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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LE FUTUR A-T-IL UN AVENIR ? Pour une responsabilité socio-éconogique. (2012)
Prologue


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Philippe LEBRETON, LE FUTUR A-T-IL UN AVENIR ? Pour une responsabilité socio-éconogique. Paris: Les Éditions Sang de la Terre, — Écologie-Environnement-Société, 2012, 384 pp. [L'auteur nous a transmis son autorisation le 9 juillet 2015, par l'intermédiaire de Monsieur Ivo Rens, professeur émérite de l'Université de Genève, de diffuser ce livre en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Le futur a-t-il un avenir ?
(pour une responsabilité socio-écologique)


Prologue

Tout a été dit, rien n'a été compris


« La fin d'un passé ne garantit pas
la naissance d'un avenir
 » [1]

Le désenchantement sociétal, voire le désarroi, général et particulier. Malgré la croyance encore générale en la technique (« tout problème trouvera bien sa solution... ») et la possibilité d'y trouver réponse à certains de nos problèmes (cf. la santé), chacun - quel que soit son âge - sait aujourd'hui que les chances offertes aux jeunes gens sont désormais plus faibles ou plus aléatoires qu'hier. Les possibilités globales et la concurrence s'opposent à l'ascension sociale. L'avenir individuel et collectif est bouché, irrémédiablement. C'est une nouvelle donne succédant à la période 1945-1975, prolongée de manière « freudienne » jusqu'à l'orée du présent siècle. D'où le repli individualiste et simplificateur et, consécutivement, l'avènement de la foule. Privé de références objectives, l'individu - donc la société - adopte deux attitudes souvent consécutives : il se replie sur lui-même, rejette toute autorité sans y substituer l'autodiscipline compensatrice ; dépassé par les enjeux, il cherche de nouvelles références ou de nouvelles valeurs sans disposer de l'appareillage nécessaire à les critiquer ; il devient alors (paradoxalement dans une société matérialiste) la proie facile de toute chimère, de toute croyance, de tout ésotérisme, des sectes...

Le discrédit des chefs et des élites, qui ne répondent plus que de manière superficielle ou évasive ; les corps et les élus n'inspirent plus confiance. L'opinion publique a compris qu'ils sont dépassés par les enjeux, et que le pouvoir est de nature foncièrement technofinancière. Car les élites ont abdiqué ; à la notion de valeurs et de références a succédé un « universalisme » pour qui tout se vaut ; non seulement « toute opinion est respectable », et par là [10] opposable à toute autre, par principe même. Le verlan vaut le grec ancien, Gainsbourg vaut Mozart, le grunge vaut la rectitude. Il est vrai que les « philosophes » et les « églises » ont tout fait depuis des siècles dans le « n'importe quoi » pour discréditer tout discours pour qui est doté d'un soupçon d'esprit de critique ou de dérision. Par ailleurs, même dans les démocraties, le monde politique est discrédité, non seulement par son comportement (pouvoir, argent et sexe sont également partagés entre Gauche et Droite), mais par son incompétence et son aveuglement sur les problèmes de fond (ressources, démographie...). Par contraste - d'où l'agacement et même l'hostilité qu'elle suscite -, l'écologie (et son avatar public, l'environnement) apparaît bien comme une nouvelle donne, « une idée neuve pour le Monde » (pour paraphraser Saint-Just : « le bonheur, une idée neuve en Europe », 1794).

L'ignorance des réalités, biologiques et matérielles. De l'Homme on a pu dire qu'il était non seulement un « animal de plaisir » et un « animal de violence », mais un « animal de pouvoir », ce qui interpelle non seulement les biologistes et les psychologues, mais les sociologues et les politiques. Pourtant, un siècle après Freud, il en est encore pour soutenir que l'Homme n'est pas « animal », et que seule la partie émergée de son encéphale dicte ses jugements et ses comportements. Qui donc, un déiste ou un matérialiste, a écrit ce qui suit : « On ne peut aborder la question de l'environnement en considérant l'homme comme un animal similaire aux autres (car) l'acquisition de caractères qui lui sont propres fait que l'homme se distingue fondamentalement du règne animal [...]. La biologie ne peut pas expliquer tous les aspects du développement humain, y compris celui de ses relations avec le milieu. Il faut sortir du biologisme » Réponse : Guy Biolat [2]. Même ignorance, un siècle et demi après Clausius, à propos des lois et des principes les plus généraux de la matière, notamment dans le secteur de l'énergie, fondamentale ou appliquée. Aux plus hauts niveaux politiques, on confond allègrement kilowatt et kilowatt-heure, et l'on (veut) ignore(r) que l'électricité ou l'hydrogène sont des vecteurs et non des sources d'énergie.

Tout ceci est lié à l'inadaptation d'un enseignement dogmatique, peu réaliste et donc inefficace. Un enseignement dé-culturé, mais pas plus concret pour autant. Submergée par le nombre de données ou la diversité des auditoires, la connaissance n'a pas su procéder à la décantation et à la mise en transversalité (sans oublier le « bon sens »). Devant la compartimentalisation des sciences et la multiplication des sous-disciplines, le savoir est pulvérisé, « zappé », et toutes les erreurs deviennent possibles, une « opinion » prenant autant d'importance qu'une « loi ». Chacun a entendu parler d'ADN ou d'atome, mais il ignore ce qu'est un système ou un rendement (notions qui devraient figurer dans l'examen du permis de conduire...).

Une exception française : l'écologie (et ce qui s'y rapporte : la nature et l'environnement, l'aménagement, le développement...). Peu d'« intelligence » du monde. Un pays aux faibles traditions naturalistes (Buffon « l'écrivain » est connu et loué, Lamarck « le génie » est méconnu ; le trublion Rousseau est décrié par rapport au talentueux Voltaire) et qui a peu fourni à l'histoire de l'écologie (d'inspiration germanique, nordique, anglo-saxonne, depuis la définition de Haeckel, 1866). Un pays balancé entre cultures nordiques et méditerranéennes (Wagner versus Bizet, cf. Nietzsche), mais de plus en plus « méditerranéisé » avec, en Europe, un gradient culturel Nord/Sud (religions, force du verbe et de la forme). En France, on subit encore Descartes (« maître et possesseur de la nature »), La Fontaine [11] (l'animal anthropisé par le « maître des eaux et forêts »), Le Nôtre (les jardins à la Française). La nature est vue comme un jardin et/ou un zoo, où l'on emmène les enfants pour qu'ils s'amusent devant les singes et subissent la négation de l'idée même d'écosystème. Au mieux la nature est-elle vue comme la campagne, qui nous nourrit et nous délasse (du moins avant le remembrement et la monoculture). La nature est considérée (en fait, elle n'est même alors plus « vue ») comme un terrain de jeu ; de jeux de plus en plus équipés et mécanisés.

Et lorsqu'on évoque et défend la biodiversité comme une banque de futurs remèdes, c'est encore de manière intéressée et « colonialiste », en oubliant que sa suprême utilité (si tant est qu'elle doive en avoir une), c'est de nous offrir un modèle d'altérité, pour nous permettre de mieux nous comprendre nous-mêmes, et d'apprendre ce respect sans lequel le mot d'humanité reste vain. Car l'exception française à l'écologie, c'est aussi le « Siècle des Lumières », le pseudo-romantisme français, le scientisme à la Auguste Comte et à la Marcellin Berthelot, les « grandes écoles » et l'État à la Française, générateurs de cerveaux carrés voire cubiques. Les complexes et le délire consécutif d'une France humiliée et amoindrie par deux guerres pseudo-gagnées, les délires techno-nationalistes à contretemps de l'évolution du monde, les méga-projets invendables : le Concorde, Superphénix, Canal Rhin-Rhône, TGV, EPR, Rafale... À propos, et l'Allemagne (et sa « réussite ») dans le même temps ?

La convergence entre les approches « libérale » et « matérialiste » de la science et de ses déterminismes humains. Pourtant, la volonté humaine ne peut créer un sens de l'histoire, car la biologie nous apprend que tout homme naît aussi « nu » qu'Adam, et doit « apprendre à vivre », n'étant à priori ni bon ni méchant, mais répondant à la seule satisfaction de ses pulsions et besoins de tous ordres. Son esprit de curiosité lui fait découvrir sans cesse de nouveaux outils, qui l'amènent à croire à un déterminisme technique. Pourtant, silex ou missile, c'est la même main qui peut élaborer ou tuer ; le même kérosène fait voler le charter ou le chasseur dont le napalm va carboniser le semblable du pilote ! L'insistance avec laquelle nous porterons l'accent sur l'insuffisance des connaissances de notre société, soit sur notre propre espèce, soit sur ses méthodes et ses outils, amène à rappeler les deux attitudes qui partagent encore le monde politique :

  • à Droite, on se réfère à des valeurs plutôt individuelles/individualistes, dites humanistes, en fait morales voire religieuses ; au nom des libertés, on répugne à planifier, on préfère croire à « la main invisible » chère à Adam Smith, qui conduirait mécaniquement, et même à notre insu, à l'harmonie sociale, intégrant en les neutralisant les intérêts et les égoïsmes individuels (pourtant, les traders... et, si l'on étend la doctrine à la politique, Hitler...) ;

  • à Gauche - à défaut d'un marxisme désormais discrédité pour de bonnes ou de mauvaises raisons -, on se fonde sur une tradition voyant encore dans les « forces productives » une logique guidée par nos découvertes et tendant au bonheur des hommes, libérés de l'oppression de l'ignorance, du travail, du profit et des profiteurs (pourtant, l'économie et la société soviétiques... et, si l'on étend la doctrine à la politique, Staline...).

L'addiction (individuelle et collective) à la technoscience et à la finance. Qu'il y ait une relation entre « l'intendance » (Charles de Gaulle dixit) et la structure sociale et sociétale est incontestable, mais pas forcément comme le croient ingénieurs et économistes, persuadés de leur pouvoir sur la machine et obnubilés par le dogme de la croissance. Les choses sont probablement plus subtiles et, surtout interactives malgré leur apparente neutralité : [12] songeons-nous suffisamment à l’automobile individuelle qui a suscité (et non pas « voulu » ou « décidé ») à notre insu l’urbanisme horizontal, à l’électricité qui a permis l’éclairage nocturne et les 3 x 8, ainsi que les ascenseurs électriques autorisant l’urbanisme vertical (au total, le phénomène macro-urbain et l’aménagement des territoires modernes), l’avion, qui a multiplié la mondialisation des échanges et des cultures, l’informatique qui a engendré la « médiatisation » mondiale, mais aussi l’hallucination des masses, l’accélération de la vie, la globalisation et l’uniformisation des esprits, etc. Non, les techniques n’ont rien de neutre et d’innocent, bien plus, nous n’en sommes pas les maîtres réels mais les apprentis sorciers car, une fois enclenchée, toute technique devient « autonome » par sa logique à laquelle nous sommes dès lors soumis (« on n’arrête pas le progrès »…).

La fuite en avant, le manque de recul et de « rétroviseur ».

À l'orée du troisième millénaire, le problème n'est plus de s'interroger (colloques, rapports. ..) mais de diagnostiquer, et d'agir s'il n'est pas déjà trop tard. « Tout a été dit, mais rien n'a été compris, encore moins admis ! ». Des choses essentielles ont été formulées depuis (et entre) les deux guerres mondiales : Le Club de Rome (The limits of growth), Robert Hainard à propos de la croissance. C'est pourquoi les citations sont précieuses, non par cuistrerie ou par timidité, mais parce qu'il devrait être plus facile de faire passer une idée insolite en montrant que d'autres y ont déjà pensé, parfois bien avant nous. Ainsi, alors que les connaissances étaient somme toute réduites, il y a trois ou trente générations, comment se fait-il que d'excellentes questions aient été alors posées par des intellectuels, « simplement » dotés de « culture » ? Aldous Huxley en est un exemple type qui, dans Point Counter Point ou Brave New World, propose des rapprochements étonnamment modernes entre cycle du phosphore et politique, ou entre biologie et dictature.



[1] Alain Touraine, Après la crise. Éditions du Seuil, 2010, p. 117

[2] Guy Biolat, Marxisme et Environnement, Éditions sociales, 1973.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 29 septembre 2015 13:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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