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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Marc LE BLANC, “LA DÉLINQUANCE À L’ADOLESCENCEIntroduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marc LE BLANC, “LA DÉLINQUANCE À L’ADOLESCENCE”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Denis Szabo et Marc Leblanc, La criminologie empirique au Québec. Phénomènes criminels et justice pénale, chapitre 3, pp. 96-133. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1985, 451 pp.

Introduction

Établir un bilan exhaustif des travaux de recherche empirique sur la délinquance des mineurs au Québec serait une entreprise considérable. En effet, chez nous, comme dans l'ensemble de la criminologie, la délinquance juvénile est certainement un des domaines où les activités de recherches et les expériences pratiques ont été les plus nombreuses, les plus soutenues et les plus innovatrices depuis les débuts de la criminologie, et plus particulièrement depuis les vingt-cinq dernières années au Québec. Le bilan de la recherche dans le domaine de la criminologie des mineurs, qu'il s'agisse de ses dimensions étiologique, théorique ou pratique, peut être exposé de la façon suivante. 

La criminologie des mineurs - La criminologie des mineurs a été très prolifique dans l'énoncé de théories expliquant la délinquance. Tout manuel de criminologie respectable nous convainc facilement de l'existence d'un nombre considérable de théories biologiques, psychologiques et sociologiques (voir parmi les plus récents : Empey, 1978 ; Thorton et al., 1982). Chaque théorie nous donne l'impression qu'elle apporte l'explication exhaustive de la délinquance des mineurs, malgré le fait que plusieurs de ces théories se réfèrent à des objets différents (la délinquance comme conduite, entrée en rôle, symptôme ou syndrome) et qu'elles favorisent un ou plusieurs facteurs particuliers. Il faut aussi mentionner que toutes ces théories ont été, dans une certaine mesure, confirmées par des données empiriques, si l'on se fie aux proposeurs ou aux manuels de criminologie ; mais, il est aussi évident qu'aucune n'a subi, avec succès, les épreuves complètes des comparaisons interculturelles et temporelles et qu'elles n'ont pas été très souvent l'objet de répliques nombreuses. 

La criminologie étiologique étalée sur une quarantaine d'années, des Glueck à West et Farrington, a constitué une liste exhaustive des facteurs, causes et conditions qui conduisent à la délinquance. Que celles-ci soient d'ordre biologique, psychologique, sociologique ou légal, leurs effets sur le phénomène de la délinquance, le délinquant et la conduite délinquante sont décrits et spécifiés. La démarche analytique et comparative (comparaison de délinquants et de non délinquants) de la criminologie étiologique a donc été fort fructueuse, mais elle a aussi été source de confusions et de querelles entre les tenants de telle ou telle cause, condition ou facteur. 

La criminologie des mineurs, dans sa dimension pratique, a proposé et expérimenté diverses politiques d'intervention (de la punition à la non-intervention radicale), et différentes méthodes d'actions (certains manuels en énumèrent plusieurs douzaines) qui peuvent s'appliquer auprès des individus, des groupes et/ou des collectivités, ceci dans une perspective curative, mais aussi dans le but de prévenir la délinquance. Toutes ces politiques et méthodes d'intervention ont eu un certain succès, mais aucune ne s'est avérée la panacée que les criminologues recherchaient (plusieurs travaux critiques le démontrent amplement : Trojanowiz, 1978 ; Hackler, 1978 ; Martinson et al., 1976). 

À la suite de ce rapide bilan de la criminologie des mineurs, on pourrait facilement conclure que l'acquis scientifique, en matière de délinquance juvénile, est très riche et que les théories, les recherches empiriques et les expériences pratiques sont innombrables. Elles le sont en effet, mais il faut pondérer cette conclusion en se rappelant les lacunes de la recherche dans ce domaine (voir LeBlanc, 1978 ; pour une discussion de ces questions) : l'oubli de la règle des niveaux d'interprétation du phénomène de la délinquance ; l'incapacité à passer d'une démarche analytique à une démarche systémique et multidisciplinaire ; l'impuissance à procéder à des études longitudinales ; et l'inaptitude à vaincre la peur de guider l'intervention avec les acquis scientifiques disponibles. Voyons maintenant comment s'est construite la criminologie des mineurs au Québec.  

Les recherches sur la délinquance juvénile. au Québec - La criminologie des mineurs (le terme criminologie est ici utilisé dans son acception la plus générale et il ne fait pas uniquement référence aux travaux de l'École de criminologie de l'Université de Montréal), au cours des vingt cinq dernières années, s'est d'abord développée autour de deux des trois dimensions précédentes, la pratique et la recherche étiologique, la dimension théorique n'étant apparue que plus tardivement. Par ailleurs, l'étude de la délinquance juvénile a été abordée sur deux plans : la personne du délinquant et la conduite du délinquant. Chacune de ces approches étant rattachée à des disciplines particulières : la première, qui choisit comme objet d'étude la personne du délinquant, caractérise les travaux en psychologie, et par extension, en psychoéducation et en service social ; la seconde, pour sa part, adopte comme focus la conduite du délinquant et est typique des travaux de l'École de criminologie de l'Université de Montréal. 

Chacune de ces traditions de recherche dont la première remonte à la fin des années 40 et la seconde au début des années 60, se caractérise par des activités de recherche de nature différente et par un investissement variable dans les dimensions théorique, étiologique et pratique de la criminologie. 

Ainsi, les études sur la personne du délinquant sont plus nombreuses ; elles originent surtout de la psychologie ; elles comprennent, avant tout, des mémoires et des thèses ; elles se servent de petits échantillons ; et, souvent, la méthode clinique et le développement de programmes d'intervention sont les sources des données empiriques. Par contre, les études sur la conduite du délinquant sont moins nombreuses ; elles sont réalisées en criminologie ; elles sont surtout subventionnées et représentent donc des entreprises impliquant du personnel technique et des étudiants ; elles s'appuient sur de grands échantillons et elles recourent couramment aux méthodes statistiques. 

Si nous dressons un tableau de la production de recherches empiriques au Québec, dans le domaine de la criminologie des mineurs (en incluant les travaux sur les internats et la justice pour mineurs), nous pouvons énumérer quatre types de produits : les thèses et mémoires, les programmes majeurs de recherche, les recherches subventionnées et les publications. Il est impossible de faire un relevé exhaustif de l'ensemble de ces productions. Toutefois, retenons que la première catégorie, thèses de doctorat et mémoires de maîtrise, compte près de deux cents titres qui proviennent, pour la plupart, de l'Université de Montréal, mais également, des universités Laval, McGill, de Sherbrooke et de l'UQAM ; ce sont les départements de psychologie et de service social qui accaparent la plus large part, et ceci à peu près également. Ce type de production est de qualité fort inégale et, sauf pour quelques exceptions, elles n'ont pas fait l'objet de publications, par exemple, dans des revues scientifiques. 

Le deuxième type d'activités de recherche se compose des programmes majeurs ; ceux-ci sont lancés par une équipe de professeurs qui s'associent des chercheurs rémunérés, de divers niveaux de qualification, sur une période de temps d'au moins cinq années ; leurs opérations sont soutenues financièrement par divers organismes, grâce à des sommes de plusieurs centaines de milliers de dollars. Au Québec, trois programmes majeurs de recherche ont été réalisés : structure sociale et moralité adolescente (1964-1969) dirigé par D. Szabo, D. Gagné et F. Goyer-Michaud et rattaché au Département de criminologie de l'Université de Montréal ; le diagnostic et le pronostic de la délinquance grave (1973-1979) dirigé par M. Fréchette, et la structure et la dynamique du comportement délinquant (1975-1980) dirigé par M. LeBlanc, M. Fréchette et M. Cusson. Ces deux derniers programmes de recherches ont logé à l'enseigne du Groupe de recherche sur l'inadaptation juvénile de l'Université de Montréal. 

Le troisième type d'opération de recherche, les projets subventionnés, sont plus nombreux, tout en étant principalement rattachés à la criminologie à l'Université de Montréal. Il s'agit d'activités plus ponctuelles, de moins d'envergure et dont le personnel est essentiellement composé d'étudiants. Pendant les bonnes années, on peut en compter une demi-douzaine dans diverses universités et départements au Québec. L'ensemble de ces recherches subventionnées ont laissé à la communauté criminologique un ensemble assez vaste de rapports de recherche ; par exemple, au Groupe de recherche de l'inadaptation juvénile de l'Université de Montréal, entre 1973 et 1981, on peut compter 159 rapports de recherche formellement remis à des bailleurs de fonds, et ceci ne représente qu'une partie de la production québécoise. 

Le quatrième et dernier type de produit est composé des publications formelles. Ainsi, on peut compter sept livres qui traitent du sujet de la délinquance juvénile : Beausoleil, 1949 ; Mailloux, 1971 ; Szabo et al., 1972 ; Lemay, 1973 ; Parizeau et Delisle, 1974 ; Cusson, 1981 ; Cloutier, 1982. Huit revues locales (québécoises ou canadiennes) contiennent souvent des articles sur la délinquance : Contribution à l'étude des sciences de l'homme, Criminologie (Acta criminologica), Revue des services de bien-être à l'enfance et à la jeunesse, Revue canadienne de criminologie, Revue canadienne de psycho-éducation, Apprentissage et socialisation, Crime et justice et les Cahiers de l'inadaptation juvénile. Il est impossible de faire un relevé exhaustif de tous les articles publiés dans ces revues ou ailleurs ; par exemple, le Groupe de recherche sur l'inadaptation juvénile, entre 1973 et 1981, en a publié quarante neuf et cela ne représente qu'une partie de ce type de publications. Il faudrait ajouter à l'ensemble de ce relevé toutes les communications scientifiques à des congrès, colloques, auprès d'organismes divers et devant des praticiens. S'ajoute encore à cela, la contribution de chercheurs aux rapports de commissions gouvernementales : Batshaw (1976) et Charbonneau (1983). 

Ce bilan factuel de la production scientifique que nous venons de faire, n'est pas parfaitement exhaustif et il ne saurait être complet sans quelques commentaires sur le contenu, les dimensions théorique, étiologique et pratique de la criminologie québécoise des mineurs. Tout en suivant l'exemple de la criminologie des mineurs en général, la criminologie québécoise s'est d'abord intéressée aux causes de la délinquance en procédant à des études descriptives et comparatives ; l'objet principal de ces activités était l'identification des facteurs, causes et conditions de la délinquance. La nature de ces recherches peut être caractérisée comme une démarche analytique. Ces travaux ont vu leur âge d'or s'échelonner au cours des années 50 et 60. Mais très rapidement, cette criminologie étiologique classique a été remplacée par deux courants de recherche : le développement de l'intervention auprès des jeunes délinquants, et les recherches intégratives ou disciplinaires ayant pour point de départ la conduite délinquante. 

Ainsi, les années 60 ont été l'occasion d'innovations pratiques remarquables dans le domaine du traitement des jeunes délinquants au Québec. Ces recherches cliniques et de développement de l'intervention ont permis de proposer une théorie originale de la rééducation des jeunes délinquants : la théorie des étapes de la rééducation (Guindon, 1969). Nous reviendrons sur ce pan de l'histoire de la criminologie québécoise, dans le chapitre consacré à l'évaluation des internats de rééducation. 

Les années 60 ont vu apparaître les premières recherches intégratives de Szabo et al., sur la moralité adolescente et la structure sociale ; recherches qui utilisent les concepts de la sociologie et de la psychologie et qui adoptent, comme point de départ, la conduite délinquante. Ces premières tentatives sont approfondies, au cours des années 70, alors que des programmes de recherches longitudinales sont mis en oeuvre : le diagnostic et le pronostic de la délinquance grave et la structure et la dynamique du comportement délinquant de Fréchette, LeBlanc et al. Ces travaux empiriques ont conduit à des élaborations théoriques naissantes qui sont articulées autour des notions de continuum, d'adaptabilité et de système de régulation de la conduite délinquante. 

Ainsi, les recherches sur la délinquance juvénile ont suivi deux voies divergentes quant à leur objet d'étude : la personne versus la conduite ; quant aux méthodes utilisées : études comparatives et cliniques versus études analytico-déductives et statistiques ; et quant aux implications pratiques : programmes de rééducation versus gestion de cas et politiques d'intervention. Toutefois, elles ont en commun une assise théorique qui soutient que la délinquance est un problème de socialisation, c'est-à-dire que le jeune délinquant est avant tout un adolescent. À ce propos, le titre de ce chapitre voulait justement exprimer ce consensus théorique de la criminologie des mineurs au Québec.  

Question de méthode - Le dénombrement des travaux de recherche sur la délinquance juvénile du Québec comprendrait plusieurs centaines de titres : thèses et mémoires, rapports de recherches et publications [1]. D'emblée, il est impossible de lui faire justice dans un chapitre de la dimension permise dans ce traité [2]. Ce contexte limitatif nous a obligé à opter pour une présentation de la recherche qui s'appuie sur les critères suivants : les travaux, les plus récents dont les méthodes sont les plus solides, c'est-à-dire dont les échantillons sont les plus grands et les instruments de meilleure qualité, et qui sont originaux par rapport à ce que l'on rencontre habituellement en criminologie, recevront une attention plus particulière. Il va de soi que nous référerons aux textes les plus importants, laissant de côté les publications qui sont des variantes des premiers. 

Guidés par ces critères, nous avons parcouru la production dans le domaine de la délinquance juvénile au Québec, et il nous est apparu que la meilleure façon de présenter les travaux concernés serait de diviser le chapitre en quatre sections. La première portera sur la conduite délinquante des adolescents, sa nature et ses variations ; la deuxième traitera de la personnalité des délinquants ; la troisième présentera les caractéristiques sociales des jeunes délinquants ; et finalement, la quatrième section conclura sur les travaux qui tentent une démarche intégrative.


[1] Concernant les publications, nous nous sommes limités aux plus connues parce qu'elles peuvent être disséminées dans de nombreuses revues scientifique de diverses disciplines à travers le monde.

[2] Nous nous excusons à l'avance auprès de ceux dont les travaux auraient été oubliés. Ce serait pour l'une ou l'autre des raisons suivantes : nos procédés de détection des travaux ont été insuffisants ; il nous a été impossible de reconnaître, par le titre, le contenu exact de la recherche.


Retour au texte de Jean-Marc Leblanc, criminologue, retraité de l'Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mardi 15 août 2006 17:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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