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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Marie-France Labrecque, Les intellectuels et le prolétariat rural. Le cas de Temax au Yucatan, Mexique”. Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 6, no 1, 1982, pp. 99-129. Numéro intitulé: “Idéologies et politiques”. Québec: département d'anthropologie de l'Université Laval. [Autorisation formelle accordée par l’auteure le 14 septembre 2007 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Marie-France LABRECQUE

Professeure titulaire, département d’anthropologie,
Université Laval 

Les intellectuels et le prolétariat rural.
Le cas de Temax au Yucatan, Mexique
”. 

Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 6, no 1, 1982, pp. 99-129. Numéro intitulé: “Idéologies et politiques”. Québec: département d'anthropologie de l'Université Laval.
 

Introduction
 
 
1. Les études anthropologiques du prolétariat rural ou le prolétariat rural comme paysannerie
 
2. La reproduction idéologique du prolétariat rural dans la région henequenera au Yucatan : le cas de Temax
 
La genèse du prolétariat rural au Yucatan
La question agraire
Temax : situation actuelle
« Mon nom est personne » : le caciquismo à Temax
 
3. « Dernière édition » : conclusion
 
Bibliographie
 
 
Tableau 1. Zones d'utilisation des sols au Yucatan
Tableau 2. Population économiquement active au Yucatan de 1950 à 1970 (par secteur)

 

Introduction

 

Bien que cet article porte sur le prolétariat rural, il se situe dans le domaine des études anthropologiques des paysanneries. C'est en effet de ce domaine qu'ont émergé les études du prolétariat rural. Cette genèse entretient une certaine confusion chez ceux qui s'intéressent au développement du capitalisme dans le secteur agraire et surtout au sort des travailleurs impliqués dans ce processus. C'est bien sûr en termes d'appartenance et de lutte des classes que ce problème se pose, que j'ai identifié plus précisément comme celui de la reproduction idéologique du prolétariat rural comme paysannerie. 

Dans la première partie, je m'en tiens à la dimension théorique de la question, en montrant comment la tradition anthropologique nord-américaine, d'où sont issues les études des paysanneries, se traduit actuellement par un certain flottement dans l'identification des classes sociales représentées à la campagne. Pour des raisons pratiques, parmi les auteurs américains intéressés aux paysanneries, je limite mon traitement principalement à ceux qui sont concernes par l'Amérique latine. 

Malgré son caractère théorique, la préoccupation qui sous-tend cette première partie relève également de la méthodologie. Il me semble en effet que plusieurs outils qui paraissaient révolutionnaires à l'anthropologie des années '50 ont vieilli : la notion de paysannerie ne revêtant après tout qu'un caractère descriptif, fait partie à mon avis de ces outils désuets. Vidée de tout contenu conceptuel, la notion de paysannerie est devenue un symbole. Si « transformer un concept en symbole, c'est ouvrir l'esprit des hommes à des possibilités illimitées » (Béteille 1978 : 50), il n'en demeure pas moins que l'on doive tenir compte de la classe qui opère cette transformation. Les anthropologues et les intellectuels du milieu académique me semblent passablement impliqués dans cette transformation. Cependant, ils ne sont pas les seuls. Je veux en fait montrer que le procédé par lequel cette transformation s'effectue dans la théorie n'est guère différent de celui par lequel elle s'opère sur le terrain. Tous deux relèvent du domaine de l'idéologie. L'intellectuel à l'université et le leader politique sur lequel nous nous attarderons dans la deuxième partie contribuent tous deux à la reproduction de l'idéologie dominante selon les modalités propres à leur milieu d'hégémonie. En cela je m'inspire bien sûr de la remarque de Gramsci : « les intellectuels sont les « commis » du groupe dominant pour l'exercice des fonctions subalternes de l'hégémonie sociale et du gouvernement politique (...) » (Gramsci dans Ricci 1975 : 607). 

L'étude de cas à laquelle je me livre dans la deuxième partie de cet article a pour but d'illustrer certaines modalités de la reproduction du prolétariat rural comme paysannerie dans la région henequenera au Yucatan. J'examine les facteurs historiques qui ont présidé à la mise en place des conditions actuelles de la production et j'explore une des formes qui, de façon assez explicite, me semble favoriser la reproduction de ces conditions. Plus spécifiquement, je me penche sur un cas d'hégémonie exercée par un type bien particulier d'intellectuels. Par rapport à la première partie, j'espère montrer que la démarche que j'emprunte alors ne repose pas sur un simple procédé analogique mais bien sur la conviction que,. quel que soit leur milieu d'intervention, les intellectuels sont partie prenante de la lutte des classes.

 

1. Les études anthropologiques du prolétariat rural
ou le prolétariat rural comme paysannerie

 

À la différence du prolétariat généralement entendu dans son sens industriel, le prolétariat rural implique des liens étroits et immédiats avec la paysannerie telle que l'anthropologie l'a définie. L'histoire des études paysannes montre pourtant que ces liens n'ont pas toujours été reconnus comme tels. Plus encore, l'existence même du prolétariat dans les campagnes a carrément été ignorée dans les premières études portant sur la paysannerie. Rétrospectivement, on constate que le prolétariat rural n'a commencé à constituer un objet pertinent d'étude que lorsque la définition de la paysannerie s'est dégagée du courant culturaliste. La notion de continuum folk-urbain élaborée par Redfield dans The Folk Culture of Yucatan (1941) constituait. le premier rejeton d'importance de ce courant dans les études paysannes a leur début. La paysannerie y était essentiellement définie comme représentant un stade évolutif compris entre la société tribale et la société urbaine. La notion de continuum sera bien sûr critiquée par de nombreux auteurs (Mintz 1953 ; Goldkind 1965), dont les contributions conduiront à l'introduction par Wolf de critères économiques dans la définition de la paysannerie : 

(Par conséquent), je définis les paysans comme des populations dont l'existence est basée sur la culture et qui prennent des décisions autonomes quant aux processus de culture. La catégorie couvre donc les cultivateurs à bail et les métayers aussi bien que les propriétaires producteurs, en autant qu'ils prennent les décisions pertinentes sur la façon dont leurs cultures sont mises en valeur. La catégorie n'inclut cependant ni les pêcheurs ni les travailleurs sans terre.
 
Wolf 1969 : XIV [1] 

Une première ouverture aux critères écologiques et économiques permet dès cette époque de percevoir que les habitants de la campagne ne sont pas nécessairement tous des paysans : une définition de plus en plus restreinte de ceux-ci en fait des producteurs agricoles qui contrôlent leurs terres en n'ayant pour tout objectif que la subsistance (Wolf 1955 : 453). C'est ainsi que, pour Wolf Ou moins, le paysan se différencie à la fois du fermier et du travailleur agricole : notons au passage que ce dernier n'est pas pour autant désigné comme un prolétaire rural. Indépendamment de la prudence avec laquelle on devait à l'époque manier ce type de terminologie aux États-Unis, les non-paysans n'intéressaient Wolf que dans la mesure où ils lui permettaient de faire ressortir les caractéristiques spécifiques de la paysannerie ; les liens de ce groupe avec la société plus large ne s'eh établissaient ensuite que plus facilement. 

C'est en parcourant les divers niveaux socio-culturels d'intégration (Steward 1968. 481) à partir de la paysannerie et en conférant un ordre de priorité causale à la base matérielle que Wolf fait une découverte importante : il se rend compte en effet que les relations symbiotiques de la paysannerie ne s'établissent pas tant culturellement avec les villes (comme le veulent Redfield et Singer dans « The Cultural Role of Cities »(1954) ou économiquement avec les villes de marché comme l'affirmait Kroeber (in Geertz 1962 : 2), mais bien plutôt économiquement et politiquement avec l'État : 

C'est l'État, et non la ville, qui constitue le critère décisif de la civilisation et c'est l'apparition de l'État qui marque le seuil de transition entre les producteurs de denrées agricoles en général et les paysans. 
Wolf 1966 : 11 

En fait, Wolf suggère que l'existence de I'État est reliée à celle de la paysannerie et que c'est sur la base même de l'interception du surplus agricole, constitué sous forme de rente, qu'il a pu s'ériger. La paysannerie s'identifie désormais comme un groupe subordonné malgré un contrôle effectif des moyens et des procès de travail. La voie était ouverte à une approche en termes de classes sociales. 

En effet, alors que Wolf était aux prises avec le problème de la définition de la paysannerie et de sa contextualisation historique, d'autres chercheurs comme Mintz, considéraient la paysannerie comme impliquée dans un processus incluant à la fois les capitalistes et les prolétaires. Dans son article de 1953, Mintz avait délimité une série de traits distinguant les communautés de prolétaires de la société « folk » idéale auparavant traitée par Redfield. Les caractéristiques que Mintz attribue alors aux prolétaires ruraux ne sont pas sans rappeler celles que Kroeber [2] avait associées à la paysannerie : 

Les prolétaires ruraux forment une société partielle et sont membres d'une classe qui ne peut être analysée adéquatement qu'en référence aux autres classes de l'ensemble de la société (...). 
Mintz 1953 : 140 

Tout comme Wolf dans le cas de la paysannerie, Mintz fait néanmoins intervenir un critère socio-économique dans sa caractérisation des prolétaires ruraux : 

Dans le cas de la société folk, l'isolation est avant tout géographique et on peut l'analyser presqu'entièrement en ses propres termes. Dans le cas des communautés de prolétaires ruraux, l'isolation est socio-économique. 
Mintz 1953 : 140 

Tout en reconnaissant sa formation dans le courant culturaliste, Mintz n'a cependant pas craint de s'en dissocier en introduisant la notion de classe sociale : 

(...) alors que l'homogénéité ethnique et l'isolation géographique sont absentes de la définition de la communauté de prolétaires ruraux, on y retrouve plutôt une sorte d'homogénéité culturelle bien réelle, déterminée en partie en termes de classes. 
Mintz 1953 : 140 

Mintz allait faire une proposition importante pour les futurs développements tant des études paysannes que des études de la prolétarisation : 

Ce qui est proposé ici c'est que forme et processus soient tous deux étudiés en passant par des construits typologiques basés sur des études spécifiques de terrain, de façon à ce que l'on rende compte des similarités et des différences. 
Mintz 1953 : 143 

Ce n'est que 20 ans plus tard que Mintz publiera une synthèse préliminaire des résultats de recherches menées dans ce domaine dans un article intitulé : « A Note on the Definition of Peasantries » (1973). 

Dans cet article, Mintz affirme que la définition des paysanneries sur la base de leurs relations asymétriques avec le pouvoir externe, comme l'ont notamment fait Wolf et Shanin, est insuffisante. Les paysanneries se distinguent plutôt par l'absence de cette homogénéité qui caractérise le prolétariat. Non seulement les paysanneries sont hétérogènes mais elles subissent une différenciation interne : ainsi plusieurs catégories de gens partagent certaines caractéristiques de la paysannerie. Une des premières tâches, selon Mintz, consiste à dresser des typologies afin de ne laisser aucune catégorie de ruraux « analytiquement marginale ». Sur ce point précis, Mintz s'adresse à Shanin dans les termes suivants: 

(...) l'expression « analytiquement marginal » tend à masquer l'existence de relations structurales importantes entre les secteurs paysans et les autres groupes ruraux non-paysans. Ainsi, la présentation méthodique de Shanin, bien qu'utile, passe outre sur la façon dont la paysannerie en tant que telle réalise ou maintient sa viabilité à travers l'existence de ces autres groupes et vice-versa. 
Mintz 1973 : 95 

La typologie que Mintz propose d'effectuer doit être considérée dans le contexte de l'intérêt qu'il porte à l'histoire. La critique que Mintz avait autrefois faite du continuum folk-urbain de Redfield traduisait déjà cet intérêt : 

Redfield n'a jamais remis en question la valeur d'une telle recherche (historique) mais il s'est efforcé d'atteindre la nature du changement social sans faire référence aux particularités historiques. 
Mintz 1953 : 137 

Mintz se défend bien d'adopter une démarche de réification des types de paysannerie et sa préoccupation pour l'histoire devrait, semble-t-il, nous en convaincre. Cette démarche permettrait en effet de considérer non seulement le développement des types dans l'histoire mais surtout celui des interrelations entre ces types. Comme il le dit lui-même, cette approche peut éventuellement nous aider à approfondir nos comparaisons (Mintz 1973 : 98) dans le temps et dans l'espace (ibid. : 102). Pour Mintz, les secteurs non-paysans de la société sont aussi compris dans ces comparaisons. De la sorte, cette confrontation de la paysannerie avec la société dont elle fait partie soulève la question de la paysannerie comme classe. 

Par exemple, dans le manuel édité en 1971 par Shanin (Peasants and Peasant Societiées), une section intitulée « Peasantry as a class » comprenait un extrait de Marx et des articles de Shanin lui-même et de Wolf. Depuis qu'il avait introduit le concept de rente dans le domaine, Wolf était directement concerné par le problème de la situation des paysanneries au sein des classes sociales. Comme ni Wolf ni Mintz n'étaient intéressés à construire des typologies qui réifient la réalité, ils ne pouvaient accepter la définition empirique des classes mise de l'avant par la sociologie américaine. Plusieurs chercheurs en désaccord avec cette perspective dominante se sont mis à considérer sérieusement les approches matérialistes. Mintz était l'un d'eux. 

Dans son article sur la conscience de classe (1974), Mintz offre une synthèse de ses conceptions du prolétariat rural tout en les ré-interprétant selon une approche marxiste. Prenant le cas cubain comme point de départ, Mintz montre que le travailleur rural et le paysan ne doivent pas être confondus (Mintz 1974 : 295). Les agrégats ou les groupes non-paysans peuvent être dissimulés dans l'infrastructure de la société paysanne (ibid. : 306) mais c'est explicitement sur la base des rapports de production que l'on peut identifier ces groupes et définir le prolétariat rural en termes de classe (ibid. : 300). Cependant, les rapports de production ne constituent pas le seul facteur ; pour préciser cette affirmation, Mintz organise son matériel autour du contraste entre l'hétérogénéité de la paysannerie et l'homogénéité du prolétariat. Au niveau de l'appartenance objective de classe, le prolétariat rural est homogène ; cependant ce n'est pas nécessairement le cas au niveau de la conscience de classe. C'est la raison pour laquelle l'appartenance objective du prolétariat rural à une classe n'est pas une base suffisante pour prédire ses actions. 

Mintz cherche à expliquer les raisons pour lesquelles le prolétariat rural ne développe pas sa conscience de classe, du moins dans les cas qu'il connaît ou qu'il a étudiés. Cette interrogation l'amène à considérer les conditions spécifiques selon lesquelles se développe le prolétariat rural. Mintz examine donc le procès d'individualisation, entendu au sens marxiste du terme comme une objectivation de soi liée à l'objectivation et l'aliénation du travail sous le capitalisme (Mintz ibid. : 310). Comme les membres d'une même classe peuvent être engagés différentiellement dans ce procès (ibid. : 314), Mintz cherche des facteurs d'explication du côté de la communauté. 

(...) les conditions particulières dans lesquelles vivent ces personnes la qualité de la communauté dans laquelle elles fonctionnent - peuvent affecter leur perception variable de classe ou leur conscience. 
Mintz 1973 : 95 

On peut dire que Mintz combine l'approche du matérialisme historique à ce qui a été la contribution probablement la plus positive du culturalisme, une approche qui confère un sens de ce que c'est être un paysan ou un prolétaire rural au sein d'une communauté (voir Mintz 1979). 

L'approche de Mintz invite à l'étude du procès de prolétarisation dans le contexte historique et général du développement du capitalisme et dans le contexte particulier de la communauté dont font partie les prolétaires ruraux. Or le procès objectif de prolétarisation ne peut être bien compris que dans la mesure où les chercheurs s'entendent sur la définition du prolétariat rural. Malgré toute la richesse de sa contribution, l'article de Mintz montre que ce problème mérite encore que l'on s'y arrête. Il écrit : 

Ainsi le présent auteur suggère (...) que l'on considère les prolétaires ruraux et les paysans comme formant habituellement des secteurs conjoints (mais aussi compétitifs) de la même société, à tout le moins pour la région sur laquelle porte la discussion. La relation de ces secteurs l'un à l'autre peut être très complexe, parfois parce qu'une portion substantielle de la population oscille entre ces adaptations, parfois parce que divers arrangements de tenure prévalent sur ces types, parfois parce qu'il reste encore d'autres types à découvrir dans un système. 
Mintz 1974 : 300-301 

Dans cet extrait, le terme « oscillation » semble s'appliquer indifféremment à la paysannerie, au prolétariat rural et même aux autres « agrégats ». Si tel était le cas on peut soulever à nouveau le problème de la spécificité du prolétariat rural. 

Le même type de préoccupations caractérise le premier article de William Roseberry. Synthétisant la tradition nord-américaine dans les études paysannes et l'influence du marxisme européen, son article de 1976 publié dans American Anthropologist confirme la pénétration du marxisme dans les études de paysannerie en anthropologie. Dans la veine de Wolf et de Mintz, Roseberry tente de redonner au concept de rente son contenu marxiste original en le resituant dans le contexte de la décomposition de la paysannerie. 

Pour rendre le concept de rente vraiment opérationnel, il était nécessaire de surpasser les limites de son utilisation par Wolf dans les études de communauté (Roseberry 1978b). En d'autres termes, le concept de rente a été introduit dans les études de paysannerie sans s'appuyer sur le cadre théorique qui l'a généré. Ce n'est donc pas par hasard si les jeunes chercheurs américains se sont tournés vers les sources marxistes et ont alors été influencés par les Européens et plus particulièrement par les Français. 

L'introduction du concept marxiste de la décomposition de la paysannerie dans l'anthropologie américaine représente une nouvelle étape par rapport aux études antérieures. Ce concept oblige les chercheurs à considérer à la fois les facteurs externes qui président au développement non seulement de la paysannerie mais aussi de l'ensemble des classes sociales dans le mode de production capitaliste. Cette position implique une méthodologie précise à laquelle Roseberry fait référence dans deux articles subséquents : l'analyse ne doit pas partir d'abord des paysans ni même de la communauté mais bien du capital et des capitalistes (Roseberry 1978a : 9 et 1978b : 35). Cette méthodologie permet semble-t-il à Roseberry de situer les agrégats non-paysans dissimulés dans l'infrastructure de la société paysanne dont parlait Mintz (1974 : 306) sans nécessairement les inclure dans la paysannerie ou dans le prolétariat rural. Plutôt que de les désigner comme des prolétaires déguisés, Roseberry affirme que les fermiers caféicoles qu'il a étudiés au Vénézuela ne sont ni des paysans ni des prolétaires : plutôt, ils sont engagés dans un procès de prolétarisation (Roseberry 1978a : 13. Je souligne). 

L'intégration de l'étude des processus, directement issue de la notion de décomposition de la paysannerie, confère aux études de la prolétarisation un dynamisme indéniable. Cependant, même avec cette intégration, le problème de la définition de classe de ces fermiers notamment, demeure entier puisqu'aux dires de Roseberry, ils ne sont plus des paysans mais ils ne sont pas encore des prolétaires... Dans son désir de ne pas confondre paysannerie et prolétariat rural, cet auteur n'aura en somme réussi qu'à situer les membres d'une catégorie occupationnelle déterminée en dehors des rapports de classe. La question de la spécificité du prolétariat rural par rapport à la paysannerie n'est en effet pas résolue et la démarche de Roseberry revient à les confondre. Peut-être sommes-nous en présence d'un cas d'établissement d'une homologie entre des intellectuels (qui souvent se perçoivent comme en dehors ou au-dessus des classes) et leur objet d'étude (voir Rancière 1973). 

Si l'on reprend les contributions combinées de Mintz et de Roseberry, tout en retenant le contraste établi par Mintz entre hétérogénéité de la paysannerie et homogénéité du prolétariat, on doit admettre, contrairement aux hésitations des deux auteurs, que le prolétariat rural constitue une classe qui n'« oscille » pas. Elle constitue l'aboutissement du procès de prolétarisation. Les membres de cette classe ne sont plus engagés dans ce procès : ils sont des prolétaires. Selon Marx et Engels, une des caractéristiques fondamentales du prolétariat, c'est qu'il n'a plus rien à perdre. Dans ce sens, c'est précisément l'irréversibilité de sa situation qui permet de situer le prolétariat rural en tant que classe au niveau de la production économique. Sur la base de ces remarques, il y a tout lieu de croire que ces fermiers caféicoles étudiés par Roseberry sont des paysans dans le plein sens du terme justement parce qu'ils sont engagés dans un procès de prolétarisation. La paysannerie est en effet hétérogène et ses membres oscillent entre divers statuts. La majorité est engagée dans un procès de prolétarisation selon des scénarios variables. C'est pour cette raison que l'on peut sérieusement questionner la notion selon laquelle la paysannerie sous le mode de production capitaliste constitue une classe. 

L'illusion d'une appartenance commune de classe des paysans et des prolétaires ruraux (illusion que Mintz et Roseberry veulent méritoirement élucider) se base néanmoins sur des éléments concrets. En effet, prolétaires ruraux et paysans partagent des racines communes très profondes qui plongent directement dans le passé et relèvent de la préhistoire du développement du capitalisme. Au niveau économique, la décomposition de la paysannerie constitue un processus dialectique de destruction d'une classe et de son remplacement par de nouvelles classes. Ce processus est loin d'être aussi radical au niveau idéologique. Les porteurs de classes nouvelles sont dépositaires de tendances et de valeurs contradictoires. Or l'histoire montre que les classes dominantes du mode de production capitaliste ont réussi la plupart du temps à contrôler la reproduction idéologique des classes sociales à la campagne : il n'a fallu qu'accentuer les tendances de la paysannerie qui vont dans le sens de l'idéologie dominante et s'assurer que les classes qui en sont issues ont bien intériorisé ces tendances. C'est la raison pour laquelle on se retrouve avec un prolétariat rural qui, parce qu'isolé du prolétariat en général, s'enligne souvent sur la bourgeoisie. Évidemment la reproduction idéologique dans le sens du mode de production capitaliste ne s'effectue pas sans « bavures ». De nombreux épisodes politiques qui vont dans le sens contraire prouvent que le prolétariat rural est capable de développer des intérêts de classe communs avec ceux du prolétariat en général. Jusqu'ici cependant cette capacité a été efficacement réprimée. Et à une époque qui se caractérise, semble-t-il, par la violence sanglante, ce type de répression passe pratiquement inaperçu : la pire violence de classe s'effectue sans arme et sans effusion de sang. C'est ce qui a fait dire à certains chercheurs qu'il s'agissait là d'un « consentement des opprimés ». L'étude de cas que je propose montrera, je l'espère, que le problème ne se pose pas vraiment en ces termes. 

 

2. La reproduction idéologique
du prolétariat rural dans la région henequenera

au Yucatan : le cas de Temax

 

Comme nous l'avons vu, les intellectuels - ici les anthropologues - révèlent un certain manque de détermination lorsqu'il s'agit de distinguer paysannerie et prolétariat rural en termes de classes au niveau de la production économique. Cette hésitation se comprend en fonction de l'idéologie dominante à laquelle nous n'échappons nullement et qui consiste notamment à confondre les modalités de la reproduction idéologique des classes sociales avec celles de leur définition économique dans la production. Ainsi, après avoir distingué prolétariat rural et paysannerie sur des bases économiques (homogénéité et hétérogénéité), Mintz et Roseberry les recomposent au niveau idéologique (hétérogénéité du prolétariat rural et de la paysannerie quant à la conscience de classe) pour enfin projeter cette recomposition au niveau économique en parlant cette fois de l'oscillation du prolétariat rural et de la paysannerie indifféremment entre plusieurs classes. Ainsi on s'y perd et on perd également la spécificité du prolétariat rural en tant que classe. 

Les conclusions de ces auteurs correspondent néanmoins à la perception que des chercheurs ont souvent sur le terrain. Le prolétariat rural semble en effet partager un patrimoine beaucoup plus considérable avec la paysannerie qu'avec le prolétariat en général. L'étude de cas que je propose concerne ce type d'impression et se base sur du matériel recueilli lors de séjours périodiques effectués de 1974 à 1981 dans le nord de l'état du Yucatan au Mexique, plus précisément dans une région qui se caractérise par la culture d'un agave, le henequen. En reconstituant brièvement l'histoire du développement du capitalisme dans cette région, je veux souligner l'importance, l'ancienneté et le type d'enracinement caractérisant là-bas le prolétariat rural. Puis, en me concentrant sur un groupe politique hégémonique au sein d'un village particulier, j'espère illustrer le type de confusion qui se développe lorsque l'on accentue la particularité distinctive de ce prolétariat rural, Le. ses racines paysannes. Enfin, j'évoque la possibilité d'une résistance du prolétariat rural sur les mêmes bases.

 

La genèse du prolétariat rural au Yucatan

 

Mieux connu sous le nom de sisal, bien qu'il s'agisse d'une espèce un peu différente, le henequen fournit une fibre aux usages multiples. Connue depuis des temps immémoriaux par les Mayas, cette fibre était utilisée à des fins domestiques sous forme de ficelle, de corde ou de câble (Cardos 1959 : 28-29). Sous la colonie, on en fabriquait des cordages pour les navires (Irigoyen 1975 : 91, 118). Cependant, son exploitation était loin d'être systématique. L'entrée en 1821 du Yucatan dans l'Union mexicaine entraîna des conséquences importantes pour l'économie de l'État. Le Yucatan doit réorienter sa production. Les luttes politiques intestines entre centralistes et fédéralistes mènent l'État près de la banqueroute. Les pressions de toutes sortes sur les travailleurs et principalement les Indiens s'intensifient. En 1847, à la faveur des coups d'État et des pronunciamientos, les Indiens mayas de l'est et du sud du Yucatan se rebellent - une fois de plus - contre l'envahisseur blanc et surtout contre les hacendados exploiteurs. La révolte -connue sous le nom de guerre des Castes - atteint de telles proportions que la population de la péninsule diminue de moitié et que la valeur des biens fonciers - surtout des haciendas sucrières du sud - est coupée des deux tiers (Benitez 1965 : 62). Au moment où les troupes fédérales réussissent à circonscrire les populations rebelles dans le sud, deux événements successifs allaient décider du sort de l'économie yucatèque alors en ruine : la moissonneuse-lieuse de Mc Cormick aux États-Unis et l'invention puis le perfectionnement par des yucatèques d'une machine qui décortique efficacement le henequen (Molina Solis 1927 : 425). 

 

Après plusieurs essais en effet, la corde de henequen pour lier les gerbes de céréales récoltées mécaniquement dans le midwest américain grâce à la machine s'était révélée la plus résistante et la plus sûre. Entre 1850 et 1870, la demande des États-Unis pour la fibre de henequen s'intensifie : dès 1857, l'invention de la rueda Solis - du nom d'un de ces inventeurs -vient solutionner les problèmes strictement techniques qui auraient pu empêcher le Yucatan d'y répondre. 

C'est à partir des années 1860-1870 que l'on peut vraiment parler de l'implantation de l'industrie henequenera dans le nord de l'État du Yucatan. L'accaparement et la concentration des terres sont facilitées depuis 1856 par les lois de la Réforme qui favorisent la généralisation de la propriété privée aux dépens des terres des communautés y compris des communautés indigènes. L'infrastructure technologique pour sa part se développe grâce aux capitaux bancaire et commercial. L'exportation du henequen passe de 627 pacas [3] de fibre brute en 1861 à 19,893 pacas en 1870 (Irigoyen 1975 : 111, Betancourt Perez 1953 : 57). En 1897, elle sera de 419,975 pacas (Benitez 1965 : 113). 

C'est de cette époque que date la dépendance économique du Yucatan vis-à-vis des Etats-Unis. Dès les années 1860 en effet, le Yucatan n'est qu'un simple fournisseur de matières premières et le sort de sa population est étroitement lié aux fluctuations de la demande pour la fibre. À cette époque également, la dépendance du Yucatan est médiatisée par une couche aisée d'hacendados qui a su s'immiscer dans le processus commercial à titre d'intermédiaire aux dépens des autres hacendados et aux dépens surtout des travailleurs des haciendas. L'hégémonie de la « Caste divine » (qui désigne cette poignée d'hacendados-intermédiaires) coïncide presque parfaitement avec la dictature de Porfirio Diaz, président du Mexique de 1876 à 1911. 

Les hacendados qui ne font pas partie de la « Caste divine »tentent par tous les moyens de réduire leurs coûts de production. La machinerie pour décortiquer le henequen est manufacturée aux États-Unis et fort dispendieuse : elle prend des années à s'amortir. Seule le main-d'œuvre constitue en quelque sorte une matière malléable. Il faut lire le México Bárbaro de John Kenneth Turner (1911) et se mettre au fait de la polémique qui s'élève lors de sa publication aux États-Unis (Gonzalez Navarro 1979 : 222-225) pour en être convaincu. Ce que Turner décrit dans ce livre au chapitre concernant le Yucatan, c'est une exploitation effrénée de la main-d'œuvre connue sous le nom de péonage mais qu'il n'hésite pas à qualifier d'esclavage à cause des sévices corporels que subissaient les travailleurs, hommes et femmes [4]. Encore de nos jours, il suffit d'écouter les témoignages des anciens qui se réfèrent à ce temps comme à celui de la esclavitud. Le mot espagnol est d'ailleurs passé tel quel à la langue maya. Quoiqu'il en soit, d'après Cline (1948- 46), il y a en 1880 au moins 20,767 familles de peones, c'est-à-dire retenues sur les haciendas à cause de leurs dettes.

Malgré le développement du capitalisme au Mexique il faudra pratiquement attendre l'irruption de la Révolution de 1911-1917 pour assister à un changement qualitatif des conditions de la production. La Révolution mexicaine marque en effet la naissance d'un prolétariat au Yucatan. Rappelons que jusque-là la main-d'œuvre laborieuse des haciendas ne possédait pas les caractéristiques qui définissent le prolétariat. Contrairement aux prolétaires, le peón d'hacienda constitue une main-d'œuvre qui n'a pas encore atteint les conditions préalables de sa libération soit sa séparation d'avec ses moyens de production. 

La façon dont la libération de la main-d'œuvre, de l'esclavage et de ses moyens de production, allait s'accomplir au Yucatan affecterait la nature du prolétariat qui en résulterait. Un des messages de la révolution mexicaine était compris dans la maxime de Zapata, Tierra y Libertad : c'est le volet de la liberté qui est introduit par le général Alvarado, messager de la révolution à un Yucatan jusque là demeuré quelque peu en marge de la bataille armée. En 1914 en effet, le servage est officiellement aboli par décret. Ce décret demeura cependant lettre morte jusqu'en 1922. Pour en comprendre les véritables raisons, il faut examiner le rapport de force des différentes classes en présence. Il ne faut pas oublier que c'est la faction petite-bourgeoise de la révolution qui a triomphé principalement avec Carranza. La promesse d'une réforme agraire massive constituait le compromis que cette faction avait conclu avec la faction paysanne dirigée par Zapata et Francisco (Pancho) Villa. Ce compromis n'était nullement surprenant. En effet, bien que la petite bourgeoisie (cléricale, intellectuelle, commerciale) n'occupe pas la même position que la paysannerie dans la production en termes de classe, elle en partage l'instabilité et l'oscillation. Le caractère essentiellement petit-bourgeois de la révolution mexicaine est patent au Yucatan notamment par la nature incomplète et schématique des mesures qu'elle a entraînées. Ainsi le général Alavarado amène la libération de la main-d'œuvre mais sans accomplir la redistribution des terres tel que prévu par l'article 27 de la Constitution de 1917. 

Cette attitude allait directement servir les intérêts de la bourgeoisie naissante au Yucatan. Les hacendados qui ne faisaient pas partie de l'oligarchie foncière et commerciale, avaient contribué au succès de la Révolution au Yucatan. Ils avaient participé au renversement du régime porfiriste en joignant les rangs des partisans de la non-réélection. Il s'agissait en fait d'une lutte d'hégémonie entre l'aristocratie foncière et la bourgeoisie naissante. Depuis les années 1870 cette oligarchie foncière avait constitué la courroie de transmission des revenus du henequen aux grands trusts nord-américains tel la International Harvester, notamment à partir de 1902, aux dépens bien sûr du prolétariat mais aussi, d'une autre façon, des hacendados moyens. Une fois l'aristocratie foncière éliminée, les revenus des hacendados avaient contribué à financer les campagnes révolutionnaires de Carranza au centre du Mexique (Carta Peninsular 1976 : 1 ; Gilly 1971 : 167). Alvarado aurait été mal venu d'exproprier cette bourgeoisie qui avait contribué financièrement au succès de Carranza. C'est pour cette raison que le décret d'expropriation des haciendas et leur répartition aux travailleurs regroupes en ejidos ne sont véritablement activés qu'après 1922 confirmant de façon irréversible l'existence d'un prolétariat dans le secteur agraire. 

Les hacendados en lutte contre l'oligarchie avaient été appuyés par la petite bourgeoisie intellectuelle et commerciale. Mais celle-ci avait ses propres aspirations révolutionnaires : prendre apparemment le rôle dirigeant dans la sauvegarde de la « pureté constitutionnelle ». Cette pureté constitutionnelle prescrivait notamment l'expropriation des latifundia et leur répartition aux paysans sans terre. La petite bourgeoisie se dresserait donc contre la bourgeoisie foncière sur la question agraire.

 

La question agraire

 

Alvarado tente de calmer ces éléments petits-bourgeois en fondant le parti socialiste en 1916 (Bustillos Carrillo 1955 : 12), d'abord parti socialiste ouvrier (PSO) et parti socialiste yucatèque (PSY) puis parti socialiste du sud-est (PSSE). Conçu comme un encadrement du potentiel révolutionnaire de la petite bourgeoisie progressiste et du prolétariat naissant, le contrôle du parti socialiste allait bientôt échapper à Alvarado. Le co-fondateur du parti, Felipe Carrillo Puerto, fils de petits commerçants de Motul (ville voisine de la capitale de l'État) avait été en contact avec les milices révolutionnaires de Zapata mais aussi avec le mouvement prolétarien international notamment au cours de séjours aux États-Unis (Reed 1964 : 80). Il avait lu la plupart des socialistes utopiques, Marx et Engels (Camara Patron et Ayora Sarlat 1973 : 116). 

Favorisé par les interprètes de la révolution, le parti socialiste s'implante de façon systématique dans un premier temps dans tous les secteurs de la formation sociale et surtout au sein du prolétariat rural (qui constituait à l'époque la masse du prolétariat) au point de réunir de 60 à 72,000 membres (Montalvo O. 1978 : 27). Le premier congrès ouvrier présidé par le PSSE tenu à Motul en 1918, dont le compte-rendu a été ré-édité et diffusé largement en 1977 (CEHSMO, 1977a), montre l'ampleur du chemin parcouru par le prolétariat depuis la confirmation encore récente de son existence. Cependant, le discours tenu lors de ce congrès, dont certains aspects relèvent directement du socialisme utopique, laisse prévoir la nature des embûches qui guettent le parti dès ce moment. Les membres du PSSE croyaient à cette époque qu'il était possible d'en appeler à la raison des hacendados sur la question de la redistribution des terres. Cette position utopique empêcha les membres du PSSE de prévoir le type de répression dont ils furent l'objet. 

Malgré les limitations évoquées plus haut, c'est à l'époque du PSSE que le prolétariat s'est rendu le plus loin dans ses revendications. D'abord réformistes, ces revendications prirent une allure de plus en plus radicale dans la mesure où le prolétariat acquérait une véritable conscience de classe. Le deuxième congrès ouvrier de Izamal, tenu en 1921, évoque la seule issue possible pour le prolétariat, sa dictature sur la bourgeoisie (CEHSMO, 1977b). 

L'élection du candidat du PSSE au poste de gouverneur en 1922 marqua une résurgence dans l'application de la réforme agraire. La bourgeoisie foncière s'y opposa de toutes les façons possibles jusqu'à ce que à la faveur du mouvement contre-révolutionnaire de Adolfo de la Huerta au niveau de la République, le gouverneur du Yucatan soit arrêté puis fusillé. 

L'élimination physique du dirigeant du PSSE et la répression dont ses membres furent l'objet, allaient se traduire par une parcellisation des luttes prolétariennes dans les villes et dans les campagnes. De fait le parti continuera d'exister mais tel qu'intégré au parti national révolutionnaire (PNR) fondé par le président Calles dans les années 1920, puis au parti de la révolution mexicaine (PRM), fondé par le président Cárdenas en 1938. 

Les hacendados connurent momentanément un sursis dans l'application de la réforme agraire. Ils profitèrent également du vide laissé par la désorganisation du PSSE pour enrégimenter leurs travailleurs dans des syndicats qu'ils contrôlaient. 

La petite bourgeoisie quant à elle n'était pas prête à abandonner la place qu'elle avait gagnée par la révolution mexicaine. Elle se crut destinée à la direction du mouvement prolétarien et réclama pour la paysannerie l'application intégrale de la réforme agraire. Ce furent surtout les instituteurs ruraux qui tentèrent par tous les moyens (y compris par le biais des sports d'équipe) de constituer des plate-formes collectives de revendications dans les campagnes (Betancourt Perez 1968 : 2). C'est cette même petite bourgeoisie qui, à l'époque de Lazaro Cárdenas, forma l'essentiel des Jeunesses Socialistes. 

Les conditions économiques de l'époque se traduisirent en véritable crise pour le Yucatan, plus particulièrement dans le secteur du henequen. La fin de la première guerre mondiale avait contribué à une diminution dans la demande internationale de fibre. D'autre part, avec la menace d'expropriation qui pesait sur eux, les hacendados avaient volontairement cessé d'ouvrir de nouvelles plantations de henequen. Devant la baisse de la demande, le gouvernement avait dû prescrire une diminution des surfaces cultivées. Conséquemment, les prix et les revenus de ce secteur étaient en récession. En 1933, le kilo de fibre ne vaut plus que U.S.$ 0.01.90 alors qu'il avait atteint U.S.$ 0.14.70 en 1918 et qu'il se maintenait autour de U.S.$ 0.06.00 depuis la disparition de la « Caste divine » (Betancourt Perez 1953 : 58, 70, 72 ; Irigoyen 1975 : 111). 

L'époque est propice à l'agitation. Traqués entre les hacendados et leurs dirigeants, les prolétaires ruraux sont dans une confusion sans précédent. Seuls les secteurs les plus avancés du prolétariat urbain réussissent à articuler clairement leurs revendications, par exemple le syndicat péninsulaire des cheminots (Sindicato Ferrocarrilero Peninsular). 

À cause de la diminution du volume de production du henequen dont le transport se faisait par voies ferrées, les conditions de travail des cheminots se détériorent. Leur syndicat réclame des hausses salariales au gouvernement du Yucatan, principal actionnaire de la compagnie ferroviaire. Le gouvernement propose une réduction du personnel ce qui provoque une offensive indignée et générale du syndicat par ailleurs appuyé par plusieurs autres groupes de travailleurs. Le syndicat des cheminots finit par triompher du gouvernement yucatèque et obtint même la renonciation du gouverneur de l'époque (Vidal Rivero, 1979). 

L'agitation intense qui règne alors à Mérida n'en continue pas moins. Durant une des nombreuses manifestations populaires qui se tinrent en 1935 à Mérida, la foule s'empara de la Casa del Pueblo, quartier général du PSSE. Un groupe de manifestants proposa de constituer un Soviet d'ouvriers et de paysans au Yucatan et de se séparer du reste de la République mexicaine tant que celle-ci ne reconnaîtrait pas cette forme de gouvernement. Bien entendu, l'initiative fut réprimée par l'armée et la manifestation fut écrasée. On découvrit plus tard que la proposition d'établir un Soviet au Yucatan originait directement d'agents à la solde des hacendados (Betancourt Perez 1968 : 2). 

Ce bref épisode peu. connu de l'histoire du Yucatan donne la mesure de la confusion qui régnait au sein du prolétariat, Àcause de la répression dont il a été la victime après le démantèlement du PSSE, le prolétariat rural et urbain n'a pu réaliser son unité de classe. C'était pourtant dans cette unité que résidait le gage de son autonomie vis-à-vis la bourgeoisie. Le prolétariat rural fut pour cette raison littéralement pris en charge par les intellectuels. Issus en grande majorité d'une société rurale, les intellectuels mexicains ont été habitués à agir comme intermédiaires, médiateurs ou brokers pour une paysannerie soumise, ignorante et coupée de la « grande tradition » (voir notamment Wolf 1956 ; Silverman 1965 et Redfield 1956). Ainsi traités par les « gens du pouvoir », les prolétaires ruraux en arrivèrent assez rapidement à se confondre et à être confondus avec la paysannerie dans la mesure où ils n'articulaient pas clairement leurs revendications. Elles étaient réduites à des questions agraires forcément associées à celles de la paysannerie. Or dans un contexte de faible développement des forces productives sous le mode, de production capitaliste, le bien-être des paysans est lié à la possession et à l'appropriation individuelles du principal moyen de production : la terre. Dans les contextes où cette revendication est à peu près satisfaite ou étouffée, tous les autres types de revendications sont incidemment réduits à leur caractère individuel. Et sans organisation, le travailleur se retrouve seul devant le Capital. Voilà le résultat le plus net de la délégation de pouvoir par les travailleurs dans des conditions historiques déterminées. 

 

Temax : situation actuelle [5]

 

Dans la région henequenera au nord du Yucatan, je crois avoir trouvé dans le village de Temax l'illustration la plus convaincante des causes historiques des modalités de fonctionnement et des effets de cette prise en charge du prolétariat rural par une couche d'intellectuels. 

Situé à la périphérie de la région henequenera, à 83 kilomètres de Mérida, capitale de l'État, Temax comptait 5,884 habitants en 1970 (Gobierno del Estado de Yucatan 1972 : 11 ; 1978 : 219-224). L'étymologie du nom de ce village montre que son existence remonte à l'époque pré-colombienne. À l'époque de la colonie, les habitants de Temax furent intégrés aux encomiendas de plusieurs titulaires qui percevaient leur tribut. La situation devait être relativement confortable et stratégique pour ces titulaires puisque l'encomienda a duré plus longtemps au Yucatan que partout ailleurs dans le nouveau monde, soit jusqu'en 1785 (Strickon 1965 : 42). 

Jusqu'à la guerre des Castes, on n'entendra guère parler de ce village. Les Indiens rebelles pénètrent dans l'hacienda de Dzitox qui fait partie de Temax pour être aussitôt refoulés par les troupes fédérales. En fait Temax se situait précisément sur la ligne de feu qui séparait la zone contrôlée par les Indiens rebelles et celle où les Indiens étaient demeurés loyaux au pouvoir en place (Molina Solis 1927 : 94). 

On entendra à nouveau parler de Temax à la veille de la révolution mexicaine. En effet, le 12 mars 1911, dans la Revista de Mérida on peut lire : « Ayer fue Asalta por los Rebeldes la Plaza de Temax » [6]. 

Cet assaut contre le jefe político (chef politique) en place et contre ses troupes fédérales est considéré localement comme une des premières étincelles de la Révolution mexicaine au Yucatan. Influencé par les idées révolutionnaires qui s'étaient frayées un chemin depuis le centre de la République, Pedro Crespo de Temax et un groupe de paysans libres avaient décidé de mettre un terme à la ramification locale de la dictature de Porfirio Diaz. La suite de l'histoire leur donnerait raison. 

Plusieurs années passèrent avant que la réforme agraire réclamée par les paysans ne se matérialise. La loi fut passée le 6 juin 1915 mais son application différée pendant plusieurs années encore. Le 30 juin 1918, 690 chefs de famille sans terre, originaires de Temax et ex-peones, réclament officiellement auprès du gouverneur de l'État la restitution de l'ancien ejido de Temax accaparé au cours des siècles par les hacendados. Au nombre de quatre, ceux-ci contrôlaient la presque totalité des terres du village consacrées à la culture du henequen. Chacune des haciendas équipée pour la décortication s'adonnait également à une première transformation du henequen en fibre brute. En vertu de la réforme agraire chacun des hacendados n'a plus droit qu'à 300 hectares. Après quelques tractations, ils réussirent néanmoins à conserver leur équipement de décortication. 

Tableau 1
Zones d'utilisation des sols au Yucatan 

Zone

Surface (km2)

% par rapport au total

Occidentale d'élevage

7 625

20,34

Occidentale maïs

8 896

23,89

Centrale mais

3 686

9,89

Côtière

235

0,63

Fruitière

5 311

14,26

Henequenera

11 482

30,83

Total :

37 235

99,84

Source : Gobierno de Yucatan, 1978 : 4.

 

En 1925, en 1937 puis en 1948, les travailleurs de Temax récupérèrent 25,619 hectares. Cette surface, légalement soustraite des circuits marchands (on ne peut ni la vendre, ni l'acheter), forme l'ejido moderne. La propriété privée n'atteint plus que 4,973.7 hectares (DGE 1975 Cuadro 3). L'éjido représente 83,7% de la surface totale du village alors que la propriété privée en représente 16,2% [7]. Cette propriété privée se trouve principalement aux mains des descendants d'hacendados (aujourd'hui appelés paqueños propietarios) et d'une poignée seulement de producteurs parcellaires.
 

Tableau 2
Population économiquement active au Yucatan
de 1950 à 1970 (par secteur) 

Genre d'activité

1950

1960

1970

Yucaten
%

Mexique
%

Yucaten
%

Mexique
%

Yucaten
%

TOTAL

100

1,7

100

1,6

100

Agriculture

59,8

1,9

59,0

2,2

55,1

Manufacturière

11,8

1,5

12,1

1,0

10,6

Commerce

9,5

1,9

10,5

1,3

7,5

Services

8,5

1,5

11,3

1,2

14,9

Non-spécifiées

3,7

0,4

0,2

1,7

6,1

Construction et énergie électrique

3,6

1,4

3,2

1,1

3,4

Transport

2,9

1,7

3,1

1,2

2,1

Extraction

0,2

0,9

0,6

0,3

0,3

Source : Gobierno de Yucatan, 1972 : 13.

 

La récupération de l'ejido de Temax par sa population peut sembler un grand succès tant en termes juridiques qu'en termes matériels. Le droit à l'ejido constitue en effet un acquis juridique pour les ex-peones et les travailleurs sans terre. S'il est souvent empiété de façon abusive et illégale, ce droit n'est pas remis en question de façon officielle. L'ejidatario semble bien protégé par la loi fédérale de la réforme agraire. Cette protection n'en est pas moins remplie de contradictions. La loi donne en effet à l'eiidatario l'illusion qu'il est un petit producteur marchand, position qui ressemblerait singulièrement à celle du paysan parcellaire. Mais dans les modalités particulières qui caractérisent la région henequenera, cette loi coupe le travailleur de ce qui caractérise le paysan, soit l'unité du producteur avec le procès de production, qui se traduit par le fait de prendre ses propres décisions quant au déroulement de ce procès. Bref, dans les faits, la loi agraire fait de l'ejidatario une force de travail captive, stable et assurée pour le capitalisme d'État. En vertu de son droit à l'ejido, le travailleur de Temax est tenu d'y accomplir la tâche qui lui est assignée. L'accessibilité aux parcelles individuelles de l'ejido sur lesquelles le travailleur du henequen pourrait pratiquer des cultures de subsistance est en principe garantie. À Temax cependant cette accessibilité est limitée en vertu de la surface insuffisante en regard du nombre d'ayant-droits mais également en fonction de l'éloignement ou du caractère inculte d'une grande proportion de cette surface. L'ampleur de la surface récupérée auprès des latifundistes par les ejidatarios de Temax doit être examinée en rapport avec les types dominants de sols dans la région, suivant l'utilisation que l'on en fait. On doit également tenir compte des modalités du financement de l'ejido. 

Au sujet des sols, Bataillon constate que : 

... la quasi totalité de la péninsule est formée par des masses de calcaires tertiaires où un modelé karstique s'est établi. Plaine monotone dans l'ensemble où les dos de terrain sont rocheux et les dépressions tapissées d'argile rouge. 
1967 : 145 

Non seulement le soi calcaire n'est souvent recouvert que d'une mince couche de terre mais encore faut-il laisser la terre se régénérer pendant douze années lorsque l'on veut s'adonner aux cultures de subsistance. Or au Yucatan, comme dans le reste du Mexique, le maïs constitue la culture de subsistance par excellence. Dans une étude effectuée au Yucatan dans les années '40, Steggerda a calculé qu'un producteur devait mettre en culture une surface de 4 hectares s'il veut assurer sa reproduction économique de même que celle de sa famille. Si l'on assume que cette surface ne sera fertile que deux années successives, et qu'il faut la laisser reposer pendant au moins dix ans, si ce producteur veut faire une milpa (champ de maïs) par année, il lui faut disposer d'au moins six parcelles de 4 hectares, soit 24 hectares au total (Steggerda 1941 : 114). 

Aujourd'hui à Temax nous sommes loin du compte. Avec la croissance démographique, le nombre d'ejidatarios atteint le chiffre de 1,400 alors que la surface de l'eiido semble être gelée à 25,619 hectares. 

L'organisation juridique de l'ejedo et les modalités particulières de financement de sa culture viennent compliquer singulièrement la situation et accentuer l'état généralisé de dénuement du prolétariat. La région henequenera se distingue par la prédominance de l'ejido collectif sur l'ejido réparti de façon individuelle parmi les ayant-droits. Originellement, l'ejido collectif correspondait aux idéaux du président Cárdenas qui a tenté d'imposer systématiquement cette version lors de son mandat (1934-1940). La plupart du temps les ejidos collectifs étaient établis sur les meilleures terres et jouissaient des conditions de crédit les plus favorables de même que de l'assistance technique la meilleure. Les pequeños propiétarios dont la coexistence avec les ejidatarios a été assurée par la réforme agraire se sont sentis menacés par ce qui aurait pu devenir une formidable base de revendication dans les campagnes. À cause de manoeuvres politiques de tout acabit l'ejido collectif est graduellement disparu en faveur de l'ejido individuel après les années 1950 (Russel 1977 : 77). 

Dans la région henequenera, ces considérations politiques furent contrebalancées par les contingences de la production de henequen. Le henequen a en effet une vie moyenne de trente ans mais n'atteint sa pleine maturité que vers l'âge de 15 ans. Pendant les sept premières années d'existence de cet agave, on doit non seulement assumer les frais de mise en culture mais également les frais d'entretien sans aucune productivité, donc sans aucun revenu. C'est plus que peut en supporter un ejidatario isolé. Seul l'ejido collectif pourra obtenir le crédit nécessaire à ce type d'exploitation. D'ailleurs la Banque nationale de crédit ejidal a été spécifiquement mise sur pied en 1955 à cet effet (Stavenhagen 1975 : 149) après plusieurs autres versions du même type au cours des années précédentes. 

À Temax, la partie collective de l'ijido couvre une surface de 3,365 hectares qui divisés par le nombre d'ejidatarios équivalent à environ deux hectares chacun. La productivité médiocre du henequen, la proportion élevée de henequen improductif parce que trop jeune ou trop vieux, la mauvaise administration, la corruption, etc., viennent se combiner pour abaisser et maintenir la masse du crédit à un niveau tel que chacun des ejidatarios ne gagne sur l'ejido que le salaire correspondant à deux jours de travails au taux minimum dans la région. Ainsi le salaire issu du secteur collectif de l'ejido ne suffit nullement à assurer l'entretien et la reproduction de la force de travail des producteurs dans la région henequenera. 

Outre les contingences du crédit, le rapport de force lors de l'application de la réforme agraire fut tel que les hacendados, bien que limités à 300 hectares, ont pu récupérer les meilleurs 300 hectares de leur hacienda, celle-ci occupant déjà les meilleures portions de tout le territoire. Or c'est plutôt vers l'ex-hacendado, aujourd'hui devenu un pequeño propiétario, que l'ejidatario se tourne pour compléter sa reproduction économique. 

Lorsque le travailleur se présente chez le pequeño propietario, sa personnalité juridique est tout à fait différente de celle qu'il a sur l'ijido : il n'est plus sous la férule de la loi de la réforme agraire et n'a pour toute possession que sa seule force de travail. Les conditions pourraient être favorables à l'élaboration de revendications propres à la classe prolétaire. Dans le cas qui nous intéresse cependant, ces revendications ont du mal à s'articuler puisque la reproduction idéologique du prolétariat rural est entravée par sa prise en charge historique par la classe dominante. Celle-ci s'efforce en effet de reproduire idéologiquement le prolétariat rural comme paysannerie. La forme concrète que prend cet effort peut varier considérablement selon l'environnement particulier dans lequel il s'exerce. Nous allons voir dans le cas de Temax, que cette forme est l'aboutissement de conditions historiques spécifiques et qu'elle est difficilement démantelable sans une rupture radicale d'avec ces conditions.  

« Mon nom est personne » :
le caciquismo à Temax

 

L'intervention de la classe dominante au niveau idéologique à Temax est particulièrement facile à observer puisque, contrairement à la majorité des villages de la région henequenera, on y retrouve un groupe para-politique bien circonscrit qui semble exercer une hégémonie non-négligeable sur la population. Ce groupe, qui n'a pas de nom -on verra par la suite pourquoi - s'efforce de contrôler l'accès aux postes politiques municipaux de même qu'aux postes administratifs de l'ejido par lesquels est relayé le crédit aux ejidatarios. Ce groupe exerce également une sélection de ceux qui, parmi les fils d'ejidatarios de plus de 16 ans, auront droit à une tâche dans l'ejido. Éventuellement, il détermine parmi les eiidatarios, qui pourra exploiter une parcelle individuelle de l'ejido et surtout qui aura accès aux parcelles les plus rapprochées du village. Enfin, il médiatise à certains moments les relations entre les ejidatarios et les pequeños propiétarios qui ont besoin de main-d'œuvre. En effet, le recrutement des travailleurs sur la pequeña propiedad s'effectue sur une base hebdomadaire parmi les ejidatarios qui ont, accompli leur tâche obligatoire dans l'ejido. Le nombre de travailleurs requis d'une semaine à l'autre varie énormément. Dans les temps creux, seuls les travailleurs qui de l'avis du groupe sont « convenables », peuvent trouver de l'emploi dans la pequeña propiedad. Bref, les domaines sur lesquels le groupe exerce son contrôle sont multiples et tous les informateurs consultés conviennent de son importance dans la vie politique du village. 

L'existence de ce groupe remonte à l'époque des Jeunesses socialistes particulièrement actives, semble-t-il, à Temax à partir de 1937. La formation des Jeunesses socialistes coïncide avec le mandat de Lazaro Cárdenas et devait contribuer à la reprise de l'application de la réforme agraire que préconisait ce président et qui avait été pratiquement interrompue depuis l'assassinat de Felipe Carrillo Puerto. Une fois de plus, les hacendados se mobilisent contre la réforme agraire et à Temax cela se concrétise par la mise en place d'hommes de main sur le conseil municipal qui, normalement, constitue un relais entre la population locale et l'extérieur. Très rapidement, les Jeunesses socialistes dont les dirigeants se retrouvent parmi les maîtres d'école ruraux se confrontent au conseil et s'affirment comme les défenseurs des travailleurs sans terre. Leur action est visible à plusieurs niveaux dont évidemment l'alphabétisation et le combat contre l'ignorance en général. Ainsi pour un moment, la lutte des Jeunesses socialistes s'articule autour de l'extirpation des derniers vestiges de la esclavitud. Cette action a d'ailleurs revêtu des dimensions spectaculaires (combats de rue, emprisonnement et même un meurtre) qui n'ont pas manqué d'enflammer l'imagination populaire. Les informateurs citent tous le cas de cette femme qui, à la fin du siècle dernier, avait été « remise » par son mari mourant à l'hacendado comme cela se pratiquait à l'époque. Trente ans après cette femme se trouvait toujours dans les mêmes conditions. Il semble en effet que même dans les années trente, certaines personnes, surtout des femmes, demeuraient encore sous l'emprise idéologique et morale des hacendados, les servant sans autre rétribution qu'un peu de nourriture et beaucoup de mauvais traitements. Dans ce cas précis, les Jeunesses socialistes n'ont pu convaincre la femme que le temps de la esclavitud était terminé mais ils ont pu « libérer » son petit-fils qui avait été jusque là soumis aux mêmes conditions. 

Fers de lance du parti politique national dominant à une époque particulièrement effervescente et jouissant d'un grand prestige auprès de la population, les membres des Jeunesses socialistes se sont insérés tout naturellement dans les rouages politiques et administratifs principaux du village. 

Même si aujourd'hui l'expérience des Jeunesses socialistes semble lointaine, une concentration de ses membres de l'époque dans l'organisation para-politique la plus importante du village n'est certainement pas le fruit du hasard. Ce groupe a accompagné la montée du Parti Révolutionnaire Institutionnalisé et bien qu'il se distingue du comité local de ce parti, il lui est intimement lié, à tel point que l'homme de la tue désigne ce groupe, pourtant sans nom, comme étant « los del PRI ». Cette appellation est sans doute la plus pertinente : en effet malgré que le dirigeant villageois du groupe soit un simple propriétaire de camions assez prospère, le véritable leader du groupe est un politicien chevronné. Celui-ci est né à Temax d'une famille modeste. Simple ejidatario, il fut un des principaux participants des Jeunesses socialistes et put parfaire ainsi son éducation générale et son éducation politique auprès des maîtres ruraux. Puis il a joint le Partido Socialista del Sureste (PSSE) pour lequel il fut successivement « agent de travail », trésorier et président. Enfin, il fut élu député à au moins deux reprises. Au moment du principal de l'enquête en 1976, cet homme politique était encore actif dans le parti, notamment comme propagandiste en langue maya. Même membre du PSSE, on l'associe d'emblée et avec justesse au PRI puisque le premier parti s'enligne constamment sur le second lors des élections en présentant les mêmes candidats. Même si notre homme habite Mérida depuis plusieurs années, on pouvait jusqu'à tout récemment (été 1981) le rencontrer tous les dimanches matins à la mairie de Temax qui, contrairement aux autres jours de la semaine, bourdonnait d'activité. Les membres du groupe, y compris son dirigeant local, affirment que ce politicien est resté attaché aux gens de Temax et veut retrouver l'ambiance politique villageoise qu'il aime. Les informateurs de l'extérieur du groupe affirment que c'est à ce moment-là qu'il donne ses instructions et que, même s'il est absent des réunions hebdomadaires du groupe, il en constitue le véritable leader. 

Les membres du groupe, au nombre d'une centaine, se réunissent en effet une fois la semaine. Une centaine de sympathisants évoluent autour de ce groupe. Son existence n'est pas un secret : son dirigeant villageois et plusieurs de ses membres se sont prêtés à plusieurs reprises à des entrevues dont le groupe était le sujet explicite. Cependant, le caractère standardisé du contenu de ces entrevues montre que le groupe a développé une phraséologie propre à décourager les curieux et les intrus. Une liste des membres et des sympathisants confrontée à la liste de leurs occupations, des postes dont ils sont responsables et de leurs avoirs (terre, bétail, commerce, camions, etc.) est bien plus révélatrice. De façon peut-être surprenante, 76% des membres sont des ejidatarios. Le reste (18%) comprend des éleveurs propriétaires d'une petite parcelle de terre, des propriétaires de camions et des commerçants, ceux-ci représentant 10% du total des membres. Si l'on compare les chiffres avec les données globales du village, on constate que le groupe ne comprend que 5% de tous les ejidatarios et 30% de tous les commerçants de détail, et ce, parmi les plus puissants [8]. Ainsi, une forte proportion de la fraction commerciale de la bourgeoisie locale s'y trouve représentée. 

S'il était étudié par les sociologues mexicains, ce groupe serait interprété, avec justesse je crois, comme une version moderne de caciquismo. Louisa Paré, par exemple, définit le phénomène de la façon suivante : 

... un phénomène de médiation politique caractérisé par l'exercice informel et personnel du pouvoir afin de protéger des intérêts économiques individuels ou ceux d'une faction. 
1976 : 36. Ma traduction 

Dans le cas qui nous intéresse, le cacique local a dû accepter de partager son influence et ses bénéfices avec une partie de la bourgeoisie locale et même avec des membres du prolétariat rural, les ejidatarios. Le partage se fait assez équitablement puisque le cacique par sa popularité apparente au niveau local jouit d'un prestige politique accru aux yeux de l'État alors que le reste de la faction peut retirer les bénéfices économiques de la médiation politique que ce cacique établît entre l'État et la municipalité. Dans un milieu aussi défavorisé que Temax l'interception de bénéfices économiques même modestes revêt une très grande importance : elle peut signifier toute la différence entre vivre et vivoter. J'ai vu effectivement le niveau de vie d'une famille d'ejidatarios s'élever lorsque l'un de ses membres est devenu ami avec un sympathisant du groupe : désormais le chef de famille en question avait une tâche supplémentaire dans l'ejido et on venait l'avertir à sa maison lorsque tel ou tel propriétaire privé avait besoin d'un travailleur. 

Au niveau économique, le phénomène relève donc formellement du caciquismo. En termes de classes et si l'on examine la situation à partir de la position du prolétariat rural, l'existence de ce groupe, qui crée en quelque sorte une aristocratie ouvrière, se traduit par l'accentuation de la différenciation au sein du prolétariat. La reproduction de la division des travailleurs entre eux se fait alors au niveau économique et au niveau idéologique. La portée idéologique du phénomène de caciquismo en général me semble beaucoup plus importante que sa portée économique proprement dite. Malheureusement, elle est à ma connaissance peu étudiée. 

L'idéologie mise de l'avant par les porte-paroles du groupe est très élitiste. Malgré l'insistance des informateurs membres du groupe sur son caractère démocratique et sur le fait que « n'importe qui peut faire partie du groupe, même l'homme de la rue », le leitmotiv le plus fréquent dans les entrevues est celui de « Nosotros, los dirigentes... » (Nous, les dirigeants...). Le but avoué des fameuses réunions hebdomadaires est de donner une préparation adéquate aux futurs dirigeants et responsables. On discute également des autorités en place en évaluant leur ligne politique. Comme le dit le dirigeant local, il s'agit d'un groupe de critique, d'auto-critique et de réajustement. On se réclame évidemment de la tradition socialiste du Yucatan, en évoquant précisément Felipe Carrillo Puerto, martyr de la Révolution sociale. Les dirigeants affirment que jamais ils ne se sont séparés de l'idéal de la réforme agraire. Pour eux, de toute évidence, le prolétariat rural est une paysannerie et comme celle-ci est à leurs yeux ignorante, fainéante et par surcroît alcoolique, il faut l'encadrer, lui montrer le droit chemin, médiatiser ses relations avec l'extérieur, bref la prendre en charge. Plus qu'une occasion d'ascension économique pour un individu particulier, le groupe constitue une modalité de reproduction idéologique du prolétariat comme paysannerie, c'est-à-dire comme groupe subordonné par définition et cette modalité dépasse les seuls acteurs du groupe pour se répercuter sur l'ensemble de la population de Temax. Non seulement le groupe sabote ou récupère le militantisme de certains prolétaires plus conscients mais il empêche le développement économique du village dans son entier. Une étude comparative de quatre villages de la région henequenera (Labrecque 1981 et 1982) montre que Temax constitue le village le plus défavorisé malgré que les surfaces couvertes de henequen, sa productivité et sa production globale per capita ne soient guère différentes de celles des autres villages. Par contre, les revenus per capita sont plus bas que partout ailleurs.

 

3. « Dernière édition » : conclusion

 

Le lien réel entre la plus grande médiocrité des revenus à Temax et l'existence du groupe est évidemment très difficile à prouver. Cependant, il est de notoriété publique que Temax constitue dans la région henequenera un cas particulier. Avant même de m'installer à Temax pour la première fois en 1974, les fonctionnaires de la ville de Mérida m'avaient mentionné l'existence de caciques dans ce village. Le point culminant et décisif de cette mauvaise publicité pour Temax a probablement été atteint le 16 mars 1981. En effet, sur la première page de la deuxième section de l'un des quotidiens les plus importants de Mérida, le Diario de Yucatan, dans une série de reportages portant sur tous les villages du Yucatan on pouvait lire : 

Caciquismo y malos líderes no permiten el desarrollo de Temax. * 

Dans cet article de trois pages (format tabloïd) le phénomène est décrit en détail ; les noms des dirigeants et du politicien professionnel sont cités ; les avantages retirés par certaines personnes de ce groupe sont énumérés. Mais surtout, la colère, la frustration et le désir de changement de plusieurs ejidatarios, qui n'en font pas partie et ne voudraient pas en faire partie, y sont exprimés. 

L'affaire bien sûr a provoqué des remous dans la population de Temax. Lors de mon dernier passage dans ce village en juin 1981, le correspondant local du Diario de Yucatan qui avait informé le journal avait à plusieurs reprises été rappelé à l'ordre par des membres du groupe. Depuis lors cependant le groupe s'est fait de plus en plus discret et pour la première fois depuis longtemps, le nouveau maire n'est pas membre du groupe. 

La tournure des événements laisse croire que la publicité qui a été faite au groupe dans le Diario de Yucatan était la pire chose qui pouvait lui arriver. Des dénonciations avaient pourtant été faites auparavant. Ainsi, en 1966, 450 éjidatarios de Temax avaient fait publier une pétition dans le Diario dénonçant un cas particulier de corruption impliquant le leader du groupe mais sans le dénoncer comme cacique et sans mentionner l'existence du groupe comme tel. 

La récente dénonciation utilise le mot clé de cacique. Le PRI, auquel est encore associé le principal acteur du groupe, a certainement été fort embarrassé par cette publication, comme il l'est en général par les pratiques électoralistes de certains de ses supporters. À Temax en effet, comme dans bien d'autres endroits du Mexique, les candidats du PRI sont toujours élus mais ils le sont avec plus de 90% des voix. Les témoignages soulignent que l'achat des votes par un festin au chocolomo (mets typique de la région) et à l'aguardiente (alcool de canne à sucre) est chose courante. Pour une population littéralement affamée, l'invitation n'est certes pas négligeable [9]. Jusqu'ici le PRI s'est fort bien accommodé de ces pratiques électoralistes de même que du phénomène de caciquismo. Avec le développement des couches moyennes et la démultiplication d'électeurs plus « éclairés », ces pratiques deviennent toutefois carrément embarrassantes pour le parti. Dès lors, toute publicité touchant ces phénomènes devient fatale et entraîne leur résorption, au moins temporaire. Le fait que le groupe n'a jamais eu de nom malgré son importance politique me semble lié à la nature contradictoire de ses rapports (utiles mais embarrassants) avec l'appareil politique en place. Enfin, le fait que ce soit une intervention « extérieure » qui ait mis un terme aux actions du groupe et non le prolétariat rural concerné, confirme le manque d'autonomie de cette fraction de classe lorsqu'elle ne s'organise pas elle-même pour défendre ses intérêts. 

La transposition que le cacique et son groupe font de ces intérêts représente une démarche intellectuelle qui ne manque pas d'évoquer celle des intellectuels lorsqu'ils définissent le prolétariat rural pour ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire une paysannerie. L'emprise idéologique du cacique sur des populations réelles a évidemment des conséquences plus dramatiques car elle lui permet de maintenir le prolétariat dans un état de dépendance. À des niveaux différents le cacique et l'intellectuel se posent en médiateurs de cette « paysannerie ». Si les conséquences de ces deux interventions ne sont pas les mêmes, on peut néanmoins réfléchir sur l'appartenance de classe commune de ce cacique et de ces intellectuels. On peut aussi réfléchir sur l'aliénation dans laquelle le prolétariat rural est maintenu par l'intervention des intellectuels. 

La résorption du phénomène de caciquismo à Temax ne signifie nullement la fin de l'idéologie qui veut que le prolétariat rural soit considéré, et traité comme une paysannerie. Cette résorption cède tout simplement le pas à une intervention plus « neutre », plus « scientifique », plus « programmée », par l'État cette fois. Plus que jamais en effet, le Mexique se trouve à une époque d'enchevêtrement de programmes agraires, souvent contradictoires, qui ont pour but de réduire sa dépendance alimentaire auprès d'autres pays. Dans le dernier sexennat notamment, on a assisté à la mise sur pied du SAM (Sistema Alimentario Mexicano) qui fondait sa stratégie sur la participation paysanne et ensuite du LFA (Ley de Fomento Agropecuario) qui, au contraire, les associe au processus en tant que journaliers (Musalem Lopez 1981 : 18). Ce « charriage » idéologique laisse toute la latitude nécessaire pour parer à la situation selon les régions. Dans la région henequenera, c'est le volet paysan qui a été mis de l'avant en impliquant les ejidatarios dans plusieurs programmes de diversification agraire visant une production accrue de maïs, de haricot et de viande. Il faudra examiner les statistiques de 1980 pour dire si le programme fut un succès ou non. Il n'est pas certain qu'il ait été toujours compris de la même façon par les prolétaires ruraux et par l'État qui fournit aux agriculteurs pressentis des variétés de semences avec lesquelles ils ne sont pas nécessairement familiers ou dont le produit a un goût qui ne les satisfait pas. Bon nombre d'ejidatarios ont exprimé leur désaccord en acquiesçant aux programmes mais en ne menant pas à terme leur participation. Dans cet ordre d'idées, un ejidatario me disait que justement, la semence de haricot produit une bien belle fleur en vérité et que sa femme pensait en décorer leur autel domestique le Jour des Morts. Cette phase de la lutte s'appelle la résistance passive.

 

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[1]    Les traductions des citations de Wolf et de Mintz sont les miennes.

[2]    Pour Kroeber, les sociétés paysannes ne sont pas autarciques comme les sociétés primitives : elles constituent au contraire des sociétés tronquées à la culture tronquée, reliées à des villes de marché (Geertz 1962 : 2).

[3]    1 paca = 193 kilos.

[4]    Dans une communication personnelle, Alice Littlefield me signale que dans la hacienda Ruinas de Aké, une des colonnes pré-hispaniques (qui formait partie intégrante de la hacienda) était marquée d'une large empreinte concave utilisée pour fouetter les femmes enceintes... Littlefield a trouvé une confirmation partielle de cet élément de tradition orale recueilli lors de son terrain à Cacalchen (voir 1976) (et qu'elle croyait fort improbable) dans un ouvrage de Désiré Charnay (1887 : 293), explorateur et archéologue français.

[5]    Pour une contextualisation de la région henequenera par rapport aux autres régions du Yucatan on peut examiner le tableau 1. On peut situer approximativement le prolétariat agricole en considérant les divers secteurs occupationnels apparaissant sur le tableau 2.

[6]    « Hier, la plaza de Temax fut prise d'assaut par les rebelles ».

[7]    La situation est assez similaire à celle décrite par Gutelman pour le Mexique en général sur la base des statistiques de 1960 (Gutelman 1971. 142).

[8]    Ces pourcentages n'arrivent pas à 100 parce que les catégories se recoupent. Certains éleveurs sont propriétaires de camion et certains commerçants et ejidaterios sont éleveurs.

*    Pour une contextualisation de la région henequenera par rapport aux autres régions du Yucatan on peut examiner le tableau 1. On peut situer approximativement le prolétariat agricole en considérant les divers secteurs occupationnels apparaissant sur le tableau 2.

[9]    Dans une enquête effectuée en 1975, on apprend que la malnutrition (3e degré) constitue la seconde cause de mortalité générale à Temax (Solis Torres 1975).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 mars 2008 11:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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