverainiste semblable au Front national en France. Il est plus [120] qu'évident qu'une entente de quelque nature que ce soit serait impossible avec un tel parti » [15].

Il n'y a pas de tel parti au Québec en ce moment et faisons tout pour nous en prémunir.

Le multiculturalisme que nous rejetons tous unanimement désigne une politique, une volonté, une option en faveur de la juxtaposition des groupes ethniques différents. Dans le multiculturalisme, les entités voisinent, s'ajoutent les unes aux autres, mais ne se fréquentent pas.

À la reconnaissance de l'importance des droits de tous par les chartes, il manque quelque chose : il manque du lien social. Afin d'assurer le lien social, une jonction, un trait d'union est en effet indispensable.

Dans ce but, je propose que le Québec désigne une seule communauté et non pas deux ou plusieurs, une grande et des petites. Une seule communauté dont le destin est d'accueillir : ce qui suppose une capacité d'accueil et nous l'avons, c'est une langue commune ; des institutions d'accueil, nous les avons, ce sont l'Assemblée nationale puis la Charte des droits et libertés de la personne : nous l'avons. Et une légitimité que nous bâtissons et qui repose sur ces conditions.

On désignera ainsi le Québec, non comme le bien d'une majorité, mais comme le bien de tous.

Désormais, on pourrait désigner le Québec comme une communauté d'accueil.

[121]

Références

Bock-Côté, Mathieu. (2012). Fin de cycle. Aux origines du malaise politique québécois, Montréal, Boréal.

Duceppe, Gilles. (2013). « L'unité dans le mouvement souverainiste », Journal de Montréal, 21 janvier, p. 23.

Haut-Commissariat aux droits de l'homme (2010). Droits des minorités : Normes internationales et indications pour leur mise en œuvre, New York et Genève, Nations Unies.

Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (s.d.). Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. En ligne : Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

Leclerc, Jacques, (s.d.). L'aménagement linguistique dans le monde. En ligne.

Leclerc, Jacques, (s.d.). « Les droits linguistiques de la minorité anglophone », L'aménagement linguistique dans le monde. En ligne.

Parti Québécois (s.d.). La souveraineté pour tous. En ligne.

Woehrling, José. (2003). « Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnel comparé », Revue de droit de l'Université de Sherbrooke, vol. 34, n° 1-2, p. 93-155.

Lévesque, René. (1968). Option Québec, Montréal, Éditions de l'Homme.

[122]



[1] Parti Québécois. En ligne.

[2] Lévesque, 1968. Noter que Mathieu Bock-Côté reconnaît lui-même qu'« [...] il y avait, somme toute, un sentiment conservateur latent chez René Lévesque » (Bock-Côté, 2012, p. 68).

[3] Leclerc, s.d.

[4] Ibid.

[5] Haut-Commissariat aux droits de l'Homme, 2010, p. 2.

[6] Woehrling, 2003.

[7] Haut-Commissariat aux droits de l'homme, 2010, p. 8.

[8] Ibid.

[9] Haut-Commissariat aux droits de l'homme, s.d.

[10] Haut-Commissariat aux droits de l'homme, 2010, p. 11.

[11] Ibid., p. 12.

[12] Ibid.

[13] Ibid., p. 13.

[14] Lévesque, 1968, p. 109.

[15] Duceppe, 2013.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 février 2016 10:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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