Présentation

Par Georges LEROUX

Ce liminaire sert un double propos : présenter un ouvrage et présenter la collection que cet ouvrage inaugure. L'un et l'autre constituent des activités inédites, des commencements dans la culture d'ici et c'est à ce titre que des initiatives qui se seraient bien passé de l'emphase d'une préface autorisent tout de même quelques mots de présentation.

Pour ceux qui s'interrogent sur la situation actuelle de la philosophie sans cesser d'y tenir leur place, le livre d'Yvan Lamonde sera d'abord le moyen d'une réévaluation judicieuse des figures passées de la tâche qu'ils assument aujourd'hui. Mais le livre s'adresse aussi à tous ceux qu'intéresse l'histoire culturelle du Québec. Il s'agit en effet de mettre en place les matériaux d'une histoire de la philosophie au Canada français, en constituant d'abord une historiographie et en rassemblant ensuite les documents essentiels qui la supportent.

Ce recensement n'est pas une histoire, mais pour ainsi dire la condition de possibilité de cette histoire dont il fournit l'armature. Il n'est pas non plus une analyse qui, elle, reste à faire. On s'apercevra chemin faisant que les raisons qui ont sans cesse différé une histoire de la philosophie québécoise tiennent autant à la nature du donné qu'au manque d'historiens de la culture. Cette histoire se confond en effet avec notre histoire culturelle dans la mesure où elle n'est pas l'histoire de productions autonomes, ni l'examen d'une chaîne de textes, mais l'histoire d'une pratique qui s'identifie dans la plupart des cas à l'enseignement et aux discours circonstanciés qu'il requiert. Peu d'historiens jusqu'à maintenant se sont intéressés à cet aspect riche et négligé de la culture québécoise.

Indissociablement liée à l'histoire des institutions, l'histoire de la philosophie qu'annonce le travail historiographique d'Yvan Lamonde sera tout entière prise dans les rêts des débats idéologiques qui ont animé la culture depuis le libéralisme du 19ème siècle jusqu'aux formes actuelles des questions nationales et sociales. C'est donc une contribution à l'histoire culturelle que ce travail nous fournit, l'histoire de la vie d'une discipline dans un milieu et non l'organisation proprement philosophique de ses productions qui sont si singulièrement absentes aussitôt qu'il s'agit de questions désengagées de la réalité du milieu.

Cette étude produira deux effets. Elle corrigera d'abord une vision trop monolithique du passé de la philosophie et de son insertion sociale au Québec. Le « thomisme - », on s'en rendra vite compte, n'est qu'un stéréotype récent pour qualifier les situations en elles-mêmes fort diverses qu'il a structurées. Cette historiographie confirmera par ailleurs, à un niveau plus général, la position de ceux qui rangent d'un même côté dans l'analyse de la culture les formes institutionnelles des idéologies et leurs formes discursives et n'en conçoivent pas la séparabilité. La philosophie au Québec est demeurée remarquablement collée à son support institutionnel cela entraîne que son histoire doit passer par celle des institutions.

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Ce n'est pas un moindre paradoxe pour une collection de philosophie que de s'ouvrir par un recueil historiographique. Je voudrais pouvoir suggérer qu'on voie dans ce travail le premier genre des tâches que notre collection souhaite accomplir. Cette historiographie sera pour nous doublement stimulante. D'une première façon, elle appelle comme sa suite naturelle des travaux historiques précis sur les grands moments (hommes, institutions, débats, livres) qu'elle structure schématiquement. Pour livrer la figure particulière des idéologies qui y sont véhiculées, le répertoire documentaire qu'on trouvera ici demande à être fouillé de près. Cette tâche sera celle de ceux qui s'appliquent aujourd'hui, de plus en plus, dans tous les secteurs des sciences humaines, à joindre à une histoire politique déjà bien étudiée et à une histoire économique et sociale qui fait le sujet de beaucoup de travaux, une histoire culturelle et une analyse des idéologies. De cette tâche, le livre d'Yvan Lamonde constitue un des premiers jalons et la collection voudrait contribuer à en poser plusieurs autres.

D'une seconde façon, et dans la suite de la logique qui veut qu'une historiographie entraîne une histoire, ce regard historique nous conduira sans doute à quitter, dans le moment même de la reprise historique, l'esprit passéiste qui a fait de notre philosophie une philosophie atavique, toujours conduite sur le mode de la défense et de l'illustration. Cette considération se présente à nous comme une exigence de contemporanéité et définit le second genre de travaux que la collection veut accueillir. Requis par l'actuel, tant au niveau des situations que des théories, nous voudrions donner une consistance publique à la parole de ceux qui appellent encore philosophie le discours qu'ils tiennent et ont cessé de mesurer à des modèles étrangers la valeur de leurs propositions.

Nous voudrions donc rassembler ici des travaux historiques sur la philosophie au Québec, dans la mesure où cette philosophie, tant comme discours que comme institution, fut partie prenante dans la constitution des idéologies et des travaux actuels où se laisse lire la figure plus immédiate du travail théorique.

A l'origine de ce projet se trouve un groupe de professeurs de l'Université du Québec à Montréal, mais le groupe a choisi d'intégrer ses travaux à ceux des Cahiers du Québec pour faciliter, entre autres choses, la pluridisciplinarité et l'ouverture à des collaborateurs venant d'autres milieux.

GEORGES LEROUX