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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du livre de Claude Lagadec, “Après.” Un article publié dans la revue STOP. Nouvelles, récits et contes, no 113, juillet-septembre 1989, pp. 53-54 [Autorisation accordée le 27 mars 2008 par Mme Hélène Lagadec, ayant-droit, de diffuser toutes les publications de son frère dans Les Classiques des sciences sociales.]

Claude Lagadec [1932-2000]

professeur de philosophie, Université de Montréal,
Université McGill et à l'UQÀM
 

Après”. 

Un article publié dans la revue STOP. Nouvelles, récits et contes, no 113, juillet-septembre 1989, pp. 53-54.

 

Chère amie, j'aime bien cette question que tu avais posée au sortir de la Brûlerie de café, nous traversions à ce moment le trafic et la gadoue de la rue Mont-Royal et tu demandais à mon corps que j'avais envoyé à cette rencontre : « Comment peux-tu te dire très sûr de ta force, et si peu sûr de réussir ce que tu tentes ? Tu n'es pas très cohérent, peut-être ? » 

Ta question m'a étonné, je le comprends au moment de l'écrire, c'est une question de fragilité. L'extrême fragilité de choses. Tout tient à un fil. Il y a, bêtement, la chance, l'occasion l'herbe tendre, il y a aussi à quoi je pensais pendant ta question en regardant la cage d'oiseau que tenait la petite femme en manteau trois quarts de faux je ne sais pas quoi qui attendait l'autobus, à ce moment j'avais douze ans et dévalais en courant devant le Pain Moderne, ce qui me fait sourire, auquel sourire tu réponds en pensant à autre chose. Et c'est la vive conscience du peu de temps qui nous reste, de la pesanteur du probable et je suis un oiseau. 

Cela cohabite avec la plus grande violence dont je t'ai parlée et que je m'applique à rendre, à proprement dire, irréfutable, par l'infinité des souffrances que je m'inflige. je suis le volcan que ne n'ai jamais réussi à éteindre. Que dis-je, elle cohabite, elle l'invite plutôt et l'embrasse, son appétit de différences est insatiable. Bonheur. La fragilité des choses les fait légères, le volcan les rend inévitables, je suis leur noces. 

Un jour, je te le promets, nous retournerons à la Brûlerie de café pour y jouer des rôles, ce sera notre théâtre, chacun se contentera d'un seul rôle et nous aurons une heure pour improviser. Ce sera notre soirée de l'impro. Il sera entendu que nous serons sincères et vrais, modérément affectueux comme il convient, attentifs à nos états d’âme, légers. Les rubans rouges noués en larges boucles aux suspensions du plafond donneront à l'univers entier un air de bonbonnière du temps des Fêtes, celui de nous deux qui parlera au moment précis où l'horrible moulin à café interrompra son vacarme aura l'impression de hurler la confidence pourtant murmurée, et terminera sa phrase en improvisant là-dessus. Tout sera extraordinairement fragile et cependant définitif, après coup rien au monde ne pourra plus faire que cette rencontre qui aura eu lieu n'ait pas eu lieu, nous aurons déjà a ce moment et pour toute l'éternité déjà traversé la gadoue et même la rue Pontiac. Connais-tu cette fragilité ? Et notre paradis, à la mesure de chacun, aura été d'artifice. C'est ça qui est le plus difficile, je trouve, nos paradis sont d'artifice, toujours un peu d'artifice, ils ne nous sont pas donnés, nous devons les faire nous-mêmes. Il me semble que les choses ne sont réelles que lorsqu'elles sont écrites, y compris par moi. je suis dans mon rêve, c'est l'été, j'ai construit une maison miniature qui plairait à un enfant de douze ans, je l'ai pourvue d'une seule porte et d'une fenêtre : maintenant qu'elle est terminée je m'en approche lentement, j'ouvre la porte, je pénètre à l'intérieur, je referme soigneusement la porte derrière moi et je m'approche de la fenêtre pour regarder dehors. C'est grand dehors, et je ne t'ai pas encore tuée.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 28 mai 2008 13:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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