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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jacques Lavigne, L'objectivité. Ses conditions instinctuelles et affectives. (1971)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jacques Lavigne, L'objectivité. Ses conditions instinctuelles et affectives. Montréal: Les Édition Leméac Inc., 1971, 256 pp. Collection: Recherches sur l'homme. [En attente de l'autorisation des ayants droit de diffuser dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Introduction


Les circonstances de la vie nous ont permis de confronter deux disciplines qui, jusqu’à maintenant, n’ont pas été rapprochées systématiquement : le savoir philosophique et l’expérience psychanalytique. Ce qui nous a conduit à une justification quasi expérimentale de la nécessité de l’activité philosophique et à l’élaboration d’une théorie, celle du symbolisme, susceptible d’enrichir la connaissance du psychisme tel qu’il apparaît au psychothérapeute et à l’éducateur, et de fournir à ces derniers des intuitions propres à servir leurs techniques thérapeutiques et éducationnelles. Ces réflexions nous ont été suggérées par l’analyse d’un cas particulier selon les méthodes de la psychanalyse (analyse d’un transfert et contre-transfert et psychanalyse personnelle didactique) avec vérification auprès de plusieurs autres dans l’optique de l’étude d’un problème d’une brûlante actualité : celui de l’homosexualité.  Ce travail peut encore se formuler d’une autre manière à partir de la préoccupation sous-jacente qui en a été l’inspiration constante : la recherche des conditions instinctuelles et affectives de l’objectivité du discours conceptuel. En effet, c’est en cherchant à élucider, d’un point de vue surtout expérimental et pratique, ce problème épistémologique de l’objectivité du discours que nous avons été amené à l’élaboration d’une théorie du symbolisme, à une justification de l’activité [10] philosophique et à un sondage, en profondeur, du problème de l’homosexualité.

À première vue le lien que nous établissons entre l’activité philosophique et l’homosexualité peut paraître associer indûment un problème qui relève de l’exercice de la raison pure à un autre qui appartient à la pathologie, l’un qui est strictement spéculatif et l’autre, en tant que phénomène aberrant d’érotisation, qui concerne l’observation clinique. Cependant, dans les faits, ce rapprochement inusité s’est révélé des plus fructueux et, d’ailleurs, ce sont les faits eux-mêmes qui nous y ont conduits. Non pas qu’ils nous aient suggéré quelque rapport, choquant et ridicule, de causalité nécessaire entre un phénomène et l’autre, mais plutôt parce que l’homosexualité et l’activité philosophique rejoignant la racine de l’être humain profond il s’y trouvait des points de contact par lesquels ils communiquaient et s’éclairaient mutuellement. Certes, l’homosexualité caractérisée est une manière déviée d’utiliser l’instinct et l’affectivité. Mais il n’est pas rare que la composition de la structure fine et élémentaire d’une nature nous soit manifestée dans ses apparitions irrégulières, voire anormales; il n’est pas rare que ce soit la carence qui nous découvre l’existence et la nature de certains principes qui concourent à la constitution de l’être fondamental, sain et normal. Toujours est-il que si l’on tient compte des composantes affectives et instinctuelles de l’acte de connaître et des modes concrets d’approche du réel, on comprendra que la situation exceptionnelle que crée l’homosexualité aura une influence sur les catégories premières qui président à la compréhension intellectuelle de la réalité, catégories qui sont précisément l’objet de la réflexion philosophique. Mais il y a plus. Il nous est apparu que l’homosexualité est la face négative d’une autre attitude instinctuelle [11] et affective, celle-ci d’un caractère positif, qui est un fondement essentiel de l’objectivité du discours conceptuel. Nous avons constaté, en effet, que c’est à partir de l’homosexualité que l’on est le plus en mesure d’apercevoir cette fonction positive, d’en saisir la structure, la nécessité et l’usage. Cette fonction, en effet, dans le cours ordinaire de la vie normale nous est à peine perceptible et l’on ne songerait pas à en faire un élément essentiel à l’objectivité de la connaissance.

Cependant, comment entendons-nous l’activité philosophique dans cette recherche, surtout expérimentale, et dont les méthodes sont, avant tout, celles de la psychothérapie ? Disons, d’abord, que notre premier but n’était pas d’y découvrir une justification nouvelle de l’activité philosophique, mais que cette justification s’est imposée à nous au cours même de l’expérience que nous poursuivions. Ce que nous cherchions, nous l’avons dit, c’étaient les conditions instinctuelles et affectives de l’objectivité du discours conceptuel. Or, il était clair que ce discours impliquait constamment un recours à ce qu’il a toujours été convenu d’appeler de la philosophie; qu’il s’y trouvait toujours une sorte de signification de base à laquelle on pouvait réduire, quant à leur valeur ultime, un grand nombre de propositions et que cette signification avait une structure philosophique. Nous n’envisagions donc pas, dans cette optique, l’activité philosophique comme un univers mental dans lequel nous entrions soit pour adopter une philosophie, soit pour en construire une nouvelle à la manière des philosophes au cours des siècles. L’activité philosophique s’est donc présentée à nous comme un élément au sein d’une expérience qui n’était pas formellement philosophique; comme un objet d’expérimentation au cours d’une recherche où il n’était pas entendu à l’avance qu’il s’imposerait à notre attention. Mais comment était-il possible de réduire, si l’on peut dire, l’activité philosophique aux [12] proportions et aux cadres d’une expérience de psychothérapie et quelle forme a prise cet élément philosophique à l’intérieur de cette expérience ?

Remarquons que la nécessité d’inclure la fonction philosophique comme un constituant essentiel du psychisme nous est apparue très tôt comme une hypothèse inévitable. En analysant un grand nombre d’états psychologiques nous avons noté que les concepts philosophiques, et plus précisément leurs contenus (indépendamment des expressions techniques qui les traduisent) pouvaient servir de principe final d’intégration ou, au contraire, être utilisés comme agents de dissolution. Par conséquent, le savoir philosophique pouvait être utilisé ou bien comme un principe d’ordre intérieur ou bien pour traduire la confusion d’un déséquilibre intime. Il semblait, en effet, que la matière philosophique était un lieu privilégié de rencontre pour les puissances conscientes et inconscientes du psychisme humain et pouvait, par le moyen du discours, fournir un objet observable de la justesse ou de l’incorrection de leur ajustement.

  Ces observations nous ont amené à nous demander quelle existence on pouvait encore accorder aujourd’hui à la philosophie, et à une justification de l’activité philosophique à partir d’expériences qui relèvent de la psychothérapie et de normes que nous avons dégagées de la pratique de cet art. 

Que la validité de l’activité philosophique puisse être mise en doute de nos jours, on peut le constater à plusieurs signes. Si l’on considère, en effet, l’importance de l’univers scientifique, aujourd’hui, il semble qu’il occupe tout l’espace de la connaissance savante et qu’il ne demeure aucun champ du savoir qui soit réservé uniquement à la philosophie. C’est ce qui est arrivé, en particulier, avec l’avènement des sciences humaines, les développements de la physique, de la psychologie, [13] de la sociologie et des théories du langage. En outre, si l’on consulte les programmes des universités du continent nord-américain, on rencontre bien peu d’endroits où l’on enseigne la philosophie comme on la concevait autrefois, pour sa valeur propre. Elle s’offre comme une étude d’auteurs anciens, comme une partie de l’histoire au lieu de se présenter comme un objet d’option, de refus ou d’adhésion. En Europe, elle se confond avec quelques grands noms, elle se réfugie dans l’obscurité des mots et la subtilité des systèmes ou tente de se renouveler en empruntant aux sciences humaines ou à la théorie physique, la matière de son rajeunissement et de son intérêt. C’est que la spéculation philosophique, en face de la méthode scientifique qui ne concède sa certitude qu’à la vérification d’expériences très circonscrites et contrôlées, apparaît comme le lieu des généralités et des abstractions. 

Devant ce phénomène culturel, nous avons, afin de savoir si l’activité philosophique correspond encore, dans la conscience actuelle à une réalité autre que verbale, cherché la racine de cette activité à un niveau plus fondamental et plus humble que celui où l’on a coutume de se situer pour éliminer ou prolonger le prestige de cet ancien savoir. Nous avons, par méthode, mis de côté le mot même de philosophie pour ne retenir que les définitions et les vocables les plus communs qui désignent, au cours des siècles, l’opération de philosopher et l’objet de cette spéculation, afin de découvrir si ces attitudes d’esprit et ces mots ont un rapport avec des phénomènes de conscience spécifiques, objets d’observation, dont la présence ou l’absence agissent sur des qualités de l’appareil mental, affectif et instinctuel de l’être humain. Ensuite, nous avons mesuré la variation de ces qualités en nous référant à un modèle théorique communément accepté par les sciences du psychisme, modèle construit à partir d’expériences [14] cliniques ou, dans des conditions analogues, à partir d’expériences tirées du normal, de l’exceptionnel et du pathologique. Cette problématique, élaborée en fonction de ce modèle psychique dont nous étudierons la constitution dans le prochain chapitre, est antérieure à celle qui préside aux décisions de l’esprit dans l’ordre ontologique ou, encore, à celle qui conduit au choix d’un système philosophique ou à la volonté de s’en créer un. Elle a ce grand avantage de mettre un terme à un grand nombre de débats, la plupart du temps sans issue, qui encombre les œuvres philosophiques contemporaines, débats qui sont nés moins de contacts répétés avec le réel, que d’une sorte de repliement de la réflexion philosophique sur elle-même et du poids de ses productions isolées du contexte culturel dont elles sont sorties. Cet avantage aussi de nous permettre de décider, au niveau même où l’on met en doute la valeur de l’activité philosophique, de sa permanence ou de sa désuétude. Cet avantage, enfin, dans la perspective limitée de ce travail, de nous fournir un instrument stable et acceptable par tous pour interpréter les contenus du discours conceptuel dans ses rapports avec l’instinct et l’affectivité et pour en mesurer l’objectivité. 

Résumons, maintenant, de la manière la plus claire possible les principaux éléments de la démarche concrète, et, de ce fait, complexe, de cette recherche dont nous essayons de traduire en mots, et par conséquent spatialement et selon un ordre temporel, ce qui, dans la pratique, était simultané et imbriqué. Cet ouvrage comprend deux grandes parties et sera publié en deux volumes, mais pour rendre compte d’un seul objet : les conditions instinctuelles et affectives de l’objectivité du discours conceptuel. La première partie portera surtout sur les aspects psychanalytiques de ce problème et la seconde sur ses aspects philosophiques, mais en montrant, [15] chaque fois que cela sera nécessaire, le lien intime qui relie la première partie à la seconde. 

Dans la première partie nous examinerons longuement le problème de l’homosexualité et, dans la seconde, celui de la valeur de l’activité philosophique bien que ni le premier problème ni le second ne soit l’objectif principal de notre recherche. Toutefois, nous croyons qu’en abordant ces deux problèmes en vue de trouver une solution à un troisième nous avons fait avancer la compréhension des deux premiers en les analysant sous un éclairage nouveau. Et nous avons du même coup, pensons-nous, enrichi la compréhension de notre objet principal en le rejoignant au cœur de sa réalité la plus concrète. 

En outre, toute cette recherche n’aurait pas été possible sans cette théorie du symbolisme, à laquelle nous consacrerons un chapitre, puisqu’elle est à la fois l’objet formel de cette recherche, le ciment qui en soude les parties, la logique interne et l’éclairage qui en commandent les principales analyses. C’est par cette théorie du symbolisme qu’il nous a été possible d’obtenir un mode de compréhension où pouvaient se rencontrer les rapports du conscient et de l’inconscient, de l’homosexualité et de l’activité philosophique. C’est, de plus, cette hypothèse de la généralisation possible du symbolisme comme caractéristique universelle des langages qui est à l’origine de l’idée directrice de la recherche dont nous rapportons le contenu et les résultats dans cet ouvrage. Enfin, pour rattacher l’ensemble de cette étude à des idées qui sont maintenant en tête des préoccupations épistémologiques de notre temps, disons qu’elle tente, à partir d’expériences de psychothérapie, de définir la nature des structures inconscientes qui sont sous-jacentes à l’élaboration du discours conscient, d’articuler les mécanismes complexes de ces structures, d’en montrer [16] l’universalité probable et d’établir un lien nécessaire entre ces schèmes affectifs inconscients, l’authenticité et l’objectivité de la connaissance. 



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 10 mai 2014 8:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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