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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du livre de Claude Lagadec, “Un point de vue moral. Le probable et l'improbable.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Roger Tessier et Yvan Tellier, Méthodes d'intervention. Développement organisationnel, pp. 513-527. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, 1992, 590 pp. Collection : Changement planifié et développement des organisations. Tome 8. [Autorisation accordée le 27 mars 2008 par Mme Hélène Lagadec, ayant-droit, de diffuser toutes les publications de son frère dans Les Classiques des sciences sociales.]

Claude Lagadec [1932-2000]

professeur de philosophie, Université de Montréal,
Université McGill et à l'UQÀM
 

Un point de vue moral.
Le probable et l'improbable
”. 

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Roger Tessier et Yvan Tellier, Méthodes d'intervention. Développement organisationnel, pp. 513-527. Québec : Les Presses de l'Université du Québec, 1992, 590 pp. Collection : Changement planifié et développement des organisations. Tome 8.

Table des matières
 
 
 
Introduction
 
Importance du groupe restreint
 
L'échec du groupe restreint par rapport au macrosystème
Le racisme
Le phénomène du leadership
 
Nous sommes des primates
Compétition et société en biologie
La compétition, processus à somme nulle
Autres méfaits de l'écologisme
Le probable et l'improbable

 

Introduction

 

Le lecteur du présent recueil est frappé par l'omniprésence du langage de la biologie. Le terme d'« environnement », par exemple, se retrouve partout, et si j'ai bien compris on lui fait dire à peu près n'importe quoi, L'environnement c'est dehors. C'est grand dehors, on y trouve tout et n'importe quoi. Et le terme d'« écologie » exprime fréquemment une sorte de vitalisme vaseux sans rapport avec l'évolutionnisme, sans méthode et apparemment sans limites. 

Pourtant, en biologie, le concept d'environnement est si intimement lié à la génétique qu'il n'a pas de sens en dehors d'elle. « Ces deux réalités sont aussi inséparables, dit le primatologue Hans Kummer, que le batteur et le tambour dans la production du son : il serait insensé, dit-il, de demander si c'est le batteur ou si c'est le tambour qui est à l'origine de la musique ; tout ce que nous savons c'est qu'avec un autre batteur ou avec un autre tambour la musique serait assurément différente [1]. » L'insistance de la psychosociologie actuelle à emprunter à la science biologique par l'évocation non contrôlée du rôle de l'environnement pourrait être tout aussi trompeuse ou peu informative. L'écologie, de même, est en principe une science, l'une des sous-sciences rendues possibles par l'évolutionnisme de Darwin. Mais l'utilisation qui en est faite ici (à l'exception du texte d'Hannan et Freeman [2], qui ne tombe pas dans ce travers) est moins une écologie qu'un écologisme, c'est-à-dire une philosophie et une morale, une lecture politiquement orientée du social qui ne dit pas son nom. Autrement dit cette utilisation ressemble à une idéologie : ce que nous sommes incapables de penser et qui pense à notre place. Non pas ce que, mais plutôt ce par quoi, nous pensons. 

Encore en biologie, la théorie générale des systèmes décrite par Kast et Rosenzweig [3] est expressément biologisante selon son auteur le biologiste Ludwig von Bertalanffy [4]. Kast et Rosenzweig, qui ne le disent pas, montrent que la théorie générale des systèmes n'est pas fondamentalement nouvelle et qu'elle est déjà très présente dans le fonctionnalisme des sciences sociales américaines. Selon eux Radcliffe-Brown et Malinowski, Robert K. Merton, Talcott Parsons, ont été des systémistes avant la lettre ; il en irait de même de la psychologie américaine et du holisme gestaltiste, des études intrants-extrants de la science économique, et finalement de la cybernétique. 

Schneider et Collerette [5], quant à eux, hésitent devant le point de vue systémique et qualifient leur approche d'organiciste. Ils sont en excellente compagnie. L'organicisme [6] commence avec La politique d'Aristote, et ses principaux représentants sont Auguste Comte, Spencer, Durkheim, Tönnies, Weber, le fonctionnalisme américain, Robert K. Merton, le béhaviorisme social de G.H. Mead ; Radcliffe-Brown, Pitirim Sorokin. Et, ajouterons-nous, Talcott Parsons et Bertalanffy. L'organicisme est un écologisme à l'ancienne. 

Cette mise à contribution du langage biologique ne va pas sans poser des problèmes. Par exemple : « Les organisations sont des entités vivantes », dit Charles Perrow [7]. Qu'est-ce à dire ? Jusqu'où peut-on sans dommage pousser la métaphore de cette biologie fantaisiste ? « Fantaisiste », ici, veut dire « arbitraire ». Y a-t-il autant de différence entre la biologie comme science, et le rôle de réservoir de métaphores ou de bonne à tout faire qu'elle joue ici, qu'il y en a entre l'astronomie et l'astrologie ? Ou entre la chimie et l'alchimie ? 

Le problème ne tient pas au fait que la psychosociologie a recours à un modèle, ce qui est le propre de la pensée en général, mais à ce que l'idée qu'elle se fait de la biologie semble un buffet ouvert où chacun prend ce qui lui plaît et néglige le reste. Le problème ne vient pas de la métaphore, mais de l'utilisation inconstante et sélective qui en est faîte. L'inconvénient principal de l'extension indéfinie de la métaphore biologique est de nous faire voir de la biologie là où il n'y en a peut-être pas, et de ne pas nous en faire voir là où elle est. En somme, cette méthode rend improbable la production de résultats contre-intuitifs. 

Examinons, pour illustrer, la place accordée au groupe restreint, particulièrement le groupe de formation, qui est l'une des plus belles inventions de la psychosociologie.

 

Importance du groupe restreint

 

Robert T. Golembiewski [8] raconte comment, au cours des années 1930 et 1940, le groupe restreint devint la cible du changement planifié : réunis en petit groupe, les gens apprennent des choses qu'ils n'apprendraient pas autrement. Les membres du groupe se persuadent les uns les autres plus efficacement que s'ils écoutent un intervenant extérieur au groupe. Cette découverte était le début de l'important développement que le groupe restreint devait prendre par la suite. Très tôt, selon Golembiewski, la méthode connut ses premières difficultés, car un groupe ainsi constitué s'autonomise vraiment dans une direction qui n'est pas nécessairement souhaitée par les organisateurs de la rencontre (des employés peuvent en profiter pour former un syndicat). C'est alors que lui vint l'idée brillante : le groupe restreint est une force par lui-même, et cette force est indépendante des individus, membres ou non-membres du groupe ; les échecs relatifs du début, dans les tentatives de changement intentionnel, venaient de ce que l'on tentait de travailler contre le groupe, ce qui est toujours peine perdue ; il faut plutôt travailler avec lui, en faisant du groupe lui-même l'agent du changement. 

Golembiewski affirme : « L'usage du groupe lui-même comme agent de changement est peut-être l'unique source de son pouvoir [9]. » Pourquoi l'unique ? D'où provient, se demande le lecteur, cette force interne du groupe restreint, qu'est-ce qui rend possible l'étonnante autonomisation relative si visible dans les conditions de laboratoire ? Étonnante en ce qu'elle peut orienter le groupe dans une direction qui ne dépend pas des volontés individuelles des membres. La réponse n'est pas du tout évidente. Si l'on dit que ce sont des forces proprement sociales (et non psychologiques) qui sont à l'œuvre dans le groupe restreint, cela ne fait que relancer la formulation du problème : quelles forces sociales ? Étant donné que le groupe dont il est question est effectivement très petit, moins de vingt personnes, et que l'expérience a lieu dans des conditions de laboratoire qui en font un îlot culturel temporaire, on ne voit pas quelles grandes forces sociales identifiées en sociologie pourraient être à l'œuvre. 

La recherche d'une réponse à cette question prendra la forme de l'examen de trois phénomènes typiques rencontrés dans la pratique du groupe restreint.

 

L'échec du groupe restreint
par rapport au macrosystème

 

Dans son article intitulé « L'état actuel du changement planifié auprès des personnes, des groupes, des communautés et des sociétés », Kenneth D. Benne [10] constate l'échec de la technique du groupe restreint à influencer le macrosystème, c'est-à-dire le niveau proprement politique ou la société dans son ensemble. Pour un chercheur, ce genre d'échec peut être précieux s'il comprend que la réalité tente de lui enseigner quelque chose. Kenneth D. Benne fait tout le contraire : il moralise, lourdement. Il impute l'échec du groupe restreint « à des attitudes traditionnelles profondément enracinées » des politiciens et des hauts fonctionnaires qui persistent à se conformer « à un modèle antagoniste de défense et d'attaque » ; ils seraient, selon lui, des inconscients qui n'ont pas encore compris les bienfaits de la coopération rendue possible par la dynamique du groupe restreint. 

Les méthodes enracinées sont préjugées au départ contre le principe même de ces qualités d'échange [normatif-rééducatif]. Tant que les responsables gouvernementaux ne prendront pas conscience du terrible gaspillage de ressources humaines, en amont et en aval des politiques actuelles, il y a peu d'espoir [...] (p. 191). 

Bref, il fait comme si la réalité avait tort (et il laisse dans le titre de son article l'idée inexacte que le changement planifié a prise sur les sociétés). Au lieu de prendre acte de l'échec, qui est un phénomène de société, l'auteur culpabilise et invective les acteurs sociaux. Aux fins d'une recherche à prétention scientifique, ce genre d'interprétation est toujours un bon pas dans la mauvaise direction. On peut supposer, d'une façon générale, que chaque fois qu'un psychosociologue écarte ainsi les données fournies par l'expérience et moralise, il tente consciemment ou non de sauvegarder un a priori moral de sa science. On trouvera plus loin une esquisse d'interprétation de cet échec. 

Conservons en mémoire, pour le moment, ce premier résultat : 1) le groupe restreint est impuissant devant le macrosystème ; 2) le psychosociologue ne veut pas le savoir.

 

Le racisme

 

Kurt Lewin [11] explique, dans un texte qui date de 1945, qu'une entreprise de rééducation est rien de moins qu'un changement de culture. Il donne l'exemple, d'un soldat américain blanc en poste à Londres, durant la guerre, qui réagit mal aux rencontres de ses compatriotes noirs avec des femmes anglaises. Le soldat blanc peut savoir que le racisme est injustifié, il peut même souhaiter personnellement de ne pas avoir de comportements racistes, sans que le problème en soit modifié. Son problème est une tâche de rééducation, selon Lewin, et qui implique un changement de culture. Ce n'est pas une question de structures cognitives ou rationnelles, car la connaissance et les émotions sont ici très indépendantes ; ce n'est même pas l'affaire d'une expérience personnelle ou de connaissance directe : le comportement raciste peut ne correspondre à aucune expérience désagréable antérieure et peut même contredire tout ce que l'on connaît personnellement de l'autre race. 

Plusieurs éléments de cette rééducation en font un processus qui demeure à ce jour mystérieux. Il faut que le changement de culture résulte d'une adhésion libre et volontaire, la rééducation est d'autant plus efficace que l'appartenance au groupe est forte, et il faut que le nouveau système de valeurs du groupe en vienne à dominer la perception de l'individu. 

Or Lewin insiste beaucoup pour montrer que les modes d'acquisition de l'anormal ou de la déviance (dans ce cas-ci, le racisme) sont exactement les mêmes que ceux du normal (le non-racisme). nous subissons de fortes pressions qui nous rendent conformistes, et ce que nous appelons la réalité est en fait ce que notre groupe appelle la réalité. 

La question que je désire poser maintenant est la suivante : si la rééducation d'un raciste implique sa forte appartenance à un groupe, et si cette rééducation n'est pas d'abord et avant tout une affaire cognitive ou rationnelle, ne faut-il pas supposer que c'est aussi un groupe, assurément un autre groupe, qui, de façon tout aussi peu rationnelle, l'avait rendu raciste au départ ? Je ne vois pas comment il serait possible d'échapper à cette question, ni comment y répondre par la psychosociologie actuelle : quelle peut être la nature de la force qui serait inhérente au groupe et capable de rendre quelqu'un raciste ? En d'autres mots, y a-t-il une base sociale ou groupale du racisme ? 

Conservons aussi en mémoire cette deuxième question, et passons à la troisième et dernière : le leadership.

 

Le phénomène du leadership

 

De tous les phénomènes dont la pratique du groupe restreint est si prodigue, le leadership semble des plus importants, dans l'ordre d'apparition et dans ses conséquences. On pourrait soutenir que l'ensemble groupe-leadership n'est en fait qu'une seule réalité sociale, et que c'est le contexte discursif qui fait privilégier une appellation plutôt que l'autre : sans groupe il n'y a pas de leadership, sans leadership il n'y a pas de groupe. En général, tant que le, la, ou les leaders n'ont pas été trouvés, il n'y a pas de groupe comme tel, mais seulement un agrégat de personnes incapables de se donner une mission ou un ordre du jour. 

D'où vient le leadership ? L'universalité du phénomène, en même temps que l'extrême diversité des formes qu'il adopte, sa spontanéité et sa prévisibilité auraient grand besoin d'une explication raisonnable et fondée sur des concepts qui soient des construits, dans le cadre habituel et le protocole de ce genre d'entreprise, et rattachée à un ensemble de connaissances objectives par ailleurs reconnues ; autre chose qu'une explication ad hoc. 

En langage plus polémique : puisqu'il n'y a pas de groupe sans leader, peut-on dire qu'il n'y a pas de groupe sans inégalité ? L'égalité est la règle numéro un de la morale et de la loi en Occident : pourquoi tout groupe semble-t-il une machine à produire une hiérarchie à travers le leadership, et pourquoi, loin de faire scandale, ce développement se fait-il fréquemment dans l'euphorie générale ?

 

Nous sommes des primates

 

Une façon de répondre à ces trois questions tourne autour du fait que nous sommes des primates. Ce mode d'approche se trouve en biologie, non pas en biologie fantaisiste, mais en évolutionnisme darwinien. En biologie sociale, en effet, aussi appelée sociobiologie, on connaît l'existence de la « dominance », qui est une priorité d'accès à la nourriture, au territoire (y compris le nid) et à la reproduction. Il existe environ 200 sortes de primates, et, bien que la stratification sociale diffère d'une espèce à l'autre et parfois même à l'intérieur d'une même espèce, la dominance est un phénomène si fréquent et diversifié qu'il est davantage la règle que l'exception. Les sociétés humaines juridiquement égalitaires existent depuis 200 ans, ce qui est évolutivement insignifiant, et elles continuent d'être marquées de nombreuses inégalités. Si l'on interprétait l'émergence du leadership dans les groupes de primates humains, et de la hiérarchie qu'il crée, comme une forme spécifiquement humaine de la dominance identifiée en biologie, l'ensemble de ce phénomène apparaîtrait sous un éclairage renouvelé et instructif. 

Il en va de même du racisme, qui correspond à ce que la biologie sociale appelle le principe de xénophobie, qui a été vérifié expérimentalement chez pratiquement tous les groupes d'animaux à vie sociale complexe, c'est pourquoi on l'appelle le « principe ». L'idée générale est que dans une société de singes rhésus, par exemple, le statut social ou rang de chaque membre dans la hiérarchie de la troupe se trouve menacé par l'arrivée d'un étranger. Il est reconnu que l'introduction d'un étranger dans une troupe de rhésus provoque de quatre à dix fois plus de conduites agressives que tout autre facteur qui a été expérimenté. Il faut en outre comprendre que la coopération sociale est maximale au cours des comportements hostiles à l'étranger, ce qui renforce le plus important facteur de stabilité sociale : la parenté génétique. En d'autres mots la xénophobie est sociogène, elle facilite la vie sociale. Pour les fins de notre propos, on pourrait ainsi comprendre qu'elle puisse être en nous, dans le primate que nous sommes, et cependant ne pas être d'origine cognitive ou rationnelle. 

Enfin l'échec du groupe restreint par rapport au macrosystème politique pourrait se comprendre de deux façons. D'abord en considérant l'histoire évolutive des primates. On suppose que nos ancêtres d'il y a plusieurs dizaines de milliers d'années vivaient dans des groupes relativement petits. Évolutivement, cela a pu nous préparer à vivre dans une structure de pouvoir à l'intérieur d'un très petit groupe, mais non pas dans un État moderne de millions d'individus appartenant à plusieurs ethnies. L'État moderne est une création spécifiquement humaine, sans antécédent dans l'évolution de la vie primate. Il est possible que cela joue un rôle dans le fait que le groupe restreint échoue à traiter adéquatement le macrosystème politique auquel nous ne sommes pas évolutivement préparés. L'argument apparaît plausible, mais pas très convaincant à lui seul. 

Mais c'est surtout l'idée même que l'on se fait de la société qui est en cause. D'où vient le social et pourquoi vivons-nous en société ? À l'heure actuelle la psychosociologie a expulsé de sa théorie à peu près tout ce qui n'est pas de la coopération ; l'écologisme tend à faire de même. Pourtant, il est manifeste que l'échec du groupe restreint par rapport au macrosystème est l'échec de cette approche exclusivement coopérative face à une réalité de compétition. Pour comprendre cet échec, il faudrait que la théorie fasse une place à la compétition. C'est ce que fait la théorie biologique du social.

 

Compétition et société en biologie

 

Toute la théorie de Darwin repose sur l'idée de compétition : le nombre des candidats à la vie excède les ressources, qui sont en quantité finie. Mais un des effets de cette compétition est de susciter la multiplication de « compromis » qui la réduisent ou l'éliminent, en sorte que les organismes qui réussissent à se reproduire se concurrencent moins ou pas du tout. La compétition favorise :

 

1)   la prodigieuse diversité des formes vivantes. Voici trois exemples simples : certains organismes deviennent nocturnes pendant que d'autres sont diurnes ; la grenouille est un carnivore terrestre alors que son têtard est aquatique ; l'éclosion des fleurs à des époques différentes optimalise le travail des insectes pollinisateurs qui leur servent d'organes sexuels ;
 
2)   la coopération non sociale (mutualisme, commensalisme, parasitisme, symbiose, etc.) ;
 
3)   La vie sociale et le mélange de compétition et de coopération propre à chaque société.

 

Il est donc bien vrai que l'histoire de la vie est celle de la compétition, mais d'une façon ou d'une autre l'évolution finit toujours par inventer des « compromis » dont l'effet est de réduire l'âpreté de cette compétition. La vie sociale n'est que l'un de ces compromis, et à l'intérieur de chaque société la dominance, quand elle existe, en est un autre (parce que la dominance est facteur de paix sociale). Comme pour toute autre forme de vie, ce sont les mêmes contraintes évolutives qui font qu'une espèce devient sociale, lorsque ce type particulier de compromis trouve des conditions favorables : sur les 20 000 espèces d'abeilles une faible partie seulement, de l'ordre d'une ou deux sur dix, est sociale, les autres sont demeurées solitaires. Ce qui fait qu'en biologie toute société est considérée par définition comme un mélange en proportion variable de compétition et de coopération. C'est là une caractéristique fondamentale de l'approche biologique de la question sociale et qui la distingue de tout ce que nous enseigne la sociologie. Sur le plan de la sociologie, le concept de société proposé par la biologie sociale renvoie dos à dos Rousseau et Marx, Talcott Parsons et C. Wright Mills : toute société repose sur une coopération partielle sur fond de compétition toujours présente. 

Le fait que la psychosociologie s'interdit de penser la compétition n'empêche pas celle-ci d'exister, mais empêche seulement le psychosociologue de la voir. Kenneth D. Benne ne parvient pas à voir ce que sa théorie lui interdit de comprendre. Si la vie sociale humaine n'était vraiment faite que de coopération sans compétition, la chose finirait par se savoir, il me semble. Le singulier échec du groupe restreint est, à lui seul, très instructif.

 

La compétition, processus à somme nulle

 

Disons ces choses autrement. Au commencement était la compétition qui est un processus à somme nulle, comme le déroulement d'une joute de poker, qui ne crée pas d'argent, mais le distribue différemment entre les joueurs. Puis la compétition engendra son contraire, la coopération, qui est un processus à somme non nulle, positive et créatrice d'ordre au sens de la physique : la vie est une forme d'entropie négative. À très long terme l'évolution produit des organismes de plus en plus complexes, et toute forme de culture humaine, y compris la psychosociologie, a pour effet de réduire et de « civiliser » la compétition entre les membres de cette culture. Mais elle ne l'abolit pas. Cette coopération n'opère principalement qu'entre les membres du groupe et c'est pourquoi nous constatons qu'elle demeure si faible entre les cultures humaines, où la compétition se manifeste par la xénophobie, et si faible au niveau du macrosystème qui sert d'interface entre ces cultures. En anthropologie ce genre de compétition s'appelle l'ethnocentrisme. Toutes les sociétés humaines et toutes les morales sont ethnocentristes. 

Au niveau proprement politique, la méconnaissance de l'idée de compétition comme processus à somme nulle apparaît très regrettable. Ce qu'on a appelé la fin des idéologies n'est pas du tout la fin des idéologies, c'est seulement la fin de l'idée de compétition et le triomphe de l'idéologie égalitariste et coopératiste qui est la nôtre. Car en fait la supériorité de la démocratie occidentale sur le communisme des pays de l'Est, devenue particulièrement évidente depuis la Chute du mur de Berlin, tient précisément à ce que l'Occident instaure entre ses leaders politiques une compétition qui redouble et tient en laisse la compétition de l'économie de marché. Notre parlementarisme institutionnalise la chicane au sommet de l'État. Cette formule est loin d'être parfaite, mais il reste que nous n'avons de libertés individuelles que dans la mesure où nous obligeons les princes qui nous gouvernent à se concurrencer. Ce n'est pas la fin de la compétition, mais seulement le début de sa bonne utilisation qui rend possible l'accroissement de notre coopération. L'égalité sans limite n'est pas le bonheur sans nuage, c'est plutôt le nuage sans bonheur. 

Ces remarques ne prétendent pas résoudre les trois problèmes signalés sur l'utilisation du groupe restreint. Le groupe restreint est une technique expérimentale et seules de nouvelles expériences pourraient apporter de nouvelles connaissances. Mais il reste que cette technique pourrait devenir, d'une façon toute nouvelle, un superbe instrument de recherche, si le praticien se guidait sur la science de la biologie au lieu de se fonder sur un écologisme incapable de l'instruire de la nature propre des limitations et éventuellement des échecs inhérents à cette méthode. 

Golembiewski a donc plus raison qu'il ne le pense de dire que l'usage du groupe lui-même comme agent de changement est l'unique source de son pouvoir. Avant d'être psychologique et avant d'être sociale cette source est biologique. En biologie, c'est l'épigenèse (au sens de Jacques Monod [12]) qui désigne tout processus biologique de développement structural et fonctionnel. Le développement d'un organisme ne se fait pas n'importe comment, mais selon certaines règles évolutives qui lui donnent ses traits distinctifs. Et selon Lumsden et Wilson [13], il y a des règles épigénétiques du développement mental. On peut penser que ce sont ces règles qui produisent les « idées innées » décrites en philosophie par René Descartes et en linguistique par Noam Chomsky. Dans cette optique on supposera que les phénomènes mentionnés (échec face au macrosystème, racisme, leadership) sont l'effet visible de telles règles épigénétiques. Un grand nombre d'autres règles semblables, identifiées en biologie sociale par voie expérimentale (altruisme biologique, division sociale du travail, territorialité, matrifocalité, monogamie, agressivité et autres), ont une incidence sociale directe et peuvent régir la pratique du groupe restreint, sans pourtant pouvoir être identifiées comme telles si le chercheur n'en connaît pas l'existence et n'en recherche pas délibérément les effets par une planification de ses interventions. 

 

Autres méfaits de l'écologisme

 

Dans la pratique actuelle, certains méfaits de l'écologisme pratiqué par la psychosociologie sont moins inoffensifs. Voici deux exemples qu'on peut lire dans le présent recueil. Noel M. Tichy [14] nous apprend que :

 

Dans la recherche faite sur les systèmes d'évaluation, on a constaté, d'un point de vue technique, que les subordonnés et les pairs évaluent plus exactement et plus adéquatement le rendement d'un individu, que ne le fait son propre supérieur. Cela date du temps de la Deuxième Guerre mondiale, alors que les pairs prédisaient plus exactement que les instructeurs lesquels parmi les apprentis deviendraient de bons pilotes. Ce résultat de la recherche a été confirmé de diverses façons dans des contextes industriels, où l'on a constaté que les pairs et les subordonnés fournissent de meilleurs indices de rendement, présent et futur, qu'un patron ou un superviseur. Cependant, 99% des entreprises américaines seraient politiquement incapables de tolérer que les pairs et les subordonnés procèdent à l'évaluation du rendement de leur supérieur, même si l'on reconnaît, d'un point de vue technique, la meilleure qualité d'une telle évaluation (p. 187).

 

Depuis plus de 40 ans, donc, la théorie de l'organisation sait que l'évaluation par les pairs et les subordonnés est plus juste pour les travailleurs et sait mieux identifier d'avance le meilleur candidat, et est donc aussi meilleure pour l'organisation, qui pourrait y trouver son profit. Ce fait est prodigieusement intéressant. Quand Tichy dit qu'il est politiquement impossible à l'organisation américaine de tolérer une telle pratique, je suggère de remplacer politiquement par biologiquement. Les organisations humaines sont des sociétés au sens biologique, ou partagent certaines de leurs caractéristiques : au-delà d'une certaine complexité toute organisation se hiérarchise et ne peut pas faire autrement ; il est très probable que certaines de ses structures échappent à la coopération. Peut-être existe-t-il une autre façon, mais je ne la connais pas, de comprendre pourquoi l'organisation industrielle américaine ne profite pas mieux du fait cité par Tichy pour rendre les gens plus heureux tout en se payant le luxe d'accroître la productivité, ce qui est le plus désirable des changements qu'une organisation puisse désirer. 

Deuxième exemple. Chris Argyris [15] montre que la personne humaine est un être de croissance qui doit normalement passer de la dépendance de l'enfance à l'autonomie de l'âge adulte ; de l'inconscience à la conscience de soi ; d'intérêts peu nombreux, superficiels et à court terme, à des intérêts très nombreux, profonds et à long terme. Et il montre ensuite que la règle inhérente de l'entreprise industrielle typique impose des contraintes qui infantilisent systématiquement le travailleur et favorisent l'échec psychologique individuel :

 

les employés travaillent dans un environnement où (1) on ne leur fournit qu'un minimum de contrôle sur leur monde de travail quotidien ; (2) on s'attend à ce qu'ils soient passifs, dépendants, subordonnés ; (3) on s'attend à ce que leur perspective temporelle soit à court terme ; (4) on les incite à perfectionner et à valoriser l'usage fréquent d'un petit nombre d'habiletés superficielles ; et (5) on s'attend à ce qu'ils produisent dans des conditions menant à un échec psychologique (pp. 119-120).

 

Si l'on en croit cette description-réquisitoire, le milieu organisationnel est non seulement pathogène, mais véritablement pervers par les renforcements positifs qu'il distribue et qui lui permettent de corrompre en permanence les êtres humains qu'il a commencé par débiliter :

 

[...] le management contribue à créer un univers psychologique qui porte les employés à croire que les causes fondamentales de l'insatisfaction sont partie intégrante de la vie industrielle, que les récompenses qu'ils reçoivent sont le salaire de l'insatisfaction (p. 115).

 

Pourtant Chris Argyris ne dit pas que cette description est factuelle, il dit au contraire qu'elle n'est que théorique, qu'elle n'exprime que la logique interne de l'organisation industrielle ; on peut tenter de réduire les effets de cette logique interne, mais non pas l'abolir. Mais justement, d'un point de vue théorique, c'est cette précision qui rend inéluctable la production de sous-humains ; l'organisation les recycle après coup grâce, notamment, aux services du psychothérapeute et des autres vidangeurs sociaux experts en people-processing. 

Voit-on ici pourquoi le discours écologiste est toujours politique ? Ce que disent Tichy et Argyris est connu depuis des années, c'était avant la mode actuelle de l'écologisme, et leurs textes sont publiés dans ce recueil parce qu'ils sont devenus des classiques du genre. Si la psychosociologie actuelle choisissait d'en tenir compte, cela serait assurément un choix non seulement politique, mais aussi moral : ce serait un choix de société, un humanisme. Mais choisir de n'en pas parler est tout autant un choix politique et moral, qui a pour effet de favoriser la production de sous-humains. Pourquoi l'écologisme de la psychosociologie manque-t-il à ce point de sens critique, pourquoi ne tient-il pas compte de toute la production de l'organisation ? Nous aimons penser que la compagnie General Motors (GM) ne fabrique que des autos, l'Alcan de l'aluminium, Coca-Cola des boissons gazeuses. Mais c'est manifestement une erreur, un « oubli » qui est un choix politique et moral : GM fabrique des autos et des sous-humains, Alcan fabrique de l'aluminium et des sous-humains, Coca-Cola fabrique des boissons gazeuses et des sous-humains. 

Et cela est parfaitement normal, au sens de probable. L'être humain est, en partie, un produit du primate parlant : il est normal, parce qu'il est un primate social, qu'il tende à produire des sous-humains ; et, parce qu'il est aussi un être de langage, qu'il identifie les contraintes de la vie psychologique et sociale et en tourne les effets à ses fins propres, utilisant la capacité d'autonomisation du groupe restreint pour « civiliser » la vie sociale et les lois de l'évolution pour construire une société égalitaire. C'est-à-dire plus égalitaire. Il est vrai qu'à très long terme, sur des millions d'années, l'évolution va dans le sens de l'égalité ; « plus l'organisme est complexe, plus il est libre [16] », et plus les sociétés qu'il se donne sont égalitaires. Mais il en va tout autrement dans l'immédiat. Les humains produisent des sous-humains et l'ont toujours fait parce que l'humanité est expérimentale et l'a toujours été. L'humanité est un chantier, nous sommes des humanoïdes. Où qu'on se tourne par temps clair, vers l'amont ou vers l'aval de l'organisation, on peut voir un psychologue occupé à rendre supportable et rentable la sous-humanisation en marche, ou à recycler ses déchets. Mais de temps en temps l'on peut aussi voir un Chris Argyris dire la vérité sur ce que nous faisons, et nous entrevoyons alors autre chose, quelque chose qui est plus loin que la vérité actuelle, une autre humanité possible, une surhumanité telle que l'entendait Friedrich Nietzsche.
 

Le probable et l'improbable

 

Selon Nietzsche « la majeure partie des bonnes actions conformes au devoir n'a aucune valeur éthique, mais est obtenue par contrainte [17] ». Il voulait dire qu'elles sont imposées par le groupe. Sa Généalogie de la morale a montré que la plus grande partie de ce qui nous tient lieu de vie morale n'est pas le produit de la conscience individuelle, qu'elle est au contraire sociale et grégaire, produite par le troupeau. Cependant la critique nietzschéenne ne disposait en son temps, outre son génie propre, que d'un principal instrument d'analyse relativement faible à nos yeux, la philologie. Il nous est maintenant possible de mieux comprendre que si ces bonnes actions sont imposées par le groupe c'est qu'elles sont animales et que leur loi est celle de la biologie évolutionniste. Nietzsche aurait été infiniment heureux d'apprendre que nous avons été produits par une évolution opportuniste et sans but, qui n'invente de nouvelles formes de vie que par hasard et par erreur. Reformulée dans ces termes, la vie morale accomplit la dignité que c'est pour l'animal que je suis d'être l'homme que je suis. 

Le probable est l'ensemble des régularités de la nature. C'est l'objet de la science : l'entropie et le désordre au sens statistique de la physique. Il n'y a de science que du probable et le plus probable est la mort. La logique du probable fait que notre morale est la morale du groupe. Chaque fois que je commence à parler, ce qui sort de ma bouche c'est la morale du groupe. A notre époque la science exerce la plus grande influence sur le groupe, et de façon croissante nous n'avons de morale que celle que la science autorise, l'écologisme du psychologue producteur de sous-humains. On ne dit plus « faire la publicité » de quelque chose, on dit « sensibiliser la population » ; on, cette quatrième personne du singulier, n'a jamais tant parlé de créativité que depuis que notre croyance à la science l'a rendue impossible. Nous pensons comme nos voisins, qui ont été choisis pour ça. Notre idéal est d'être authentique, ce qui veut dire conforme à quelque vérité que nous voudrions rendre maîtresse de notre vie, et nous ne comprenons pas pourquoi notre corps se meurt d'ennui au désert de Pier Paolo Pasolini par manque d'illusions et d'amour. La mort est plus que probable, la mort est déjà là. 

Si la psychosociologie était bien faite, elle se rendrait elle-même plus légère et superflue. Ce n'est pas ce qui se passe et c'est normal : tout groupe tend à s'autonomiser et les psy sont un groupe comme un autre, qui cherche à s'autonomiser lui aussi. Quand un groupe de psychologues met sur pied un groupe restreint de formation, celui-ci s'autonomise jusqu'au terme prévu. À ce moment le groupe restreint est dissous, car il est hors de question de le laisser s'autonomiser indéfiniment, ses membres retournent au travail payé par le salaire de l'insatisfaction, pendant que de son côté le groupe des psy continue à s'autonomiser à son niveau propre. C'est ça le pouvoir. Il ne faut pas accuser le capitalisme, qui n'est pas une limite inhérente à la psychosociologie, la limite de la psychosociologie n'est que le fait qu'elle s'interdit d'en parler. Lorsqu'un psychosociologue agit et parle autrement que son groupe, son individuation devient manifeste et un jour ou l'autre ses collègues et lui-même l'accusent de trahison. 

L'improbable est la solitude conséquente à cette trahison. Le terme « improbable » est aussi emprunté à la physique, où il signifie l'entropie négative et l'ordre de la vie elle-même. L'improbable que les humains produisent n'existe pas d'avance comme réalité stable, c'est une sorte d'anti-science (comme on dit l'anti-matière qui est une matière d'une autre sorte) que la communauté des primates parlants instaure par le langage. C'est une absence, un congé, une vacance que nous provoquons tous ensemble, mais chacun pour soi par rapport à la dure réalité du probable. C'est le moment exceptionnel où la morale cesse d'être sous-humaine, c'est là seulement où l'on peut dire que la morale est vraiment un choix en un sens qui n'est pas grégaire. Pour signifier le choix moral, les anciens Grecs, qui s'y connaissaient un peu, utilisaient le mot hairesis dont nous avons fait « hérésie » : choisir c'est accepter d'être hérétique, c'est trahir le groupe. Ce choix n'a rien de nécessaire, chacun vit comme il l'entend, les justifications et les excuses n'ont de sens que pour le groupe et le groupe voudrait que la pensée soit toujours marsupiale. Sans compter le secret désir du traître que le groupe se range finalement derrière lui et c'est parfois ce qui se passe. L'improbable hausse la vie de chacun à la hauteur qu'il croit être la sienne et c'est très bien. 

Il n'y a pas de science de l'improbable, par exemple au niveau de la haute improbabilité d'un poème de Rimbaud. La science elle-même est un effet de langage. La science n'est pas objet de science, ce n'est donc qu'une autre fiction. Nous sommes devant la science comme ces spectateurs des premières salles de cinéma qui invectivaient les méchants apparaissant à l'écran et qu'ils croyaient « réels », « vrais », « dans la réalité ». Mais ils comprirent à l'usage que le cinéma n'est qu'un autre jeu, the world is a stage, une fiction possible et tellement raisonnable. Et à ce moment ils entrèrent dans l'illusion de se laisser séduire, ils crurent à la vérité de cette non-vérité. C'est ce que doit être la science pour nous, une fiction qui ne montre son utilité que lorsqu'elle met le probable au service de l'improbable, le calculable au service de ce qui ne l'est pas, la mort au service de la vie. Les patineurs veulent entrer dans la musique et dans la danse, pas dans la science de la glace ! Celui qui veut fabriquer ou utiliser la science, dorénavant aucun d'entre nous n'y échappe, doit y mettre toute la rigueur convenue par le groupe des savants ; pour ensuite reconnaître cette fiction pour ce qu'elle est. Être moral c'est dégrégariser la vie, c'est utiliser la science pour émietter l'univers et perdre le respect de tout. La plus haute vie morale est l'apprentissage de l'irresponsabilité. N'importe quel savant dévoué à son groupe vous dira que c'est là la plus grande trahison imaginable dans son cinéma. On peut le croire, à défaut de mieux. Par manque d'imagination. 

Il ne faut pas trop compter sur l'aide du philosophe, qui n'est pas plus fin ni moins groupie. Depuis qu'elle ne peut décidément plus demeurer la servante de l'ancienne théologie, la philosophie de notre temps se met au service de la nouvelle. La philosophie est une pute et c'est très bien, il en faut. La philosophie appartient au probable, elle aussi. 

Dans l'improbable il n'y a pas de faits, mais seulement des interprétations, pas d'observateurs, mais seulement des participants, les participants sont mortels et membres d'un groupe d'oranges mécaniques. Cela aussi je le veux, je veux tout. Je ne renoncerai ni à la science aux effets barbares et prévisibles des futurologues prédisant le passé, ni à vouloir les conséquences du hasard où je sombre irresponsable. 

Le groupe est toujours bête et sous-humain, c'est rassurant. Mais la vie veut qu'on lui donne, le corps veut avoir peur et voir les choses autrement. Une vieille sagesse paysanne dit que le cœur de l'homme est un moulin, faute de grain, il peut se moudre lui-même. C'est le risque courtisé activement par le producteur d'improbable qui est les deux meules à la fois, celle qui tourne et celle qui ne tourne pas. Il attend que ça pète.


[1]    Cité par Linda Marie FEDIGAN (1982). Primate Paradigms. Sex Roles and Social Bonds, Montréal et St. Albans, Vermont, Eden Press, p. 31.

[2]    Michel T. HANNAN et John H. FREEMAN (1991). « L'écologie des populations d'organisations », dans R. TESSIER et Y. TELLIER (sous la direction de), Changement planifié et développement des organisations, Sillery, Presses de l'Université du Québec, tome 3, pp. 231-274.

[3]    Fremont E. KAST et James E. ROSENZWEIG (1991). « Le point de vue moderne : une approche systémique », dans R. TESSIER et Y. TELLIER, op. cit., tome 3, pp. 303-333.

[4]    Voir Ludwig von BERTALANFFY (1975). Perspectives on General Theory. Scientific Philosophical Studies, sous la direction d'Edgar Taschdjian, New York, George Brazillier. Erwin Laszlo, responsable du choix des textes de cette publication posthume, explique dans sa préface que le biologiste Bertalanffy concevait sa théorie comme eine Theorie au sens allemand du terme, c'est-à-dire comme un mélange de science et de philosophie. Parmi les textes publiés, voir en particulier « The Organismic Conception », pp. 97-103, traduction de « Biologische Gesetzlichkeit im Lichte der organismichen Auffassung » (littéralement : « La légalité de la biologie à la lumière de l'interprétation organiciste ») ; et « A Biological World View », pp. 115-126, dont le titre original était « Was bat unsere Kenntnis vom Leben von der gegenwärtigen Biologie zu erwarten ? » (« Qu'est-ce que notre connaissance de la vie peut attendre de la biologie actuelle ? », d'abord publié par M. Lohman sous le titre « Biologie und Weltbild » (« Biologie et représentation du monde ») dans un ouvrage collectif intitulé « Wohin führt die Biologie ? » (« Où va la biologie ? »).

[5]    Robert SCHNEIDER et Pierre COLLERETTE (1990). « Les modèles organisationnels en mutation », dans R. TESSIER et Y. TELLIER, op. cit., tome 2, pp. 7-37.

[6]    Voir Pierre BIRNBAUM (1971). Article « Organicisme », Encyclopœdia Universalis.

[7]    Charles PERROW (1991). « L'école institutionnelle », dans R. TESSIER et Y. TELLIER, op. cit., tome 3, pp. 33-62.

[8]    Robert T. GOLEMBIEWSKI (1992). « Interventions dirigées sur le groupe : quelques tendances de développement », dans R. TESSIER et Y. TELLIER, op. cit., tome 7, pp. 187-202.

[9]    Id. ibid., p. 191.

[10]   Dans R. TESSIER et Y. TELLIER (1990). Op. cit., tome 1, pp. 171-193.

[11]   Kurt LEWIN (1991). « Conduite, connaissance et acceptation de nouvelles valeurs », dans R. TESSIER et Y. TELLIER, Op. cit., tome 6, pp. 1-12.

[12]   Jacques MONOD (1970). Le hasard et la nécessité, Paris, Seuil, pp. 113 -114.

[13]   Charles LUMSDEN et Edward O. WILSON (1983). Promethean Fire. Reflexions on the Origin of Mind, Cambridge, Mass., et Londres, Harvard University Press.

[14]   Noel M. TICHY (1991). « Les bases de la gestion stratégique du changement », dans R. TESSIER et Y. TELLIER, op. cit., tome 5, pp. 169-195.

[15]   Chris ARGYRIS (1991). « L'individu et l'organisation : quelques problèmes d'ajustement mutuel », dans R. TESSIER et Y. TELLIER, op. cit., tome 3, pp. 103-125.

[16]   François JACOB (1970). La logique du vivant. Une histoire de l'hérédité, Paris, Gallimard, p. 207.

[17]   Friedrich NIETZSCHE (1969). Le livre du philosophe, Paris, Aubier-Flammarion.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 28 mai 2008 15:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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