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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jacques Lavigne, Philosophie et psychothérapie.
Essai de justification expérimentale de la validité et de la nécessité de l’activité philosophique
. (1987)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jacques Lavigne, Philosophie et psychothérapie. Essai de justification expérimentale de la validité et de la nécessité de l’activité philosophique. Éditions du Beffroi, 1987, 298 pp. [En attente de l'autorisation des ayants droit de diffuser dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Introduction

Philosophie et autonomie du moi
Théorie du symbolisme et modèle psychique
Le concept de philosophie
La philosophie comme fait psychologique
L’expérience de la psychothérapie
L’usage du pathologique
Application de la méthode scientifique
Délimitation du champ d’observation et d’expérimentation : évolution normale, névrose, état-limite, prépsychose, préschizophrénie.

[8]

[9]

Philosophie et autonomie du moi

L’expérience peut-elle démontrer un lien nécessaire entre l’activité philosophique et la conquête d’une conscience objective? Entre, d’une part, la symbolisation propre à la philosophie et, d’autre part, l’autonomie du moi et l’équilibre de la personnalité? Ou encore, sans quitter le terrain des faits et des théories qui lui est propre, la psychothérapie [1] peut-elle appréhender la philosophie à la fois comme un phénomène mental qui surgit tout naturellement de ses observations et comme une conscience critique de sa vision de l’homme malade ou bien portant? Voilà les questions que nous nous proposons d’examiner dans le présent ouvrage. Il ne s’agit donc pas d’une défense de la philosophie à une époque où, avec raison peut-être, on met en doute, pour la première fois dans l’histoire de la culture occidentale, la validité de ce savoir et de son objet, et où on ne peut plus dire du premier qu’il est une science et du second une réalité vérifiable. Il y sera plutôt question d’études de psychothérapie, dont nous avons publié la première partie dans un livre sur l’objectivité [2]. En effet, les recherches que nous poursuivons en psychologie expérimentale depuis plus de vingt-cinq ans nous ont révélé l’activité philosophique comme un fait psychique original dont l’authenticité actuelle pouvait être rejetée ou démontrée par l’expérimentation. Ainsi, nous écrivions dans L’Objectivité :

« Notre premier but dans cette recherche n’était pas d’y découvrir une justification nouvelle de l’activité philosophique, mais cette justification s’est imposée à nous au cours même de l’expérience que nous poursuivions. Ce que nous cherchions, nous l’avons dit, c’étaient les conditions instinctuelles et affectives de l’objectivité du discours conceptuel. Or, il était clair que ce discours impliquait constamment un recours à ce qu’il a été convenu d’appeler la philosophie, qu’il s’y trouvait toujours une sorte de signification de base à laquelle on pouvait réduire, quant à leur valeur ultime, un grand nombre de propositions et que cette signification avait une structure philosophique. Nous [10] n’envisagions pas, dans cette optique, l’activité philosophique comme un univers mental dans lequel nous entrions, soit pour adopter une philosophie, soit pour en construire une nouvelle à la manière des philosophes au cours des siècles. L’activité philosophique s’est donc présentée à nous comme un élément au sein d’une expérience qui n’était pas formellement philosophique, comme un objet d’expérimentation au cours d’une recherche où il n’était pas entendu à l’avance qu’il s’imposerait à notre attention » [3].

Dans ces pages, nous emploierons le mot expérimentation dans son acception propre : une hypothèse interprétée par une théorie et soumise à plusieurs vérifications. L’hypothèse à l’origine de ces recherches, quant au fait philosophique, est que le discours philosophique est un langage de base dont le symbolisme est à la fois le témoignage et l’instrument de la normalité ou des perturbations du psychisme. La théorie que nous appliquerons est théorie du symbolisme que nous avons élaborée dans L’Objectivité [4] et, lorsque nous parlons de normalité, nous nous référons à au modèle psychique dont nous avons énuméré et expliqué les normes dans le même ouvrage [5]. Ce n’est pas, par conséquent, à une vision philosophique de l’être humain que nous nous référons pour constater et justifier l’activité philosophique, mais à une théorie du psychisme tirée de l’expérience et vérifiée par elle. Enfin, si cette théorie est née de l’expérience de la psychothérapie, elle prétend la dépasser pour se constituer en une théorie générale de la signification [6] et, comme telle, servir d’outil critique non seulement pour l’analyse des contenus du savoir philosophique, mais aussi des concepts de la psychothérapie elle-même.

Théorie du symbolisme et modèle psychique

Nous préciserons maintenant et expliciterons la nature de ces deux instruments d’analyse (théorie du symbolisme et modèle psychique) qui sont des généralisations systématisées tirées d’expériences déjà connues, nous semble-t-il, dans le champ de la pratique de la psychothérapie. Ces instruments théoriques nous ont servi de guides et de références pour établir ce qui nous est apparu comme les structures pulsionnelles et affectives fondamentales de l’inconscient, qui tantôt soutient [11] et permet, tantôt déforme et entrave l’objectivité du discours conceptuel conscient.

Dans cette théorie du symbolisme, nous démontrons que la signification du langage et du comportement est globalement appuyée sur une fonction de symbolisation par laquelle la partie intellectuelle d’une idée ou d’une intention devient vivante et est appropriée par un sujet au moyen de son affectivité, de ses pulsions et de sa biologie. Nous parlons de symbolisation parce que le biologique, le pulsionnel et l’affectif par rapport à un mot, à un concept, utilisent leurs fonctions habituelles pour mimer, si l’on peut dire, la signification du mot, du concept. Mais, de ce fait, le concept acquiert une face symbolique, par laquelle son contenu intellectuel devient un élément du système des émotions, des pulsions et de l’organisation biologique. Si l’on se réfère aux termes signifié et signifiant, utilisés par de Saussure pour distinguer, dans le signe, le concept de l’image acoustique, le symbolisme en question se situe du côté du signifiant. De ce fait, l’interprétation d’une idée prendra deux directions, comme si cette idée avait deux dimensions, ou encore comme si elle était à la fois la compréhension directe d’un objet et le symbole de l’état de ce tout biologique, pulsionnel et affectif dont la conscience qui comprend est le sommet.

Il y a un va-et-vient quasi continu entre la partie intellectuelle d’un mot ou d’un concept et son support symbolique. Ainsi, la présence d’une idée introduite dans le psychisme par des mots ou par un langage non verbal peut se manifester d’abord par des signes biologiques (maux de tête, tensions, troubles digestifs, insomnies, refroidissement des extrémités, accélérations du rythme cardiaque) avant d’émerger sous la forme d’un concept ou d’un déroulement cohérent de concepts jusque-là comprimés en dehors du champ de la conscience. Il peut arriver, à l’inverse, que l’idée apparaisse d’abord sous une forme abstraite ou enrobée dans une image, pour ensuite pénétrer dans le système instinctivo-affectif d’un sujet et le modifier. Ce sont des expériences fréquentes en psychothérapie. Par ailleurs, les signes biologiques peuvent se présenter comme des symptômes, c’est-à-dire comme de l’énergie pulsionnelle détournée de son parcours normal par un refoulement et exprimant symboliquement, par le corps, l’interdit dont elle est hypothéquée. À l’occasion cependant, et on l’a rarement relevé, ces [12] signes biologiques se révèlent aussi l’antithèse d’un symptôme ou, en d’autres mots, la réaction d’un psychisme sain au symptôme d’un autre psychisme qui ne l’est pas, c’est-à-dire la manifestation incarnée d’une intuition exceptionnelle, d’une charge pulsionnelle particulièrement disponible. En ce cas, les signes biologiques assistent la pensée et en forcent la manifestation progressive.

Cette corrélation du concept et de son support symbolique est plutôt complexe. Par exemple, jusqu’où peut aller l’objectivité pure d’un concept ? Quelle est l’autonomie réelle, et souhaitable, du concept par rapport au support symbolique qui l’incarne, support symbolique constitué par la singularité de l’individu, son insertion dans une histoire personnelle et sociale ?  Bref, quel est le contenu propre, isolable, du concept ?  Jusqu’à quel point le concept ne fait-il que représenter la subjectivité qui le porte, puisque cette dernière, si elle requiert le concept pour se structurer, ne lui en confère pas moins sa vitalité ?  Quelle est, enfin, la part souhaitable et essentielle de cette subjectivité quant à la validité du concept dans sa fonction de signifié adéquat et justifiable, dans l’interprétation objective de la réalité ? Telles sont les questions fondamentales que pose, entre autres, la théorie du symbolisme que nous avons élaborée dans L’Objectivité, et sur lesquelles nous reviendrons dans le présent ouvrage lorsque nous analyserons le concept de philosophie comme langage de base.

Tout ce que dit Freud de l’inconscient réfère à ce support  symbolique de la signification. Ainsi le refoulement issu du complexe d’Œdipe, le narcissisme, les lois de l’inconscient (reflet du principe de non-contradiction, élimination de la catégorie temps, régulation par le principe de plaisir et non par la réalité, etc.), mais aussi les relations père-fils, mère-fille, l’identification réussie, les culpabilisations et valorisations du surmoi et l’hétérosexualité [7].

À partir de Freud, et certainement de Marcuse, en particulier dans Éros et civilisation, tout se passe comme si les productions de l’intelligence n’étaient qu’une émanation pure et simple des pulsions premières, spécialement du principe de plaisir, soit pour les réprimer d’une manière déguisée, soit pour en sublimer les aspirations biologiques, agressives ou sexuelles. Notre théorie du symbolisme prétend dépasser cette explication pour mieux rejoindre, au sein de l’expérience, la complexité du réel. [13] Nous pensons qu’il est vrai que l’intelligence découvre un appui pour ses concepts dans l’univers pulsionnel et qu’elle les y incarne ; qu’il est vrai que, à l’occasion, cette intelligence ne fait que traduire, par ses concepts, des refoulements, des sublimations, des rationalisations . Cependant, nous pensons aussi que les concepts de l’intelligence utilisent souvent le fond pulsionnel comme une sorte de support et que de cette alliance surgit une production originale positive qui entraîne une modification du fond pulsionnel lui-même. Ainsi, l’alliance de la pulsion de vie ou sexuelle et de la perception d’une valeur n’est pas nécessairement le fruit d’un refoulement, d’une sublimation répressive ou d’une autosublimation. Nous reprendrons ces idées lors de l’analyse du concept de philosophie.

Quant à la pulsion sexuelle proprement dite, en tant qu’elle est vécue comme état dans la conscience, qu’elle soit en  quête de fantasmes ou qu’elle en produise, elle appartient elle aussi, d’une manière toute particulière, à ce support symbolique des mots et des idées, soit pour contribuer à leur production, soit pour traduire la complexité des réactions intellectuelles, affectives et biologiques à un mot, à une idée.  Aperçues de cette façon, les réactions de la pulsion sexuelle ne sont pas seulement une réponse à un stimulus érotique, et une réponse érotique n’est pas nécessairement réductible à une signification globalement érotique. Cela est vrai dans la névrose, chez le psychotique, mais aussi chez le sujet normal. Nous reviendrons plus loin sur cette rencontre de la sexualité et de la pensée, qui est une illustration privilégiée, mais non sans mystère, de cet usage symbolique de la biologie, des pulsions et de l’affectivité comme support des significations intellectuelles.

Enfin, le support symbolique des mots et des idées peut abandonner son rôle de support pour devenir, de façon dissimulée, la signification même des mots et des idées. Dans ce  cas, l’idée perd son autonomie, elle n’exerce plus ses fonctions de compréhension qu’en apparence. Ce qui domine alors le moi, c’est la pure subjectivité, l’inconscient, et le langage et les connaissances se révèlent, avant tout, des occasions de projections. C’est le cas, par exemple, de la conscience onirique et de tous ces états intermédiaires qui y conduisent, et dont n’est pas exempte la conscience normale, puisque son objectivité n’est pas un état acquis une fois pour toutes, mais une vigilance et une attitude critique toujours à conquérir et à renouveler.

[14]

Sous le titre de modèle psychique, dans L’Objectivité, nous avons groupé et défini un certain nombre de normes qui nous sont apparues, dans l’expérience, comme les plus générales, les plus fondamentales et les plus caractéristiques de la normalité ou de son absence, c’est-à-dire du bon ou du mauvais fonctionnement d’un psychisme, tant du point de vue de la pensée que de celui de l’action. Ces normes sont applicables aussi bien dans l’intervention que dans la vie de tous les jours, tout autant à la conduite de l’individu qu’à celle des groupes. Elles sont indépendantes de toute prise de position par rapport à une philosophie de l’homme, à une échelle de valeur, à un credo religieux ou à un comportement spécifique dans l’usage de la pulsion sexuelle (ce qui ne veut pas dire qu’elles sont compatibles avec toute philosophie de l’homme et que tout comportement sexuel leur est conforme). Ces normes ne sont pas réductibles, non plus, à un système de contraintes choisies plus ou moins arbitrairement pour soumettre un individu, au nom de la santé mentale et de l’adaptation sociale, aux conventions, préjugés, habitudes et codes moraux de la classe sociale dominante d’une époque donnée. Sans doute, on pourrait convertir ce modèle psychique en une échelle de valeur, le traduire en  termes d’impératifs moraux et, peut-être, en tirer une philosophie de l’homme et certains principes d’épistémologie. Mais alors on transposerait ces normes dans un autre langage, on aurait recours à d’autres processus de connaissance que ceux utilisés pour produire ce modèle, et on atteindrait une autre fin que celle poursuivie lors de sa conception : élaborer un instrument technique neutre d’investigation scientifique. Cela ne signifie pas que ces normes n’ont aucun rapport avec une justification expérimentale de l’activité philosophique et, par  conséquent, avec le développement d’une morale, comme nous le verrons plus loin.

Le modèle psychique que nous avons élaboré n’origine  pas d’une théorie thérapeutique particulière et ne définit pas la normalité en fonction de ceux qui, sous les soins d’un psychologue ou d’un psychiatre, ne répondraient pas à ces normes, alors que les autres, ne présentant aucun symptôme apparent et ne requérant aucune aide psychologique, seraient considérés comme normaux, c’est-à-dire répondraient à ces normes. Les normes que nous avons sélectionnées, au contraire, pourraient conduire à la constatation paradoxale que souvent ce sont les malades qui répondent à ces normes et les sujets bien portants [15] qui n’y répondent pas. Elles ont été conçues, en particulier, pour permettre de démêler la situation complexe et embrouillée que crée le psychotique (celui qui refuse tout traitement) par rapport au milieu familial et aux groupes sociaux où il évolue, sur lesquels il exerce son ascendant et qu’il contamine [8]. Nous nous référons au psychotique qui ne délire pas d’une manière obvie, qui peut travailler, surdoué souvent, et qui crée des relations affectives plus ou moins érotisées sous forme de transferts inconscients. Dans cette situation, le psychotique fait tout pour imiter le comportement normal, et son entourage, inconsciemment, pénètre dans son univers mental pathologique pour le soutenir dans son projet absurde et suicidaire. Donc, à  l’inverse du paradoxe que nous avons relevé plus haut, où le malade est un être normal victime d’un milieu anormal, c’est ici le malade qui se déguise en bien portant, et le milieu où il vit devient malade pour lui donner raison et le préserver ainsi de l’angoisse. Des normes qui s’attacheraient à dépister les symptômes au niveau des pures apparences, en particulier en  fonction du comportement sexuel purement extérieur, comme créer des liens avec l’autre sexe, définiraient, à la fin, comme non normal le thérapeute lui-même ou toute personne étrangère au cercle familier du psychotique qui entreprendrait de le dénoncer. C’est pour répondre à des situations comme celle-là que nous avons construit ce modèle psychique de la normalité.  Pour permettre aussi d’identifier et de rectifier les déviations des conduites à l’intérieur des groupes ou des institutions où l’autorité, pour des fins étrangères au bien commun, impose aux individus qui les composent une lecture de la réalité qui est contraire aux lois des sentiments naturels, de la logique élémentaire et de l’observation honnête des faits [9]

Un modèle, on le sait, « remplace un phénomène naturel compliqué et impossible à reproduire par un autre plus simple et reproductible, que l’on peut faire évoluer en agissant sur un certain nombre de paramètres connus [10] ». Un modèle, par  conséquent, simplifie et choisit. Mais c’est par ce choix et cette simplification qu’il permet de débrouiller et de comprendre une réalité qui, antérieurement, dans sa richesse concrète, apparaissait confuse, sans ordre et n’offrant aucune prise aux analyses de l’intelligence et aux initiatives de l’action. Sans un modèle, la définition de la normalité est abandonnée à l’arbitraire et aux impressions subjectives esclaves de la peur, des apparences et de l’immédiat. On a dit que codifier la normalité, [16] c’était restreindre la liberté de l’individu. Nous croyons plutôt  que, sans un modèle construit selon l’esprit des approximations de la méthode scientifique et de son sens critique, on livre l’évaluation de la normalité d’un individu à l’impuissance de la conscience obscure, à la fantaisie des motivations inconscientes de ceux qui possèdent le pouvoir, dont ce pouvoir exceptionnel de la maladie mentale lorsqu’elle se dissimule et échappe à tout contrôle et se mêle à la vie ordinaire pour l’exploiter dans le  sens de ses déviations et régressions.

Sans doute est-il possible de concevoir qu’à partir de l’expérience on pourrait construire un certain nombre de modèles psychiques de la normalité, et il nous serait bien difficile de dire, avec précision et certitude, selon quelle démarche inconsciente ou intuitive nous avons retenu telle norme plutôt  que telle autre, et pourquoi sept normes plutôt que cinq ou dix.  Les sept normes que nous avons choisies se sont progressivement imposées à nous comme plus générales et plus significatives quant à l’identification de la normalité, tant du point de  vue de la pensée que de l’action, de l’engagement affectif à l’endroit de la réalité que des rapports objectifs avec elle. Il nous est apparu, par ailleurs, que ces normes étaient interdépendantes et qu’elles étaient liées logiquement les unes aux autres, comme si, bien qu’elles aient été tirées de l’expérience les unes après les autres, cette sélection avait été le fait d’une visée logique tendant à constituer ce que l’on appelle en science un système clos [11].

Voici donc l’énoncé des sept normes en question (nous référons le lecteur au texte de L’Objectivité [12] pour le commentaire de leur contenu conceptuel) : 1- la cohérence dans les pensées et les actions ; 2- la qualité de la mémoire ; 3- la capacité d’abstraire ; 4- l’usage qui est fait du symbolisme ; 5- le sens des responsabilités, ou la capacité de répondre de ses actes ; 6- la capacité de s’attacher à un seul être par un amour altruiste ;  7- la capacité de créer et, par conséquent, de rompre avec les répétitions stériles et névrotiques.

Nous avons parlé d’un lien logique entre ces normes qui constitueraient un système clos comme l’entend la méthode expérimentale. Or, si l’on prend comme point de départ l’une ou l’autre de ces normes, on constatera que chacune implique non seulement l’existence de celles qui lui sont voisines, mais aussi celle de toutes les autres, comme si chacune d’elles était [17] l’expression variée d’un système qui forme une totalité où chaque partie exige logiquement et dans la réalité l’existence de toutes les autres.

Voilà, quant à l’essentiel, le contenu de cette théorie du symbolisme et de ce modèle psychique que nous utiliserons pour rendre compte, d’une manière expérimentale, de la nature de l’activité philosophique et de sa nécessité. 

Le concept de philosophie

Mais ce fait psychique, à savoir l’activité philosophique, a-t-il aujourd’hui un intérêt pour l’esprit humain ? Remplit-il une fonction irremplaçable dans l’évolution du moi, ou bien n’est-il que le résidu d’une forme de connaissance qui appartient à un temps révolu ? Nous nous proposons dans ce livre, à partir d’une optique scientifique, d’établir l’existence d’un type d’activité psychique, qu’on a appelé philosophie au cours des siècles, qui est  la condition essentielle de cette conscience qui fait prévaloir la réalité sur le préjugé, l’amour sur l’agressivité, l’authentique sur l’inauthentique, l’objectivité sur la subjectivité.

 Nous analyserons dans le premier chapitre le contenu précis que nous donnons au concept de philosophie dans cet ouvrage ; nous montrerons comment il intègre les significations les plus communes qu’on lui a prêtées dans le passé et quel sens nouveau il acquiert aujourd’hui pour rencontrer, dans l’expérience, l’activité psychique actuelle qu’il désigne et qualifie.  Disons, pour l’instant, que le concept de philosophie, dans cette recherche, se réfère avant tout au langage qui traduit cette forme de la conscience où s’articulent les agencements corrects des perceptions du moi et des pulsions et interdits de l’inconscient où, au contraire, se verbalisent les projections intellectualisées d’un psychisme perturbé.

D’une façon plus concrète et plus vitale, la philosophie définit cette pensée par laquelle se conceptualise la relation père-fils [13] où le père, idéalement, fournit au fils les prémisses du discours qui lui permettra de construire son autonomie et de se situer par rapport à la réalité. Entre le père et le fils, il n’y a au début qu’un amour inscrit dans la biologie, les instincts et l’affectivité. Mais cet amour est à l’origine d’un processus de conceptualisation où le père, pour permettre l’autonomie de [18] son fils, s’efforcera de lui faire acquérir des idées libératrices qu’il tirera d’une interrogation répétée et renouvelée sur la variété la nature humaine dont il possède en lui les multiples possibilités, et sur les mystères de l’existence et de la société auxquels son fils aura à faire face. Le rôle du fils, dans cet échange, est loin d’être passif, puisque c’est lui qui ressent davantage les évolutions de la culture et les exigences d’une rationalité renouvelée. Ce que le père découvre pour son fils, c’est moins ce qu’il cherchait, lui, qu’une tentative de formuler ce que son fils aurait découvert lui-même s’il avait eu une expérience et des moyens d’expression adéquats. Évidemment, ce que nous disons du père et du fils se transpose du côté de la mère et de la fille, et il n’est pas inconcevable que le lien se fasse de la mère au fils, de la fille au père, pourvu que l’on tienne compte, dans une compréhension vécue, de la différence des identités sexuelles et de leur conséquence sur les types d’interrogation [14].  Mais cette conceptualisation qui surgit de la rencontre du père et de son fils n’est pas celle de la psychologie expérimentale, de la sociologie, ni d’aucune autre science de l’homme. Cependant, si elle va jusqu’au bout de sa rigueur et de ses exigences, c’est elle qui fonde l’équilibre et la stabilité du moi, et c’est par elle, nous tenterons de l’établir, que les autres connaissances dépassent le mot pour rejoindre la réalité.  C’est ainsi que l’activité philosophique sera envisagée, dans cette étude, non pas comme un savoir qui nous livre quelque vérité absolue sur l’homme et l’univers, mais plutôt comme un système de symboles que reçoit ou que produit la pensée pour modifier la conscience et la structurer. Dans l’activité philosophique telle que nous la percevons ici, c’est le contenu intellectuel lui-même qui possède une structure symbolique. La nature de cette structure symbolique et la valeur significative de cette dernière par rapport au réel, d’un point de vue scientifique et expérimental, feront l’objet du premier chapitre. 

La philosophie comme fait psychologique 

Dans la perspective que nous venons d’exposer, on peut situer la connaissance philosophique à l’intérieur du schéma de relations qui définit, pour la psychologie expérimentale, le fait psychologique de base : la conduite. La conduite, on le sait, est comprise en psychologie comme la réaction d’une personnalité [19] à une situation. Cette réaction et cette situation peuvent être verbales. La philosophie appartient à cette catégorie de conduites. C’est la réaction verbale d’une personnalité à une situation donnée, ou bien c’est cette situation verbale agissant à la manière d’un stimulus sur une personnalité pour y provoquer une réaction. Aperçue de cette façon, l’activité philosophique devient un fait mental qui peut être traité selon les principes de la méthode expérimentale.

La philosophie, interprétée à partir de la théorie du symbolisme élaborée dans L’Objectivité et commentée plus haut, se prête tout naturellement à cette identification à un stimulus verbal.  Cela requiert, toutefois, que l’on dégage les paliers de signification d’un stimulus verbal et les fonctions variées de ce dernier dans l’activité philosophique traitée comme une conduite. C’est ce que nous verrons également dans le premier chapitre.

L’expérience de la psychothérapie

Cependant, où trouver un champ d’observation suffisamment délimité et contrôlable qui nous permette de faire de l’activité philosophique l’objet d’une recherche scientifique ? Ce champ d’observation, nous l’avons rencontré dans le dialogue propre à la psychothérapie, dialogue que nous avons pratiqué durant de nombreuses années auprès des jeunes. On sait que la psychothérapie par le langage libère l’individu du poids d’un inconscient [15] qui le paralyse dans sa vie consciente ; que le thérapeute, en interprétant les manifestations de l’inconscient, replace le sujet dans une perspective d’objectivité quant à l’évaluation de lui-même, des autres et de la réalité en général. 

Or, cette prise de conscience s’opère et s’achève à  l’intérieur d’une connaissance de soi qui n’est assimilable à aucun savoir positif déterminé de la culture actuelle, mais antérieure à ces savoirs et, cependant, condition de leur authenticité et de leur objectivité, connaissance de soi où ce qui est perçu dans une idée est aussi vécu par l’affectivité, les instincts et l’être biologique. C’est cet état de la pensée qui nous paraît être, dans l’expérience de la psychothérapie, la racine psychique de l’activité philosophique.

[20]

Cette dimension philosophique au cœur de l’évolution de l’être psychique est particulièrement sensible dans la psychothérapie des jeunes, puisque les problèmes intérieurs qui les conduisent chez le thérapeute se mêlent, pour les intensifier, aux besoins normaux de l’intelligence, du cœur et de l’instinct à cette période importante du développement de la personnalité.  En effet, très souvent, les angoisses, les répressions, les rationalisations qui entravent le progrès normal de l’adolescent, du jeune homme et de la jeune fille, sont à la fois la traduction des conflits inconscients nés de leurs histoires pulsionnelles et affectives particulières, et l’expression des insuffisances de l’équipement intellectuel de leur moi. Ainsi, si l’on peut interpréter certaines préoccupations intellectuelles, éthiques ou sociales de l’adolescent comme l’expression symbolique de conflits inconscients qui l’oppriment et dont il cherche à s’échapper, on peut, de même, constater que ce qui est perçu comme un symptôme dans la névrose d’un adulte n’est souvent, chez l’être jeune, que la dramatisation par l’instinct et l’affectivité, sous des formes en apparence morbides, des avatars et de l’impuissance temporaire d’un désir de connaître où la compréhension de soi-même et de son monde ne peut s’accomplir qu’à travers celle d’une interprétation de l’homme, de son histoire et de sa société. Mais l’inverse est également vrai, en  ce sens que, chez certains jeunes hommes et certaines jeunes filles, les problèmes psychologiques auxquels ils ont à faire face engendrent un besoin de comprendre d’ordre général d’une intensité qu’on ne rencontre pas souvent chez l’adolescent dont l’évolution est facile et rapidement canalisée par des objectifs concrets fortement valorisés par la société. Certains jeunes, à  cause des conflits vécus dans leur enfance et inscrits dans leur être profond, sont pour ainsi dire forcés, pour survivre et progresser, de refaire à chaque pas la synthèse de leur moi par la  pensée et de la justifier.

Dans ces trois cas, la psychothérapie est indissociable de l’édification d’une conscience structurée par une forme de pensée qui, si on l’exprimait dans un système, serait de la philosophie.

[21]

L’usage du pathologique

Bien qu’elles soient nécessaires, les classifications de la psychopathologie ont toujours un aspect réducteur qui défigure la valeur humaine de certaines carences psychiques profondes. Le lexique de la psychopathologie et de la psychiatrie ressemble souvent à un système de défense et de culpabilisation à l’usage  des bien portants contre les non-normaux qu’ils perçoivent, non sans raison quelquefois, comme une menace dont ils se protègent par une sorte de morale déguisée en  termes de science. Cette morale leur permet d’éviter de pénétrer la solitude et l’intensité exceptionnelles de l’humanité particulière du « malade », de s’y sentir impliqués et, par  conséquent, d’échapper à l’interrogation intime et angoissante qui en résulterait. On justifie ce rejet et cet abandon par un langage qui édifie une cloison étanche entre l’univers de la santé et celui de la maladie. Les mots deviennent alors un conditionnement qui protège le spécialiste de la santé mentale, comme s’il y avait un univers morbide séparé de la conscience normale, de sorte que l’on pourrait délimiter quasi spatialement où s’arrête le premier et où commence la seconde. Dans une clinique ou un hôpital psychiatrique, le dossier d’un malade peut évoquer un acte d’accusation et une condamnation. En effet, le vocabulaire de la pathologie, nécessaire sans doute, n’a pas d’autres vocables pour définir un sujet que des mots qui dénoncent à l’avance toute possibilité d’une relation humaine qui rappelle quelque chose de l’affectivité et de la compréhension normales. Comme si, dans ces conditions, le vocabulaire prenait le pas sur la réalité et sur toute rencontre affective spontanée et inconditionnelle avec cette dernière. 

Le danger de cette défense par réduction et simplification se vérifie plus particulièrement face à ces syndromes qu’on a appelés « états-limites» (borderline) chez le prépsychotique, dans ce que l’on identifie comme les voies d’entrée de la schizophrénie et que l’on découvre chez le surdoué qui, s’il n’est pas aidé, présente des symptômes de disharmonie et des tendances schizoïdes plus ou moins accusées. Il est bien certain que si, chez les jeunes gens et les jeunes filles, on ne perçoit ces cas qu’à partir d’une lecture pathologique des faits, les éléments de pensée qu’on y relève, qui rappellent les exigences [22] d’une réflexion philosophique, seront vite confondus avec de purs symptômes. Mais une telle attitude réductrice peut compromettre le traitement thérapeutique lui-même.

Quant à nous, nous avons pratiqué la psychothérapie à ciel  ouvert, si l’on peut dire, dans le cadre d’un enseignement de la philosophie dans un collège et au hasard des rencontres, par  conséquent avec le minimum de protection et le maximum de vulnérabilité. Le contexte où nous travaillons est donc à l'opposé de celui de la clinique psychiatrique où le client est défini  à l’avance comme un malade, et regardé et classifié comme  tel. Dans la pratique courante de la psychothérapie et dans les ouvrages spécialisés dans ce domaine, on utilise souvent le vocabulaire de la pathologie non seulement pour cataloguer des cas et comme guide pour les traitements, mais aussi, sans doute à la suite de Freud qui a tiré une anthropologie générale de ses théories cliniques, pour l’interprétation du normal. Dans cette perspective, on cherche surtout à placer des étiquettes sur des spécimens, à identifier des complexes d’Œdipe, du masochisme, de la paranoïa, de l’homosexualité latente, comme si on n’avait d’autre compréhension du psychisme humain, de son évolution et de ses difficultés que celle qui passe par des mots qui désignent des anomalies.

Dans la vie, cependant, ce n’est pas ainsi que se présente le sujet qui porte en lui, par hypothèse, les symptômes des voies d’entrée de la schizophrénie, du pré psychotique ou de l’état-limite.  Dans la famille, à l’école, dans les groupes, on ne rencontre pas de pré-schizophrène, etc. On discerne la présence profonde de ces avatars de la vie psychique si on s’ouvre d'abord à la vie de l’autre avec le maximum d’attention objective, comme si on était en face de la richesse infiniment variée de l’humain normal. Ainsi, réduire certains jeunes au normal ordinaire, ou les enfermer dans des définitions pathologiques prématurées et paresseuses, c’est se défendre, refuser de voir clair, d’éprouver, de comprendre et d’aider, refuser d’entrer dans la régression de l’autre et de son subjectivisme pour s’abandonner soi-même à quelque repli sur une vie infantile du cœur, de l’instinct et de l’illusion.

Quant à nous, à partir d’un contexte où le rôle de l’éducateur est premier, bien que la préoccupation du dépistage et de la prévention fasse partie de notre mode d’approche du psychisme de l’adolescent, nous avons choisi tout naturellement de [23] regarder le pathologique le plus longtemps possible comme du normal exceptionnel, une tragédie du normal, une normalité en évolution, qui dévie ou arrête, mais aussi comme une normalité enrichie par cela même qui, sous un autre aspect, constitue le problème qui menace de la désintégrer. En effet, une carence affective profonde issue de l’enfance, un complexe de castration, s’ils perturbent le sens du réel et de la sécurité du moi, se traduisent souvent en même temps, au niveau du sentiment et de l’instinct, par une perception intuitive d’une rare acuité de l’humain, des raisons de vivre et de la valeur de la conscience claire et sans mensonge.

Ce regard qui privilégie partout l’humain normal ne refuse pas de voir la maladie, de la dénoncer, non plus qu’il ne la confond avec la santé comme si elle en était une manifestation géniale. C’est un regard qui accepte, par fidélité aux faits, de se faire imposer progressivement la maladie comme expression de son échec dans sa tentative de redonner à un sujet, qui était incapable de les reconnaître, les dons, les capacités et les exigences de son être véritable. Dans cette optique, la maladie mentale se révélerait comme un mur qui viendrait interrompre tout à coup une démarche normale d’affection et de compréhension. Elle définirait alors les différentes formes que prennent la conscience, l’amour, la pensée, le langage, la conduite chez un être qui, n’ayant jamais été aimé de la bonne manière, n’ayant jamais appris qu’à s’aimer de cette manière fausse, n’aurait su qu’aimer ne pas s’aimer et vivre, comme d’une nourriture, de ce qui construit peu à peu sa destruction et son aliénation, jusqu’à y trouver un plaisir. Ainsi, le symbolisme psychotique, la dépersonnalisation, l’auto-analyse du dépersonnalisé, la fugue, la conscience onirique, le délire paranoïaque, les contradictions, l’ambivalence et les distorsions linguistiques du schizophrène, dans leurs débuts, s’offrent comme la mutation à peine perceptible d’une organisation saine à une autre qui ne l’est pas; comme la mutation des besoins fondamentaux de l’être humain privé des appuis essentiels à leur satisfaction, au déni de ces besoins et au refus de ces appuis dans une indéracinable et incompréhensible colère. 

On pourrait penser, d’un point de vue thérapeutique en  tout cas, qu’il est préférable de se placer d’emblée dans la perspective du pathologique, de la maladie, du dépistage des symptômes. Cependant, si on y réfléchit bien, ce que cherche [24] la psychothérapie, c’est reconstituer chez quelqu’un une attention et un amour que le père et la mère (sans qu’ils en soient nécessairement responsables) n’ont pas fournis; attention et amour qui démasquent les systèmes de défenses, les fixations, les régressions, en se mettant, avec une intensité sans doute inaccoutumée, à l’école des sentiments naturels, de leurs attentes et de leurs répulsions de même qu’à celle des régulations et purifications qui, dans la conscience lucide, les assistent. 

Ainsi, à partir du psychisme qui fait problème chez les jeunes, on pourra découvrir la genèse, comme en pièces détachées, des constituants de la conscience adulte réussie et le secret de ses déviations. C’est là aussi que nous prétendons voir surgir, au sein de l’expérience, le caractère original et spécifique de la pensée philosophique et de son rôle irremplaçable dans le développement de la pensée objective. Sans  doute, la structure formelle de la pensée philosophique peut servir à l’élaboration du délire paranoïaque, au déguisement, en termes abstraits, des projections d’un moi enfermé dans une subjectivité qu’il ignore, ou encore sous-tendre les préoccupations de la pensée psychotique : le mysticisme, les systèmes du monde selon les forces du bien et du mal, les constructions logiques et abstraites à prétention globaliste, les personnifications religieuses et la valorisation des sciences occultes. Nous voyons plutôt dans cet usage pathologique de la philosophie le dérèglement d’une fonction de symbolisation (plus secrète et souvent inaperçue dans le normal) qui est au cœur de l’élaboration par le moi de son autonomie et de sa personnalisation, et une baisse de capacité pour la pensée objective et authentique. 

Application de la méthode scientifique

Nous délimiterons plus loin le type d’expérience de psychothérapie d’où nous avons tiré par l’observation l’hypothèse d’un lien entre un langage de base, la philosophie, et la conscience normale, morbide et régressée, et les implications théoriques et pratiques de cette hypothèse. Cependant, il nous apparaît nécessaire, au préalable, de montrer de quelle manière nous avons appliqué la méthode expérimentale à cette recherche.  Dans un laboratoire, le lien entre la méthode scientifique et son objet apparaît clairement. Les lieux, le matériel, [25] l’isolement du phénomène à observer soutiennent l’esprit de l’expérimentateur, le dirigent et constituent, pour lui et les autres, une sorte de sécurité. Tel n’est pas le cas dans la présente recherche. Son caractère scientifique relève, pour une bonne  part, de la volonté, de l’attente, du regard de l’expérimentateur qui, pour ainsi dire, fabrique son objet, le provoque, l’isole à  même la vie, ses hasards, sa banalité apparente et ce fouillis  d’événements qu’elle charrie, superflus par rapport à l’hypothèse à confirmer. Nous avons ainsi utilisé le même champ d’observation pour découvrir des faits significatifs propres à justifier la plausibilité de notre hypothèse et pour y découper les expériences de vérifications susceptibles de jouer un rôle d’exemplaires représentatifs de la validité probable de nos généralisations. Sans doute s’agissait-il, en général, d’expériences de type clinique. Mais on hésite à reconnaître à l’observation clinique le caractère d’une démarche scientifique complète parce qu’elle ne serait pas en mesure de fournir une expérimentation au sens strict du terme. Le genre d’expérience que fournit la clinique ne dépasserait pas le niveau de l’observation et se limiterait à l’application d’une technique à des fins pratiques : le traitement.

Certes, la recherche clinique ne peut produire, comme à  volonté en quelque sorte, un exemplaire, un cas type dans le but de vérifier des affirmations généralisées contenues dans une hypothèse. Elle ne pourrait que collectionner les histoires des cas qu’elle observe et qu’elle traite. Elle ne peut, en tous les  cas, d’une manière apparente, distinguer des variables, une variable dépendante et une variable indépendante [16], et les manipuler pour confirmer la relation nouvelle entre deux faits pressentie dans une intuition au cours d’une observation. Il découlerait de tout cela que, à l’intérieur de l’expérience clinique, on ne pourrait pas conjecturer, c’est-à-dire, étant donné  tel antécédent ou loi hypothétique, attendre d’un cas particulier qu’il vienne transformer cette hypothèse en certitude.  Mais ces difficultés, nous semble-t-il, relèvent en grande  partie de l’attitude que l’on adopte face à l’expérience clinique, aux méthodes qu’on y utilise et aux limites qu’on lui prête. Nous croyons, en effet, que le matériel clinique peut être regardé d’un certain nombre de façons et que parmi celles-là il s’en découvre au moins une qui réponde aux aspects fondamentaux de la démarche scientifique et qui soit capable d’en franchir [26] toutes les étapes, mais pas de la même manière, toutefois, que dans un laboratoire de psychologie expérimentale. 

Ainsi, parmi plusieurs sujets qui ont recours à une psychothérapie, on peut faire une sélection et ne retenir, pour les  fins d’une expérience donnée, que ceux qui s’offrent comme jouant le rôle de faits significatifs par rapport à cette expérience. De ceux-là, on en pourra grouper quelques-uns qui serviront d’expérience invoquée, au sens où l’entend Claude Bernard, c’est-à-dire qu’ils fourniront cette variable indépendante (celle que d’ordinaire on fait varier) qui n’est pas manipulée par l’expérimentateur, mais dont les modifications sont fournies par le milieu, le hasard ou des accidents de la nature.  D’autres, ensuite, ou les mêmes sous un autre rapport ou à un autre moment, pourront servir d’exemplaire, de test crucial particulièrement apte à illustrer la loi entrevue dans l’hypothèse, et permettre, à l’occasion, une vérification par prédiction (pourvu que l’on ait la patience d’attendre parfois assez longtemps, un an, deux ans et davantage) et, par conséquent, permettre d’inclure le facteur temps comme dans l’expérimentation la plus classique [17].

Le principe scientifique de concentration, qui veut que l’on étudie une donnée là où elle est le plus concentrée, s’applique tout naturellement à l’investigation clinique si elle est comprise à l’intérieur d’une recherche et d’une hypothèse qui portent plus loin que l’examen d’un seul sujet dans l’optique exclusive d’un traitement. Le contre-transfert [18] psychotique, vu son intensité presque intolérable, fournit un exemple remarquable d’une utilisation possible et particulièrement féconde du principe de concentration, puisqu’il envahit à peu près tout le champ de la conscience du thérapeute et sollicite à l'excès ses pulsions, sa culpabilité et l’angoisse, affectant ainsi toutes ses perceptions, celles qui portent sur lui-même, sur son identité de même que celles qui le mettent en contact avec la réalité quotidienne et culturelle, si bien que sa pensée, par le jeu des images et des émotions, est continuellement interrogée et mise à l’épreuve d’une manière spéciale. Ce contre-transfert n’est pas réductible à l’introspection, puisqu’il s’agit d’une réalité qui est traitée comme un objet, soumise à un contrôle et que ceux qui se spécialisent dans le traitement des psychoses peuvent constater et comparer [19]. Par ailleurs, ce contre-transfert a cette originalité qu’il permet, temporairement, de faire [27] pénétrer par le thérapeute l’univers morbide dans une conscience qui fonctionne normalement, de sorte que, d’une  part, la maladie mentale se voit doublée d’une pensée pour la penser et que, d’autre part, la perception saine de la réalité se voit ajouter une autre perspective que celle de ses routines, de ses certitudes et de ses sécurités.

Cette application, par le principe de concentration, de l’observation clinique à la recherche scientifique sera d’autant  plus efficace que l’on débordera le champ de la pathologie pure pour rejoindre celui du normal par le moyen, par exemple, de la direction intellectuelle, de l’entrevue à des fins purement éducatives ou de « counselling », sans exclure, bien au contraire, les fonctions éducatrices naturelles dans le milieu familial. Enfin, on aura avantage, dans le même but, à dégager les techniques de la psychothérapie d’une certaine passivité propre aux prescriptions auxquelles, depuis Freud, on relie comme à un rituel et à un théâtre la pratique de la psychanalyse. Ce faisant, on sera plus en mesure de récupérer, au sein de l’expérience clinique, tous les aspects de la méthode expérimentale, dont ceux qui se situent à l’intérieur du schéma stimulus-réponse de la théorie du comportement, et de dépasser dans les hypothèses la seule optique du traitement et de la sémiologie pathologique, au profit toutefois, nous semble-t-il, de l’une et de l’autre.

 C’est en suivant et en appliquant ces principes que nous avons circonscrit le champ d’observation et d’expérimentation qui nous a permis d’élaborer notre hypothèse sur la philosophie, langage de base, fondement de la cohérence de la pensée, de l’autonomie du moi et de l’équilibre de la personnalité, à  moins qu’elle ne soit, dans sa forme renversée, un instrument de projection pour faire vivre, tout en le camouflant, l’échec de tout cela.

Délimitation du champ d’observation et d’expérimentation : évolution normale, névrose, état-limite, prépsychose, préschizophrénie.

Ainsi que nous l’avons déjà dit, on ne rencontre pas de névrose définie à l’avance dans les maisons d’enseignement et dans les familles, encore moins de prépsychose, d’état-limite  (borderline). C’est un avantage, d’une certaine façon, puisque [28] l’on ne peut jamais oublier que ceux que l’on a en face de soi sont avant tout des êtres humains à comprendre et qu’on ne peut les isoler dans quelques catégories réductrices. Ceux qui s’adressent à nous pour demander une assistance psychologique sont des sujets qui, en général, ont une perception aiguë du problème de leur identité, du mystère humain, des grandes questions que soulève la vie des hommes en société, avec en plus une conscience affective plus désintéressée que celle des autres par rapport aux sollicitations immédiates de la réalité. C’est ainsi que l’état-limite, la prépsychose, la préschizophrénie, types de personnalité morbide très souvent entremêlés chez les jeunes, ne se sont pas présentés à nous comme dans les livres, parfaitement isolables, mais au sein d’une réalité psychique continue ayant des caractéristiques communes et mesurée à une échelle d’intensité dont l’un des termes était très voisin de la curiosité intellectuelle et de l’insécurité affective de l’adolescence normale et lucide, et dont l’autre se révélait progressivement très proche de la psychose et pouvait constituer les voies d’entrée de la schizophrénie [20].

Tous les sujets que nous avons choisis pour cette expérience, qui se situaient à un degré ou l’autre de cette échelle d’intensité dont nous venons de parler, avaient tous connu quelques problèmes de communication avec l’un ou l’autre de leurs parents, avaient été plus ou moins atteints par la mort prématurée d’un père ou d’une mère et portaient en eux les marques d’une carence affective subie dans la petite enfance.  Ces états se traduisaient par de l’angoisse avec manifestations somatiques ou simplement fantasmatiques, dans des systèmes de défenses qui symbolisaient une agressivité mobilisée contre un monde éprouvé subjectivement et, à l’avance, comme hostile et menaçant pour l’intégrité du moi ; ou encore sous la forme de phénomènes épisodiques et mineurs de dépersonnalisation accompagnés de l’émergence périodique et obsessive de la personnalisation d’un surmoi destructeur. 

Cependant, ce qui s’offrait d’abord à nous, en présence de ces sujets, c’était une certaine façon de sentir l’existence qui s’adressait à l’affectivité de l’interlocuteur, interrogation qui surgissait de plus loin que la pure intelligence détachée de ses enracinements concrets, interrogation à propos de soi, de la vie, de l’idéal, de la sexualité, et qui ne demandait, à l’origine, pas autre chose que la reconnaissance et l’amour de cette dimension [29] de la personne, de sa profondeur, de son importance jusque-là mise en doute aussi bien par les autres qu’à l’intérieur de la conscience qui la portait. Cette conscience, que l’on pourrait dire affective, ressemblait à une pensée qui est incapable d’accéder, et qui en souffre, à d’autres formulations d’elle-même que dans la recherche, transportée partout où elle portait son regard, d’une attention qui en authentifierait la valeur et, du même coup, lui donnerait la force de se dégager en idées et d’entreprendre de comprendre.

Pour l’interlocuteur en sympathie avec lui, ce sentiment annonçait-il une vocation scientifique, philosophique, artistique, un besoin de type religieux ou mystique, ou encore l’exigence d’une prise de conscience de soi en profondeur, si humbles que fussent, par ailleurs, ses possibilités et ses aspirations dans le champ des activités intellectuelles et sociales ? Ou  bien constituait-il, chez l’interlocuteur qui le ressentait, une réponse à la demande d’un support affectif et d’une compréhension paternelle que l’on avait été incapable de rencontrer dans le milieu familial ? Ou bien, enfin, était-ce la première intuition, globale et inarticulée, sous la forme d’un sentiment, du symptôme fondamental d’un problème psychique sérieux ? Bref, s’agissait-il d’une sensibilisation exceptionnelle au monde des valeurs, de l’idéal, du savoir désintéressé et de la connaissance lucide de soi-même ou d’une maladie ? Ou des deux à la fois ? Cette question intéresse tout autant l’éducateur que le thérapeute, et c’est en y répondant que nous croyons pouvoir découvrir une première approximation de ce qu’est la dimension philosophique dans la conscience. La philosophie serait l’élément constitutif de la validité de la conscience, celui qui lui assurerait l’authenticité dans l’acquisition de la connaissance scientifique, par exemple, ou de celle que l’on emploie pour conduire sa vie d’action et d’affection avec cohérence et objectivité.

Donc, au point de départ, les sujets que nous avons choisis pour cette recherche expérimentale sur l’activité philosophique se présentaient à nous avec un besoin de se connaître et de connaître qui avait des caractéristiques voisines, besoin qui était sous-tendu par un sentiment dont il était difficile de dire qu’il n’était pas le même chez tous. Ce sentiment, c’est presque une banalité de le répéter, visait à reproduire le dialogue qui existe entre le père et le fils. Tous éprouvaient le besoin [30] d’un support affectif plus ou moins intense, d’une compréhension et d’une valorisation d’eux-mêmes, en même temps que le besoin de discuter d’idées générales et de sexualité ; mais il était impossible de dire, au début, quelle était, par rapport à leur enfance, la structure du dynamisme instinctivo-affectif qui les poussait à demander de l’aide, qui animait leur démarche intérieure, alimentait l’inspiration inusitée de leur langage et provoquait chez eux, à l’occasion, des états dépressifs et des somatisations. 

C’est peut-être l’occasion de noter que beaucoup de psychothérapies chez les jeunes, lorsqu’on les dépouille du vocabulaire ésotérique employé pour les décrire, perdent le halo mystérieux qui les recouvre et se confondent avec l’exercice d’une paternité ou d’une maternité qui a le temps et la science d’assumer jusqu’au bout et méthodiquement ses fonctions naturelles d’affection et de compréhension, purifiées des conflits engendrés par les refoulements, l’ignorance, les préjugés séculaires, les évolutions de la culture mal assimilées ou rejetées et les tentations de dominer qu’on appelle paternalisme. On peut se demander jusqu’à quel point on peut être forcé de sortir de cette perspective fondamentale qui est celle de la nature [21], et si ce n’est pas à elle, tout compte fait, que la psychothérapie doit s’efforcer de ramener le sujet, si guérir, dans le domaine psychique, n’est pas une extension savante de la capacité d’aimer qui est dans la ligne de la paternité et de la maternité. Ces maternité et paternité savantes incluent la perception du symptôme comme manifestation de l’incapacité du moi en formation à surmonter certaines frustrations perçues comme inassimilables  parce que contraires au voeu de la nature. Mais la compréhension de l’être ne se fait pas au niveau du symptôme, lequel apparaît dans cette optique comme un élément à isoler, à interpréter et à annuler à l’intérieur de cette perception affective globale qui définit l’attitude paternelle et maternelle.  Ainsi, l’expérience dont nous rapportons le déroulement ne se situait pas entre les relations père-fils, mère-fille et la névrose, mais entre ces relations et la psychose, laquelle définit, entre  autres, comme impossible, parce qu’elle la culpabilise, cette relation parent-enfant sous son mode habituel et normal. 

Ce sentiment, qui paraissait le même au début chez tous les sujets de cette expérience, c’est à partir de la découverte de la forme qu’il prenait dans une conscience psychotique que [31] nous avons progressivement pu l’identifier et préciser son rapport avec les phénomènes de connaissance qui l’accompagnaient. C’est donc dans l’optique de l’analyse de la conscience psychotique (état-limite, prépsychose, préschizophrénie, surdoué schizoïde, schizophrénie) que nous avons poursuivi l’ensemble de cette recherche. Et cela, non pas dans le but de transporter ce qui n’est pas normal dans le normal, comme on voit chez Freud, mais de construire une explication causale du normal en nous appuyant sur une expérience « invoquée » [22].

Pour comprendre la genèse de la pensée adulte à l’adolescence et la fonction, dans cette pensée, de l’activité philosophique, nous avons donc eu recours à l’analyse du contenu de certains phénomènes propres à la psychose : le transfert et le contre-transfert de la psychose, la conscience onirique, le symbolisme pathologique, la dépersonnalisation, la déréalisation, etc. Si étrange que cela puisse paraître, ainsi que nous l’avons déjà noté, c’est à l’intérieur d’une expérience où le pôle pathologique était la psychose et non la névrose qu’il nous a été possible de découvrir une continuité entre l’état normal et l’état morbide, de saisir expérimentalement où se situent la racine psychique de l’activité philosophique et la fonction de cette activité dans l’intégration du moi. C’est aussi à partir de cette limite extrême de la détérioration mentale que nous avons eu  l’intuition d’un principe simple et unificateur dont la présence, l’absence, la déformation, la mutation pouvaient rendre compte du normal et de ses multiples aspects, de même que du pathologique et de ses nombreuses variantes dans le champ des problèmes de connaissance liés à l’évolution affective et pulsionnelle de l’adolescent, du jeune homme et de la jeune fille.  Un principe simple, mais complexe dans son contenu comme les sources variées d’où il a été tiré [23].

Nous avons relevé l’existence d’un sentiment en apparence identique chez les sujets que nous avons groupés comme champ d’expérimentation pour nos recherches sur l’activité philosophique. Or, on sait que la psychiatrie distingue trois grandes catégories de transferts [24], selon qu’il s’agit d’une névrose, d’un état-limite ou d’une psychose. Le transfert de la névrose serait polyvalent en quelque sorte, en ce sens que le sujet analysé y revivrait les sentiments mal vécus dans son enfance par rapport à sa mère, à son père, à ses frères, à ses soeurs ; celui de l’état-limite traduirait la recherche d’un interlocuteur [32] phallique qui représenterait les deux parents à la fois ; celui de la psychose reproduirait l’attachement à la mère des premiers mois de l’existence. Mais ces interprétations sont une tentative de spécifier la signification et le contenu de sentiments qui, dans la réalité, ne se distinguent les uns des autres, à première vue, que par la qualité de l’intensité avec laquelle ils sont vécus. Et c’est par la forme que cette intensité prendra dans l’appareil mental et dans le comportement que, par des projections dans l’enfance, on réussira à donner un nom à ces sentiments, à découvrir leur rationalité et à les relier aux grandes catégories de l’amour humain normal.

Dans l’expérience que nous décrivons ici, nous nous sommes référé à un seul modèle de transfert pour comprendre tous les autres et retrouver les racines des fonctions de la pensée dans la construction de l’autonomie du moi à l’adolescence : le transfert et le contre-transfert psychotiques dont l’intensité est la plus grande, et nous y avons inclus celui de l’état-limite qui, dans les faits, lui est souvent identique. En effet, c’est chez le psychotique que se fait davantage sentir la pression des pulsions auprès de la pensée pour qu’elle sauve le moi de la subjectivité qui le submerge, et cela jusque dans le paradoxe même de son incapacité à y parvenir. Prenons l’exemple de l’enfant qui a vécu son enfance dans la névrose, l’état-limite ou la psychose. Après la puberté, cette enfance escamotée est enfouie dans les idées, les pulsions et l’affectivité de la jeune fille ou du jeune homme. Cependant, moins le moi est affaibli et altéré, plus cet enfant est encore reconnaissable et consent à se reconnaître ; mais au contraire, plus le moi est attaqué profondément dans ses racines vitales, plus cet enfant est méconnaissable et perturbe les structures de ce moi dans ses rapports avec les pulsions et l’affectivité, et atteint le système des idées et du langage. Et l’on assiste à ce spectacle étonnant que plus le moi est dépersonnalisé et porté à la déréalisation, plus il se présente, au premier abord, comme un moi intériorisé qui pense plus loin et plus profondément que son entourage : plus original, plus autonome et avec des vues sur le monde plus personnelles que les autres. Ainsi, le moi psychotique, dans la phase préliminaire de son évolution, est d’une certaine façon plus proche du moi qui s’interroge, interroge la culture et pratique d’une manière soutenue et exceptionnelle la pensée réflexive, que de celui qui vit à la surface, qui est à la remorque des conformismes et suit le courant. C’est qu’ici l’enfant qui a [33] souffert, qui a été mal aimé, rejeté, est évincé et ne traduit pas son mal en symptômes apparents, ou plutôt le symptôme est ce penseur imprévisible et insolite et cette philosophie énigmatique auxquels ce drame de l’enfance a donné naissance à l’aurore de l’âge adulte. Mais ce symptôme n’en témoigne pas moins, à travers la défaite dont il est la manifestation, de la nécessité d’une forme spéciale de la pensée à l’adolescence et durant la jeunesse pour la conquête par le moi de son autonomie et le dépassement de sa subjectivité.

Nous nous emploierons donc, dans les chapitres qui vont suivre, à dégager les différentes façons dont nous avons vérifié la validité de cette hypothèse, les implications théoriques et pratiques que nous en avons tirées et, du même coup, l’expression de la variété de son contenu.



[1] Tout au long de cette recherche, nous utiliserons le mot psychothérapie au lieu de psychanalyse (à moins qu’il ne s’agisse spécifiquement de psychanalyse), pour la raison que nous prenons pour acquis que le mot psychanalyse désigne une méthode de psychothérapie exclusive à Freud, méthode thérapeutique appuyée sur une théorie des processus intrapsychiques qui lui est propre également. Or, lorsque nous parlons de psychothérapie dans ce livre, nous désignons certes une forme de traitement psychique par le langage, mais non restreinte aux prescriptions de la méthode freudienne ; nous faisons usage d’une théorie qui, si elle s’inscrit dans le prolongement de celle de Freud, n’en est pas moins, à bien des égards, divergente de la sienne, une critique de sa théorie et, de ce fait, une modification de sa portée et de sa signification.

[2] Jacques Lavigne, L’Objectivité, Montréal, Leméac, 1971, 256 pp.

[3] Op. cit., p. 11.

[4] Op. cit., pp. 17-27.

[5] Op. cit. pp. 27-38.

[6] Nous ne prétendons pas que la théorie générale de la signification que nous proposons est unique et qu’il n’en existe point d’autres. Nous voulons simplement souligner que nos réflexions se situent dans la perspective de l’élaboration d’une théorie générale de la signification et qu’elles se veulent l’expression d’une des formes possibles d’une telle théorie. Pour rendre compte de la complexité du problème de la signification, il nous paraît même nécessaire de recourir à plusieurs théories générales de la signification, et non à une théorie unique à laquelle on accorderait une valeur absolue. Dans cette optique, on peut parler d’une théorie générale de la signification lorsque, après avoir isolé quelques facteurs fondamentaux qui appartiennent à toute signification, on en dégage des lois qui se relient logiquement les unes aux autres pour constituer une théorie. Mais rien ne s’oppose à ce que, à partir de l’observation de faits nouveaux, l’on recommence l’opération aussi souvent que nécessaire, pour formuler d’autres hypothèses, vérifier d’autres lois et construire d’autres théories qui seront complémentaires les unes des autres : elles formeront chacune autant de visions particulières valables d’une théorie générale de la signification, pourvu qu’aucune d’elles ne se présente comme une théorie unique et absolue. C’est dans ce sens limité et précis que nous parlons de notre étude comme d’une théorie générale de la signification.

[7] Quelques-unes de ces idées empruntées à Freud, tels le complexe d’Œdipe et le surmoi, seront soumises à un examen critique plus loin dans ce livre ; d’autres, comme le narcissisme, l’ont été dans L’Objectivité.

[8] Il y a, bien sûr, à l’origine d’une psychose, au moins un facteur pathologique extérieur au sujet.

[9] Ce modèle peut permettre, encore, de dépister ces situations où les interactions sont dominées par un type de paradoxes contraignants que Gregory Bateson, Don D. Jackson, Jay Haley, John Weakland et P. Waslawick ont appelés “double bind”, type de situations paradoxales que l’on a traduit par l’expression double contrainte. Cette double contrainte est le résultat d’un message qui contient une double affirmation, de sorte que la seconde, qui est une affirmation de la première, en est la négation. Ainsi, si le message est un ordre, il faudrait lui désobéir pour lui obéir et, par conséquent, lui obéir serait lui désobéir. Si ce message est une définition de soi, on serait ce qu’il dit que l’on est si on ne l’est pas, et vice versa. Ajoutons que celui qui crée une double contrainte par rapport à quelqu’un s’enferme lui-même dans cette double contrainte. Bateson et son groupe ont mis en évidence le phénomène de double contrainte en cherchant une explication de la schizophrénie à partir de facteurs interpersonnels. Ils ne disent pas que le schizophrène est tel à cause de la double contrainte, mais que ce schizophrène est le symptôme d’un système de communication anormale où il n’y a pas de possibilité de repli ou de critique par rapport au système en question.

Par ailleurs, en fonction de cette double contrainte, Paul Waslawick, J. Weakland et R. Fisch, en s’appuyant sur le vieux principe qui veut que l’on guérisse le semblable par le semblable (le mal par le mal), ont proposé une forme de psychothérapie qui consiste à opposer à une double contrainte spontanée et pathologique une double contrainte construite et thérapeutique dont le but est de détruire la première et, du même coup, la communication malsaine qui en résultait.

Si l’on analysait l’origine et le produit de cette double contrainte, on découvrirait dans la plupart des cas, nous semble-t-il, que les normes dont nous parlons ont été transgressées ou rendues inopérantes et que la double contrainte construite et thérapeutique rétablit l’accord de la communication avec ces normes.

Mais il se présente des situations où seule une prise de conscience de ces normes peut permettre à un sujet enfermé dans certains systèmes de double contrainte d’échapper, par l’intérieur, à la détérioration mentale où tentent de l’acheminer les pressions constantes qu’on lui fait subir au-dehors et qui sont inchangeables. Nous sommes en présence d’un cas de ce genre lorsqu’une famille, une institution, une organisation sociale quelconque, mues par un intérêt puissant, mais en partie inconscient ou inavoué (prestige de l’autorité que l’on détient, désir de puissance, domination, idéologie, compensation à un sentiment d’infériorité), déforment les faits tout en possédant un pouvoir efficace (force sociale, argent, autorité politique, chantage affectif) pour imposer à un individu cette déformation comme étant la réalité. Ces groupes tombent eux-mêmes, comme nous le notions plus haut, sous l’emprise de cette double contrainte qu’ils ont formée et, par conséquent, tenter de la combattre en lui opposant la réalité, c’est la renforcer. Cette double contrainte pourra prendre la forme suivante : si un sujet affirme une chose qui est conforme aux faits et agit en conséquence, il est défini comme irresponsable, menteur et malade, mais responsable, véridique et sain d’esprit dans le cas contraire. En somme, on lui dit : “Soyez responsable mais pour l’être, il vous faut ne pas l’être”. Dans un tel système, dont la mise en marche et le soutien sont la prétendue infaillibilité du pouvoir, le prestige de l’autorité et le désir de toute-puissance, l’appel à un thérapeute pour identifier le jeu en cours et lui en substituer un autre est inconcevable. Ainsi, le seul salut que peut espérer celui qui est victime consciente de cette double contrainte est une référence, par l’intérieur, à des normes qui définissent la normalité. Dans ce cas, l’unique rôle que pourrait jouer un thérapeute ne serait pas de soigner et de guérir, mais simplement d’être le représentant d’une société normale et de confirmer, en lui permettant une communication saine, les normes à partir desquelles quelqu’un défend comme il peut son équilibre mental contre un milieu qui le force à y renoncer pour se le voir reconnaître.

[10] A. Virieux-Raymond, Épistémologie, Paris, P.U.F., coll. Sup, 1966, p. 48.

[11] Le système clos est une règle d’interprétation des expériences proposée par Stuart Mill. Celui-ci constate que le savant se comporte comme si, à l’intérieur d’une expérimentation donnée, tout était connu et pouvait être isolé, comme par une enceinte, du reste de la réalité. Ce système clos est une nécessité pour l’esprit à l’intérieur d’un champ d’observation. Cependant, c’est l’esprit qui le produit et non la nature qui l’octroie. Il n’y a pas de système clos dans la nature. (Cf. Georges Bénéas, La méthode expérimentale, Paris, P.U.F., 1967, p. 44.)

[12] Jacques Lavigne, Op. cit., pp. 27-38.

[13] En apparence, cette définition de la philosophie nous éloigne de l’image qu’évoque la variété de ces systèmes d’idées abstraites que l’on appelle philosophies et qui au cours des siècles se sont offerts comme autant de révélations des principes premiers à l’origine de tout ce qui existe. En face de ces systèmes, ce n’est pas une situation comme celle que nous rappelons qui se présente spontanément à l’esprit. C’est, bien au contraire, l’idée de quelque spéculation de l’intelligence pure, étrangère à toute compromission avec le sentiment. Toutefois, il en va tout autrement si on se place à l’intérieur d’une perspective génétique, comme nous l’avons fait pour les recherches qui sont à l’origine de cet ouvrage. À ce moment-là, nous remontons aux origines pédagogiques de la philosophie et nous nous mettons alors à l’école de Socrate et, sur ce point, à l’école aussi de Freud qui montre que l’incorporation des valeurs n’est pas étrangère au processus d’identification.

[14] À ce propos, on pourra consulter avec profit le livre si positif de Carol Gilligan, Une si grande différence (Paris, Flammarion, 1986).

[15] Sans doute, toutes les méthodes de psychothérapie ne s’appuient pas explicitement sur l’hypothèse de l’existence d’un inconscient. Il n’en demeure pas moins que ce n’est pas trop affirmer de dire que toutes, à la fin, aboutissent à la manifestation de phénomènes psychiques et d’interactions qui à l’origine n’étaient pas conscients; que toutes conduisent à des changements de perspective quant à la perception de soi, à des changements quant à l’orientation des communications dans lesquelles on était engagé et quant aux comportements répétitifs dont on était esclave et qui faisaient problème, changements dont ni la nécessité ni la possibilité n’étaient conscientes lorsque la psychothérapie, quelle qu’ait été sa forme, a été entreprise. C’est ainsi que la notion d’inconscient nous est apparue comme le point d’appui le plus universel pour l’élaboration d’une définition générale de la psychothérapie. Ajoutons que le contenu de la notion d’inconscient auquel nous nous référons n’est pas réductible à celui que lui donne Freud et que, nous le répétons, la psychothérapie que nous désignons ne se limite pas aux techniques et perspectives de la psychanalyse, bien qu’elle ne les exclue pas, tout en en modifiant plus d’une fois l’interprétation et l’usage.

[16] Nous rappelons, pour l’utilité du lecteur, que l’on appelle variable indépendante celle sur laquelle l’expérimentateur agit, et la variable dépendante celle qui est modifiée par cette action.

[17] C’est par un type d’expérience de cette nature que nous avons vérifié l’exactitude et la validité de ce concept d’homosexualité symbolique que nous avons traité dans L’Objectivité. Nous avons surtout exploré la portée de ce concept dans deux longues psychothérapies. La première a duré quatre ans et la deuxième, plusieurs années plus tard, a duré trois ans. C’est durant la première expérience que nous avons élaboré, précisé et vérifié notre hypothèse dans une série d’expérimentations qui nous servaient tout autant à cerner davantage nos conjectures qu’à en contrôler la vérité. La deuxième expérience avait nettement un caractère de contrôle par prédiction, puisque nous avons surtout recouru à une méthode que nous connaissions déjà, attendant les résultats qui devaient fatalement en découler si c’était bien une loi qui se dégageait de notre première expérience. Cette deuxième expérience était d’autant plus intéressante, comme contrôle, qu’il s’agissait du même type de personnalité psychique que dans la première expérience, même âge, même sexe, mêmes caractéristiques pulsionnelles et affectives, seule la situation étant radicalement différente.

Nous reprendrons ailleurs l’analyse de ce concept d’homosexualité symbolique afin d’apporter des précisions supplémentaires à ce que nous en avons déjà dit dans L’Objectivité : précisions sur les faits qui nous ont conduit à la création de ce concept, précisions aussi sur la portée de ce concept et sur ses limites tant du point de vue théorique que du point de vue des expériences qui nous ont semblé vérifier l’utilité et la plausibilité de son contenu. Ce travail de clarification sera facilité, croyons-nous, par l’examen approfondi que nous faisons dans ce livre d’une notion générale de sexualité symbolique que nous n’avions qu’ébauchée dans L’Objectivité. En effet, le concept d’homosexualité symbolique nous réfère à une forme, parmi plusieurs autres, de cette fonction symbolique que nous attribuons à la pulsion sexuelle.

[18] On appelle contre-transfert les réactions de l’inconscient et du conscient du thérapeute à l’inconscient du sujet analysé. Le thérapeute doit amener au niveau conscient tout ce qui est contenu dans son contre-transfert et départager ce qui vient de son histoire à lui, de sa subjectivité, et ce qui vient de son patient, en tous les cas éduquer son inconscient afin qu’il lui serve de guide et de science dans la connaissance de l’autre.

[19] Au sujet de la relation thérapeutique, en particulier lorsqu’elle est soumise au contrôle d’une supervision, le docteur Harold F. Searles, l’une des grandes autorités contemporaines dans le champ de la psychothérapie des schizophrénies chroniques, écrit ce qui suit : “Let me emphasize that there would seem to be great value in studying exhaustively the inter play between the patient-therapid relationship and the therapist-supervisor relationship, since the total situation is without a parallel anywhere else among human relations, in that each relationship includes at least one expert in the study of intrapersonal and interpersonal process. Thus this area offers unique possibilities for research. The result of such research might will be applicable not only to psychotherapy and to the supervision of psychotherapy, but to human relationship in general.” (Harold F. Searles, M.D., Collected Papers of Schizophrenia and Related Subjects, New York, International Universiters Press, 1965, p. 176.)

[20] Nous avons choisi quinze sujets parmi plusieurs jeunes qui ont fait appel à nos services pour une psychothérapie. Il s’agissait de jeunes hommes de dix-neuf à vingt et un ans dont les problèmes psychiques paraissaient particulièrement significatifs par rapport à notre hypothèse d’un lien entre l’activité philosophique et la conquête de l’autonomie du moi. Parmi ces quinze sujets, deux se sont révélés progressivement comme des prépsychotiques. Le premier de ces deux sujets est celui que nous avons décrit dans L’Objectivité et qui nous a inspiré notre hypothèse de l’homosexualité symbolique. Nous avons utilisé pour le second, en partie, au milieu du traitement, la méthode indirecte de la psychothérapie familiale, et cela grâce à la collaboration du frère du sujet analysé. Dans ces deux cas, nous nous sommes servi avant tout, comme guide, du contre-transfert de la psychose. Nous reviendrons souvent sur ces deux longues analyses qui ont été l’éclairage privilégié de toute cette recherche. Enfin, l’un de ces quinze jeunes était hospitalisé et classifié, à cause de son délire organisé, dans la catégorie des schizophrènes. Cependant, ce dernier sujet nous a surtout servi de point de comparaison par rapport aux deux autres. En effet, à la suggestion du psychiatre qui le traitait, notre rôle auprès de lui était du type “accompagnement”. Les douze autres jeunes que nous avons choisis pour cette expérience présentaient, comme caractère psychique, une conformation diversement atténuée de celle des trois autres. Si l’on peut, à leur sujet parler de “névrose”, c’est en introduisant sous ce concept toute une série de nuances que l’on n’a pas coutume d’y placer dans les ouvrages qui traitent de ces questions.

Les sujets que nous avons groupés sont tous de sexe masculin, Bien sûr, plusieurs jeunes filles se sont adressées à nous pour recevoir une aide psychologique. Cependant, le problème de la connaissance dans ses racines incarnées ne se pose pas de la même manière, à l’adolescence, chez la jeune fille et chez le jeune homme, et le processus d’identification rattaché à cet éveil de l’intelligence adulte n’est pas “joué”, cela va de soi, de la même façon par rapport à un thérapeute masculin s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. Ce fait, évidemment, n’a rien à voir avec l’égalité incontestable de l’homme et de la femme. De plus, notre recherche à partir d’une expérience entreprise auprès de sujets masculins a une portée générale et, par conséquent, s’applique tout aussi bien à la jeune fille qu’au jeune homme. Mais puisqu’il est question de la genèse concrète de la connaissance adulte à l’adolescence, il arrive que les particularités de cette genèse en rapport avec l’histoire affective et pulsionnelle d’un sujet soient plus en relief, semble-t-il, chez le jeune homme. Par ailleurs, l’identité des sexes entre le thérapeute et l’analysé dans une expérience de ce genre paraît essentielle pour que, dans la ligne de l’identification, le contre-transfert puisse aller jusqu’au bout de sa perméabilité au transfert de l’autre. Enfin, nous avons interrogé plusieurs jeunes filles et femmes à propos de ce problème de la différence de la genèse de la connaissance adulte chez le jeune homme et la jeune fille, et les réponses confirmaient nos observations. Une femme qui entreprendrait les mêmes recherches que nous auprès d’un certain nombre de jeunes filles aboutirait sans doute à des conclusions analogues aux nôtres, mais mieux ajustées aux faits spécifiques de la genèse concrète de la connaissance adulte chez la jeune fille. Notons enfin que notre notion d’homosexualité symbolique, qui rend compte de la compromission de la pulsion sexuelle dans la paternité et la maternité, s’applique tout spécialement aux problèmes de connaissance que nous soulevons ici.

[21] Nous parlons de nature à la manière du langage commun, c’est-à-dire d’une manière qui n’est pas critique. Cet usage non critique du mot nature nous paraît cependant ici justifié. Car, s’il est vrai que nous plaçons de la nature en l’homme beaucoup plus que nous ne pourrons jamais savoir ce qu’il en contient, il n’en demeure pas moins que ce concept de nature nous protège, comme une sorte de modèle hypothétique et idéal, contre les abus que nous pourrions faire des artifices de la culture, et cela en nous renvoyant sans cesse à l’écoute de ce qu’il y a de premier dans notre désir de vivre, d’aimer, de comprendre et de nous ouvrir aux interrogations de l’esprit scientifique. Mais on peut se servir, à propos de l’homme, du mot nature dans un autre sens, qui est négatif. Ce sens négatif est celui où l’on fait endosser par la nature des idées nuisibles à l’homme, idées qui ne sont que des créations de l’esprit humain sous la pression de contraintes comme celles qu’engendrent l’économie, les modes, les traditions, l’ignorance, etc. Lorsque nous parlons de la nature au sujet des sentiments maternels et paternels, nous en parlons évidemment selon le sens positif que nous avons évoqué plus haut. Il n’est pas interdit de penser, toutefois, que dans cette nature-là il y a de l’évolution, de l’apprentissage, de la science et bien d’autres faits encore qui, déjà, ont été pensés, acquis, transmis et fondus enfin dans un sentiment que l’on dit naturel.

[22] Il est ici opportun de constater qu’on ne tient à peu près jamais compte, du moins en se servant de la méthode expérimentale, de la pathologie de la pensée dans les analyses scientifiques ou philosophiques que l’on fait de la pensée en général. La psychiatrie, de son côté, n’accorde aucune réalité aux productions de la pensée morbide en dehors de la subjectivité pathologique qu’elles manifestent. Tout se passe comme si, dans ce dernier cas, on prétendait, en éliminant le désordre mental, supprimer du même coup les idées philosophiques et religieuses et les idéologies qui l’accompagnent.

[23] C’est ce principe unificateur que nous avons désigné, dans L’Objectivité, par l’expression “homosexualité symbolique”, justement pour tenter de nous rapprocher toujours davantage de la réalité difficile à isoler qu’elle s’efforce de traduire. Rappelons tout de suite que par cette notion nous avons voulu insister sur le lien intime, selon nous, qui rattache la connaissance objective au processus d’identification.

[24] Le transfert désigne l’ensemble des sentiments éprouvés à l’endroit de son thérapeute par celui qui se soumet à une psychothérapie.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 10 mai 2014 8:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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