RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

IL FAUT VOIR LES CHOSES AUTREMENT. Rapport de recherche de l'IRÉC. (2010)
Présentation. Un exercice miné. par Robert Laplante.


Une édition électronique réalisée à partir du rapport sous la direction de Robert Laplante, avec la collaboration de Jean-Guy Blais, Gilles L. Bourque, Pierre-David Desjardins, Pierre Gouin, Pierre J. Hamel, Paul Lamarche, Claude Lessard et Gabriel Ste-Marie, IL FAUT VOIR LES CHOSES AUTREMENT. Rapport de recherche de l'IRÉC. Montréal: Institut de recherche en économie contemporaine, mars 2010, 77 pp. [Autorisation accordée par Robert Laplante, directeur général de l'IRÉC le 10 mars 2010 de diffuser ce document dans Les Classiques des sciences sociales.]

Présentation.
Un exercice miné.

par Robert Laplante

Le rapport du comité consultatif sur l’économie et les finances publiques devait être éclairant, rassembleur et mobilisateur. Du moins, c’est ce que l’on était en droit d’attendre d’un groupe de travail dont le mandat a été défini en vue de l’action. Force est de constater, au terme de la publication du troisième fascicule qui complète le mandat que rien de cela ne se produira. D’un fascicule à l’autre, en effet, s’est renforcée l’idée que les dés étaient pipés, que les solutions envisagées ne s’articulaient pas sur une lecture partagée de la situation, mais bien plutôt sur un corps de doctrine qui renvoie davantage à des préférences idéologiques qu’à des résultats analytiques solidement étayés. Ceux-là qui auraient pu encore en douter ou du moins qui auraient encore souhaité accorder le bénéfice du doute au comité, n’auront plus guère d’autre choix que de se rendre à l’évidence devant l’invitation faite par le comité à demander aux contribuables du Québec de souscrire à une véritable « révolution culturelle ».

En dépit des apparences et malgré ses formulations techniques, le mandat du comité débouche sur une question de philosophie fiscale présentée en termes de transformation des mentalités. Les préférences d’approche, dans cette perspective, ne tiennent pas tant à la démarche analytique ni même à ses résultats qu’à l’affirmation – en l’occurrence peu démontrée – de la nécessité de changer le rapport du contribuable à l’État, nécessité présentée comme une affaire d’attitude et de mentalité. Ceux-là qui s’attendaient à une ou des propositions de réformes économiques sont conviés à un exercice de transformations des mentalités, une « révolution culturelle » faite sous couvert de considérations techniques, mais visant essentiellement des objectifs idéologiques.

Les savants calculs, les raisonnements sur la dette, les appels à relever les défis économiques ne déboucheraient donc, finalement, que sur l’affirmation du bien-fondé de quelques techniques comme la taxation de la consommation, la tarification comme mécanisme de régulation de la demande de services, etc. aux vertus proclamées davantage que démontrées par les résultats de la littérature scientifique et de l’observation empirique. Le pacte que propose le comité en guise d’appel à la mobilisation, ce partage à 50-50 de l’effort et des contraintes ne se présente pas fondamentalement comme un choix entre divers scénarios, mais plutôt comme une alternative entre une perspective proclamée vertueuse et des attitudes de résistance au changement, de refus de prendre acte des contraintes imposées par une logique présentée comme inéluctable. Or, en ces matières, tout est d’abord affaire de choix, à commencer par celui d’établir perspectives sous lesquelles on définit les problèmes et identifie des solutions.

De nombreux commentateurs l’ont remarqué, le comité a choisi de présenter la situation budgétaire et économique sous un jour très sombre. [1] Plusieurs ont fait valoir que le portrait tiré de l’économie québécoise et des finances publiques était par trop pessimiste et, surtout, qu’il ne s’en dégageait qu’une très étroite gamme de choix possible pour redresser la situation. De là à conclure que le rapport avait intérêt à noircir les choses pour mieux faire paraître lumineuses les quelques rares pistes et les passages étroits qu’on allait nous proposer, il n’y avait qu’un pas que plusieurs observateurs récalcitrants ont franchi allègrement. Les dénonciations de présupposés idéologiques concernant le rôle de l’État, la légitimité de ses interventions ou encore la contestation des préférences accordées à l’individualisation des perspectives sur les services publics présentés comme un secteur de consommation comme un autre n’ont pas manqué de surgir et de faire paraître encore plus rigides les paramètres du débat. Loin d’être rassembleur, le pessimisme des perspectives a bien davantage polarisé que mobilisé.

Bien avant de porter sur la discussion des moyens à envisager, le débat s’est rapidement figé sur le diagnostic lui-même. Le Québec est-il donc si mal en point ? Ses choix sont-ils à ce point réduits qu’il ne puisse envisager son avenir que sous une lumière blafarde ? La lecture du premier fascicule, en effet, n’ouvre que des perspectives défensives, ne laisse entrevoir qu’un avenir de survivance, de lutte contre l’érosion des acquis et de préservation de choix qui ne peuvent que se figer ou se rétrécir et non pas muter ou s’élargir. Cette lecture d’une société au dynamisme flageolant, campant sur des choix qu’elle ne peut qu’inlassablement réviser en se demandant si elle a fait preuve d’insouciance en se les offrant sans en avoir les moyens, cette lecture contraste singulièrement avec ce que l’observation fait voir de la manière dont l’économie québécoise a traversé la crise et commence à s’en remettre. Cette appréhension de l’avenir sous couvert de péril démographique résiste mal à la confiance qu’inspire l’efficacité des moyens qui composent la politique familiale et qui donnent des résultats assez déterminants pour amener l’Institut de statistiques du Québec à revoir ses projections sur l’éventualité d’un déclin démographique. Preuve s’il en est que l’intervention de l’État peut changer les choses, et pour le mieux.

La liste pourrait s’allonger des indicateurs pouvant nourrir une confiance raisonnable en nos moyens, dans notre capacité de faire face aux problèmes en recadrant nos façons de faire et en réactualisant nos choix de société. Ce qu’il faut d’abord en retenir, pour l’instant, c’est que l’impression générale qui se dégage du sombre diagnostic proposé ne relève pas seulement d’une différence d’attitude portant soit au pessimisme ou à l’optimisme. Elle le produit, aussi et surtout, d’un choix d’hypothèses et d’un appareillage conceptuel qui placent le raisonnement et la démonstration dans un corridor extrêmement étroit, dans un univers de solutions apparaissant à ce point inéluctables qu’il se dégage de l’ensemble une pénible impression de n’avoir plus qu’à se soumettre à un corpus de mesures s’imposant comme des fatalités. Le choix ne serait plus dès lors qu’entre deux consentements : ou bien consentir à régresser ou bien consentir au seul plan qui s’impose. C’est un faux dilemme, contraire à l’esprit et à la lettre de tout ce que nous savons de la construction des politiques publiques. Il n’y a jamais qu’une seule voie, mais bien des choix entre des moyens combinés diversement selon le rythme des changements souhaités et la nature des résultats attendus.

Un déficit de crédibilité

Loin de rassembler le diagnostic a donc failli à la tâche première d’un pareil groupe de travail : amener à une lecture commune de la situation. Loin d’attirer l’attention sur les choix nécessaires, l’exercice, dès le premier fascicule aura nourri un scepticisme aussi bien sur la nature et l’étendue réelles des nos problèmes que sur le bien-fondé de la méthode retenue pour les bien comprendre et y remédier. En moins de deux ans les contribuables québécois auront eu droit à des discours totalement opposés : après une campagne électorale où le premier ministre sortant jurait la main sur le coeur qu’il n’y aurait pas de déficit budgétaire en 2008-2009, les Québécois ont appris qu’il y en aurait un - et un gros – et que les finances publiques seraient mis à mal par la crise financière et la récession. Voilà ensuite que le ministre annonce un comité de travail dont la première contribution est d’affirmer que le Québec est aux prises avec un déficit structurel qui requiert un redressement draconien. Nous vivons au-dessus de nos moyens en refilant la facture à la prochaine génération.

Comme le souligne ici Pierre Gouin [2], « Cela est en contradiction avec les données officielles du gouvernement selon lesquelles le budget était à peu près équilibré au cours des quatre années précédant la crise ». La dette gonfle et le budget est équilibré ? Où est l’erreur ? Les explications renvoient à un débat sur la nature de cette dette et au rôle que jouent les modifications des normes comptables dans l’appréciation de la situation réelle des finances publiques. Ce débat aura absorbé beaucoup d’énergie chez les commentateurs : dette brute, dette nette, manière de comptabiliser les immobilisations, bonne dette, mauvaise dette, les discussions techniques et les débats d’école ont dominé les échanges et surtout servi à brouiller considérablement le portrait. [3] Les comparaisons sur le poids de cette dette par rapport au PIB, de même que celles sur le poids du déficit budgétaire dans le PIB n’ont guère été éclairantes. La raison première en est que l’information manque, qu’elle est imparfaite. Le portrait d’ensemble est difficilement traçable sinon qu’au terme de contorsions qui nourrissent davantage le scepticisme qu’elles suscitent le consensus. Pierre Gouin suggère même de confier la tâche à un groupe d’experts indépendant, tant la crédibilité des chiffres pourtant « officiels »reste vacillante. Les débats sur ce qu’il faut ajouter ou retrancher, sur les méthodes à privilégier semblent faire paraître la réalité évanescente et réduite à des préférences de spécialistes. Les oppositions, les révisions de calculs donnent lieu à une espèce de dialogue de sourds en raison de l’absence d’un ensemble de paramètres sur lequel tout le monde s’entendrait, un état de situation dont les données ne seraient pas remises en cause. Dans la situation présente les débats sèment plus de confusion qu’ils ne clarifient les choses : au terme de l’exercice, il n’est toujours pas possible de savoir avec un degré satisfaisant de certitude s’il y a ou non péril en la demeure.

Il est d’autant plus difficile de souscrire au diagnostic et à la démarche du comité que l’examen des dépenses et l’évaluation de la pertinence des choix relatifs à l’endettement restent un exercice tronqué. Comme le fait remarquer Pierre Gouin, « pendant que l’on s’ingénie à trouver les meilleures solutions pour maintenir la disponibilité et la qualité de nos services publics, il ne faut pas perdre de vue la principale cause de notre manque de marge de manoeuvre. La principale cause en est qu’environ la moitié de nos impôts sont payés au gouvernement fédéral et qu’il est impossible de remettre en question les dépenses faites à ce niveau. Est-ce que toutes les dépenses faites au fédéral sont plus importantes que les dépenses en éducation et en santé que nous sommes obligés de compresser ? » Pendant que faisait rage le débat sur la composition de la dette et la part de la dette fédérale qu’il faudrait prendre en compte, il n’a guère été remarqué que le Canada dépense beaucoup, en particulier pour faire la guerre…

La discussion sur le redressement des finances publiques que nous offre le comité reste donc un exercice à la fois imparfait et inachevé. Le portrait réel souffre aussi bien d’un déficit d’information que d’un déficit de crédibilité des méthodes retenues. Pierre Gouin a raison de souligner que le diagnostic devrait être repris en tenant compte de tout le contexte fiscal. On s’étonne, du reste, que le comité n’ait pas jugé bon d’aller plus loin en cette matière après avoir lui-même reconnu « Que nous sommes exposés plus que jamais aux variations des transferts fédéraux » (p.49, Fascicule 1). Si le péril est aussi grand que le laisse entendre leur analyse, on ne peut tenir que pour une insuffisance grave le fait de n’avoir pas posé explicitement les effets déstabilisateurs d’un arrangement fiscal aussi incertain. Aucun scénario ne peut être crédible s’il ne définit pas rigoureusement les conséquences de ces variations sur la fiabilité des paramètres et des moyens retenus et proposés pour que le Québec reste en plein contrôle de la situation de ses finances et de ses choix budgétaires.

L’appréciation du diagnostic s’est trouvée, par ailleurs, propulsée dans une confusion plus grande encore avec la comparaison que le rapport établit entre le Québec et l’Ontario. Non seulement vivrions-nous au-dessus de nos moyens, mais si nous suivions l’exemple ontarien nous n’aurions les problèmes que nous avons. Les choix ontariens nous épargneraient 17,5 milliards de dollars. Même s’il s’en défend, le rapport établit ainsi insidieusement une remise en cause des choix que le Québec a fait de se donner un complexe institutionnel et une offre de services qui n’ont pas d’équivalent en Amérique du Nord. Sous couvert de comparaison, il est clair que la voie de la « normalisation », de la réduction de la différence québécoise s’en trouve accréditée. Loin d’être présentée comme l’affirmation d’une originalité sur laquelle miser, cette différence est ici posée comme problématique. Sans remettre en cause le panier de services, comme le disent les auteurs, le rapport le pointe néanmoins comme à l’origine de nos problèmes, autrement la comparaison perdrait tout son sens.

Il en va de même pour les préoccupations à l’égard de notre capacité de payer. Le rapport se préoccupe beaucoup de comparer le niveau de prélèvement fiscal avec nos voisins immédiats, mais c’est comme si c’était pour mieux minimiser la place que nos pratiques tiennent quand on les compare avec celles des pays membres de l’OCDE. Pourquoi choisir de situer le Québec au-dessus de la moyenne du G7 ou des États-Unis si ce n’est pour présenter l’écart comme un problème atypique visant à faire voir comme un paradoxe ce qui se donne d’abord pour l’originalité de choix historiques à réactualiser. Nous nous donnons plus de services non pas parce que nous sommes plus dépensiers, mais bien parce que nous les considérons comme un investissement dans une infrastructure sociale garante d’une plus grande équité et d’une meilleure efficacité pour lutter contre les inégalités. On l’aura compris, la comparaison sert d’abord à orienter le débat vers une problématique de dépenses, le rapport résistant farouchement à envisager le problème de financement sous l’angle de l’augmentation des revenus de l’État par le moyen de l’impôt sur le revenu. Car en posant le recours à la tarification comme meilleur moyen de financement, le rapport se refuse à poser toute dimension collective à l’offre de services publics, ne ramenant ces derniers qu’à une logique de consommation individuelle alors qu’il serait tout à fait possible de la concevoir comme un instrument collectif.

Une lecture partielle et faussée des défis économiques

La discussion sur la mesure des coûts des services publics a donné lieu, elle aussi, à plusieurs querelles de chiffres. [4] Ce qui n’a pas été suffisamment mis en lumière dans ce rapport, c’est la façon dont il présente et construit les défis auxquels il prétend que le Québec doit faire face. C’est pourtant là que se trouvent les lacunes les plus graves, des lacunes qui rendent bancale toute la démonstration et déportent du côté de la fantaisie comptable les scénarios qu’on nous propose.

C’est d’abord le recours aux projections démographiques qui est mal avisé. Les tendances démographiques liées au vieillissement sont présentées comme autant de spectres menaçant la prospérité et compromettant notre capacité de faire face à nos obligations financières. Le vieillissement est bel et bien un phénomène démographique de fond, c’est entendu. Mais le rapport qui en d’autres matières n’est pourtant pas avare de comparaisons, reste sur le sujet étonnamment évasif. Certes la proportion de personnes âgées augmentera substantiellement au cours des prochaines années. Nul doute que cela posera des défis particuliers de reconfiguration des services et d’aménagement des dépenses. Nul doute également que cela aura un impact sur la manière et les moyens que le Québec aura à mettre en oeuvre pour maintenir sa croissance économique. Mais il y a des limites à présenter les choses sans référence au contexte. Le Québec, en 2006, se trouvait au 38e rang des pays pour la proportion de personnes âgées sur la population totale. [5] Notre cas n’est ni unique ni dramatique quand on le situe dans les comparaisons internationales. Cela ne diminue pas l’ampleur des défis, mais cela en relativise la singularité.

Les projections démographiques sont des constructions intellectuelles utiles à l’analyse quand on ne les confond pas avec des prédictions. Déjà les projections faites il y a quelques années à peine ont été déjouées par le redressement récent de la natalité, cela devrait inciter à la prudence. Une prudence qui s’impose d’autant plus que la révision des hypothèses concernant la diminution de la proportion des personnes en âge de travailler laisse voir une marge de manoeuvre qui pourrait offrir un espace de mobilisation non négligeable. [6] En effet, quand on révise les hypothèses touchant le solde des migrations interprovinciales, il appert que cette diminution appréhendée peut être considérablement atténuée, sinon même annulée. Cela n’est pas un détail pour l’action, car s’il est un facteur sur lequel il est possible de mobiliser et d’agir c’est bien celui-là. Si le Québec retient son monde, s’il est suffisamment attrayant pour les retenir, il pourrait s’éviter ce déclin – à la condition, bien sûr, de faire le nécessaire pour que ses forces vives trouvent ici une qualité de vie et un niveau de prospérité inspirant. Les scénarios présentés dans « Un déclin évitable » sont éloquents : « La taille de la population en âge de travailler pourrait demeurer à des niveaux équivalents à ceux de 2008 si le solde migratoire interprovincial s’améliore » Le fatalisme démographique n’est pas aussi inéluctable qu’on nous le présente.

Une action efficace de redressement du solde ne serait pas sans conséquence majeure pour la réflexion sur la dette – en supposant évidemment qu’on finisse par y voir clair. Si le déclin de la population en âge de travailler est évitable, le « fardeau » de la dette s’exprime dans d’autres proportions. Il en va de même pour la formulation des enjeux de productivité. La mobilisation est donc possible et elle se conçoit par une action de l’État capable de créer des conditions facilitantes. Les pistes évoquées dans le rapport quant à l’accroissement de la productivité et à l’augmentation du taux de participation au marché du travail ne sont pas toutes sans intérêt, loin de là. La révision des hypothèses migratoires les laisse simplement voir comme des opportunités à saisir et non pas seulement comme des contraintes auxquelles nous serions condamnés.

Ces aspects démographiques nous laissent cependant dans l’ordre de la nuance et dans la discussion de ce qui pourrait être considéré comme hypothèses pondérées pour se représenter l’avenir avec réalisme et sans épouvante. Il en va tout autrement par ailleurs en ce qui concerne la façon dont le rapport présente les défis que nous posent les dépenses de santé et le panier de services qui les justifient. Là, l’information est carrément déficiente. L’analyse est en retard sur les résultats scientifiques. Paul Lamarche [7] établit ici qu’il existe des « écarts colossaux entre la lecture que fait le Comité consultatif des dépenses de santé au Québec et ce que révèlent les données les plus crédibles sur le sujet, entre le jugement négatif qu’il pose sur la place du secteur public dans le financement et la fourniture de services de santé au Québec en comparaison à la place similaire sinon plus importante qu’occupe ce secteur dans les pays reconnus mondialement comme les plus développés en santé et enfin entre les effets qu’il escompte de la tarification des services et de la présence d’un secteur privé fort en comparaison aux nombreuses évidences scientifiques sur ces sujets. »

Le Québec n’est pas le cancre au chapitre de sa gestion : « l’accroissement des dépenses de santé par habitant a été plus faible au Québec qu’en Ontario et que dans l’ensemble du Canada et ce, autant pour les dépenses totales, les dépenses publiques que pour les dépenses de santé provenant du gouvernement provincial. C’est au Québec où l’accroissement de chacune de ces dépenses a été le plus faible au Canada. Par contre, le Québec a connu un accroissement des dépenses privées de santé par habitant de 12% supérieur à l’Ontario et de 16% supérieur à la moyenne canadienne ». Quand on les reporte sur le PIB, il est vrai que la part de dépenses en santé grandit sans cesse depuis plusieurs décennies, que ce soit pour le Québec, l’Ontario ou le Canada. Mais c’est au Québec que cette part a crû le moins rapidement et, ici comme dans le reste du Canada, ce sont les dépenses privées de santé qui se sont accrues le plus rapidement. Paul Lamarche donne ainsi une tout autre perspective aux recommandations d’accroître le rôle du privé en santé.

Il en va de même pour ce qui touche le rôle et les effets de la tarification en matière de services de santé. Les vertus que le rapport prête à la tarification tiennent du parti pris idéologique, un choix qui « n’est pas supporté par les observations empiriques ». Lamarche s’étonne d’autant plus de la prégnance de ce parti-pris qu’il va carrément à contre-courant de ce que révèle l’actualité internationale la plus proche de nous : le débat américain sur le plan Obama. Enfin, là aussi, le rapport se fait très avare de mise en contexte international en passant sous silence la position de « l’Organisation mondiale de la santé qui proclame haut et fort que la solution aux problèmes des systèmes de santé n’est pas le privé. C’est un système public différent. Sur quelles bases le Comité consultatif s’appuie-t-il pour conclure que le Québec a pris un retard considérable ? Un retard sur quoi ? Un retard sur quel pays ? »

La tarification a un impact direct non négligeable sur la consommation des soins et « la très grande majorité des études ne confirment pas les effets attendus par le Comité consultatif de la tarification accrue des services de santé. Elles pointent même vers l’obtention d’effets dans des directions inverses. » Prétendre améliorer la performance du système en introduisant la concurrence tient ici encore d’une affirmation idéologique faite au détriment des acquis de la recherche de la recherche scientifique la plus récente : « Une revue de 24 études récentes réalisées dans plusieurs pays de l’OCDE entre 1997 et 2007 différencie trois types d’organisations : privée à but lucratif, privée sans but lucratif et publique. Elle apprécie la performance relative de ces établissements quant à l’efficacité (état de santé des patients), l’accessibilité, la globalité et la qualité (conformité aux normes professionnelles) des services offerts, la satisfaction des patients et du personnel qui y travaille ainsi que les coûts des services et la rentabilité financière (différence entre les frais facturés aux patients et les coûts des services). Les organisations privées à but lucratif sont celles qui performent le moins sur chacun de ces effets à l’exception de la rentabilité financière. Cette rentabilité financière n’est pas obtenue par une meilleure productivité telle que généralement postulée. Elle l’est uniquement par des frais plus élevés facturés aux patients ou aux assurances »

Le texte de Pierre J. Hamel [8] met aussi en lumière un des mécanismes insidieux qui contribuent à la rentabilité : « le picorage » qui permet au privé de concentrer son offre de services sur les interventions les moins coûteuses et les moins risquées. Ce mécanisme explique en partie ce qui fausse nombre de comparaisons, en plus de contribuer à une plus grande dualisation du système de santé où le secteur public devient le déversoir des cas les plus lourds et les plus coûteux.

Les solutions explorées au fascicule 2 en matière de santé souffrent donc d’un vice fondamental en ce qu’elles sont « contraires aux évidences scientifiques » affirme Paul Lamarche qui n’en revient tout simplement pas de la désinvolture avec laquelle le rapport a traité les choses : « Jamais je n’ai vu une compréhension de la dynamique des organisations et des systèmes de santé qui fasse si peu consensus et qui soit si peu supportée par les observations empiriques. »

Desjardins, Lessard et Blais [9] ne sont pas très loin de partager la même opinion en ce qui concerne le traitement de la question de l’éducation. Recommander une plus grande place et une plus grande concurrence de la part du secteur privé ne provoque pas les effets prédits par les auteurs du rapport. Encore ici, le parti-pris idéologique prime l’expérience empirique. Les résultats présentés ici établissent en effet que l’accroissement de la place du privé et de la concurrence ne sert pas l’école publique. Mesurant et comparant, à partir des données ministérielles, les résultats pour ce qui a trait au rang occupé par les établissements, la moyenne obtenue par les écoles aux épreuves uniformes et le taux de réussite par école, l’étude empirique révèle que sur aucune des variables les résultats ne permettent d’établir que la concurrence public/privé profite aux deux secteurs. Au contraire, les écarts entre le premier et le second se creusent au cours de la période observée (1998-2008). Le Bulletin des écoles et la propagande qui l’accompagne sont en train de consacrer la marginalisation de l’école publique : « Tout se passe comme si l’augmentation de la popularité et donc des effectifs du secteur privé a pour effet de drainer de bons élèves du réseau public vers le privé. Ces tendances nationales se retrouvent dans toutes les régions analysées »

De fait, les résultats montrent que le secteur privé en éducation performe par la « magie » du même mécanisme qui produit l’illusion de l’efficacité dans le système de santé : le « picorage ». Le privé s’accapare « des meilleurs élèves ou des élèves dont les parents assurent un bon encadrement du travail scolaire ». La concurrence tant vantée par les partisans du marché en éducation n’en a que les apparences. C’est une concurrence d’autant plus factice que le financement public l’entretient par un financement à hauteur de 60 % et les que les règles imposées aux deux secteurs ne sont pas les mêmes. Les dés sont pipés en faveur du secteur privé « puisque les écoles de ce secteur peuvent sélectionner leurs élèves et se débarrasser des élèves problématiques en cours de route. Ce que le réseau public n’est pas censé faire ». Cet écrémage de l’école publique est néfaste pour tout le monde en ce qu’il accentue et risque de consacrer un clivage social et culturel nuisible à la cohésion sociale et aux efforts à consentir pour améliorer l’égalité des chances entre les enfants de toutes les couches sociales.

Les recommandations du comité vont donc à l’encontre des buts avoués et ne font que renforcer des tendances qui minent non seulement l’école publique, mais encore et surtout la capacité globale de notre société de se doter d’un système d’éducation performant capable d’outiller les enfants pour face aux défis sociaux et économiques de notre temps. Les clivages que l’accroissement de la concurrence va accentuer sont susceptibles de consacrer une dualisation de notre système scolaire où l’école publique risque de devenir de moins en moins performante et une véritable trappe à misère pour des « cas lourds » et des enfants issus de ménages incapables de se payer les places dans le marché de l’éducation. Cela dit, ce n’est pas pour nier les problèmes graves de l’école publique qui vit une crise grave et dramatique. Les taux de décrochage, les délais inacceptables et coûteux pour la diplomation, la détérioration des conditions d’enseignement et les risques croissants de décrochage du corps professoral exigent des interventions majeures. Les remèdes que nous propose le comité ne seront pas seulement inefficaces, ils seront nuisibles. Sacrifiant les observations empiriques au profit des généralités idéologiques, le rapport ne fait ni une bonne lecture de la crise ni une bonne interprétation des moyens à prendre pour en sortir.

Enfin, les hypothèses touchant la hausse des tarifs de l’électricité restent elles aussi prisonnières d’une vision étroite des réalités du marché et d’une conception exclusivement comptable des enjeux. Gabriel Sainte-Marie [10] a raison de rappeler que, Hydro-Québec versant ses profits au gouvernement, toute hausse des tarifs constitue de fait une taxation additionnelle. Il est douteux de séparer la discussion de cette hausse de son contexte général de prélèvement fiscal. Car c’est d’abord de cela qu’il s’agit et non pas d’une question de « prix de marché ». Un marché, du reste, beaucoup moins alléchant qu’il ne le semble : quand on le situe dans son environnement concurrentiel, l’avantage d’Hydro-Québec pour l’exportation est loin d’être évident, en raison des surplus qui s’accumulent et des prix de revient des projets en cours. Exporter de l’énergie brute – un modèle économique de société dépendante - ne sera toujours qu’une solution de facilité, une façon de ne pas affronter les défis du développement économique et de renoncer à produire ici la valeur ajoutée si déterminante pour la prospérité.

Ce n’est pas tant du côté de la tarification résidentielle que s’ouvre l’espace des solutions structurantes que du côté des tarifs industriels. Et cela renvoie d’abord à des enjeux de développement et des objectifs de politique industrielle. Il faut moins privilégier l’exportation que mettre en oeuvre des vastes programmes qui permettront au Québec de s’affranchir du pétrole en misant sur ses énormes capacités de production. Un vaste plan d’électrification des transports et de stimulation de la deuxième et troisième transformation aurait, pour les revenus de l’État, des effets beaucoup plus considérables que toute hausse brutale des tarifs résidentiels en élargissant et renouvelant notre structure industrielle et en renforçant les structures économiques régionales. La question de la tarification de l’électricité ne peut être posée dans la seule perspective de l’équilibrage des dépenses, elle se pose d’abord et avant tout dans une problématique de développement, dans une logique d’investissement. La façon dont elle est abordée dans le rapport souffre des mêmes carences que celles qui influencent le diagnostic, des carences induites par une lecture étroite et défaitiste des problèmes et du potentiel du Québec.

Il faut voir les choses autrement

Sur l’essentiel du diagnostic et sur les concepts qui charpentent ses propositions, ce rapport souffre, en effet, d’impardonnables lacunes. Il est inadmissible de convier la population à souscrire à un vaste effort de redressement en faisant fi des résultats scientifiques probants qui donnent de nos services publics une lecture nuancée, mais sans complaisance. Le rapport noircit le trait pour mieux faire paraître comme pondérées des solutions qui sont mal étayées par l’expérience empirique. Pis encore, son approche globale se trompe de cible. Comme le remarque Gilles L. Bourque [11] « La crise actuelle des finances publiques ne découle pas d’une inefficacité des services fournis par l’État mais bien de l’inefficacité des marchés qui sont trop autonomisés. » Il faut redonner à l’État la capacité et les outils d’une meilleure régulation. Il faut aussi ne pas se tromper de cible pour redresser les finances : « qui doit payer la note des déficits actuels ? D’abord et avant tout, par ceux qui sont responsables de l’explosion des dépenses publiques : les spéculateurs qui ont pris des risques indus et qui ont provoqué la crise financière ; ensuite par les entreprises qui ont profité de la bulle spéculative avant la crise ou de la politique monétaire après la crise : les pétrolières et les institutions financières ; on devrait également mettre à contribution tous ceux qui ont été favorisés ces dernières décennies par les politiques fiscales de droite : les ménages riches. En dernier lieu, faire contribuer l’ensemble de la population, de façon équitable, puisque tous profitent des avantages d’un État social qui a les moyens d’agir ». En somme, il faut un renversement des perspectives, ce que d’aucuns nomment un changement de paradigme.

Le ministre qui nous promet une révolution culturelle serait mieux avisé de nous confier à une véritable réforme économique. C’est à quoi servent les crises quand on les saisit à bras le corps : elles fournissent des occasions de rompre avec des tendances délétères, de casser des clivages déjà réalisés ou sur le point de se figer dans des rapports d’inégalité. Le choix des mots n’est jamais innocent : le ministre a situé le rapport dans le domaine de l’idéologie. C’est là et ainsi qu’il veut voir évaluer les partis-pris pour la privatisation et la concurrence, pour la tarification contre l’impôt, pour les solutions fiscales les plus régressives. Le ministre avait « demandé aux membres du comité d’aller au fond des choses et de travailler sur les faits » [12], ce que le rapport ne fait pas, ignorant des acquis de connaissance de la plus haute importance. Le comité nous propose un pacte qui n’a rien d’un véritable contrat puisqu’il ne repose pas sur le réel, mais bien sur une lecture tronquée, ignorante des connaissances que nous en avons, mais satisfaite des fétiches idéologiques dans lesquels on veut la voir tenir. Ce n’est pas un partage à 50-50 de l’effort entre accroissement des revenus et réduction des dépenses qu’on nous propose, mais bien une doctrine à moitié enrobée dans de savants calculs brandis non pas pour changer les choses, mais pour appliquer encore plus intensément des recettes dont les ingrédients toxiques sont déjà connus.

L’exercice auquel s’est livré le comité est un exercice miné. On pourra bien s’échiner à faire valoir les effets bénéfiques de telle mesure (un quatrième palier d’imposition, par exemple) ou encore à réviser tel mode de calcul de la dette ou telle mesure de la productivité, mais le débat restera bancal. Le tableau sombre qu’on nous a brossé ne jette aucune lumière sur l’état réel de la situation et pas davantage sur le réalisme et la vraisemblance des effets attendus d’une approche simplificatrice à outrance. Le rapport ne mobilise pas davantage qu’il rassemble puisqu’il propose de ne rien construire. Il ne s’en dégage aucun projet qui aurait pu lancer l’effort dans une dialectique soutenue de renouvellement des façons de générer des revenus et d’optimisation des dépenses. Ses préoccupations pour le relèvement de la productivité et l’amélioration de la qualité des services ne sont au service d’aucune vision renouvelée de ce que pourrait être l’État social du XXIe siècle.

L’occasion est ratée.



[1] Gérard Bérubé Trop noir, Le Devoir, 17 décembre 2009

[2] Pierre Gouin, Un déficit de crédibilité.

[3] Voir en particulier Pour une autre lecture des finances publiques, du collectif Économie autrement et Bernard Élie, Quels défis pour le Québec ?

http ://www.economieautrement.org/spip.php ?article81

et Louis Gill Dette du Québec. Réplique à Claude Picher,

http ://www.economieautrement.org/spip.php ?article83

[4][4] On peut voir en particulier Jean-François Lisée Un excellent rapport qualité/prix www.lactualité.com

[6] Robert Laplante Un déclin évitable.

[7] Paul Lamarche Le comité consultatif et les évidences scientifiques.

[8] Pierre J. Hamel La formule gagnante pour le privé : scolariser les premiers de classe et soigner les moins malades.

[9] Pierre-David Desjardins, Claude Lessard, Jean-Guy Blais, Les effets prédits et observés du Bulletin des écoles secondaires du Québec.

[10] Gabriel Sainte-Marie, Hausse des tarifs d’électricité : une taxe régressive et une solution inadéquate.

[11] Gilles L. Bourque Budget 2010 : il est temps de changer de paradigme.

[12] Mot du ministre, Fascicule 1.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 14 mars 2010 10:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref