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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Diane Lamoureux, “Citoyenneté, nationalité, culture” (2000)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Diane Lamoureux, “Citoyenneté, nationalité, culture”. Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Mikhael Elbaz et Denise Helly, Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, pp. 111-129. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2000, 260 pp. [Autorisation accordée par l'auteure le 14 février 2008 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Le nationalisme québécois pose plusieurs problèmes sur le plan analytique. Plutôt que de me concentrer sur l'opposition entre nationalisme civique et nationalisme ethnique, je voudrais aborder la question suivante : en quoi la reconnaissance du caractère multiculturel de la société québécoise sape-t-elle les fondements du projet souverainiste ? Pour ce faire, j'adopterai une démarche en trois temps. D'abord, j'analyserai l'évolution du nationalisme québécois de la Révolution tranquille à l'accession au pouvoir du Parti québécois en montrant comment, malgré la territorialisation, le nationalisme québécois revêtait à cette époque un caractère essentiellement ethnique. Ensuite, je montrerai le tournant que représentent la Charte de la langue française et l'entente Cullen-Couture sur l'immigration dans la redéfinition de la communauté politique québécoise, ce qu'on a usuellement qualifié de transformation du nationalisme ethnique en nationalisme civique quoique cela reflète mal la mutation accomplie. Enfin, j'aborderai quelques-unes des apories du projet souverainiste dans un climat de reconnaissance de la pluralité ethnique et culturelle d'une société québécoise encore insérée dans le cadre politique canadien. 

Avant de procéder à cette analyse, il me semble cependant pertinent de tenter un projet de définition des trois termes qui m'ont été proposés afin d'amorcer ma réflexion, à savoir les notions de citoyenneté, de nationalité et de culture. Ces trois termes étant polysémiques, il est évident que je ne peux en cerner toutes les dimensions, mais les définitions que j'en retiendrai permettront de mieux cerner ma démarche analytique. 

La citoyenneté est probablement le terme le plus facile à saisir. Le Dictionnaire de philosophie politique (Raynaud et Rials, 1976) nous propose de l'entrevoir dans une opposition au terme « homme », à savoir dans le cadre d'un statut qui fait fi des caractères singuliers des individus pour mettre en évidence leur appartenance à un ensemble commun, la cité ou l'État. Dans les sociétés occidentales contemporaines, dont la légitimité repose sur le principe de la souveraineté du peuple, la citoyenneté en est venue à représenter un système de droits et d'obligations largement balisé par les institutions politiques. Si la citoyenneté peut revêtir des dimensions affectives, celles-ci ne sont pas entièrement nécessaires. De plus, la citoyenneté peut éventuellement entraîner un patriotisme constitutionnel, mais elle ne dépend pas de l'attachement plus ou moins important que l'on peut porter aux institutions du pays dont on est citoyen. La citoyenneté est conférée par l'État et s'acquiert soit par droit de naissance sur un territoire donné et à condition de satisfaire à certains critères d'âge, d'appartenance sexuelle ou de fortune, critères ayant largement varié dans le temps, soit par « naturalisation », à savoir par demande expresse d'adhésion àune communauté politique donnée, sous réserve de satisfaction de certaines conditions que seul l'État est appelé à déterminer. Au cœur du concept de citoyenneté, il y a donc un pouvoir souverain, un État, qui non seulement possède le monopole du pouvoir légitime sur un territoire donné mais également le pouvoir de trancher quant à l'appartenance à la communauté politique. La question de la citoyenneté s'avère par conséquent problématique dans le cas des communautés politiques qui ne jouissent pas de la souveraineté. 

Le deuxième terme, la nationalité, présente beaucoup plus de problèmes. Ayant consulté mon passeport pour les besoins de cet exercice, j'ai constaté qu'en page 1 j'étais citoyenne canadienne et qu'en page 2 j'avais la nationalité canadienne. En effet, le fantasme de l'État-nation est si prégnant dans le langage de la modernité politique que nationalité et citoyenneté tendent à se confondre. En fait, le terme de nationalité permet de comprendre ce qui fait le pont entre la culture et la citoyenneté. Si je continue de me référer au Dictionnaire de philosophie politique, le terme nation a « d'abord désigné un groupe de personnes unies par les liens du sang, de la langue et de la culture qui, le plus souvent mais pas nécessairement, partagent le même sol pour en venir à qualifier une association de personnes unies par des liens contractuels, manifestant ainsi leur volonté de vivre sous les mêmes lois » (ibid., 1996 : 411). Une telle définition recoupe largement celle de citoyenneté puisqu'elle fait référence au dispositif de droits et d'obligations et à la volonté plutôt qu'à la fatalité de la naissance. Mais elle nous renseigne au moins sur une chose : l'État ne produit pas que du formel, il produit aussi de la nation, c'est-à-dire du lien social qui se situe dans l'ordre du symbolique et de l'affectif. Cette double dimension de la nation prend toute sont importance dans le débat entre le nationalisme civique et le nationalisme ethnique. On pourrait également distinguer la nationalité de la citoyenneté, en retenant l'idée que la première est une « communauté imaginée » (Anderson, 1991) mais, même en adoptant une définition culturaliste de la nation, on ne peut faire totalement l'impasse sur ses dimensions politiques. Comme le mentionne Connor (1994 : 38), « [f]ar more detrimental to the study of nationalism, however, has been the propensity to employ the term nation as a substitute for that territorial juridical unit, the state. » De plus, même les nations diasporiques se sont largement définies par rapport à la normativité de l'État-nation [1]. 

Enfin, le troisième terme, celui de la culture, pose énormément de problèmes pour une politologue s'aventurant sur un terrain déjà si fortement balisé - et contesté - par les anthropologues. Évidemment, mon Dictionnaire de philosophie politique ne contient aucune entrée pour le mot culture. Je tenterai donc une définition qui insiste sur des pratiques sociales porteuses de sens pour une population donnée. Je pourrais ajouter que, en termes politiques, dans les sociétés libérales démocratiques, la culture consiste en un contexte de choix et donc un référent identitaire [2]. C'est d'ailleurs cette dimension de référent identitaire qui explique la politisation des cultures à l'époque moderne et la volonté plus ou moins affirmée de faire coïncider les frontières politiques et les frontières culturelles. 

Bref, comme le soulignait Gellner (1983), ce qui permet d'articuler dans une réflexion politique citoyenneté, nationalité et culture, c'est que, à l'époque moderne, certains groupes culturels se sont définis comme nations et, à partir de cette « communauté imaginée », ont entrepris de doter leur groupe des institutions politiques nécessaires pour assurer sa survie mais faisant également office de lieu de déploiement de cette redécouverte politique de la modernité, la souveraineté du peuple, celle-ci prenant la forme de la citoyenneté moderne au fur et à mesure que la notion de peuple devenait inclusive. La citoyenneté, dans un tel contexte, n'est plus seulement un lien d'ordre politico-juridique mais le mode du vivre-ensemble des sociétés modernes en ce qu'elle articule l'appartenance, la participation et la solidarité sociale, ce qui, dans d'autres types de société, a plutôt été le fait de la culture.


[1]    Il est d'ailleurs significatif que l'exemple le plus évident de « nation diasporique », à savoir la communauté juive européenne, ait été confrontée au problème de sa nationalisation et de sa territorialisation et en soit partiellement venue, du fait de l'Holocauste et à travers le projet sioniste, à se normaliser sous la forme de l'État-nation. Sur cette ambiguïté, voir Hannah Arendt, principalement les chapitres 8 et 9 de la deuxième partie sur l'impérialisme.

[2]    Celui quia probablement le plus insisté sur cet élément est Will Kymlicka (1989 : 175), qui insiste sur le fait que « [c]ultural membership affects our very sense of personal identity and capacity » dès son premier ouvrage. Cette position est réitérée dans ses ouvrages ultérieurs, sans qu'il soit capable de donner une définition de la culture en tant que telle tout en en faisant un bien premier, au sens rawlsien du terme.


Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mercredi 27 février 2008 19:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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