RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Daniel Larouche, L'administration de la santé et la bioéthique. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Marcel J. Mélançon, Bioéthique et génétique. Une réflexion collective, chapitre 11, pp. 97-102. Chicoutimi : Les Éditions JCL., 1994, 150 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur de diffuser tous ses travaux le 14 janvier 2002.]

Daniel Larouche,

L'administration de la santé
et la bioéthique
.


Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Marcel J. Mélançon, Bioéthique et génétique. Une réflexion collective, chapitre 11, pp. 97-102. Chicoutimi: Les Éditions JCL., 1994, 150 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur de diffuser tous ses travaux le 14 janvier 2002.]

N'étant ni un spécialiste des problèmes génétiques ni un praticien confronté jour après jour aux exigences éthiques de l'action auprès de personnes affectées, il m'est apparu sain d'apporter ici une réflexion personnelle sur les enjeux éthiques particuliers associés à ce qu'on pourrait appeler l'administration de la santé. Ce type de réflexion me semble utile à deux égards. 

Premièrement, la réforme de la santé veut recadrer l'intervention du réseau autour du citoyen : pour ce faire, elle a prévu la création d'un palier administratif régional - la Régie - dont l'un des attributs devrait être de rapprocher « besoin des usagers » et « intervention du réseau des services ». 

Deuxièmement, par atavisme, croyance ou habitude, la portée morale des gestes administratifs d'un réseau n'apparaît pas a priori revêtir autant d'importance que les gestes posés par exemple à l'endroit des individus en contexte clinique. Il y a peut-être là un problème à examiner. 

En effet, quels sont les enjeux éthiques particuliers pour un appareil administratif voué à la planification, à l'organisation, à l'allocation et à l'évaluation des services ? Le cas échéant, quelles actions, quel type de stratégie peut-on déterminer pour être à même de répondre à ces enjeux ? 

Voilà de bien belles et grandes questions pour le temps qui nous est imparti ! Des questions que je traiterai ici selon mon point de vue et non à partir d'une position d'organisme. 

L'administration de la santé apparaît être un sujet à ce point neutre et aisé qu'il est peut-être bon de partir de situations ou d'exemples extrêmes pour faire ressortir à quel point le « normal » et le « banal » peuvent être de mauvaises références quand il s'agit d'établir les fondements d'une éthique authentique. 

Allons-y d'un exemple extrême. Dans un très beau texte de la revue Relation, Jean-Claude Ravet, prenant comme exemple la guerre du Golfe, démontrait comment un système bien organisé pouvait, en utilisant notamment la dépersonnalisation de l'ennemi, faire participer un peuple entier à une hécatombe et ce, au nom de la paix et de la liberté. Par ailleurs, d'autres systèmes - tel celui qui a permis l'Holocauste - nous permettent de voir comment, à l'échelle individuelle, de banals fonctionnaires méticuleux, obéissants et s'abstenant de remettre en cause l'autorité, se sont faits les rouages humains de machines inhumaines. 

Notre réaction à l'égard de ces faits est d'ailleurs intéressante. Nous avons une propension à reléguer ces comportements dans le monde du « monstrueux », de l'« impensable ». Pourtant, ces individus, opérateurs d'un système monstrueux, n'étaient pas des monstres : ils avaient accepté d'exécuter les ordres sans se réserver le droit de penser. Comme le dit si bien Ravet : « S'étant en quelque sorte vidés d'eux-mêmes, ils n'éprouvaient plus le monde. » Les expériences scientifiques du psychosociologue Stanley Milgram sur la réponse face à l'autorité ont assez clairement démontré que ce type de passivité extrême devant l'autorité est le lot d'une majorité de citoyens dans nos sociétés. 

Suis-je sur le point de vous qualifier de monstrueux notre système de santé ? Non, pas du tout ! Ce qui est intéressant dans les exemples qui précèdent, c'est l'importance de la manière d'être et de se percevoir des personnes par rapport à leur cadre d'action. Nous y reviendrons plus loin. 

Mais parlant d'administration de la santé, que peut-on tirer d'exemples aussi démesurés ? Notre réseau de services ne reconnaît-il pas à sa base la dignité de l'existence humaine, sa raison d'être étant « le maintien et l'amélioration de la capacité des personnes d'agir dans leur milieu et d'accomplir les rôles qu'elles entendent assumer » ? En fait, le monde de l'administration de la santé recèle des pièges de tout ordre. Permettons-nous ici d'en identifier quelques-uns. 

C'est bien connu, l'administrateur doit prendre ses décisions sur la base de connaissances, d'informations, de normes et de conventions. Ces données doivent normalement permettre de décider des gestes les plus pertinents pour réduire les écarts entre une situation perçue et une situation souhaitée. Voilà pour la « théorie ». Examinons comment la qualité de l'information affecte l'univers de la décision. 

Prenons par exemple les notions de disponibilité et d'accessibilité au service de médecins sur le territoire régional. Si le concept utilisé pour la gestion des effectifs médicaux en région est uniquement la disponibilité régionale ou sous-régionale de médecins de divers types, l'attention de l'administrateur se portera sur la suffisance régionale des effectifs. L'absence d'une mesure de l'accessibilité des diverses communautés à des services médicaux sur place l'empêchera de percevoir certains problèmes réels pouvant découler de la concentration dans quelques centres urbains de l'essentiel des services médicaux : alourdissement des problèmes en milieu rural, recours accru aux urgences là où théoriquement les CLSC pourraient jouer le rôle de porte d'entrée. 

Pour le gestionnaire, il importe de pouvoir connaître les causes et la filiation des problèmes pour agir correctement. Or, les données routinières disponibles, la surabondance de données plus ou moins valides ou pertinentes entravent la décision. Un exemple récent permet de l'illustrer. Notre région est aux prises avec un problème systématique de transfert hors région des jeunes placés en centre de réadaptation. 

À partir des données de gestion du Ministère, c'est par l'amélioration de la gestion des places que le problème devait être résolu. Une analyse plus approfondie d'informations non routinières nous a permis d'établir une relation très forte entre la propension des différentes régions à exporter des jeunes placés et le niveau comparatif de financement dont elles disposent. En clair, ce qui était traité d'abord comme un problème de gestion régional était en fait un problème découlant d'une mauvaise répartition interrégionale du financement dévolu à ce programme. Point n'est besoin d'épiloguer sur les conséquences de telles situations sur les usagers et les familles. 

La question de l'allocation est un sujet fort intéressant pour illustrer le propos. De façon usuelle, notre réseau traitait de l'allocation des ressources financières (interrégionale et intrarégionale) en l'envisageant uniquement sous l'angle du portefeuille de services qu'il permettait d'établir. Or, il a été démontré que « l'argent de la santé » était aussi de l'argent et qu'à ce titre sa répartition dans l'espace - à l'échelle interrégionale comme intrarégionale - affectait le niveau de développement économique des collectivités et également le niveau de développement social. De plus, les écarts de répartition territoriale de ce financement engendrent et entretiennent des flux démographiques qui modifient la composition des populations : vieillissement accéléré, baisse de la capacité naturelle de reproduction de la population. Ces conséquences en entraînent d'autres qui viennent aggraver la situation au plan social : fermetures d'écoles, perte d'éligibilité au financement public. De façon un peu paradoxale, les conséquences de la désintégration démographique décrite ici peuvent même expliquer en partie l'amélioration de la performance de certaines régions à l'égard de la diminution des accidents entraînant des traumatismes et de la baisse des complications périnatales. 

Cette illustration portant uniquement sur le choix et le traitement des informations laisse voir, je crois, le caractère extrêmement névralgique et déterminant des décisions politiques et administratives par rapport à des enjeux sociaux et individuels fondamentaux. Une répartition inadéquate de l'enveloppe budgétaire, la décision de créer un établissement à tel ou tel endroit, entraînent des conséquences qui non seulement affectent les services mais aussi le développement économique et social des collectivités et des régions. On pourrait même analyser avec grand intérêt les liens entre les phénomènes démographiques mentionnés ici et l'évolution du génome et la répartition spatiale de certaines maladies héréditaires. 

Les énoncés qui précèdent permettent également d'interroger une dimension particulière de l'activité administrative d'une régie ou d'un ministère : là où les pratiques, les habitudes et l'organisation du travail tendent à traiter de problématiques de type individuel de façon fouillée et compétente, on doit s'apercevoir qu'existent des éléments qui relèvent du domaine social et politique. 

Nous n'avons traité qu'une toute petite partie du sujet. Néanmoins, à travers ces exemples comme à travers de nombreux autres que nous n'avons pu évoquer, il est clair que le monde de l'administration de la santé n'est pas en réalité un univers « confortable » et « douillet », au plan de l'éthique. On peut, dès lors, se demander comment favoriser la croissance de la capacité éthique de cette composante du système. 

Conclusion 

Selon moi, au-delà des considérations organisationnelles, c'est à la source, chez chaque acteur, que tout se joue. Il faut apprendre : 

- à garder les yeux ouverts : car ce qui importe est bien souvent au-delà de ce que nous convenons de voir ; 

- à ne pas soumettre sa pensée à l'autorité : la distance critique est une qualité essentielle ; 

- à ne jamais dépersonnaliser ce qui est humain : derrière tout acte administratif se trouvent des vies. Rien de ce qui est humain n'est instrumental. Il faut donc : 

- ne jamais écarter les acteurs ;

- reconnaître leur compétence ; 

- à se préoccuper le plus réellement possible de ceux qu'on prétend vouloir servir. Et, globalement, à reconnaître sa responsabilité propre dans son champ d'activité. 

Les bons systèmes ne sont faits, je crois, que de personnes partageant une « éthique de conviction et de responsabilité » (J.C. Ravet). L'éthique fait partie de la personne. Elle n'est pas extérieure à celle-ci. Et c'est sur cette base seulement qu'elle peut progresser. Et si j'ai l'air de prêcher un peu, dites-vous bien que je ne le fais qu'à mon endroit ! 

Daniel Larouche


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 novembre 2012 14:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref