RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Simon LANGLOIS, “LES JEUNES CHERCHEURS AU QUÉBEC. Un diagnostic.” In ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, Questions de culture, no 11, “Devenir chercheur-e: itinéraires et perspectives”, pp. 169-174, POSTFACE. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1986, 185 pp.

[169]

Questions de culture, no 11
“Devenir chercheur-e : itinéraires et perspectives.”

POSTFACE

 “LES JEUNES CHERCHEUR(E)S
AU QUÉBEC
.
Un diagnostic.”

par
Simon LANGLOIS

Les jeunes chercheur(e)s constituent une sorte de cas type qui illustre fort bien les problèmes vécus par l'ensemble des jeunes sur le marché du travail. Le milieu de la recherche, plus que tout autre domaine d'activité, est probablement un bon révélateur et une sorte de microcosme de la situation générale qui est faite aux jeunes, parce que les difficultés qu'ils rencontrent sur le marché du travail se manifestent avec plus d'évidence et probablement avec plus d'acuité encore dans le domaine de la recherche scientifique.

Nous tenterons d'esquisser un diagnostic sur la situation des jeunes chercheurs au Québec à partir des éléments contenus dans ce numéro de Questions de culture, dossier qui rassemble des analyses et des témoignages d'auteurs qui sont en majorité juges et partis de la question à l'étude, soit comme patrons de recherche soit comme jeunes chercheurs. Ce diagnostic s'appuie sur une première lecture du manuscrit, mais fait aussi appel à d'autres travaux et observations.

Une catégorie sociale

La jeunesse s'est constituée depuis peu comme catégorie sociale, quelque part entre l'adolescence et l'âge adulte, au point d'être un nouvel âge de la vie, un nouvel âge qui empiète sur les frontières floues qui le sépare (mal) des groupes d'âges adjacents. C'est la scolarisation massive — phénomène relativement récent dans nos sociétés — qui a probablement le plus contribué à cette institutionnalisation de la jeunesse comme catégorie sociale autonome. Un grand nombre de jeunes restent, une fois leurs études terminées, à la marge du marché du travail : chômage, sous-emploi, emplois précaires ou temporaires, travail à temps partiel, absence de sécurité sont le lot de plusieurs. Ces difficultés viennent accentuer encore davantage leur [170] mise à l'écart et elles renforcent ce processus de constitution de la jeunesse comme catégorie sociale autonome.

Plus largement, les jeunes — comme les vieux, les handicapés, les minorités visibles, les femmes au foyer et bien d'autres catégories — sont l'objet d'une sorte d'étiquetage social. Ils n'échappent pas à la tendance contemporaine de découper le social en problèmes et en populations- clientèles susceptibles d'être prises en charge par une bureaucratie ou d'être visées par une intervention ad hoc. Ainsi identifiés comme catégorie sociale à problèmes, les jeunes ont été pris en charge par un grand nombre de programmes mis de l'avant par les gouvernements fédéral et provincial. Partant d'intentions généreuses, ces programmes semblent maintenant avoir un effet pervers ; parce qu'ils s'adressent spécifiquement aux jeunes en tant que catégorie sociale et parce qu'ils se situent le plus souvent en périphérie du marché du travail, ils ont contribué en fait à institutionnaliser davantage la mise à l'écart des jeunes.

On note cependant, depuis peu, un effort pour mettre de l'avant des mesures qui visent plutôt à intégrer les jeunes dans le vrai marché du travail, afin de briser cette marginalisation. Cet effort est particulièrement visible dans le domaine de la recherche, avec des initiatives telles que le Programme canadien de chercheurs boursiers, le Programme de soutien à l'emploi scientifique dans l'entreprise ou encore, les actions structurantes du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science au Québec. Ces initiatives sont nécessaires, mais il faut bien voir qu'elles ont cependant un impact limité. On connaît mieux maintenant la portée de ces programmes axés sur des clientèles. S'ils visent la masse, leur effet est marginal et limité le plus souvent au court terme ; s'ils visent au contraire à intégrer les jeunes au marché du travail, leur impact se limite à un nombre restreint de personnes.

Un moratoire social

Les jeunes chercheurs vivent plus que tout autre groupe de jeunes le phénomène du moratoire social dont a parlé Erikson. Avant d'accéder à des postes réguliers et dotés d'une certaine stabilité, les jeunes qui aspirent à une carrière en recherche ou dans l'enseignement doivent souvent effectuer un long détour et se mettre en attente pendant des années, soit en profitant des mesures gouvernementales décrites plus haut, soit en occupant des emplois précaires (chargés de cours, substituts, occasionnels). On veut bien donner à ces jeunes le statut un peu pompeux de chercheurs — quitte à les appeler chercheurs-sans-affiliation — mais sans leur donner ce qui accompagne le statut : un poste régulier, un salaire correspondant à leur formation ou à la nature du travail effectué, de bonnes conditions de travail. Ce moratoire vient compliquer quelque peu le processus d'établissement dans le domaine de la recherche, qui plus que jamais apparaît comme un processus continu plutôt que discret, comme un processus qui s'étale dans le temps. L'époque où les jeunes diplômés trouvaient assez rapidement un emploi régulier après l'obtention de leur diplôme — ou même avant, dans bon nombre de disciplines — est révolue. De nos jours, l'accès à un poste [171] régulier en recherche exige une période souvent longue d'attente, au cours de laquelle se multiplient les expériences diverses, de sorte que le cumul de celles-ci et le stage postdoctoral — même en sciences humaines — s'ajoutent maintenant, en fait, au diplôme comme critères d'embauche.

Un cadre rigide

La recherche scientifique s'effectue le plus souvent dans les organisations, les universités ou les centres de recherche. Très rares sont les chercheurs ou les intellectuels qui peuvent œuvrer sans le support d'un appareil qui leur donne des moyens pour effectuer leurs travaux et qui assure leur salaire. Les chercheurs doivent donc composer de plus en plus avec les contraintes et les rigidités qu'impose le cadre dans lequel s'effectue leur travail : rigidités des relations de travail, luttes pour le pouvoir, bureaucratisation du quotidien, conflits avec d'autres appareils, etc. Or, les jeunes paraissent, plus que les autres, désavantagés par le mode de fonctionnement des appareils dans lesquels ils sont susceptibles de trouver de l'emploi en recherche. Les règles d'ancienneté jouent en leur défaveur et ils constituent souvent une force de travail d'appoint. Non seulement les jeunes ont-ils des handicaps qui leur sont propres : manque d'expérience, manque d'assurance ou de savoir-faire, formation insuffisante, absence de relations, mais encore sont-ils confrontés à des milieux de travail dont les règles de fonctionnement jouent contre eux en tant que catégorie sociale, au sens où nous l'avons définie plus haut. Les coupures budgétaires auxquelles ont été confrontés les universités et les organismes gouvernementaux impliqués dans la recherche depuis le début des années 1980 ont lourdement hypothéqué l'emploi des jeunes, en provoquant une forte diminution dans la création de nouveaux postes et le remplacement des départs et des retraites, voies jusque-là privilégiées d'accès au marché du travail pour eux. Deux « droits » sont ici opposés : le droit du personnel en place à une certaine sécurité d'emploi et le droit des jeunes à un poste sur le marché du travail. L'expérience des cinq dernières années dans le système universitaire québécois montre que ces deux « droits » ont fait difficilement bon ménage.

Vie familiale et vie professionnelle

Les jeunes qui débutent en recherche font face à une autre difficulté : celle de concilier leurs activités professionnelles et leur vie familiale. La fin des études, la rédaction d'une thèse et le premier contrat de recherche corresponde le plus souvent à la période de formation d'un couple et, le cas échéant, d'une famille. À cause de l'allongement de leurs études et des exigences liées à la rédaction de leur thèse, les jeunes chercheurs sont amenés à vivre en parallèle la difficile entrée sur le marché du travail et la formation d'une famille. Dans les témoignages publiés dans ce numéro, le problème a surtout été soulevé par les femmes. Seraient-elles donc les seules à percevoir et à vivre un conflit entre leur vie privée et leur vie professionnelle ? Elles insistent en particulier sur la difficulté de concilier la venue des enfants et la pratique du métier de chercheure. Les femmes qui ont environ trente [172] ans sont considérées comme jeunes chercheures, mais elles se rapprochent par ailleurs très vite de l'âge limite pour la venue des enfants.

Deux choix souvent antinomiques s'imposent à elles : avoir des enfants avant qu'il ne soit trop tard, ou trouver un emploi aux termes de longues études. À cause de leur statut précaire, bon nombre d'entre elles arrivent difficilement à concilier la maternité et la carrière, ce qui les force à choisir entre les deux.

Statut incertain de la recherche

Jeunes chercheurs : nous avons jusqu'ici insisté sur le premier terme de cette expression. Or, ceux-ci ont des problèmes non seulement parce qu'ils sont jeunes, mais aussi parce qu'ils sont chercheurs, parce qu'ils œuvrent dans un domaine d'activité aux prises avec de nombreuses difficultés qui les touchent, comme leurs aînés ; les jeunes chercheurs doivent, eux aussi, composer avec le statut incertain de la recherche. L'article de Davis et Duchesne met plusieurs de ces problèmes en évidence : plafonnement des ressources et des investissements (sauf dans les nouvelles technologies), sous-développement de l'infrastructure de recherche, déséquilibre dans le financement qui pénalise le Québec, etc. La recherche est de plus en plus orientée vers des fins utilitaires et vers des applications rentables. Devant cette orientation, Maurice L'Abbé rappelle avec raison l'importance de la recherche fondamentale et de la formation de base et les dangers d'une orientation trop exclusive vers la rentabilisation de la recherche à tout prix.

Sciences pures et sciences humaines

Il transparaît, dans ce dossier, un grand clivage entre les sciences pures et les sciences humaines, pour employer une distinction courante, clivage bien présent dans le système d'enseignement. Les étudiants inscrits à la maîtrise et au doctorat en sciences pures sont davantage encadrés et impliqués dans des équipes que leurs collègues des sciences humaines, le plus souvent laissés à eux-mêmes. L'encadrement des premiers paraît parfois contraignant, mais en retour les jeunes apprennent convenablement leur métier. Il est généralement plus lâche en sciences humaines ; si cette formule présente des avantages — parce que le métier d'intellectuel chercheur s'apparente à celui de l'artisan — elle a aussi le désavantage de laisser le jeune chercheur à lui-même, sans support. Plusieurs témoignages publiés dans ce numéro illustrent avec éloquence les avantages et les inconvénients de ces deux modes d'encadrement.

Les jeunes chercheurs en sciences humaines connaissent actuellement de plus grandes difficultés que les autres. Les postes en recherche ou dans l'enseignement sont moins nombreux et les entreprises font moins souvent appel à leurs services, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. Le récent avis du Conseil de la science et de la technologie, L'emploi des diplômés en sciences sociales et humaines dans l'entreprise, publié en avril 1986, a bien diagnostiqué chez les entrepreneurs québécois la méconnaissance [173] du potentiel que représente la recherche en sciences humaines et, qui plus est, le manque de préparation adéquate des diplômés pour répondre aux exigences de la recherche dans les entreprises (faiblesses de la langue écrite et parlée, préjugés à l'égard des entreprises, spécialisation trop poussée, abstraction, etc.).

Des conséquences néfastes

L'absence ou la marginalisation des jeunes dans le monde de la recherche et de l'enseignement risque aussi d'être préjudiciable pour ces deux domaines d'activités. Quand il est question du chômage et du sous-emploi des jeunes, on est porté à insister davantage sur les inconvénients pour les personnes visées ; or, c'est toute la société — et dans le cas qui nous occupe ici, le milieu de la recherche — qui se pénalise elle-même en sous-employant toute une catégorie d'âge. Les jeunes n'ont pas connu les mêmes expériences que leurs aînés et ils n'ont pas le même rapport au temps, ce qui peut s'avérer fort important en sciences humaines : chaque génération réécrit l'histoire et réinterprète le passé en fonction d'une lecture du présent qui lui est propre.

On avance souvent l'argument que le milieu scientifique et le milieu de l'enseignement risquent de se scléroser s'ils ne sont pas renouvelés par l'arrivée des jeunes. Cet argument ne tient pas. Plusieurs recherches ont montré que cette crainte était largement exagérée et que le dynamisme et la création ne décroissaient pas de façon linéaire en fonction de l'âge. L'emploi de jeunes chercheurs ne doit pas être justifié à titre de compensation pour les faiblesses présumées des aînés : il se justifie déjà largement en lui-même. Les jeunes ont des idées, des perspectives et des projets qui contribuent à l'avancement de la science et leur dynamisme s'ajoutera à celui de leurs aînés plutôt qu'il ne le remplacera.

*
*     *

Si le diagnostic esquissé plus haut est juste, une conclusion vient immédiatement à l'esprit : il faudra dépasser l'approche en terme de clientèle ou de catégorie sociale pour trouver des solutions permanentes aux problèmes qui ont été soulevés. On ne réussira pas à vaincre le chômage des jeunes uniquement par des mesures ad hoc : il faudra aussi s'attaquer au phénomène même de chômage. Il en va de même pour les jeunes chercheurs ; seules des mesures assurant le développement de la recherche scientifique auront des effets durables sur leur statut. Les programmes qui leur sont réservés s'avèrent nécessaires et utiles, certes, mais ils paraissent nettement insuffisants.

Dans cette perspective, la première mesure à prendre est sans doute l'augmentation de la part du PNB consacrée à la recherche scientifique. Celle-ci est trop faible au Canada et au Québec, comparée au niveau qu'elle atteint dans d'autres pays développés. L'État et les entreprises n'investissent [174] pas assez en recherche, a-t-on lu dans ce numéro, ce qui aura des conséquences négatives pour le développement futur de notre société ; un vigoureux coup de barre renversant cette tendance aura des effets durables sur l'emploi des jeunes chercheurs. Pour soutenir son effort d'industrialisation relativement récent, la Corée du Sud a créé le grand centre de recherche scientifique de Tæbok qui regroupe quatre mille chercheurs et qui est doté d'un budget de 300 millions de dollars. Le Canada et le Québec seront-ils en mesure, eux aussi, de suivre l'exemple des autres pays développés ou des nouveaux pays industriels ou, au contraire, laissera-t-on de côté tant de jeunes énergies sous-employées après leur sortie de l'université ?

Cet effort de développement devrait favoriser notamment la création de nombreux laboratoires ou centres de recherche relevant des universités, des entreprises mais aussi de l'État. Ce dernier a un rôle à jouer, y compris dans le développement de la recherche fondamentale. Le Québec semble actuellement faire marche arrière ; il propose d'abolir des centres existants et hésite à en créer de nouveaux. Pourquoi l'État devrait-il a priori être absent du domaine de la recherche ? Par ailleurs, l'implantation récente de quelques centres de recherche fédéraux au Québec commence à peine à corriger le déséquilibre entre les provinces et le sous-emploi chronique des compétences des chercheurs francophones. Ce redéploiement de la présence fédérale au Québec en recherche doit être accéléré. Enfin, il paraît nécessaire d'encourager le développement de la recherche dans les entreprises, non seulement par des mesures fiscales, mais aussi par un travail d'animation et de coordination accompli par l'État. Il faudra s'assurer notamment que les mesures fiscales incitatives adoptées en faveur du développement de la recherche dans les entreprises ne soient pas uniquement des échappatoires inefficaces, comme ce fut le cas dans un passé récent au Canada.

Il paraît nécessaire de corriger les dysfonctions provoquées par certains programmes et les effets pervers qui pénalisent les jeunes chercheurs. Les centres de recherche et les départements universitaires aux prises avec des coupures budgétaires devront éviter de faire porter indirectement tout le poids des réaménagements sur les jeunes. D'autres mesures peuvent être envisagées, à condition de vouloir contourner les rigidités qui marquent le fonctionnement des appareils où s'effectue la recherche scientifique. Doit-on aller jusqu'à privilégier la discrimination positive en faveur des jeunes, comme le font actuellement certains départements universitaires et certains centres de recherche ? Tout dépendra des caractéristiques des disciplines impliquées et des lieux de recherche, mais une telle politique ne doit pas être exclue a priori, pas plus qu'elle ne doit être appliquée avec rigidité.

Le présent dossier rassemblé dans Questions de culture pose avec clarté des problèmes rencontrés par les jeunes dans le domaine de la recherche scientifique. Il transparaît, dans les témoignages publiés par certains d'entre eux, un grand enthousiasme pour ce domaine d'activité ; il appartient maintenant aux institutions existantes de faire une place à ces jeunes chercheurs.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 3 avril 2018 18:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref