RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La famille en rénovation: Réflexion sur la «nouvelle famille» ” (1983)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Diane Lamoureux et Nicole Morf, “ La famille en rénovation: Réflexion sur la «nouvelle famille» ”. Un article publié dans la revue Conjoncture politique au Québec, no 3, printemps 1983, pp. 77-89. Dossier: “Famille et société”. Montréal: Éditions Albert Saint-Martin. [Autorisation accordée par l'auteure le 2 février 2004 et reconfirmée le 28 mars 2004]

Introduction

La famille semblait s'éteindre, faute de combattants, faute d'opprimés... La jeunesse, dans le sillon de la révolution sexuelle et de la contre-culture des années soixante, s'est progressivement constituée en sous-culture parallèle à la culture familiale, et a entraîné sur ses terrains propres de socialisation une adolescence qui s'étend de plus en plus en bas âge. À partir de 12-14 ans, on n'appartient désormais plus à l'ordre familial, même si on dépend encore largement de l'institution...

Après la jeunesse, avec l'irruption sociale du féminisme au début des années soixante-dix, on a cru (on a craint pour certains) que les femmes également allaient parvenir à se soustraire à l'ordre familial. Le confinement des femmes au foyer ne pouvait plus se maintenir indéfiniment: les femmes exigeaient l'accès à l'emploi salarié, l'abolition de la division sexuelle du travail et des rémunérations, le partage des tâches ménagères, le droit au con-trôle de la maternité, etc. Émergeant en pleine expansion du Welfare State, les revendications féministes trouvèrent dans l'État un interlocuteur relativement compréhensif dans la lutte contre la toute-puissance maritale.

Sous les assauts conjugués des femmes et de la jeunesse, il est vrai que l'aplomb du «chef de famille» semble de plus en plus ébranlé, et avec lui, la famille. À quoi donc se nourrirait désormais l'ordre familial, s'il ne dispose plus pour se réaliser ni des femmes, ni des enfants? La famille, bientôt, ne serait plus qu'une écorce vide de substance et de chair, condamnée sinon au pourrissement, du moins au dessèchement, à l'auto-dégradation... Au mythe du dépérissement de l'État s'ajoutait ou se substituait maintenant le mythe du dépérissement de la famille!

De nouvelles valeurs semblaient effectivement faire leur place au niveau du privé, dans certains milieux tout au moins. Le mariage, tout d'abord, comme sanction et support juridiques d'une union, est en chute libre devant la prolifération des «unions de fait»; et malgré cela, un mariage sur trois est appelé à se dissoudre. La conjugalité est donc de plus en plus vécue comme temporaire, non définitive, négociée. Autre fait nouveau, la conjugalité émerge comme valeur en soi, hors de la centralité de l'enfant. Dans ce contexte, un espace inédit semble disponible aux femmes pour redéfinir les termes de la maternité. Les femmes ont désormais le droit de s'interroger sur leur désir d'avoir ou non un enfant dans leur vie; de surcroît elles peuvent envisager de l'élever seules, ou du moins sans liens privilégiés nécessaires avec le père biologique.

Tout semblait donc indiquer que la famille poursuivait sa longue évolution vers le rétrécissement croissant du champ familial. Après la liquidation du pouvoir de régulation exercé par, la communauté, après la marginalisation du rôle de la parenté et l'émergence de la famille nucléaire cimentée par l'enfant, la famille moderne éclate dans toutes les directions: expulsion du rôle pivot de l'enfant au sein de la conjugalité, expulsion possible des hommes - au profit de l'État - du cadre du maternage. Pour les femmes, la fin de la double contrainte à la maternité et à la conjugalité, qui se profile derrière le droit au célibat et le droit de ne pas enfanter, et plus encore la rupture du lien nécessaire entre maternité et conjugalité, semblaient porteuses de tous les espoirs: cela signifiait la possibilité d'échapper à l'appropriation privée (1) des femmes par les hommes, la possibilité de tout redéfinir à neuf.

C'est du moins ce qui se dessinait ou se laissait espérer au début des années soixante-dix: sous la double impulsion de la jeunesse et des femmes, la famille nucléaire, cette prison des femmes, était arrivée en fin de course. Edward Shorter par exemple, en 1975, terminait sa magistrale histoire de la Naissance dé, la famille moderne en faisant le constat de sa destruction:

Depuis 1960, la structure de la famille a commencé à changer de fond en comble. La famille nucléaire tombe en ruine, et je crois qu'elle sera remplacée par le couple à la dérive, une dyade conjugale sujette à des fissions et fusions spectaculaires et privée de tout satellite - enfants, amis ou voisins (2)...

Si tous ne s'entendaient pas sur le contenu de la famille «post-moderne», la fin prochaine de la famille moderne ne semblait faire aucun doute. Moins de dix ans après, où en sommes-nous? C'est difficile à dire. La famille nucléaire reste, dans l'ensemble des milieux sociaux, le lot de la majorité des gens; on constate même un retour aux valeurs familiales traditionnelles, notamment chez les jeunes; par contre, on assiste encore à une expérimentation multidirectionnelle de nouveaux modes de vie familiaux, porteurs éventuels d'un autre imaginaire familial. Mais au confluent de ces tendances contradictoires, dans la profusion des discours et des expérimentations diverses sur de nouvelles formes d'association conjugale et parentale, un certain «modèle» semble émerger comme dominant, dans les milieux scolarisés en tout cas: la «nouvelle famille», notion à la fois très ambiguë («nouvelle») et très transparente (famille).

Quel est le portrait-robot de cette nouvelle organisation familiale ? Elle a pour base un couple, hétérosexuel, pas nécessairement marié, et qui surtout se veut en rupture avec les «schèmes traditionnels»: assignation des femmes au foyer, autorité maritale, etc. Les deux conjoints travaillent à l'extérieur, poursuivent généralement une carrière, et l'homme est présent au niveau du travail domestique. Les enfants, tout comme les relations parents/enfants, sont importants, mais ne forment plus le centre de gravité de la vie familiale; le couple lui-même en constitue le pôle majeur. L'idéologie globale régissant les rapports familiaux est un idéal «bon-ententiste», anti-hiérarchique: l'enfant n'est plus l'enfant-roi de l'Amérique d'après-guerre, mais plutôt le «bon sauvage», à la limite le rédempteur…, et la femme n'est plus ni la bonne, ni la poupée, ni uniquement la mère, mais plus simplement un des membres de la famille.

Sans pousser plus loin cette description, expliquons d'abord pourquoi nous avons décidé de nous pencher sur le phénomène de la «nouvelle famille». Ce modèle, il est vrai, est encore très marginal socialement; il est le fait essentiellement d'une petite-bourgeoisie intellectuelle et radicalisée, ou d'anciens militants en mal de projets de transformation sociale. Mais en même temps, ce phénomène nous semble important et significatif sociologiquement. Car, dans le foisonnement des critiques et des facteurs d'éclatement de la famille nucléaire classique que nous venons d'évoquer, la «nouvelle famille» est peut-être en train de produire un nouveau sens, un nouvel ordre. Au sein de la «nouvelle famille» semblent en effet se concilier diverses pratiques et idéologies que nous avions présumées inconciliables par nature, il y a quelques années.

Par ailleurs, la «nouvelle famille» émerge aussi dans le contexte d'un mouvement beaucoup plus large de riposte face à l'élargissement des revendications féministes et de revalorisation intense de la famille, mouvement orchestré en large partie par les institutions étatiques. Il faut donc dépasser la vision un peu idyllique de la «nouvelle famille», et se demander si elle ne constituerait pas une des expressions de ce mouvement de remise à jour des valeurs et de l'institution familiales. Nous avons donc cru bon d'examiner d'un peu plus près les caractéristiques «internes» de la «nouvelle famille» et de voir comment elle s'inscrit historiquement par rapport à la famille nucléaire classique, pour être alors en mesure de formuler quelques intuitions sur sa signification politique pour les femmes.


Notes :

(1) Colette Guillaumin «Pratique du pouvoir et Idée de nature, I: L'appropriation des femmes», in Questions féministes, no 2, février 1978, pp. 5-30.

(2) Edward Shorter, Naissance de la famille moderne, Éd. du Seuil. Coll. Points, Paris 1982, p. 339.

Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 24 octobre 2004 13:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref