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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

JUIFS ET QUÉBÉCOIS FRANÇAIS DEUX CENT ANS D’HISTOIRE COMMUNE. (1986)
Liminaire


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jacques LANGLAIS et David ROME, JUIFS ET QUÉBÉCOIS FRANÇAIS DEUX CENT ANS D’HISTOIRE COMMUNE. Montréal: Les Éditions Fides, 1986, 286 pp. Collection: Rencontre des cultures. Section Essais. Une édition numérique réalisée par Madame Paule-Renée VILLENEUVE, bénévole, épouse de Jean DUHAIME, professeur émérite, sciences des religions, Université de Montréal. [Ce livre est diffusé avec l’autorisation des ayants droits de l’œuvre de Jacques Langlais, soit la Congrégation de Sainte-Croix, par l’intermédiaire de madame Nadine Li Lung Hok, archiviste, Province canadienne de la Congrégation de Sainte-Croix, autorisation accordée le 30 avril 2014, et par l’ayant droit de l’œuvre de David Rome, soit la fille de l’auteur, Madame Tibie Rome-Flanders, qui nous a accordé son autorisation le 14 avril 2014 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[xiii]

JUIFS ET QUÉBÉCOIS FRANÇAIS
DEUX CENT ANS D’HISTOIRE COMMUNE
.

Liminaire

Ce livre s'adresse d'abord aux Québécois français [1].

Pas plus qu'ils ne peuvent ignorer les autochtones qui les ont précédés de plusieurs millénaires, les descendants des colons venus de France ne peuvent oublier les premiers immigrants venus ici par choix, les Juifs. Ils ne peuvent oublier que ces éclaireurs ont été, avec les autochtones et les Anglais, les premiers partenaires dans la construction du pays tel qu'il leur est parvenu.

Pour les Québécois français, cet oubli est d'autant plus impensable qu'il y a entre eux et la communauté juive des affinités de parenté religieuse, d'expériences politiques, de situation comme minorités, qui les lient dans un même devenir historique. Par son choix du Québec comme terre de refuge et d'immigration, elle leur a signifié la confiance qu'elle a dans les lois et les institutions du pays, dans l'ouverture également de ses habitants. Son histoire cinq fois millénaire lui a appris à discerner les peuples qui lui sont hospitaliers et ses mouvements migratoires constituent un véritable baromètre du climat social qui règne dans les diverses régions du monde.

Comparé à beaucoup de peuples, le peuple juif est peu nombreux. Il est en outre fragmenté en une multitude de communautés réparties dans les grandes villes du monde occidental et dans un nombre considérable de pays. L'État d'Israël n'a pas mis fin à sa dispersion. D'ailleurs, celui-ci compte, aujourd'hui encore, deux fois moins de Juifs [xiv] (3 062 000 h. en 1971) que les États-Unis et même l'agglomération new-yorkaise. Cette diaspora forme, en revanche, un réseau unique d'échanges économiques et culturels à travers le monde occidental, y compris en Amérique du Nord, avantage dont certains empires ont su profiter.

Ce livre s'adresse également aux autres communautés qui ont choisi le Québec comme terre d'adoption. Comme les Québécois français dans l'ensemble canadien, ces Québécois sont minoritaires au Québec. C'est dire qu'à chaque génération ils ont à faire face à un éventail de choix qui peut aller de la ghettoïsation à l'assimilation, en passant par des formes de partage dans le respect de l'identité culturelle des autres, dont certaines n'ont pas encore été explorées. Les Juifs d'ici ont été les premiers à faire leur choix. Ils ont opté dans l'ensemble pour la solution traditionnelle dans les diasporas : une insertion qui laisse intact leur héritage culturel. Ils se sont dotés de toutes les institutions d'une sous-société : congrégations, synagogues, cimetières, écoles, centres de loisirs et d'accueil aux immigrants. On peut voir dans leur refus de l'assimilation la confiance implicite que le Québec, comme société d'accueil, entend respecter les différences de ses communautés ethnoculturelles. Ils se présentent à elle en peuple jaloux de son identité, mais aussi en peuple frère qui veut construire, sur la base de l'égalité, une société d'un type nouveau.

Aujourd'hui, le Québec compte six millions d'hommes et de femmes. La majorité (8097b) se définit comme française de culture, tout en devenant de plus en plus diversifiée ethniquement. C'est ainsi qu'elle compte plus de 20 000 Juifs séfarades. Quant à la collectivité anglophone, elle assurait au Québec, jusqu'à récemment et presqu'à elle seule, la pluralité culturelle et religieuse propre à l'Amérique du Nord. Quelque 80,000 Juifs, la plupart de tradition ashkénase, en font partie.

Ensemble, ces 100,000 Juifs québécois, ashkénases et séfarades, anglophones et francophones, forment l'une des diasporas les plus importantes après celle de New York [2]. Fait plus significatif encore, leur histoire est celle des premiers immigrants du pays.

[xv]

Parents, partenaires et voisins

De fait, les Juifs font partie de l'horizon québécois depuis les origines du peuplement français. Bien qu'interdits de séjour dans la colonie, leurs capitaux avaient contribué à l'économie de la Nouvelle-France, à sa résistance aussi aux attaques de la marine anglaise. Plus profondément, ils ont occupé une place unique dans l'univers religieux des « Canadiens ». Juifs et chrétiens se reconnaissent une parenté spirituelle par Abraham, père des croyants, et surtout par les origines juives du christianisme.

De parents, les Juifs sont devenus, avec la Conquête de 1760, partenaires et voisins. Ils ont lutté aux côtés des Canadiens pour la conquête des libertés civiles et religieuses du Québec. Ils ont contribué à mettre Montréal sur la carte commerciale et industrielle du monde.

Aujourd'hui, ashkénases et séfarades forment la communauté la plus représentative, à maints égards, du caractère bilingue et à prédominance biculturelle de la société québécoise, un milieu d'une richesse culturelle étonnante, une sous-société qui s'est formée par couches successives d'éléments originaires d'Europe, d'Afrique du Nord et du Proche-Orient. Dès la Conquête, on retrouve le milieu de tradition angloséfardique qui a fourni au pays des hommes remarquables dans divers secteurs de pointe, en politique, en administration, dans l'industrie et le commerce, y compris le commerce international.

À partir de 1880 et jusque dans la seconde moitié du 20e siècle, c'est la grande migration yiddish d'Europe de l'Est, la première des migrations allophones en provenance du vieux continent. Ce peuple yiddish, dont la production scientifique et littéraire va briller bientôt d'un éclat étonnant et faire de Montréal une des capitales culturelles du monde juif, prend la tête du « défilé des peuples », de part et d'autre du boulevard Saint-Laurent.

Elle et sa voisine (parfois aussi sa partenaire), la communauté francophone, ont une communauté de destin, une histoire commune qu'elles vont vivre sans jamais se connaître vraiment, ni surtout se reconnaître. Toutes deux ont [xvi] connu le déracinement, l'une du sol de l'Ukraine, de la Pologne, de la Roumanie, l'autre du sol laurentien, le choc brutal aussi de l'industrialisation naissante et encore sauvage. Côte à côte, leurs femmes et leurs filles se ruineront à travailler aux mêmes machines, dans les mêmes « sweat shops », à vivre dans les mêmes quartiers. Toutes deux se retrouveront affrontées au même problème complexe du syndicalisme canadien ou américain. Parallèlement aussi, elles se battront pour la sauvegarde de leur langue, de leur foi, de leur littérature, de leurs coutumes.

Deux nationalismes méconnus, de part et d'autre analysés, proclamés, vécus avec passion, souvent à quelques rues de distance. Deux sociétés qui ont envahi, aux grandes heures de leur vie collective, le même édifice boulevard Saint-Laurent, le Monument National, rendez-vous des représentants parmi les plus illustres de leurs cultures respectives, orateurs, poètes, écrivains, savants, gens de théâtre.

Les décennies de la rupture

Le voisinage et la parenté n'empêchent jamais les malentendus et les préjugés d'élever des murs de méfiance et d'hostilité entre communautés qui partagent à maints égards un sort commun. Certains chapitres de cet ouvrage rappellent les décennies d'antisémitisme qui ont déchiré le Québec, de 1880 à 1940. Contagion d'une épidémie originaire d'Europe qui devait embraser tout l'Occident et culminer dans l'horreur nazie.

Ces années de cauchemar vont marquer profondément les générations qui les ont vécues. Il faudra la guerre pour sonner le réveil brutal à l'incroyable réalité du racisme. Le Québec la découvrira par les yeux d'un journaliste prestigieux, René Lévesque, au lendemain de la victoire, à Dachau.

Les libérations de l'après-guerre

Puis viendra dans les années 1950 le choc en retour de l'après-guerre. Aux libérations multiformes des collectivités et des individus à l'échelle du monde, va correspondre dans [xvii] la société québécoise française une véritable débâcle printanière. On l'a appelée la Révolution tranquille et elle aura son équivalent dans la société juive.

Suite à l'ouverture à la modernité et au pluralisme dans le milieu francophone, les Juifs anglophones adoptent une attitude nettement plus réaliste vis-à-vis les aspirations profondes des Québécois français : usage croissant du français dans le commerce, présence politique au Conseil des ministres, organismes de dialogue religio-culturel, services hospitaliers ouverts au grand public, organes d'information. Les oeuvres d'un Naïm Kattan, des films comme Lies My Father Told Me [3] sont, de ce point de vue, des occasions privilégiées de découverte mutuelle.

Un autre facteur qui touche de près les Québécois français est l'arrivée, à partir de 1958, des Juifs séfarades en provenance d'Afrique du Nord. C'est au moment où Gérard Pelletier lance dans Cité libre son cri de « Feu l'unanimité ». Cet apport considérable de francophones d'une autre culture vient confirmer de façon éclatante le diagnostic de Pelletier. Il révèle en même temps le manque tragique de structures d'accueil du milieu francophone. Mais plus important que tout, il va changer l'image que le Québécois français s'était faite du Juif, celle de l'anglophone habile en affaires, éternel absent de la vie socioculturelle française. Les Juifs nord-africains sont partout en milieu francophone, dans l'industrie, le commerce, à l'université, dans les hôpitaux, les centres de loisirs et même dans les familles québécoises françaises.

*    *    *

Le dialogue qui s'annonce entre Québécois de toutes cultures, et donc entre les Québécois français et leurs partenaires juifs, ne sera possible qu'en passant par le crible d'une autocritique rigoureuse qui réponde à la question fondamentale : l'autre m'intrigue, me fait problème ou m'indiffère ; mais au fait, de quel autre s'agit-il ? De celui que moi je me suis fabriqué à partir de mes notions d'histoire, des préjugés de mon milieu, de mes présupposés culturels ? Ou plutôt [xviii] à partir de celui qui est là à mes côtés, qui vit depuis des siècles, des millénaires, sa réalité à lui ? La question est fondamentale, car si le dialogue devait mener à une véritable rencontre, cette rencontre ne se fera pas à travers l'image ou par le truchement du miroir que je me suis donné. Je n'y trouverais qu'un reflet de moi-même. Cette rencontre se fera dans la découverte mutuelle de nos réalités respectives.

Ce livre est précisément le fruit d'un dialogue, un cheminement vers une rencontre en profondeur de deux communautés que séparent et unissent à la fois des traditions soeurs. Son but n'est pas tant de répondre aux multiples questions qui se posent à propos de leurs cultures respectives que de susciter un questionnement davantage collé à la réalité, celle des faits, ce qui implique une certaine démarche d'autocritique et surtout une écoute de l'autre.

Sortir de son horizon à la découverte de cet autre, de sa réalité à lui, et du même coup entrevoir sa réalité à soi, dans la transparence de sa propre communication avec lui, telle est l'ambition des pages qui suivent.


[1]   « Québécois français » au sens des descendants du premier peuplement français venu il y a bientôt quatre siècles dans ce coin de terre appelé aujourd'hui le Québec. L'expression « Québécois français » veut préciser l'aire géographique de leur habitat, par rapport au terme générique « Canadien français », en même temps qu'elle rappelle leur souche culturelle qui les différencie des autres communautés qui partagent le territoire du Québec et se considèrent « québécoises » à part entière, quelles que soient leurs origines.

         Par ailleurs, les termes « le Québec », « la société québécoise », « les Québécois », français ou autres, ne s'appliquent pas à ceux qui refusent comme c'est le cas des autochtones traditionnels, les frontières géoéconomiques et le régime politique imposés par la collectivité « québécoise » à la Terre mère. Voir Ka-ien-ta-ron-Kwen (Ernie Benedict), Préface, dans Vachon et Langlais, op. cit., n. l, pp. 9-13.

[2]   Voir cependant, infra, Partie V, p. 251 et note 6.

[3]   Jan Kadar, réalisateur et Ted Allen, scénariste, Lies my Father Told me (Les mensonges que mon père me racontait), Montréal, Pentacle VIII, Production 1975.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 17 juin 2014 10:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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