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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Diane Lamoureux, “Citoyenneté, nationalité, culture”. Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Mikhael Elbaz et Denise Helly, Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, pp. 111-129. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2000, 260 pp. [Autorisation accordée par l'auteure le 14 février 2008 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Diane Lamoureux 

Citoyenneté, nationalité, culture”. 

Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Mikhael Elbaz et Denise Helly, Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, pp. 111-129. Québec : Les Presses de l'Université Laval, 2000, 260 pp.
 

Introduction
 
Un nationalisme essentiellement ethnique
La transformation du nationalisme ethnique en nationalisme civique
La souveraineté, pour quoi faire ?
 
Bibliographie

Introduction

 

Le nationalisme québécois pose plusieurs problèmes sur le plan analytique. Plutôt que de me concentrer sur l'opposition entre nationalisme civique et nationalisme ethnique, je voudrais aborder la question suivante : en quoi la reconnaissance du caractère multiculturel de la société québécoise sape-t-elle les fondements du projet souverainiste ? Pour ce faire, j'adopterai une démarche en trois temps. D'abord, j'analyserai l'évolution du nationalisme québécois de la Révolution tranquille à l'accession au pouvoir du Parti québécois en montrant comment, malgré la territorialisation, le nationalisme québécois revêtait à cette époque un caractère essentiellement ethnique. Ensuite, je montrerai le tournant que représentent la Charte de la langue française et l'entente Cullen-Couture sur l'immigration dans la redéfinition de la communauté politique québécoise, ce qu'on a usuellement qualifié de transformation du nationalisme ethnique en nationalisme civique quoique cela reflète mal la mutation accomplie. Enfin, j'aborderai quelques-unes des apories du projet souverainiste dans un climat de reconnaissance de la pluralité ethnique et culturelle d'une société québécoise encore insérée dans le cadre politique canadien. 

Avant de procéder à cette analyse, il me semble cependant pertinent de tenter un projet de définition des trois termes qui m'ont été proposés afin d'amorcer ma réflexion, à savoir les notions de citoyenneté, de nationalité et de culture. Ces trois termes étant polysémiques, il est évident que je ne peux en cerner toutes les dimensions, mais les définitions que j'en retiendrai permettront de mieux cerner ma démarche analytique. 

La citoyenneté est probablement le terme le plus facile à saisir. Le Dictionnaire de philosophie politique (Raynaud et Rials, 1976) nous propose de l'entrevoir dans une opposition au terme « homme », à savoir dans le cadre d'un statut qui fait fi des caractères singuliers des individus pour mettre en évidence leur appartenance à un ensemble commun, la cité ou l'État. Dans les sociétés occidentales contemporaines, dont la légitimité repose sur le principe de la souveraineté du peuple, la citoyenneté en est venue à représenter un système de droits et d'obligations largement balisé par les institutions politiques. Si la citoyenneté peut revêtir des dimensions affectives, celles-ci ne sont pas entièrement nécessaires. De plus, la citoyenneté peut éventuellement entraîner un patriotisme constitutionnel, mais elle ne dépend pas de l'attachement plus ou moins important que l'on peut porter aux institutions du pays dont on est citoyen. La citoyenneté est conférée par l'État et s'acquiert soit par droit de naissance sur un territoire donné et à condition de satisfaire à certains critères d'âge, d'appartenance sexuelle ou de fortune, critères ayant largement varié dans le temps, soit par « naturalisation », à savoir par demande expresse d'adhésion àune communauté politique donnée, sous réserve de satisfaction de certaines conditions que seul l'État est appelé à déterminer. Au cœur du concept de citoyenneté, il y a donc un pouvoir souverain, un État, qui non seulement possède le monopole du pouvoir légitime sur un territoire donné mais également le pouvoir de trancher quant à l'appartenance à la communauté politique. La question de la citoyenneté s'avère par conséquent problématique dans le cas des communautés politiques qui ne jouissent pas de la souveraineté. 

Le deuxième terme, la nationalité, présente beaucoup plus de problèmes. Ayant consulté mon passeport pour les besoins de cet exercice, j'ai constaté qu'en page 1 j'étais citoyenne canadienne et qu'en page 2 j'avais la nationalité canadienne. En effet, le fantasme de l'État-nation est si prégnant dans le langage de la modernité politique que nationalité et citoyenneté tendent à se confondre. En fait, le terme de nationalité permet de comprendre ce qui fait le pont entre la culture et la citoyenneté. Si je continue de me référer au Dictionnaire de philosophie politique, le terme nation a « d'abord désigné un groupe de personnes unies par les liens du sang, de la langue et de la culture qui, le plus souvent mais pas nécessairement, partagent le même sol pour en venir à qualifier une association de personnes unies par des liens contractuels, manifestant ainsi leur volonté de vivre sous les mêmes lois » (ibid., 1996 : 411). Une telle définition recoupe largement celle de citoyenneté puisqu'elle fait référence au dispositif de droits et d'obligations et à la volonté plutôt qu'à la fatalité de la naissance. Mais elle nous renseigne au moins sur une chose : l'État ne produit pas que du formel, il produit aussi de la nation, c'est-à-dire du lien social qui se situe dans l'ordre du symbolique et de l'affectif. Cette double dimension de la nation prend toute sont importance dans le débat entre le nationalisme civique et le nationalisme ethnique. On pourrait également distinguer la nationalité de la citoyenneté, en retenant l'idée que la première est une « communauté imaginée » (Anderson, 1991) mais, même en adoptant une définition culturaliste de la nation, on ne peut faire totalement l'impasse sur ses dimensions politiques. Comme le mentionne Connor (1994 : 38), « [f]ar more detrimental to the study of nationalism, however, has been the propensity to employ the term nation as a substitute for that territorial juridical unit, the state. » De plus, même les nations diasporiques se sont largement définies par rapport à la normativité de l'État-nation [1]. 

Enfin, le troisième terme, celui de la culture, pose énormément de problèmes pour une politologue s'aventurant sur un terrain déjà si fortement balisé - et contesté - par les anthropologues. Évidemment, mon Dictionnaire de philosophie politique ne contient aucune entrée pour le mot culture. Je tenterai donc une définition qui insiste sur des pratiques sociales porteuses de sens pour une population donnée. Je pourrais ajouter que, en termes politiques, dans les sociétés libérales démocratiques, la culture consiste en un contexte de choix et donc un référent identitaire [2]. C'est d'ailleurs cette dimension de référent identitaire qui explique la politisation des cultures à l'époque moderne et la volonté plus ou moins affirmée de faire coïncider les frontières politiques et les frontières culturelles. 

Bref, comme le soulignait Gellner (1983), ce qui permet d'articuler dans une réflexion politique citoyenneté, nationalité et culture, c'est que, à l'époque moderne, certains groupes culturels se sont définis comme nations et, à partir de cette « communauté imaginée », ont entrepris de doter leur groupe des institutions politiques nécessaires pour assurer sa survie mais faisant également office de lieu de déploiement de cette redécouverte politique de la modernité, la souveraineté du peuple, celle-ci prenant la forme de la citoyenneté moderne au fur et à mesure que la notion de peuple devenait inclusive. La citoyenneté, dans un tel contexte, n'est plus seulement un lien d'ordre politico-juridique mais le mode du vivre-ensemble des sociétés modernes en ce qu'elle articule l'appartenance, la participation et la solidarité sociale, ce qui, dans d'autres types de société, a plutôt été le fait de la culture.

 

Un nationalisme essentiellement
ethnique

 

Le nationalisme québécois, dans la période qui va de la Révolution tranquille à la victoire électorale du Parti québécois en 1976, revêt un caractère essentiellement ethnique. Il s'agit d'une triple entreprise, partagée par les principaux partis politiques provinciaux. Première­ment, on peut voir s'opérer un travail de territorialisation : du nationalisme canadien-français, on passe au nationalisme québécois, c'est-à-dire que se met en place un processus de territorialisation de l'affirmation d'un groupe culturel qui, sans nécessairement renier l'histoire qui peut le lier aux minorités francophones hors-Québec, tente de délimiter un espace politique où les Canadiens français peuvent se percevoir comme majoritaires plutôt que comme minoritaires et cet espace politique correspond au territoire d'une des provinces canadiennes, le Québec [3]. 

Deuxièmement, on assiste à un travail de « modernisation »à l'intérieur du territoire ainsi constitué. Sans entrer ici dans le débat sur la modernisation du Québec [4] et tout en ne souscrivant pas à la thèse qui le fait débuter à la Révolution tranquille, il m'apparaît important de noter que, durant cette période, on assiste à une accélération du processus de modernisation qui vise plus particulièrement le groupe des Canadiens français de souche, ce groupe que la commission Laurendeau-Dunton avait défini comme un des plus désavantagés sur le territoire de la province. Ce travail de modernisation s'accomplit essentiellement sous la houlette de l'État provincial, qui entreprend de se doter d'un système scolaire plus performant, de mettre en place des politiques sociales qui vont dans le sens de la constitution d'un État-providence -provincial, de professionnaliser la fonction publique provinciale, de rendre les mœurs politiques et la vie institutionnelle plus conformes aux exigences d'une société démocratique, de soutenir la mise en place d'un entrepreneurship francophone, etc. 

Troisièmement, on assiste à un travail de « nationalisation »de l'État provincial québécois, peu importe le parti politique au pouvoir [5]. En fait, il y a unanimité au sein de la classe politique québécoise, tous partis confondus, pour une plus grande autonomie du Québec au sein de la Confédération canadienne, et ceci se concrétise par la volonté de faire de l'État provincial l'appareil institutionnel dans lequel se reconnaissaient les francophones du Québec et celui auquel va leur allégeance première. A ce titre, il est significatif que l'État-providence joue le rôle de ciment social du sentiment d'appartenance et que ceux et celles dont l'allégeance va fondamentalement au Canada se dirigent vers la fonction publique fédérale plutôt que vers la fonction publique provinciale, d'autant plus que la première devient plus bilingue et offre des possibilités d'emploi aux Canadiens français qui, au début des années 1970, sont parmi les plus bilingues des Canadiens. 

L'effet de cette triple entreprise est de consolider les processus de constitution du groupe canadien-français du Québec en nation québécoise dont une partie significative revendique la pleine autonomie politique, à savoir formule sa revendication d'un État-nation québécois en termes de normalisation de la situation politique du Québec puisqu'il est important, dans cette logique, qu'à chaque nation corresponde un État [6]. 

Le discours nationaliste qui accompagne cette revendication insiste fondamentalement sur la question de l'oppression nationale des Québécois à l'intérieur de la fédération canadienne. S'appuyant sur des indicateurs de statut socio-économiques comme le revenu disponible, la scolarisation, le contrôle des entreprises, l'espérance de vie, etc., les divers organismes nationalistes du Québec insistent sur la discrimination dont sont victimes les Canadiens français et ponctuent leurs discours d'appels à la libération nationale du Québec [7]. La solution leur semble résider dans l'indépendance étatique comme seule possibilité d'épanouissement de la nation. 

La production culturelle est mobilisée dans le même sens. La littérature, la musique populaire, le cinéma deviennent autant de moyens d'autoreconnaissance du groupe comme possédant une culture distincte et de promotion de l'identité québécoise en gestation. Qu'on se rappelle les « chants et poèmes de la résistance », le fameux poème « Speak white », une littérature qui visait à s'autonomiser, y compris par rapport à la littérature française. Cette période d'intense foisonnement culturel au Québec est aussi une période d'instrumentalisation de la culture au profit de la constitution de l'identité nationale québécoise moderne, ce qui fait dire à Léon Dion que (1987 : 8) : 

[t]ous ces artistes, mieux que nous ne parviendrons à le faire, sont en vérité les porte-parole, les interprètes du contour fluide du réel et, en raison de cela, d'une partie de nous-mêmes dont nous n'avons qu'une conscience obscure et que souvent, malheureusement, nous nous obstinons à refouler. 

C'est aussi la période où la culture québécoise essaie de couper les ponts avec la culture française, quoique la France serve encore d'horizon de reconnaissance. 

Le récit historique acquiert une importance décisive dans la saga de l'oppression nationale québécoise et se déploie dans la pensée du « conquêtisme ». Il s'agit de mobiliser les événements pour entretenir la thèse que le Québec a constamment été bafoué dans le cadre de l'histoire canadienne [8]. Le récit commence bien sûr au moment de la « conquête », ce qui place d'ailleurs les Canadiens français en position d'« autochtones » envahis par les Anglais, conquête qui correspond à la mise en place d'un nouveau rapport politique soumettant les Canadiens français à un pouvoir étranger, comme si le précédent l'était moins. Mais dans ce discours historique, la conquête est loin d'être un événement unique, elle est constamment réitérée et l'histoire politique du Québec est présentée comme une longue suite d'abus qui justifie la conclusion du récit, à savoir l'indépendance nationale. [9] 

Dans cette saga du conquêtisme, il y a bien sûr l'interdiction de l'usage administratif du français et la prédominance des lois anglaises durant la période 1763-1774, politique d'assimilation dont nous préservent les révoltes dans les colonies anglaises du Sud. Il y a ensuite la répression qui accompagne le mouvement des Patriotes, qui nous est moins présenté comme un courant libéral revendiquant le gouvernement responsable que comme un mouvement national réclamant l'indépendance par rapport à la couronne britannique, un peu dans la foulée du mouvement de décolonisation des Amériques entrepris aux États-Unis et se poursuivant partout sauf à l'extrême nord du continent. Il y a, en troisième lieu, la tentative d'assimilation qui suit le rapport Durham et correspond à la disparition des institutions politiques autonomes du Bas-Canada et au fameux épisode du Canada uni. Le quatrième acte de cette saga conquêtiste est usuellement la pendaison de Louis Riel, qui symbolise l'impossibilité du bilinguisme en Canada, d'autant plus qu'il est suivi de près par la querelle des écoles françaises en Ontario et au Manitoba. Le cinquième acte, c'est le référendum sur la conscription de la Première Guerre mondiale où le Québec et le Canada hors Québec votent de façon diamétralement opposée, et Où les Canadiens français sont soumis à la conscription pour défendre l'Empire britannique. Le cinquième (sixième ? ?) acte sera le référendum sur la conscription lors de la Deuxième Guerre mondiale, dont les résultats seront très similaires au premier. Vient ensuite la Loi des mesures de guerre et l'occupation du Québec par l'armée canadienne en 1970. 

Le nationalisme québécois oppose à ces figures de la domination le modèle de l'émancipation. Son point de référence reste fondamentalement les mouvements d'émancipation des pays colonisés du tiersmonde et le langage est celui du peuple devenu adulte qui doit accéder à sa pleine maturité politique [10]. En fait, les efforts modernisateurs qui ont accompagné l'action gouvernementale depuis la Révolution tranquille sont réinterprétés à l'aune des étapes vers la voie de l'indépendance, présentée comme un processus inéluctable et nécessaire. L'accession à l'indépendance politique vise à libérer le Québec de la domination étrangère (lire le gouvernement fédéral) et à faire en sorte qu'un processus de normalisation politique puisse s'y développer, à savoir l'accession à ce qui est présenté comme la forme moderne de l'État, l'État-nation.

 

La transformation du nationalisme ethnique
en nationalisme civique

 

L'accession du Parti québécois au pouvoir politique provincial peut être interprétée comme le couronnement du processus en cours depuis, la Révolution tranquille et semble présenter l'occasion de l'accession pacifique du Québec à l'indépendance en faisant appel à la participation populaire et aux mécanismes légaux usuellement de mise dans un État libéral et démocratique. Pourtant, le Parti québécois ne se précipite pas sur l'occasion référendaire. Au contraire, il tergiverse, attend trois ans pour produire une question particulièrement tarabiscotée et entreprend de donner des gages de sa volonté inclusive en peaufinant la loi 101. 

La loi 101 inaugure une rupture fondamentale dans le discours nationaliste québécois. S'inscrivant dans le sillage de la loi 22 adoptée par le gouvernement Bourassa, elle entreprend de « désethniciser » le fait français au Québec en faisant du français la langue publique commune, c'est-à-dire en transformant la francophonie québécoise en creuset où devront se fondre les divers groupes ethniques habitant sur le territoire québécois. Ce faisant, le gouvernement péquiste entreprend un travail similaire à celui de Pierre Elliot Trudeau, à savoir une dissociation de la culture et de la langue. « Pour que le fait français soit interprété comme l'essence de la culture québécoise, la frontière linguistique doit être maintenue et la présence d'autres langues doit être assimilée ou mystifiée comme appartenant aux pratiques des "communautés culturelles" » (Allor et Gagnon, 1994 : 16-17). En effet, la loi 101 reconnaît explicitement le caractère pluriculturel du Québec, mais stipule que cette pluriculturalité a un socle commun, l'usage de la langue française, ce qui implique la fréquentation obligatoire des écoles francophones par les Canadiens français et les enfants issus de l'immigration, la francisation des entreprises et la transformation de l'image publique de Montréal du fait de l'affichage français [11]. 

Cette prise en compte du caractère pluriculturel de la population québécoise est accentuée par l'entente Cullen-Couture sur l'immigration qui s'installe sur son territoire. Dans ce contexte, le Parti québécois commence à développer l'idée de la nécessaire intégration de la population immigrante à la majorité francophone et essaie de démarquer son langage sur les « communautés culturelles » de celui du gouvernement fédéral. Cela correspond également à un rapprochement entre certains secteurs du Parti québécois et certaines organisations des « communautés culturelles ». Comme le souligne Micheline Labelle (1992 : 324), cela a donné lieu au fait que « [l]e Parti québécois a défini en 1978 une politique de convergence culturelle qui se démarquait de l'idéologie multiculturaliste, affirmait la primauté du caractère français du Québec et la nécessité de faire converger les communautés culturelles vers la culture-phare québécoise francophone. » 

Ces éléments obéissaient à plusieurs logiques qui ne sont pas toutes convergentes. La compétition du processus de modernisation du Québec a donné lieu à la diffusion des valeurs démocratiques qui les a fait passer au statut de valeurs dominantes au Québec (Taylor, 1993). Dans ce contexte, l'accession au processus de souveraineté ne pouvait faire l'économie d'un débat public et d'une large participation de la population au processus de décision. Cela impliquait, d'une part, de définir de façon inclusive la communauté politique québécoise et, d'autre part, de donner des garanties explicites aux citoyens n'appartenant pas à la communauté canadienne-française quant à leur statut dans un futur Québec souverain. 

En même temps, cela obligeait cette communauté ethnique canadienne-française à relâcher les mailles du tricot national afin de pouvoir offrir une place aux autres composantes de la société québécoise. D'une certaine façon, avec la loi 101, le Québec prenait enfin conscience de son caractère hybride et métissé, quoique à l'intérieur d'un discours fondamentalement axé sur l'homogénéité [12]. C'est ce qui fait dire à Simon Langlois (1991) que « [l]e Québec se comporte avec ses immigrants comme une société globale, avec comme résultat que l'identité québécoise est (et sera) de moins en moins une identité ethnique et de plus en plus une identité nationale à laquelle s'identifieront des personnes de souches et d'origines différentes. » Mais cela n'est pas sans susciter quelques paradoxes. 

Pour tenter d'y comprendre quelque chose, il faut se reporter au discours du livre blanc qui a précédé la réalisation de la Charte de la langue française. Il s'agissait de transformer la société mais aussi l'image que le groupe canadien-français de souche pouvait se faire de lui-même. Et la Charte de la langue française table sur la superposition de deux images. La première est celle, bien connue, du peuple opprimé du fait que la langue majoritaire sur le territoire a longtemps été bafouée et reléguée au domestique, au quotidien et au subalterne. Mais avec la loi 101, cette image subit une première altération : le peuple opprimé devient la forteresse assiégée ou le village gaulois d'Astérix, avec le double caractère que revêt une telle notion. D'un côté, on mise donc sur le sentiment minoritaire des Québécois, îlot francophone un peu excentrique dans cette mer anglophone qu'est l'Amérique du Nord. De l'autre, on insiste sur le fait que ce petit groupe a les moyens de se défendre et dispose des outils légaux pour le faire, pour transformer une majorité sociologique en majorité politique. Ceci permet de superposer à la première image une seconde image, celle d'un groupe majoritaire qui conjugue en français sa marche vers la modernité et les idéaux libéraux et démocratiques. 

À ce titre, la loi 101 produit deux effets. D'abord, elle consolide la position majoritaire du groupe canadien-français sur le territoire québécois et parachève la territorialisation du nationalisme qui était à l'œuvre depuis la Révolution tranquille. Elle a donc un effet de sécurisation pour les membres de ce groupe et rend plus difficile le recours à l'image du peuple opprimé, qui fera d'ailleurs graduellement place au Québec inc., version moderne, masculine et triomphante de la modernité québécoise (Létourneau, 1991). Ensuite, elle oblige un groupe qui avait façonné son identité collective dans un climat de repli sur soi à ouvrir ses rangs et à accueillir consciemment l'autre en soi, un autre vis-à-vis duquel on oseille entre l'assimilation et l'intégration. Car à travers la scolarisation en français des enfants de l'immigration, ce n'est pas uniquement la langue qui est transmise mais ce sont aussi des codes sociaux, l'identification aux institutions, des référents culturels, etc. Si on peut avoir les yeux en amande et le coeur québécois, comme le disait une certaine publicité, l'Étrangeté colle longtemps à la peau et cette catégorie administrative ridicule des « allophones » entretient le mythe de l'irréductible étrangeté dont on se méfie des effets sur le « nous » tricoté serré [13]. 

Cette volonté d'intégration s'est traduite, dans la campagne référendaire de 1980, par la mise en place de comités du « oui » s'adressant plus particulièrement à des groupes ethno-culturels autres que le groupe canadien-français de souche. Le projet de construction d'un État-nation québécois était présenté simultanément comme le cheminement normal d'un groupe particulier et comme pouvant s'élargir à d'autres groupes qui apporteraient leur contribution à la mise en place d'un Québec moderne et ouvert sur le monde. 

Dans ce sens, on peut parler réellement d'une conversion du nationalisme québécois au nationalisme civique. Toutefois cette conversion, si elle témoignait de l'adhésion de la société québécoise aux idéaux du libéralisme démocratique et était susceptible de lui apporter des appuis à l'extérieur mais aussi à l'intérieur, chez les penseurs de la diversité culturelle dans les sociétés contemporaines, cette conversion allait poser des problèmes pour le projet souverainiste. Ce sont ces problèmes qu'il convient maintenant d'examiner.

 

La souveraineté, pour quoi faire ?

 

Dans cette dernière section, je compte traiter des difficultés du projet souverainiste actuellement au Québec. Il m'importe peu de savoir si et dans quelles circonstances le « oui » pourrait dépasser la barre symbolique des 50%. Je veux plutôt mettre l'accent sur trois problèmes. Le premier concerne la fissure à l'intérieur du « nous » québécois et le va-et-vient constant entre l'ethnique et le civique pour justifier le projet souverainiste. Le deuxième concerne la ressemblance accrue entre le Québec et le reste du Canada. Quant au troisième, il concerne la polarisation du débat sur le statut politique du Québec entre plusieurs nationalismes concurrents. 

Le premier problème concerne en fait la capacité de mobilisation politique autour du projet souverainiste. Je vais l'aborder en rappelant l'atmosphère qui a immédiatement succédé à quelques épisodes de nos guerres constitutionnelles, dans un premier temps, pour ensuite esquisser les contours de quelques débats théoriques que cela soulève. 

Contrairement à ce qui s'est passé en 1995, la victoire du « non » au référendum de 1980 n'a pas donné lieu à des affrontements politiques entre groupes ethniques. Ce qui est surprenant, c'est qu'elle a inauguré une phase de métissage culturel important au Québec. Ce métissage a d'abord pris forme dans les arts qui se passent de « langue », comme la performance, la danse et les arts visuels, mais s'est rapidement étendu à la littérature, puisque la décennie 1980 est celle de la littérature migrante, tout comme les deux décennies précédentes avaient été celles de la littérature « nationale ». La rue Saint-Laurent a momentanément perdu son statut de frontière symbolique entre l'est et l'ouest de Montréal pour devenir un lieu de passage et se développer sur le mode du terrain commun de cette culture métisse se voulant urbaine et postmoderne. Les sursauts nationalistes de l'après-naufrage de l'Accord du lac Meech n'ont pas entamé cette volonté d'hybridité et les divers mémoires qui ont été présentés devant la commission Bélanger-Campeau reflétaient cette volonté du Québec pluriel. 

Sur le terrain, donc, l'intégration a relativement bien fonctionné. En dehors de Montréal, il faut parler d'assimilation des populations issues de l'immigration, tandis qu'à Montréal on peut constater trois phénomènes : d'abord, une difficulté d'intégration liée à l'exode des Canadiens français de souche dans des banlieues plus homogènes sur le plan ethnique, ce qui laisse à Montréal une population francophone assez fortement polarisée sur le plan socio-économique entre des élites fortement scolarisées ou rémunérées et des couches de plus en plus paupérisées ; ensuite, une conciliation de la part des populations issues de l'immigration du français comme langue publique commune, de l'anglais comme langue de la mobilité socio-économique sur le continent nord-américain et de la langue d'origine, ce qui donne lieu au développement du trilinguisme ; enfin, le maintien de « commu­nautés culturelles » issues de l'immigration, double conséquence de la politique canadienne du multiculturalisme et de la politique néocorporatiste d'organisation de la société civile par l'État provincial [14]. 

Cependant, ce métissage culturel pose certains problèmes sur le plan politique. Si l'inclusion civique de toutes les composantes d'une population vivant sur le même territoire et sous les mêmes lois est éminemment souhaitable sur le plan politique, cette conception de la nation n'est pas des plus susceptibles de conduire à la mobilisation politique nécessaire au projet d'État québécois distinct [15]. D'une part, le discours triomphaliste et majoritaire du Québec inc. se marie mal avec l'invocation de l'oppression nationale québécoise (Létoumeau, 1993). D'autre part, si le français est devenu la langue publique commune au Québec, tous les locuteurs francophones sont loin d'avoir fait leur le récit mémoriel des Canadiens français. 

C'est ce qui explique la valse-hésitation entre l'ethnique et le civique dans la campagne souverainiste lors du référendum de 1995. Sur le plan affectif, le discours est celui de l'histoire, comme on a pu le voir dans le préambule à une éventuelle constitution du Québec. Or, cette histoire est très particularisée, comme nous l'a montré ce texte à saveur prononcée de sirop d'érable, sentant le glèbe des premiers défricheurs, englué dans la poésie plutôt lourde de la moisson et encombré de l'eau bénite du zèle missionnaire. On a aussi droit à des symboles, comme le drapeau devant lequel je ne suis sûrement pas la seule « de souche » qui développe quelque allergie au bleu du ciel et aux fleurs de lys de la monarchie capétienne. Quant à la fête nationale, le moins que l'on puisse dire, c'est que la Saint-Jean-Baptiste est fortement connotée, comme l'ont d'ailleurs souligné les tenants d'un nationalisme de la décolonisation à la fin des années 1960. Bref, les instruments usuels de consolidation de l'appartenance font uniquement référence à l'histoire particulière du groupe ethnique majoritaire et laissent peu de place aux « autres », tant ceux avec qui nous partageons ce territoire depuis plusieurs siècles, comme les populations autochtones ou les Canadiens anglais « de souche », que les nouveaux arrivants, puisqu'ils peuvent difficilement se reconnaître dans cette double symbolique de la France de l'Ancien Régime et de la catholicité. 

On peut aussi penser à la façon dont on raconte l'histoire. A cet égard, il n'y a pas eu de mutation fondamentale du récit historique québécois, même s'il a connu une éclipse de vingt ans dans les écoles parce qu'on ne savait trop comment le présenter. La matrice reste une matrice nationale (l'arrivée des Blancs, la Nouvelle-France, la Conquête, les Patriotes, la Confédération, la Révolution tranquille), à laquelle se greffent des appendices comme les ouvriers, les femmes, les Autochtones, les Anglais, les immigrants, sans que la greffe puisse influencer le cœur du discours, étant affublée de particularisme. Certes, Joseph Yvon Thériault (1996 : 177) a raison de nous rappeler qu'au fil des ans, sous l'effet du démocratisme, le nationalisme québécois est devenu soft et que « la prétention du mouvement national à définir l'espace québécois à partir d'un héritage français a activé des prétentions contraires. [...] Ces prétentions contraires, amenées par le débat démocratique sur l'identité québécoise, ont semé le doute dans l'esprit de plus d'un nationaliste. » Il n'en reste pas moins que ce trouble identitaire connaît des variations selon les impératifs militants et la nécessité du rapport de forces. 

Certes, la plupart des nationalistes québécois ont une version usuellement civique de la nation, mais la déclaration de Jacques Parizeau au soir du dernier référendum ne peut pas uniquement être mise au compte de l'alcool ou du passéisme d'un individu en particulier. Ce sont, comme le souligne Régine Robin (1996 : 296) : 

des actes manqués, des lapsus, des gaffes, se [rapportant] à un discours de l'homogénéité, de la nostalgie d'une Gemeinschaft imaginaire, de la fusion dans la chaleur du préjugé aurait dit Herder, de tout ce qui rappelle la société canadienne-française [...] Ces traces passent par le paradigme de la souche, du tronc, de l'arbre comme l'arbre généalogique, des branches, des rameaux, toute une conception botanique de la culture. 

En fait, le problème fondamental réside dans la nécessité de trouver une justification au projet souverainiste québécois, puisqu'il n'en est qu'à l'état de projet et non de réalité. Cette justification, elle est puisée dans le passé et relève dans l'ensemble du conquêtisme. Elle pourrait éventuellement se situer dans un projet (comme ont tenté de le faire « les partenaires de la souveraineté » avant le début formel de la campagne référendaire), ce qui serait plus susceptible de faire appel à l'ensemble des composantes ethniques de la population québécoise. Or, ce passé mobilise un groupe ethnique particulier, les Canadiens français, il n'est pas un passé commun, car seul l'avenir peut l'être. 

Ce n'est donc pas un hasard si on a pu assister à des déclarations à l'effet que l'indépendance pouvait se faire, sans l'appui des anglophones et des « ethniques », si certains ont pu déclarer en commission parlementaire que seuls les Canadiens français devraient pouvoir voter à un référendum sur l'avenir du Québec, que l'alliance souverainiste a pu totalement négliger les anglophones et les « ethniques » durant la campagne référendaire, contrairement à ce qui s'était fait en 1980, si le préambule à la déclaration d'indépendance était si connoté ethniquement, si on a essayé de combler les gender gap dans l'appui des femmes à la souveraineté du Québec en leur proposant une politique familiale qui aurait pour principal objectif de produire des bébés de race blanche [16] et si J. Parizeau a pu faire ce discours de chef tribal plutôt que d'homme d'État au soir de sa défaite référendaire. 

Le deuxième problème que je veux aborder a trait au caractère largement surfait de la distinction québécoise. A cet égard, ce sont les tribulations linguistiques des politiques fédéralistes qui pourraient nous inciter à rire si l'enjeu n'était pas celui qui monopolise les débats politiques au Canada-Québec depuis une trentaine d'années. L'Accord du lac Meech tentait de définir la « société distincte » québécoise par la langue, la culture et la tradition de droit civil. L'Accord de Charlottetown parlait plutôt du « caractère unique » du Québec, sans tenter de le définir puisque plusieurs nationalistes avaient vertement critiqué le caractère restrictif de la distinction québécoise répertoriée dans Meech. Le ministre Stéphane Dion s'est brièvement essayé au « foyer national », mais l'incandescence du climat politique a eu raison du terme, d'autant plus que la traduction anglaise en était le « home­land », avec des connotations avec les bantoustans de l'Afrique du Sud de l'apartheid. Récemment encore, les premiers ministres de neuf provinces ont remis en service l'unicité du Québec, tout en essayant de tempérer leur « audace verbale » par la reconnaissance du caractère unique de toutes les provinces du Canada. 

Peut-on pour autant attribuer la volonté québécoise d'un statut distinct à l'intérieur de la Confédération canadienne ou d'accession au statut d'État souverain à un narcissisme par petites différences ? Il me semble que c'est là faire l'économie d'une réflexion sur l'histoire de cette Confédération canadienne et sur la façon dont elle peut être réinterprétée par les groupes nationaux qui y ont été incorporés sans y être reconnus comme tels [17]. En fait, le dilemme québécois en est un de fonctionner comme une nation sans posséder le statut de nation, ce qui n'implique pas nécessairement l'indépendance politique mais à tout le moins un aménagement constitutionnel qui tienne compte d'une perception des choses fortement ancrée dans l'imaginaire collectif. C'est d'ailleurs ce qui faisait dire à Langlois que les deux sociétés fonctionnent comme des sociétés globales, ce qui rend leur arrimage de plus en plus problématique. 

En fait, ce problème a acquis une nouvelle dimension depuis que RE. Trudeau a entrepris de fonder un nationalisme « civique » canadien pour parvenir à contrer le nationalisme québécois (Laforest, 1992). Que l'on prenne son projet de société juste de la campagne électorale de 1968 faisant de l'État fédéral le moteur de la solidarité sociale ou l'enchâssement de la Charte des droits dans la Constitution rapatriée en 1982, en passant par l'hymne national, tout cela s'inscrit dans une dynamique visant à forger une identité nationale canadienne pouvant susciter une adhésion affective comparable à l'identité nationale québécoise. 

Ce qui m'amène au troisième problème que je soulevais, à savoir un débat politique de plus en plus marqué par la concurrence des nationalismes dont témoigne le discours partitionniste qui s'est développe au cours de la campagne référendaire de 1995. Car il y a un monde qui sépare le « mon nom est québécois » de 1980 et la volonté de demeurer Canadiens peu importe la décision politique de la majorité de la population québécoise. Dans le premier cas, les deux groupes en présence se définissaient par rapport au même espace politique. Dans le deuxième cas, ils forcent le choix entre les allégeances. 

Et puisque les choses ne sont jamais simples, il y a en fait trois nationalismes qui s'affrontent dans le débat actuel. D'abord, le nationalisme autochtone qui vise une reconnaissance des Premières Nations dans le cadre fédéral canadien et revendique pour lui seul le statut de nation opprimée, tous les autres groupes nationaux étant assimilés aux Européens venus coloniser les Amériques ; ensuite, le secteur le plus intransigeant du nationalisme québécois (les « orthodoxes ») pour lequel l'épanouissement de la nation passe nécessairement par l'indépendance politique ; enfin, un nationalisme canadien qui prend essentiellement appui sur les communautés anglophones de la région montréalaise et de l'Outaouais québécois. À des titres divers, d'ailleurs, ces trois groupes revendiquent une forme d'autochtonie. 

Ce qui explique l'impasse politique actuelle, c'est que ces trois groupes non seulement se caractérisent par leur nationalisme mais ont également tendance à réduire la nation à une identité pleine et non négociable, ce qui exclut tout compromis et nous devons reconnaître qu'il ne s'en faudrait pas de beaucoup pour que cet affrontement prenne des formes qui dépassent la simple violence verbale caractérisant le discours politiques des dernières années. 

Quelles sont donc, dans ces circonstances politiques les solutions possibles à cette tentative d'opérer une jonction entre citoyenneté, nationalité et culture ? Trois grandes avenues restent ouvertes, même si elles ne sont pas toutes également souhaitables. 

La première est celle définie par les souverainistes québécois qui voient dans l'accession du Québec à la souveraineté la clé de l'émancipation nationale et du développement d'une nouvelle citoyenneté québécoise sur la base d'une culture publique commune francophone et ouverte. Elle me semble la plus à même, dans les circonstances politiques actuelles, de nous faire connaître des affrontements ethniques violents comme ceux qui continuent d'ensanglanter l'ex-Yougoslavie. D'abord, il est peu probable que le « oui » à la souveraineté du Québec puisse récolter plus de 55% des voix lors d'un référendum ; dans un tel contexte, l'opposition à une déclaration unilatérale de souveraineté serait importante. Ensuite, il est peu probable que le gouvernement fédéral accepte de négocier après un résultat aussi faible, d'autant plus que le Parti libéral fédéral, parti unique virtuel, comprend une aile québécoise qui a fait de l'éradication du nationalisme québécois la pierre angulaire de son credo politique [18]. Enfin, la violence verbale du courant partitionniste pourrait bien se transformer de manière moins symbolique et rien ne nous garantit qu'on n'assistera pas à la croissance de groupes nationalistes québécois tout aussi extrémistes que les partitionnistes. 

La deuxième est celle défendue par les nationalistes canadiens. Pour eux, le Québec est une partie intégrante de la Confédération canadienne et la sécession du Québec correspondrait à une redéfinition unilatérale de cette Confédération. Ils sont plutôt les partisans du fameux plan B, celui qui ravale le Québec au rang de province comme les autres, quitte à en reconnaître la distinction sur le plan des mots, mais sans que cette distinction ne s'accompagne de conséquences institutionnelles ou de réaménagement des pouvoirs. Depuis trente ans, ces nationalistes canadiens tentent d'éradiquer le nationalisme québécois et leur projet a autant de chances d'aboutir que celui des « éradicateurs » algériens. Le nationalisme québécois est trop fort pour pouvoir être complètement éliminé et constitue le terreau commun de tous les partis politiques québécois ; il a peu de chances de déboucher sur la souveraineté, mais il peut suffisamment nuire aux divers projets de centralisation politique chers au gouvernement fédéral. 

La troisième possibilité est celle du fédéralisme asymétrique qui reconnaît le Québec mais aussi les populations autochtones – et peut-être les Acadiens - comme des minorités nationales et leur permet de se doter d'institutions non nécessaires dans les autres provinces canadiennes mais leur permettant de perdurer comme nations, à l'intérieur de la fédération canadienne [19]. Cela implique un réaménagement important de la fédération canadienne que le niveau de dépolitisation actuel dans l'ensemble du Canada rend malheureusement peu probable. Contrairement aux deux autres solutions, c'est une politique de la raison et non de la passion, mais la raison a parfois le mérite de rendre possible des compromis qui constituent la seule façon de mettre fin à nos guerres picrocholines constitutionnelles. 

 

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[1]    Il est d'ailleurs significatif que l'exemple le plus évident de « nation diasporique », à savoir la communauté juive européenne, ait été confrontée au problème de sa nationalisation et de sa territorialisation et en soit partiellement venue, du fait de l'Holocauste et à travers le projet sioniste, à se normaliser sous la forme de l'État-nation. Sur cette ambiguïté, voir Hannah Arendt, principalement les chapitres 8 et 9 de la deuxième partie sur l'impérialisme.

[2]    Celui quia probablement le plus insisté sur cet élément est Will Kymlicka (1989 : 175), qui insiste sur le fait que « [c]ultural membership affects our very sense of personal identity and capacity » dès son premier ouvrage. Cette position est réitérée dans ses ouvrages ultérieurs, sans qu'il soit capable de donner une définition de la culture en tant que telle tout en en faisant un bien premier, au sens rawlsien du terme.

[3]    Pour une analyse de la territorialisation du nationalisme au Québec, on peut se reporter à l'ouvrage de Louis Balthazar (1986 : 131-145), Bilan du nationalisme au Québec, Montréal, L'Hexagone, 1986, principalement aux pages 131 à 145.

[4]    À ce sujet, on peut se reporter à l'ouvrage de Kenneth McRoberts et Dale Postgate (1983), Développement et modernisation au Québec, Montréal, Boréal.

[5]    Il serait ridicule de limiter le nationalisme québécois au Parti québécois. Depuis la révolution tranquille, tous les partis politiques provinciaux majeurs au Québec se sont situés dans la mouvance du nationalisme et le débouché politique pour ceux et celles qui refusaient le nationalisme québécois a plutôt été le fait du Parti libéral du Canada et non celui du Québec. Ceci permet de comprendre la continuité des politiques québécoises, peu importe le parti au pouvoir, en ce qui concerne la langue française, l'intégration des nouveaux immigrants, une certaine forme de nationalisme économique, etc. Certes, les conclusions politiques qui sont tirées de ce nationalisme varient, mais le terreau leur reste commun.

[6]    Le fantasme de la « normalité » de l'État-nation a la vie dure. René Lévesque en avait fait le leitmotiv de sa carrière politique. Cela a également fait partie du discours de la réassurance dans le camp du « oui » lors des deux campagnes référendaires de 1980 et 1995.

[7]    On le voit très bien dans un texte comme celui de Pierre Vallières, Nègres blancs d'Amérique (1968), Montréal, Parti-pris, 1968. Le texte commence d'ailleurs comme suit (p. 21) : « Je n'ai d'autre prétention, en écrivant ce livre, que de témoigner de la détermination des travailleurs du Québec de mettre un terme a trois siècles d'exploitation, d'injustices silencieusement subies, de sacrifices inutilement consentis, d'insécurité résignée. »

[8]    À ce titre, le Petit manuel d'histoire du Québec de Léandre Bergeron (1970) montre bien comment on reprend le récit historique de Lionel Groulx pour le « gauchir » et l'apprêter à la sauce de la libération nationale.

[9]    On retrouve également cette démarche dans l'ouvrage de Guy Laforest, Trudeau et la fin d'un rêve canadien (1992). Chez Laforest, cependant, la référence à l'enchaînement historique de l'abus est d'origine lockéenne, ce qui est loin d'être le cas de l'école historique inspirée de Lionel Groulx.

[10]   On ne peut faire abstraction du contexte de l'époque avec les processus d'accession à l'indépendance des États africains, la formation de la Tricontinentale, la guerre d'Algérie, le mouvement des droits civiques pour les Noirs américains, les mobilisations internationales contre l'impérialisme américain et, singulièrement, la guerre du Vietnam, qui font de la décolonisation le point de convergence de toute une série de courants politiques.

[11]   À l'époque, Guy Bouthillier (1978) pouvait même démarquer la loi 101 (Charte de la langue française) de l'unilinguisme français et montrer que la question linguistique n'était pas le nec plus ultra du projet souverainiste.

[12]   Louis Batlthazar (1986) en parle comme d'une des ambiguïtés du nationalisme québécois moderne, mais son texte lui-même est ambigu, accusant parfois les « communautés culturelles » de pratiquer le « chantage » face à la majorité francophone.

[13]   Régine Robin (1996 : 308) décrit ce phénomène comme une fixation sur la « souche » et confère aux écrivains, mais aussi aux intellectuels en général, le rôle qui devrait être le leur, à savoir « troubler l'écriture, faire des grumeaux dans la béchamel de l'identitaire et de l'essentialisme, empêcher la mayonnaise de la pureté culturelle ou linguistique de prendre ».

[14]   Pour une analyse de ce phénomène, on peut se reporter aux travaux de Micheline Labelle et de son équipe et à la contribution de Denise Helly et Nicolas van Schendel, « Variations identitaires sur la nation », dans Mikhaël Elbaz et al. (1996).

[15]   C'est pourquoi Michel Seymour (1998) veut remplacer la dichotomie nationalisme civique/nationalisme ethnique par une conception sociopolitique de la nation qui permette de concilier l'idée d'un groupe ethnique majoritaire s'agglomérant civiquement d'autres composantes, mais en lutte pour son affirmation identitaire sur le plan politique.

[16]   Bien avant le référendum, on avait pu voir le même discours dans le documentaire produit par Lise Payette, Disparaître.

[17]   Voir à ce sujet Jeremy Webber (1994), Reimagining Canada, Montréal et Kingston, McGill Queen's University Press, 1994. On peut également voir un modèle de reconnaissance multinationale dans Kymlicka (1995), Multicultural Citizenship, Oxford University Press, 1995.

[18]   Les commentaires qui ont entouré le jugement de la Cour suprême sont éloquents à cet égard.

[19]   Plusieurs scénarios allant dans ce sens sont présentés dans Laforest et Gibbons (1998).


Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mercredi 27 février 2008 19:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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