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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Maximilien LAROCHE, La littérature haïtienne. Identité • langue • réalité. (1981)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Maximilien LAROCHE, La littérature haïtienne. Identité • langue • réalité. Montréal: Leméac, Éditeur, 1981, 128 pp. Collection: Les Classiques de la francophonie. Une édition numérique en voie de réalisation par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée retraitée du Musée de la Pulperie de Chicoutimi. [Livre diffusé en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 19 août 2016.]

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Introduction

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L'enseignement de la langue haïtienne que met en place la Réforme de l'éducation aura certainement des répercussions sur l'évolution de la littérature haïtienne. On ne peut en effet entraîner les jeunes Haïtiens à lire et à écrire leur langue maternelle sans qu'il n'en résulte une augmentation des écrits, donc de la littérature dans cette langue. Dès lors ne pourra que s'accentuer la dichotomie que signalait Louis Morpeau en 1925 dans son Anthologie d'un siècle de poésie haïtienne et qui lui faisait distinguer une mysed'expression française d'une muse d'expression créole. Elle ne pourra que s'accentuer et s'aggraver, donc se compliquer, puisque si avec Morpeau, dans le premier quart de ce siècle, on pouvait supposer qu'il existait deux littératures haïtiennes, depuis la seconde moitié de ce vingtième siècle, à partir des années soixante surtout, on peut se demander si au lieu d'une ou de deux il ne faut pas parler de quatre littératures haïtiennes.

Par ailleurs l'existence d'une diaspora haïtienne disséminée aux quatre coins de l'univers, mais dont la plus forte concentration se trouve en Amérique du Nord, à New York et à Montréal tout particulièrement, et le fait que de cette diaspora surgissent toutes sortes de productions artistiques et littéraires, en français et en haïtien, obligent aussi à considérer la littérature haïtienne selon de nouvelles perspectives. Car s'il faut distinguer en littérature un courant du dedans et un autre du dehors et si à l'intérieur de ces courants il faut ensuite tenir compte des langues utilisées, des styles adoptés et des idéologies véhiculées, on admettra aisément qu'en ces années 80 l'examen de la littérature haïtienne doit se faire au moins selon une problématique nouvelle.

Une littérature diglotte

Le premier problème que se pose la littérature haïtienne est de savoir s'il faut la diviser selon les deux langues dans [10] lesquelles écrivent les Haïtiens. On peut fort bien continuer à distinguer une littérature en haïtien d'une littérature en français. Mais cela ne préjugerait en rien de l'étude qu'il faut également faire d'une oraliture haïtienne qui comprend l'ensemble des productions narratives, lyriques et gnomiques que le peuple haïtien a accumulées sous une forme orale et dans sa langue vernaculaire.

Or cette oraliture dont l'origine remonte à la période d'avant la constitution d'Haïti en État indépendant nous force à abandonner le critère linguistique pour un autre de caractère anthropologique ou du moins anthropo-linguistique traduisant plus exactement la transformation fondamentale que connaît la société haïtienne. Bien plus que du passage d'une langue à une autre il s'agit pour les Haïtiens de passer de l'oraliture à l'écriture. C'est d'un problème de civilisation qu'il s'agit et c'est le concept d'acculturation qui permet le mieux d'appréhender ce phénomène. Pour cette raison il vaut mieux parler de la littérature haïtienne comme d'une littérature diglotte, c'est-à-dire d'une écriture qui s'inspirant toujours d'une oraliture en haïtien a cependant choisi selon les lieux, les moments, les individus et les questions de traduire cette inspiration tantôt en français tantôt en haïtien.

Qu'elle soit écrite en haïtien ou en français la littérature haïtienne prend sa source pendant la période coloniale (1600 à 1804) dans l'imitation d'un même modèle : le texte littéraire français. Cela ne serait nullement étonnant s'il s'agissait uniquement des œuvres écrites dans la langue des anciens colonisateurs. Mais il faut reconnaître que les œuvres rédigées en haïtien s'inspirent aussi de ce modèle. Et l'on doit même signaler que les premiers textes de la littérature de langue haïtienne ont été pendant la période coloniale écrits non par des esclaves, les futurs sujets de l'État d'Haïti, mais par leurs maîtres français. « Lizet kité laplenn », le premier poème en haïtien que l'on connaisse et qui date de 1750, a été écrit par un membre de la magistrature coloniale, Duvivier de la Mahautière.

On ne peut donc pas considérer le français et l'haïtien comme des langues isolées mais comme des idiomes qui entretiennent des rapports à un double niveau. Tout d'abord il y a cette parenté que l'on a signalée en définissant l'haïtien [11] comme un de ces créoles à base lexicale française dont certains vont même jusqu'à dire qu'ils sont les dernières-nées des langues romanes. C'est ce qui permet la constitution d'un continuum du point de vue linguistique. Il y a ensuite la répartition fonctionnelle des langues française et haïtienne que la formation historique de l'État d'Haïti a permis d'établir au sein de la collectivité nationale en s'appuyant précisément sur l'existence de ce continuum.

Ce caractère diglottique des rapports du français et de l'haïtien permet de comprendre la spécificité de la littérature haïtienne, de voir en quoi elle est un processus d'acculturation, une entreprise de transformation de l'être collectif par son mode d'insertion dans le monde extérieur. Car pour le peuple haïtien qui parlait mais n'écrivait pas jusqu'à présent l'haïtien, de 1804 à 1980 la littérature a été un effort fait pour exprimer à l'aide de la langue française les émotions ressenties en haïtien. Et c'est pour cette raison que les écrivains se sont toujours efforcés de concilier dans leurs oeuvres les deux langues en usage dans le pays.

On peut même penser que c'est à cela que se reconnaît un trait spécifique des littératures de la Caraïbe francophone et créolophone, les rapports du français et des langues créoles permettant des exercices de style qui n'ont pas de correspondance dans les œuvres d'Afrique francophone.

Diglotte, la littérature haïtienne l'a donc été en vertu de cette nature de la littérature d'être une transformation de l'oral en écrit mais aussi en vertu de cette fonctionnalité arbitraire qui faisait d'une langue, l'haïtien, le véhicule de l'oral et d'une autre langue, le français, le mode de l'expression écrite. Dans la mesure où ce dernier rapport est en train de changer et que s'installe au sein de la communauté une nouvelle hiérarchisation des modes d'expression nous assisterons à une orientation nouvelle de la littérature haïtienne.

Une périodisation et une catégorisation à revoir

Cette orientation nouvelle sur le plan linguistique nous oblige à reconsidérer la périodisation de la littérature haïtienne [12] et la catégorisation qui ont été adoptées jusqu'ici pour étudier les auteurs et les textes.

Il y a deux façons d'aborder une littérature : la méthode comptable et la méthode comparatiste. La première consiste à envisager la culture, et donc la littérature qui l'exprime, comme une addition, une somme de traits ethniques On distinguera donc dans le cas d'Haïti l'apport culturel de la France de celui de l'Afrique et on s'efforcera de dresser le bilan de ces apports. Ce qui fera rapporter chaque écrivain, chaque mouvement littéraire, chaque théorie ou manifeste d'école à son créancier français pour évaluer la dette haïtienne. C'est la méthode qui a été jusqu'à présent utilisée et qui fait parler du romantisme, du symbolisme ou du parnasse haïtiens et fait ranger Magloire Saint-Aude parmi les surréalistes ou Frankétienne dans le groupe des épigones du nouveau roman.

Il paraît préférable d'adopter la méthode comparatiste qui ne part pas du passé pour descendre vers le présent mais s'efforce de remonter du présent vers le passé et le futur à la fois. Non pas dans un double mouvement contradictoire mais dans un mouvement unique qui réconcilie hier et aujourd'hui en s'efforçant de suivre la ligne du dynamisme collectif qui anime la langue et ses utilisateurs et les porte d'hier à demain.

Car l'on ne peut reprendre les points de repère que sont le romantisme, le parnasse, le surréalisme que si l'on accepte d'insérer l'évolution de la littérature haïtienne dans une histoire toute faite, aux étapes bien marquées pour des pays européens mais dont on voit mal comment elle peut correspondre avec le mouvement que le rapport des deux langues de la littérature haïtienne nous laisse deviner. Nous pouvons par contre dans l'histoire de la société comme de la littérature haïtiennes trouver des moments clés qui nous aideraient à périodiser l'évolution de la littérature selon de nouvelles perspectives.

Une périodisation de la littérature haïtienne qui voudrait coller au plus près de la réalité aussi bien sociale que linguistique pourrait s'appuyer sur trois dates clés : 1804, année de l'indépendance politique, 1915, année de la recolonisation [13] économique par les États-Unis, 1944, année qui marque le départ des campagnes nationales d'alphabétisation. À ces trois dates s'articulent non seulement des mouvements littéraires et des noms d'écrivains mais aussi la publication de textes clés notamment d'anthologies qui constituent des étapes de l'évolution de la perception que les Haïtiens ont eue de leur propre production. Les morceaux choisis d'auteurs haïtiens publiés en 1904 par Dantes Bellegarde paraît au moment où le mouvement littéraire de La Ronde avec ses théories éclectiques et universalistes connaît sa plus grande vogue. L'Anthologie de Louis Morpeau (1925) survient en pleine période indigéniste et le Panorama de la poésie haïtienne de Lubin et St-Louis (1950) paraît au moment où un éclatement du champ linguistique entraîne une remise en question de la fonction traditionnelle attribuée en Haïti aux langues française et haïtienne.

On peut s'apercevoir de cette évolution de la littérature haïtienne et surtout de la conscience qui en est prise par la réception de chacune de ces anthologies. Si jusqu'à celui de Lubin ces recueils de textes choisis ont pu, chacun à leur époque, faire autorité en prétendant réunir l'essentiel de la production littéraire haïtienne, il paraît désormais difficile de susciter pareille unanimité. À peine Philoctète et Baridon ont-ils  publié  leur sélection  de  la Poésie  vivante  d'Haïti (1978) que Christophe Charles a jugé bon de faire paraître ses deux anthologies  « de  la  poésie d'expression  créole » (1979) et « de la poésie féminine haïtienne » (1979) soulignant par là même deux lacunes sérieuses du livre de Philoctète et Baridon. Mais il ne devait pas lui-même pour autant trouver grâce devant la critique des rédacteurs de la revue TEM qui ont vertement critiqué son choix de poèmes féminins et qui auraient pu se montrer aussi durs pour le choix des poèmes créoles. C'est qu'en ce moment où se réoriente la littérature haïtienne non seulement devient-il nécessaire de se donner de nouveaux points de repère chronologiques mais encore faut-il pouvoir ajuster cette périodisation à des catégorisations nouvelles, c'est-à-dire à une interprétation idéologique différente. En ce sens Pierre Bambou faisait remarquer à propos de la poésie de Christophe Charles qu'il faudrait peut-être parler de poésie guèdée, [14] c'est-à-dire d'une poésie qu'il fallait interpréter à la lumière de certains aspects du vodoun. Ce qui ne ferait que confirmer l'affirmation faite depuis déjà un certain temps par Lemuel Johnson que la poésie de Césaire, par exemple, devait être lue dans l'éclairage du vodoun haïtien.

Une thématique à approfondir

On s'aperçoit alors qu'il ne s'agit plus seulement de revoir le cadre ou le contenant mais le contenu même de la littérature haïtienne. Non pas bien sûr qu'il faille prétendre que les thèmes universels traités ailleurs ne sont pas repris par les écrivains haïtiens. Mais qu'en est-il de cette identité haïtienne que l'on mettait autrefois en question quand on se demandait s'il y avait réellement une littérature haïtienne et non pas tout simplement une littérature de langue française écrite en Haïti ? Autrement dit le zombi par exemple qu'évoquent les romans de Frankétienne, les essais de René Depestre ou les vers d'une lignée de poètes, est-ce un alter ego des fantômes que représente Shakespeare dans ses pièces ou de ce double de nous-même qu'évoque Musset dans ses poèmes ? Sous les archétypes universels n'y aurait-il pas des variations proprement haïtiennes ?

Il est évident qu'un personnage comme celui du zombi ne peut être compris que dans la perspective d'une analyse qui présuppose une idéologie tiers-mondiste. Ainsi seulement peut-on saisir de façon positive la contradiction de ce personnage de mort appelé pourtant à ressusciter. Et il en est de même pour bien d'autres thèmes.

En un siècle et trois quarts, Haïti a produit un abondante littérature si l'on tient compte du fait que ses lettrés qui n'ont jamais représenté plus du dixième de la population ont jusqu'à présent, pour parler au nom de quatre-vingt-dix pour cent de leurs compatriotes, unilingues créoles, choisi d'écrire en français. À cette singularité du mode d'expression s'ajoute celle d'une expérience historique qui a toujours fait de la collectivité haïtienne un point de mire. Premier État non anglo-saxon de l'Amérique, premier pays indépendant dont la population soit dans sa totalité d'origine africaine, Haïti, où [15] pour la première fois dans l'histoire du monde une révolte d'esclaves a été conduite jusqu'à la victoire, après avoir été pendant longtemps un modèle à imiter est devenu depuis peu un exemple à éviter.

Et pourtant, à tous ceux qui sont engagés dans la même bataille en vue de la redéfinition de l'homme, les écrivains haïtiens ont quelque chose à dire.

S'il doit y avoir une redéfinition de l'homme haïtien, c'est ce dont rêve la littérature haïtienne, elle ne pourra se faire qu'à l'unisson avec la Caraïbe et l'Amérique tout entière. À leur manière donc les écrivains haïtiens disent comme Langston Hugues « qu'eux aussi chantent l'Amérique » ou bien encore, comme Marti, ils parlent de « Notre Amérique ». Par là ils proclament ce qui ressort le plus manifestement de leurs œuvres et ce depuis la naissance même d'Haïti, le premier janvier 1804 : leur volonté bien arrêtée de ne pas subir le sort fait jadis aux Caraïbes, c'est-à-dire aux Amérindiens qu'ethnocida Christophe Colomb. Et c'est pourquoi la littérature d'Haïti ne concerne pas seulement la Caraïbe et le tiers monde mais tous ceux qui sont intéressés à ne pas voir se perpétuer dans le monde l'ordre mis en place en 1492.

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 25 janvier 2017 6:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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