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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Diane Lamoureux, “Le peuple emblématique.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Jocelyn Maclure et Alain-G. Gagnon, Repères en mutation. Identité et citoyenneté dans le Québec contemporain, pp. 181-204. 2e partie: “Le Québec: entre la nation et la dissémi-nation.” Montréal: Les Éditions Québec / Amérique, 2001, 435 pp. Collection “Débats”. [Texte diffusé en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales avec l’autorisation d'Alain-G. Gagnon, accordée le 17 mars 2006.]

[181]

Diane Lamoureux

Le peuple emblématique.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Jocelyn Maclure et Alain-G. Gagnon, Repères en mutation. Identité et citoyenneté dans le Québec contemporain, pp. 181-204. 2e partie : “Le Québec : entre la nation et la dissémination.” Montréal : Les Éditions Québec / Amérique, 2001, 435 pp. Collection “Débats”.

Tous les grands événements historiques se répètent deux fois [...] la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.

À la fin de l'année 1999, peu de temps après que le gouvernement fédéral eut adopté son projet de loi sur la « clarté référendaire » (C-20), le gouvernement québécois déposait, en guise non seulement de réponse mais de riposte, le projet de loi 99 « sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec ». Le titre en indique bien la nature solennelle et traduit un état d'urgence présumé par le caractère profondément chargé, tant historiquement qu'émotivement, des termes utilisés.

La saga du projet de loi, mal-aimé des audiences publiques, ne réussissant pas à rallier l'ensemble des partis représentés à l'Assemblée nationale, soulevant l'ire et la contestation judiciaire d'Alliance Québec et du Parti égalité, décrié par des Autochtones voulant en appeler devant l'ONU de la méconnaissance de leurs droits, soumis à une deuxième mouture, adopté du fait que le parti gouvernemental détient une majorité parlementaire et [182] sanctionné à contrecœur par la lieutenante-gouverneure, vient à tout le moins désamorcer l'image d'un peuple se soulevant d'un mouvement unanime contre l'injustice.

Le propos que je compte développer ici est à la fois vaste et circonscrit. Il s'agit d'analyser le texte de la loi et de repérer ce qui fait problème. Cependant, comme il y est question de « droits fondamentaux », de « peuple québécois » et d'« État du Québec », le réfèrent est large et ne peut être exclu de l'analyse, d'autant plus que cet « imaginaire » a largement été exploité sur le plan rhétorique tant par les partisans que par les adversaires du projet.

Les avatars de ce projet de loi m'apparaissent symptomatiques de l'essoufflement du projet souverainiste québécois. On peut en effet y repérer simultanément une difficulté fondatrice, une limitation réactive et la complexité de la sortie d'un nationalisme strictement ethnique. Ils éclairent également la tension qui existe au Parti québécois depuis qu'il est devenu un parti gouvernemental [1] entre le « bon gouvernement » provincial et la réalisation de l'indépendance du Québec. Plus fondamentalement, au-delà des positions politiques des unes et des autres, ils nous obligent à nous demander si le projet souverainiste a encore un sens, ou s'il relève désormais d'une logique du « pilote automatique » de la politique institutionnelle québécoise.

[183]

En fait, l'absence de consensus parlementaire autour de ce projet de loi indique l'ampleur des dissensus actuels dans la société québécoise. Plus particulièrement, il nous force à nous interroger sur le sens d'une citoyenneté québécoise, non pas que les grands principes de la démocratie libérale aient été bafoués par le projet de loi, mais parce qu'on a eu tendance à considérer comme allant de soi ce qui faisait précisément l'objet du débat. Il en va ainsi de l'espace public, du mode d'incorporation des individus à la communauté politique et des mécanismes institutionnels d'expression politique.

I. LE PROBLÈME
DU CADRE POLITIQUE


La question de l'État du Québec ne peut être éludée à la lecture du texte de la loi : celle-ci fait l'objet des chapitres II et III de la loi ainsi que des considérants 2, 3 et 4, en plus d'être sous-entendue dans les considérants 8, 9, 10 et 11. Qu'en est-il du statut d'un tel État ? Il peut difficilement s'agir de la structure politique d'un pays au sens du droit international, puisque le Québec n'est pas un pays. Les entités qui composent la fédération canadienne portent quant à elles soit le nom de province, soit celui de territoire. Il ne peut s'agir à mon sens que d'un État putatif ou hypothétique, ce qui soulève la question de la légitimité de l'invocation d'une structure politique relevant du futur à des fins d'action politique présente.

Il y a donc lieu de s'interroger sur la pertinence d'utiliser une telle catégorie politique qui est tout sauf innocente. On peut même se demander s'il n'y a pas incohérence à invoquer simultanément une légitimité étatique et celle du droit des peuples à se constituer en État. De la même manière, cela me semble relever d'une [184] ambiguïté profonde du Parti québécois qui cherche à faire l'indépendance tout en essayant d'être un parti gouvernemental sur le plan provincial.

Quand, en 1974, le congrès du Parti québécois a décidé de disjoindre un vote pour le Parti québécois d'un vote pour l'indépendance du Québec [2], il s'exposait au risque suivant : devoir assumer le gouvernement de la province de Québec peu importe le soutien à l'option souverainiste. Certes, ce qui était envisagé, c'était de créer les « conditions gagnantes », même si l'expression ne sera largement utilisée qu'ultérieurement, à savoir d'utiliser son statut de parti gouvernemental pour élargir le soutien à la souveraineté du Québec. L'histoire, comme nous le savons bien, en a décidé différemment : le Parti québécois a obtenu quatre mandats gouvernementaux, mais il n'est parvenu à réunir une majorité sur son option souverainiste, ni en 1980, ni en 1995, lors des deux référendums provinciaux sur la question.

Il me semble qu'en invoquant l'État du Québec dans la loi 99, le Parti québécois répète la politique qui a été la sienne durant la période 1976-1980 et qui rend difficilement envisageable une victoire de l'option souverainiste. En effet, à cette époque, postulant à juste titre que le mécontentement concernant le statut politique du Québec se cristallisait autour de la question linguistique, le [185] Parti québécois, lors de son premier mandat gouvernemental, entreprenait de doter le Québec de la Charte de la langue française. Celle-ci faisait du français la langue officielle sur le territoire québécois, ce qui avait des conséquences dans trois domaines principalement : la scolarisation des enfants, la langue de travail et l'affichage public. Cette Charte satisfaisait aux revendications linguistiques d'une bonne partie de la population francophone et le fait qu'elle ait pu être proclamée alors que le Québec faisait partie du Canada semblait rendre superflue une rupture politique, ce qui constitue une explication plausible des résultats référendaires de 1980. La suite de l'histoire est bien connue : à la suite des contestations judiciaires, la Charte de la langue française a été largement altérée en ce qui concerne la langue d'enseignement et l'affichage public, mais le référendum avait déjà eu lieu...

De la même façon, il me semble qu'invoquer l'État du Québec alors qu'il s'agit d'une réalité non encore advenue, c'est faire l'impasse sur deux moments politiques fondamentaux : la rupture [3] et la fondation [4]. Et cette impasse relève de l'incapacité du Parti québécois à provoquer l'une [186] et à penser l'autre, puisqu'il veut rassurer en soulignant à tout propos que rien ne changera fondamentalement advenant la souveraineté politique du Québec, sauf le fait que tous les pouvoirs gouvernementaux seront rapatriés à Québec.

La rupture n'a pas (encore) eu lieu. À cet égard, le programme du Parti québécois a d'ailleurs toujours reposé sur une profonde ambiguïté, puisqu'il y a toujours été question de souveraineté ET d'association, à savoir d'une rupture amoindrie par le maintien de relations. Il y a certes une logique pragmatique à une telle position, mais elle pose un certain nombre de problèmes sur le plan symbolique ; de plus, elle est liée à l'histoire du Québec dans la confédération canadienne [5] : que ce soit sur le plan de l'exploration et de la découverte du territoire ou sur celui de la construction de l'autonomie politique canadienne, les habitants de la province de Québec qui se sont successivement désignés politiquement comme Canadiens, Canadiens français et Québécois, se sentent partie de l'histoire canadienne. De fait, sauf en 1837 et 1838, il n'y a jamais eu de volonté affirmée de rupture [6]. Il serait même possible de voir dans les résultats des référendums de 1980 et 1995 un rejet de la rupture, quoique les résultats très serrés du dernier référendum indiquent à tout le moins [187] une ambivalence à cet égard [7]. Cependant, ni au moment du rapatriement de la Constitution canadienne sans l'accord de l'Assemblée nationale du Québec, ni à l'occasion de la non-ratification de l'Accord du lac Meech, il n'a été question de désobéissance civile massive. La persistance du Bloc québécois à Ottawa [8] irait même en sens contraire en instillant l'idée d'une nécessaire présence des souverainistes québécois dans les institutions politiques fédérales.

La principale dimension de rupture qu'on peut percevoir dans le nationalisme québécois contemporain est celle du passage d'une définition culturelle à une définition territoriale du projet nationaliste québécois, ce qui permet d'ailleurs de le formuler comme projet politique simultanément de rupture et d'affirmation et de l'inscrire dans la logique de la souveraineté étatique qui a façonné le monde moderne à partir du XVIe siècle. Toutefois, il s'agit plus d'une rupture au sein de la pensée nationaliste que d'une pensée de la rupture politique ou historique comme telle, d'autant plus que les nationalistes l'ont perçue comme le passage de la culture au politique sans cependant en dégager toutes les implications [9]. En outre, la dimension de rupture a été fondamentalement assumée par les courants nationalistes radicaux des années 1960, s'inspirant [188] des mouvements de décolonisation [10], courants qui ont largement été marginalisés dans les années qui ont suivi la crise d'octobre 1970, évoluant soit vers un marxisme de plus en plus fédéraliste canadien ou ralliant le Parti québécois [11]. Le discours du Parti québécois a fondamentalement été celui de l'affirmation nationale québécoise, celui qui insiste sur la « capacité » et la modernité du peuple québécois lui permettant de parvenir au stade « normal » de l'État-nation, en faisant l'économie de la rupture politique. Si ce discours peut faire l'économie de la rupture, c'est que celle-ci a déjà eu lieu avec la révolution tranquille qui aurait permis de devenir « maîtres chez nous », une façon comme une autre de se démarquer de « notre maître le passé » cher à un Lionel Groulx [12].

[189]

En fait, dans le nationalisme québécois, la rupture est présentée comme un fait du passé et non pas comme une tâche à accomplir. Notre révolution serait la révolution tranquille, ce qui présente trois avantages pour les nationalistes québécois : d'abord, elle leur permet de se situer dans la continuité de l'histoire récente du Québec et de pouvoir rassurer par un passage en douceur d'une étape à l'autre de l'émancipation politique (nos révolutions sont tranquilles et se déroulent sans effusion de sang) ; ensuite, elle situe le nationalisme dans une perspective moderniste et comme force de modernisation, alors que ses principaux opposants politiques, la génération de la première série de Cité libre, insistaient sur les traits archaïsants du nationalisme québécois ; enfin, la souveraineté peut être présentée comme l'aboutissement logique d'un processus dans lequel nous sommes déjà engagés, un mouvement irrésistible de l'histoire, dans ses ruses et ses raisons, auquel il serait vain de s'opposer, d'où la fameuse « normalité » qui revient périodiquement dans les discours d'un Parizeau ou d'un Landry.

Quant à la fondation, c'est le moment sans cesse invoqué et toujours différé, d'autant plus que ses rares tentatives reposent toujours sur le passé et non sur le présent ou sur l'avenir. À cet égard, on peut comparer la Déclaration d'indépendance des États-Unis ou la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, fixant des objectifs pour l'avenir, au préambule à la future constitution du Québec dévoilé en grande pompe lors de la campagne référendaire de 1995 ou au projet de loi 99. Dans le cas du préambule, il s'agissait de la célébration des racines [13]. [190] Dans le second cas, il s'agit de « faire comme si » tout en évitant soigneusement de « faire ». Ainsi l'État du Québec est décrit comme une évidence, comme en témoigne le premier considérant : « CONSIDÉRANT que le peuple québécois, majoritairement de langue française, possède des caractéristiques propres et témoigne d'une continuité historique enracinée dans son territoire sur lequel il exerce ses droits par l'entremise d'un État national moderne doté d'un gouvernement, d'une assemblée nationale et de tribunaux indépendants et impartiaux ». Si l'on peut aisément convenir du caractère distinctif du Québec, la continuité historique est plus problématique [14]. On peut également être sceptique quant à l'État national moderne comme idéal politique actuel.

Il est également possible d'estimer que les institutions font largement consensus, sauf qu'on doit tenir compte du fait que les populations autochtones ne participent pas [191] à ce consensus [15]. La Charte québécoise des droits de la personne n'a pas le même statut juridique et constitutionnel que la Charte canadienne des droits et libertés, mais son contenu est comparable. Les institutions parlementaires québécoises et les procédures électorales ne sont pas fortement contestées, quoiqu'on commence à voir poindre un débat sur le mode de scrutin. Le français comme langue publique commune est largement passé dans les mœurs et les vociférations d'Alliance Québec ressemblent plus à un baroud d'honneur qu'à un mouvement profond de rejet du fait français au Québec. Certes, le sentiment que l'État québécois constitue un État national est plus répandu chez les francophones, mais on ne peut pas dire que sa légitimité en tant que structure politique soit mise en cause par les autres composantes ethniques de la population québécoise, qui sont toutefois loin d'en faire un État national. Il est même possible d'interpréter l'existence de groupes comme Alliance Québec et le Parti égalité comme un mode de constitution politique des anglophones du Québec dans l'espace institutionnel québécois.

Cependant, il n'en va pas de même du territoire. S'il est probable que les partitionnistes représentent une minorité, on ne peut taire l'émergence de cette option dans le débat sur l'avenir constitutionnel du Québec depuis le référendum de 1995. J'aurais même tendance à soutenir qu'à force de continuer à décrire la nation québécoise en termes de strates ethniques, les souverainistes québécois cèdent en partie à la logique partitionniste. Ce [192] n'est certes pas là leur intention puisqu'ils entendent par là souligner qu'ils développent une conception civique et non ethnique de la nation, mais cela aboutit à légitimer la prétention à la partition du territoire québécois au nom du droit des peuples à l'autodétermination. Je reviendrai sur cette question dans la prochaine section.

Ce territoire a été au cœur des politiques souverainistes des dernières années. Il a été pensé en termes fondamentalement modernistes puisqu'il s'agissait à la fois de l'occuper, de le mettre en valeur et de le découper [16]. C'est d'ailleurs autour de l'aménagement du territoire et de ses modes d'occupation que tournent une grande partie des contentieux avec les nations autochtones qui n'apprécient en général ni un découpage administratif qui ne tient pas compte de leur présence ou de leur activité, ni un mode de développement qui les contraint à choisir entre l'assimilation et la folklorisation.

Enfin, la question du cadre politique renvoie à celle de la double légitimité dans la structure institutionnelle canadienne. S'il n'est pas question de nier la légitimité de l'Assemblée nationale du Québec, on ne peut passer sous silence le fait qu'il existe une structure institutionnelle tout aussi légitime qui est le Parlement d'Ottawa. Certes, l'Assemblée nationale, à l'unanimité cette fois-là, a refusé de ratifier le rapatriement de la Constitution canadienne et n'a pas adhéré au Pacte constitutionnel de 1982. Cependant, elle n'a rien fait pour se séparer institutionnellement du reste du Canada, les représentants du Québec ont continué de participer aux diverses conférences fédérales-provinciales et le Québec a été partie prenante des deux tentatives de réforme constitutionnelle depuis 1982, à [193] savoir l'Accord du lac Meech et celui de Charlottetown. Qui plus est, les députés du Québec siégeant au Parlement d'Ottawa ont, pour leur part, ratifié le Pacte constitutionnel de 1982. Il serait donc faux de prétendre que le Québec a fait sécession de facto des institutions canadiennes et que celles-ci n'ont aucune légitimité.

Dans cette perspective, deux énoncés de la loi 99 sont à tout le moins problématiques. Le premier, un des considérants, stipule que l'« Assemblée nationale [...] tient sa légitimité de ce peuple dont elle constitue le seul organe législatif qui lui soit propre ». Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet énoncé est ambigu : si l'on admet l'existence d'un peuple québécois, on peut effectivement dire qu'il mandate des représentantes et des représentants à l'Assemblée nationale et que celle-ci est une institution légitime au regard des principes usuellement admis du gouvernement représentatif. On peut même aller plus loin et dire que le peuple québécois n'est représenté comme tel que par l'Assemblée nationale puisque la base de la représentation fédérale est la population canadienne habitant sur le territoire de la province de Québec et que le peuple québécois n'est pas reconnu en tant que tel dans les institutions fédérales ; toutefois cette assertion est affaiblie du fait qu'elle repose sur l'existence du peuple québécois, existence qui fait l'objet d'un litige politique, tant au Québec qu'au Canada. Là où le bât blesse encore plus, toutefois, c'est lorsque l'Assemblée nationale prétend au monopole de la représentation ; il est de la nature même d'institutions fédérales de ne pas déposer la totalité de la souveraineté dans un seul palier de gouvernement ; cependant, il est dans la logique de la souveraineté de définir l'État comme le seul dépositaire de la souveraineté sur un territoire donné. Là encore, le Parti québécois développe [194] la logique du « comme si » au lieu de passer à l'acte ; fantasmant la souveraineté, il espère trouver des gens pour le croire, sans prendre les moyens de la réaliser effectivement, ce qui nous ramène au problème de la fondation et de la rupture dont il était question plus haut. Évidemment, l'objectif implicite qui est visé est dévoilé dans le chapitre V de la loi qui précise qu'« [a]ucun autre parlement ou gouvernement ne peut réduire les pouvoirs, l'autorité, la souveraineté et la légitimité de l'Assemblée nationale, ni contraindre la volonté du peuple québécois à disposer lui-même de son avenir », ce qui constitue la motivation fondamentale de ce projet de loi puisqu'il interprète, non sans raisons d'ailleurs, la loi C-20 comme une immixtion du gouvernement fédéral dans les affaires internes du Québec. L'enchevêtrement des souverainetés que suppose le fédéralisme oblige à une position plus nuancée : la situation du Québec n'est ni une situation coloniale, ni une situation de souveraineté absolue. C'est d'ailleurs ce que reconnaît implicitement l'article 6 du chapitre II qui rappelle que l’ « État du Québec est souverain dans les domaines de compétence qui sont les siens dans le cadre des lois et des conventions de nature constitutionnelle », ce qui vient nettement affaiblir les prétentions au monopole de la souveraineté mais qui correspond, hélas pour les souverainistes, à la réalité institutionnelle.

II. LE PEUPLE PROBLÉMATIQUE

Ce qui me semble encore plus ambigu que la défense des prérogatives de l'État du Québec toutefois [17], c'est la  [195] référence au peuple québécois dont l'Assemblée nationale serait habilitée à traduire l'indignation sous la forme d'une loi et au nom duquel un parti politique serait à même d'exiger le ralliement de tous les autres partis dans la défense des intérêts supérieurs de la nation.

Première remarque : la notion même de « peuple » est polysémique. À cet égard, un petit détour par les dictionnaires de philosophie politique peut s'avérer instructif. On y constate que la notion n'a pas une signification universelle et qu'on ne lui accorde pas la même importance suivant les univers linguistiques et culturels. Ainsi, les dictionnaires de sociologie, de science politique et de philosophie politique britanniques, comme le Oxford et le Blackwell, n'ont aucune entrée au mot peuple et de très courtes entrées pour populisme, qui est associé à la politique de masse qui se développe à partir de la fin du XIXe siècle.

Le dictionnaire italien lui concède une place congrue, le liant aussi au populisme, décrié puisque largement associé à l'entreprise fasciste, et au nationalisme. Ainsi, la notion de peuple, « constitutionnalisé » dans l'expérience romaine du Senatus Populusque Romanus, aurait été également présente dans les cités-États du Moyen Âge comme une des composantes des communes et n'aurait pris son sens actuel qu'à la faveur du mouvement romantique de la première moitié du XIXe siècle. En effet, « Ce fut seulement avec la redécouverte romantique du peuple, déjà inscrite [196] dans une vision politique qui faisait coïncider l'État et la nation et par conséquent revalorisait toutes les composantes de la nation, que le peuple a pu se transformer en sujet possible de la vie politique [18]. » L'article « populisme » parle quant à lui d'un mythe dans lequel le peuple est considéré « comme un amalgame social homogène et comme dépositaire de valeurs sociales positives, spécifiques et permanentes [19] ».

On ne s'étonnera pas que le dictionnaire le plus disert sur le sujet soit un dictionnaire allemand qui lui consacre un demi-tome et fait remonter la notion des forêts germaniques de l'ère romaine à nos jours, en mettant l'accent sur la période qui va de la défaite de Iéna à 1945. Dans ce texte, la notion de peuple est liée, pour l'époque moderne, à celles de nation, de nationalisme et de masse et lorsqu'il est question de partition, c'est le seul terme qui, outre la césure entre le peuple et les autres composantes de la population, fait mention d'une partition entre inclusion et exclusion [20].

Le Dictionnaire de philosophie politique quant à lui aborde le peuple historiquement dans trois dimensions : la première est celle d'une fraction de la communauté politique, notion souvent employée dans un sens péjoratif, pour décrire le vulgus ; la deuxième, qui donnera naissance à la notion de souveraineté du peuple, « désigne le statut unifié, c'est-à-dire proprement politique, d'une communauté, laquelle se distingue ainsi essentiellement de [197] l'addition d'individus ou des groupements partiels qui la composent [21] » ; la troisième est celle de l'unité politique elle-même où peuple se confond avec État ou avec nation.

Deuxième remarque : il s'agit d'une notion fortement chargée politiquement et idéologiquement. Le peuple a rarement une fonction purement descriptive et le concept est immédiatement enrôlé à des fins stratégiques, y compris dans l'univers de la théorie politique. Ainsi, chez Hobbes, le peuple doit être distingué de la multitude puisque, contrairement à cette dernière, il possède une volonté et peut entreprendre une action [22]. De même, chez Rousseau, le peuple ne prend naissance qu'avec le contrat puisqu'il constitue « le nom collectif que se donnent les associés [23] ».

À cet égard, il n'est pas inutile de rappeler ce commentaire de Pierre Rosanvallon sur la notion de souveraineté du peuple et sur son utilisation dans la politique contemporaine, où elle est inscrite dans le problème de la représentation, sous son double aspect de mandat et de figuration, qui montre bien la tension entre la dimension sociologique et la dimension politique de la notion de souveraineté du peuple. « Le principe politique consacre la puissance d'un sujet collectif dont le principe sociologique tend à dissoudre la consistance et à réduire la visibilité. La notion de souveraineté du peuple s'accommode fort bien de cette tension dans un premier temps, lorsqu'elle se limite à définir un principe d'opposition et de différenciation face au passé (dans la dénégation de l'absolutisme) ou par rapport [198] à l'extérieur [24]. »

En fait, dans le projet de loi 99, la notion de peuple est constamment utilisée dans deux sens. Le premier relève de la problématique de l'unité et de la multitude ; il s'agit de conférer une cohérence à la population qui, dans la mesure où elle est structurée institutionnellement par l'État du Québec, devient un peuple, le peuple québécois. Le deuxième sens, lié au premier, fait du peuple et de sa volonté la source de légitimité des institutions représentatives, plus particulièrement de l'Assemblée nationale qui se voit attribuer la fonction de parler en son nom. Or ces deux sens posent problème.

Penser le peuple comme forme unifiante de la multitude qu'est une population est devenu banal dans la pensée politique moderne. Toutefois, dans cette perspective, on doit passer par l'individualisme abstrait, ce qui suppose, d'une part, que l'individu soit appréhendé uniquement sous l'angle d'un sujet autonome, avec ce que cela entraîne de désorganisation du social ou de perte de consistance ou de substance de chaque personne qui devient effectivement un « homme sans qualités » et, d'autre part, que le lien social lui-même devienne abstrait, ce que réalise la fiction du contrat social. L'individualisme abstrait permet à la multitude de devenir nombre et de pouvoir s'agréger dans le processus du suffrage universel. « Dans une démocratie, le peuple n'a plus de forme : il perd toute densité corporelle et devient positivement nombre, c'est-à-dire force composée d'égaux, d'individualités équivalentes sous le règne de la loi. C'est ce qu'exprime de façon radicale le suffrage universel : [199] il marque l'avènement d'un ordre sériel [25]. »

Or le texte de la loi procède d'une tout autre façon et entreprend une nomenclature ethnique du peuple québécois. Celui-ci n'est plus l'unité mathématique d'individus pris dans leur abstraction mais le résultat d'un processus organique de sédimentation de diverses ethnies : la population d'origine française de la vallée du Saint-Laurent, restée sur place après que la France eut cédé sa colonie de Nouvelle-France à la couronne britannique lors du traité de Paris (1763), à laquelle se sont historiquement greffées des populations autochtones décrites dans leur particularité [26], une population « d'expression anglaise » et les « Québécoises et Québécois de toute origine ». L'intention est certes louable, dans la mesure où elle vient insister sur le caractère inclusif du peuple québécois puisqu'il recouvre l'ensemble de la population présente sur le territoire, mais échoue à constituer l'unité dans la mesure où elle insiste sur la différenciation interne [27]. De plus, tant qu'à décrire les « qualités », pourquoi se limiter à l'ethnique ? Après tout, la population québécoise, si l'on s'engage dans une [200] description du peuple, comprend aussi des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des riches et des pauvres, des ruraux et des urbains, des homosexuels et des hétérosexuels, etc. Pourquoi donner une telle forme au peuple, si ce n'est pour souligner ce qui coince, c'est-à-dire que certains se sentent davantage partie intégrante que d'autres du peuple ?

On retrouve le même défaut politique que nous avons noté par rapport à la rupture et à la fondation dans cette idée que le peuple québécois existerait alors qu'il s'agit encore de le faire advenir. Or le faire advenir soulève une double difficulté, qui nous transporte conceptuellement sur le terrain de la citoyenneté plutôt que sur celui de la souveraineté : comment susciter un sentiment d'appartenance commune dans une population sociologiquement diversifiée, tout en évitant de confondre appartenance et identité ? comment faire en sorte que ce peuple soit l'auteur de ses actions quand ce sont les institutions qui parlent pour lui et qu'il est cantonné dans une présence uniquement référentielle qui aboutit à une absence de fait du débat politique ? Le texte de la loi cherche à constituer le peuple dans sa représentation identitaire plutôt que dans un agir commun. Or une telle représentation identitaire ne peut être que fragmentée dans des sociétés complexes comme les nôtres. Ce faisant, elle se heurte à une difficulté fondamentale de la politique moderne : « La difficulté provient de ce que le peuple lui-même n'a pas clairement de forme. Le nécessaire travail de figuration de la démocratie ne saurait pour cette raison se confondre avec une simple entreprise de mise à jour de ce qui a été oublié ou nié. Le peuple ne préexiste pas au fait de l'invoquer [201] ou de le rechercher : il est à construire [28]. »

Quant au principe de la souveraineté du peuple, le texte de la loi joue sur la confusion entre deux sens possibles de la notion. D'abord, il sert à fonder la légitimité de l'Assemblée nationale. « L'État du Québec tient sa légitimité de la volonté du peuple qui habite son territoire. Cette volonté s'exprime par l'élection au suffrage universel de députés à l'Assemblée nationale. » (Chap. II, art. 5) À ce titre, le peuple s'incarne dans sa représentation et s'efface en pratique derrière elle, ce qui nous ramène au problème de la présence/absence que je viens de soulever. Mais en même temps, le peuple est doté d'une volonté et de droits, qui ne sont plus ceux garantis par la Charte mais celui de « disposer de lui-même » et « le droit inaliénable de choisir librement le régime politique et le statut juridique du Québec » (Chap. I, art. 1 et 2). Invoquer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est un principe pour le moins délicat et le droit international, sans parler de la philosophie politique [29], nous montrent la difficulté de manipuler concrètement de tels principes.

De plus, on ne saurait trop souligner à quel point la dimension ethniquement descriptive du peuple québécois ouvre la porte à ce que les souverainistes veulent éviter, une séparation du territoire. En effet, si l'on reconnaît que les populations autochtones sont des nations, quel principe pourrait-on invoquer pour leur refuser la libre disposition d'elles-mêmes, ce qui pourrait impliquer la partition du territoire québécois [30] ? Par ailleurs, si le territoire québécois ne peut être modifié sans l'accord de l'Assemblée [202] nationale du Québec, pourquoi le territoire canadien pourrait-il être modifié sans l'accord du Parlement fédéral ?

CONCLUSION

Que peut-on retenir de cet exercice de style ? Principalement, que le texte du projet de loi peut aisément se retourner contre les intentions de ses auteurs, sans parler du fait que la division dans laquelle il a été adopté contredit partiellement ses intentions. Pour ce qui est du texte lui-même, on peut esquisser deux remarques générales.

La première concerne son ton. Il s'agit essentiellement d'une injonction qui fait l'économie de la réflexion sur la citoyenneté québécoise. Invoquer le peuple et sa volonté peut difficilement se limiter à le réduire à ses institutions. Dans ce texte, le peuple n'est qu'évoqué ou engoncé dans des formes institutionnelles. Or le peuple des sociétés contemporaines est a priori sans forme, flou et n'acquiert de consistance que par sa mise en action ou plutôt en interaction. Le peuple que l'on siffle comme un chien docile manquera toujours à l'appel mais risquera de faire irruption quand et là où on ne l'attendra pas.

La deuxième concerne le statut de ces « évidences » que sont le « peuple » et l'« État du Québec ». Certes, la fonction rhétorique du recours aux évidences est de ne pas avoir à en démontrer le bien-fondé. Dans le contexte québécois, cela relève plutôt d'une politique de l'autruche ou d'un impensé volontaire qui n'a d'égal que le désarroi et la paralysie actuels du nationalisme québécois.

Enfin, on ne peut qu'être sceptique quant aux effets d'une telle loi. Loin de traduire une indignation largement partagée et de permettre de nouvelles avancées pour le [203] mouvement nationaliste québécois, elle risque de n'être qu'un pétard mouillé ou, dans le pire des cas, de le mettre dans la posture de l'arroseur arrosé. Il est évident que l'incapacité de s'entendre avec le Parti libéral sur une réponse unanime de l'Assemblée nationale affaiblit la portée de la loi. Par ailleurs, elle invoque des principes qui peuvent servir d'armes aux adversaires du projet souverainiste.

[204]



[1] Je considère ici la période qui commence en 1976, non pas que le Parti québécois n'ait pas eu, dès sa fondation, une vocation gouvernementale, mais parce que durant ses premières années d'existence, il n'a pas dissocié son accession au gouvernement et la réalisation de la souveraineté du Québec. Aux élections provinciales de 1976, une telle dissociation avait eu lieu et ce parti a obtenu le nombre de sièges nécessaires à la formation d'un gouvernement majoritaire. Depuis, le Parti québécois a obtenu quatre mandats gouvernementaux (1976, 1981, 1994,1998) et à chacun de ces mandats, la tension s'est fait sentir.

[2] Lors des élections de 1970 et 1973, les deux questions étaient conjointes puisque le programme du Parti mentionnait que le mandat d'un gouvernement du Parti québécois serait de réaliser la souveraineté du Québec. Au congrès de 1974, il adopte une nouvelle position, qualifiée à l'époque d'« étapiste », qui a pour effet de dissocier les élections parlementaires de l'accession à l'indépendance puisque l'engagement que prend le Parti est désormais de consulter la population québécoise, au moyen d'un référendum, sur la question du statut politique du Québec. C'est encore cette position qui figure au programme du Parti.

[3] Pour penser la question de la rupture, il me semble que la révolution américaine, dans sa double dimension de rupture et de fondation réussies, s'avère plus éclairante pour penser ces deux notions que la Révolution française qui, parce qu'elle ne réussit ni l'une ni l'autre dans la période 1789-1799, ouvrit un champ de réflexion important sur le sujet, mais à travers le prisme du passage de l'aristocratie à la démocratie, pour employer les termes de Tocqueville, prisme tout à fait inadapté au Québec contemporain. On peut donc se reporter à Bernard Baylin, The Ideological Origins of the American Revolution (Cambridge, Belknap Press, 1967) de même qu'à Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic (Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1969).

[4] Sur la question de la fondation, on peut se reporter aux développements très intéressants de Hannah Arendt dans On Revolution (New York, Harcourt, Brace, 1963) de même qu'aux Federalist Papers. Là encore, le cas américain me semble plus fructueux comme point de référence.

[5] Voir à ce sujet Jocelyn Létourneau, Les Années sans guide (Montréal, Boréal, 1997) ou encore son dernier ouvrage, Passer à l'avenir (Montréal, Boréal, 2000).

[6] À cet égard, le mouvement patriote reprend des tactiques de rupture avec la couronne britannique qui avaient déjà été utilisées avec succès dans le processus conduisant à l'indépendance des États-Unis, comme le boycott des produits « importés » et leur remplacement par des produits « locaux », de même qu'une certaine tentative d'échapper à la taxation et à l'imposition qui sont des pratiques typiques de la désobéissance civile de masse. De la même façon, on peut interpréter le recours à la résistance armée comme une volonté de provoquer la rupture.

[7] D'où, pourrait-on dire, les réponses du gouvernement fédéral et la transformation de la question nationale québécoise en affaire canadienne par l'allocution télévisée du premier ministre Chrétien quelques jours avant le référendum de 1995, la manifestation d'« amour » des Canadiens à Montréal et le projet de loi C-20.

[8] Si, dans l'optique d'une victoire référendaire rapprochée, la présence de députés fédéraux favorables à la souveraineté du Québec pouvait avoir un sens, dans celle où la négociation de la souveraineté politique du Québec n'appartient pas à l'avenir politique prévisible, le seul effet concret d'un parti souverainiste à Ottawa est de condamner le Canada à un régime de parti unique de facto, comme le montrent les résultats des deux dernières élections fédérales.

[9] Voir à ce sujet Louis Balthazar, Bilan du nationalisme québécois, Montréal, L'Hexagone, 1986.

[10] Cette idée est perceptible dans des revues comme Parti pris et Révolution québécoise. On en trouvera aussi un écho dans Socialisme québécois, mais là c'est sur la dimension socio-économique plus que sur la dimension spécifiquement politique de la rupture que l'on insistera.

[11] Voir les trajectoires opposées mais emblématiques de Charles Gagnon et de Pierre Vallières à cet égard. Tout comme une bonne partie de la génération radicale du nationalisme de la fin des années 1960, celle qui se reconnaissait dans le Front de libération populaire et qui s'est impliquée dans les luttes de McGill français et surtout dans le mouvement de protestation contre le bill 63, puis dans le mouvement pour la libération de Vallières, de Gagnon et des autres membres emprisonnés du Front de libération du Québec, de même que dans les manifestations nationalistes de l'année 1969, Charles Gagnon se retrouvera durant les années 1970 dans les groupuscules d'extrême-gauche qui évolueront d'une position sympathique à l'indépendance du Québec à une position en faveur du fédéralisme canadien et qui ne soutiendront pas l'option souverainiste lors du référendum de 1980. Pierre Vallières soutient, pour sa part, que seul le Parti québécois a la vocation de fédérer l'ensemble des forces indépendantistes québécoises et adhère donc à ce parti même s'il en critique les insuffisances sur le plan de la justice socio-économique.

[12] L'idée que le passé est notre maître est évidemment identifiable au traditionalisme et au conservatisme politique alors que la notion de « maîtres chez nous » se situe beaucoup plus dans l'idéal moderniste, que ce soit celui du sujet cartésien « maître et possesseur de la nature » (et, conséquemment, de la femme naturalisée) ou encore celui de l'individualisme possessif associé à un auteur comme Locke.

[13] Processus assez paradoxal d'ailleurs puisque l'enseignement de l'histoire a décliné en importance au Québec au cours des trente dernières années et que celui-ci n'est même pas invoqué dans les documents gouvernementaux comme un moyen de susciter le sentiment civique québécois. À ce titre, le document de consultation du Forum national sur la citoyenneté et l'intégration, qui s'est tenu à Québec les 21 et 22 septembre 2000, proposait une politique muséale et le développement de « lieux de mémoire » comme moyens de « promouvoir la solidarité dans l'espace civique québécois et [de] partager le  Processus assez paradoxal d'ailleurs puisque l'enseignement de l'histoire a décliné en importance au Québec au cours des trente dernières années et que celui-ci n'est même pas invoqué dans les documents gouvernementaux comme un moyen de susciter le sentiment civique québécois. À ce titre, le document de consultation du Forum national sur la citoyenneté et l'intégration, qui s'est tenu à Québec les 21 et 22 septembre 2000, proposait une politique muséale et le développement de « lieux de mémoire » comme moyens de « promouvoir la solidarité dans l'espace civique québécois et [de] partager le patrimoine civique commun », mais restait muet sur l'enseignement de l'histoire, ce qui témoigne du rôle ambigu du recours à l'histoire dans le nationalisme québécois contemporain.

[14] Certes, la composante majoritaire de la population de la province de Québec a toujours été celle issue de l'entreprise coloniale française en Nouvelle-France. Cependant son attachement au territoire précis du Québec est discutable lorsqu'on songe au fait qu'une bonne partie de cette population a, à la fin du XIXe siècle, émigré vers la Nouvelle-Angleterre pour travailler dans l'industrie ou a participé au mouvement de « colonisation » des terres agricoles de l'Ouest canadien à la suite de la Confédération canadienne et de la construction du chemin de fer transcontinental. Cette migration vers l'ouest de la population francophone du Québec s'est fait sentir au moins jusqu'à la crise économique des années 1930 et, maintenant encore, le solde migratoire interprovincial du Québec est négatif même si les francophones sont moins présents dans ces récents mouvements migratoires. D'où l'utilité du non-enseignement de l'histoire...

[15] Précisons que le problème n'est pas spécifiquement québécois, puisque la même chose pourrait se dire des structures institutionnelles canadiennes et, plus largement, de l'ensemble des structures politiques des Amériques, la question de la reconnaissance politique et institutionnelle des peuples autochtones posant problème dans l'ensemble des Amériques.

[16] Voir à ce sujet le chapitre 4 de mon ouvrage L’Amère Patrie (Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2001).

[17] Il est d'ailleurs consternant de voir comment le droit du peuple québécois à disposer de lui-même tend à se confondre dans ce texte avec la défense des prérogatives de l'État du Québec, ce qui indique le caractère fondamentalement souverainiste (associé à la défense de la souveraineté de l'État) beaucoup plus que démocratique du projet de loi, la citoyenneté dans celui-ci y étant réduite à la portion congrue de la Charte des droits et du droit de vote. En fait, le peuple y apparaît comme principe de légitimation du gouvernement, mais c'est le gouvernement qui agit et non le peuple qui doit d'ailleurs s'effacer et se taire pour que le gouvernement puisse agir. Il y a à la fois appel au peuple et dessaisissement de ce même peuple.

[18] Paolo Colliva, « Popolo », dans Norberto Bobbio, Nicola Matteucci, Gianfranco Pasquino (dir.), Dizionnario di politica, Turin, UTET, 1983, p. 859.

[19] Ludovico Incisa, « Populismo », ibid., p. 859.

[20] Reinhart Kosselleck, « Volk », Geschichtiche Grundbegriffe. Historischen Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, Band 7, Stuttgart, Klett-Cotta, 1992, p. 141-431.

[21] Jean-François Kervegan, « Peuple », dans Philippe Raynaud et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 461.

[22] Voir à ce sujet Thomas Hobbes, Léviathan, traduction de Tricaud, Paris, Sirey, 1971, chapitre XVI, p. 166.

[23] Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, I, 5, dans Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », p. 359.

[24] Pierre Rosanvallon, Le Peuple introuvable, Paris, Gallimard, 1998, p. 12.

[25] Ibid., p. 14. Soulignons que Rosanvallon reprend une idée qui avait été énoncée par Claude Lefort dans « L'image du corps et le totalitarisme », texte repris dans L'Invention démocratique (Paris, Fayard, 1981), où celui-ci insiste sur la dimension sérielle du suffrage universel.

[26] Ce qui pose un problème de cohérence historique puisque, par définition, les Autochtones étaient sur place avant la colonisation française. La logique qui préside à une telle énumération devient à proprement parler une logique ethnique puisqu'on veut défendre une vision civique inclusive de la population en rapportant tout au groupe ethnique majoritaire. En outre, les Autochtones ne sont pas artificiellement amalgamés mais décrits par les noms qu'ils se donnent eux-mêmes et comme diverses nations distinctes.

[27] C'est cet esprit que l'on retrouve également dans la série commandée par le quotidien Le Devoir à l'été 1999 (et publiée chez Québec Amérique en 2000 sous le titre Penser la nation québécoise, sous la direction de Michel Venne) de même que dans l'ouvrage de Michel Seymour, La Nation en question (Montréal, L'Hexagone, 1999). La position développée par Claude Bariteau dans Québec 18 septembre 2001 (Montréal, Québec Amérique, coll. « Débats », 1998) me paraît plus classiquement inspirée d'une réflexion sur la citoyenneté quoiqu'elle n'évite pas tout à fait le piège de la description ethnique.

[28] Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 18.

[29] Voir le numéro de la revue Lekton sous la direction de Michel Seymour : « Une nation peut-elle se donner la constitution de son choix ? »

[30] Si le partitionnisme autochtone pose un problème de logique pour les souverainistes québécois, il me semble qu'il est beaucoup plus aisé de se départir du partitionnisme é(in)voqué par les nationalistes canadiens.


Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 7 octobre 2017 6:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé à l'Université du Québec à Chicoutimi.
 



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