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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Micheline Labelle (2012), “Qu’est-ce que la citoyenneté ?”, dans Transmettre la culture, Synthèse et actes du colloque d’octobre 2012, Académie des lettres du Québec, p.32-41. [Autorisation de l'auteure accordée le 12 novembre 2015 de diffuser le texte de cet article en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

Micheline Labelle

Qu'est-ce que la citoyenneté ?

Un article publié dans Transmettre la culture. Enjeux et contenus de l’enseignement secondaire du Québec. Actes du colloque du 26 octobre 2012 À la recherche d’un socle : histoire, arts, citoyenneté, pp. 32-41. Montréal : Académie des lettres du Québec, février 2014.

Introduction

Qu’est-ce que la citoyenneté ?

Le projet politique de la citoyenneté. Une trame à compléter

Conclusion
Références


INTRODUCTION

À quoi être attentifs dans les débats théoriques et de société sur la citoyenneté ?  Comment se pose la question dans le contexte particulier du Québec ? Comme pour la laïcité, nous avons affaire ici à des trames hésitantes et à des  initiatives divisives selon les périodes historiques (Yvan Lamonde, communication récente sur le  délestage et le lestage dans la transmission, 2012). Nous avons aussi affaire à un discours de l’État québécois qui va tenter d’influer sur les représentations collectives et les rapports sociaux dans les institutions et l’espace public et ce, avec peine.

De façon plus globale, nous assistons depuis quelque temps à un phénomène d’inflation de la citoyenneté. D’ailleurs le mot est adjectivé : démarche citoyenne, rendez-vous citoyen, retraite active et citoyenne, culture citoyenne, environnement citoyen. Il est devenu synonyme de bon, bien, juste, de désir constant de réformer. Au Québec, il apparaît tantôt en concurrence, tantôt en complémentarité avec l’injonction à l’interculturalisme et au « bien commun ». Afin de prendre distance de telles acceptions, il s’agira d’abord pour moi de restreindre le point de vue et de circonscrire les  définitions et dimensions de ce concept et des thèmes afférents. Une deuxième section concerne les débats politiques dont la citoyenneté a fait l’objet au Québec, ce qui me permettra de conclure sur ce qui est acquis ou non, de ce qu’il y a lieu de transmettre.

Qu’est-ce que la citoyenneté ?

La défaite de la nouvelle  gauche survenue au cours des années 1980 et 1990 (déclin des solidarités ouvrières, perte de crédibilité des blocs soviétique et chinois, chute du mur de Berlin en 1989, néolibéralisme montant, etc.) a conduit à la réhabilitation du concept de citoyenneté, un concept autrefois considéré comme bourgeois (Keucheyan, 2010, p. 34). Les points de vue et le vocabulaire vont changer. Auparavant, les théories critiques s’intéressant à la division internationale du travail mettaient l’accent sur les phénomènes d’exploitation, de domination et de discrimination. Plus précisément dans le domaine de la sociologie de l’immigration et des relations interethniques qui est le mien, on mettait l’accent sur la contribution  économique des travailleurs migrants,  leur place dans la structure de classe des pays d’accueil, les enjeux de leur syndicalisation, le rôle des femmes dans la reproduction de la force de travail, etc. Ce type d’analyses a été critiqué pour avoir privilégié une explication économiste des faits sociaux.

Avec le recul du marxisme dans les universités, l’attention se fixe sur la citoyenneté. Le point de vue est le suivant : les minorités (sociologiquement définies) subissent de la discrimination sur les plans politique.  Les luttes pour l’égalité vont donc concerner les droits, à la participation et à la présence/représentation dans les institutions publiques. Les théories de la reconnaissance et du droit à la différence  connaissent une expansion et une influence considérable dans les sciences sociales et politiques.  On remet en question l’État nation, la signification de l'appartenance à la communauté politique, la légitimité de la double allégeance à l’État, la multiplicité des appartenances et des identités (identiy politics), et la  reconsidération du passé à la lumière des études postcoloniales (Labelle et Rocher, 2004 ; Labelle, Couture et Remiggi, 2012).

En droit public, le cœur de la citoyenneté suppose le pouvoir de participer à la prise de décisions démocratiques. Elle « réside dans la participation, directe ou indirecte, mais cosouveraine, à la constitution et à la régulation de la Cité. Elle consiste dans le pouvoir, consacré en droit, de déterminer les règles fondamentales de la vie de la Cité, que sont la Constitution et les lois »  (Picard, 2002, p. 52). Les droits de citoyenneté se distinguent des droits de l’homme, bien que le respect des droits de l’homme soit nécessaire à l’exercice de la citoyenneté. Par exemple, l’exercice de la citoyenneté exige  la liberté d’expression et la protection contre le racisme et d’autres formes de discrimination (idem).

Les sociologues politiques en proposent une vision plus large qui distinguent diverses dimensions d’analyse (Turner, 1997 ;Joppke, 2007). Une première dimension renvoie à un ensemble  de droits et d'obligations associés au statut juridico-politique de citoyens ; des droits conquis, selon les époques et les contextes, pour contrer les inégalités et assurer un certain accès aux ressources rares dans une société capitaliste. Ceci explique que la citoyenneté soit la source de conflits à propos des critères d'appartenance. Qui est citoyen ? Qui devient citoyen ? Qui pourra profiter de ces ressources rares ? C’est pourquoi la  comparaison des conditions de naturalisation et d’acquisition dans divers pays permet de répondre en partie à ces questions et a suscité une riche littérature en relation avec les acquis de la démocratie.  Dans son sens négatif, la citoyenneté relève d’une politique des frontières, au sens territorial et symbolique.

La citoyenneté confère, en plus d'un statut légal, une identité culturelle particulière, pour les individus et pour les groupes. Comment définir cette identité ? Sur quelles bases historiques ? Qu'en est-il dans les sociétés  multiethniques et multinationales ? Les sociétés se trouvent ainsi confrontées à la dynamique des rapports de pouvoir entre  identités-légitimantes et dominantes, identités-résistance et identités-projets qui se confrontent en leur sein (Castells, 1999).  Comment concilier cette hétérogénéité ?

Enfin, une troisième dimension concerne l’appartenance et la participation dans la communauté politique territorialement ancrée. Cette communauté politique est traditionnellement l'État-nation. Or selon certaines thèses, la globalisation a provoqué une profonde redéfinition des attributs, des structures et du rôle traditionnellement dévolus aux États-nations. Comment alors redéfinir la nation ? (Joppke, 2008). La citoyenneté sous-tend la problématique de l’unité et de l’intégration nationale. En témoignent les campagnes relatives à l’intégration des immigrants qui ont cours dans divers pays, la revalorisation des cérémonies associées à l’acquisition de la citoyenneté, et le thème des valeurs communes qui figure au sommet des agendas politiques (Grande Bretagne, Canada, Pays Bas, France, etc.) (Isin et Turner, 2012 ; Michalowski, 2011). 

Un autre grand domaine d’études a trait au rapport entre citoyenneté et projets politiques. Il s’agit ici d’analyser les processus de citoyenneté dans leur articulation entre histoire, culture et pouvoir politique dans différents types de sociétés (Neveu, et al, 2012). Ceci nous introduit aux débats qui ont cours au Québec et à la question de la transmission des savoirs politiques.

Le projet politique de la citoyenneté.
Une trame à compléter


Quelles sont les représentations de la citoyenneté dans la pensée d’État au Québec ? À quel type de projets politiques et de politiques publiques, la citoyenneté a-t-elle été associée ?  

Au cours des années 1990, la perspective de la citoyenneté a été mobilisée par les partis politiques indépendantistes : le Bloc Québécois avec sa Commission de la citoyenneté et le Parti Québécois. L’enjeu est de promouvoir un nationalisme civique et non ethnique, afin de rallier les membres des minorités qui ne se reconnaissent pas dans un projet axé sur l’idéologie de la survivance du groupe francophone majoritaire. Les membres de la Commission de la citoyenneté sont de diverses origines. Rappelons l’ouvrage publié par Vivian Barbot « qui réunit les voix de la diversité au sein du Bloc Québécois »  D’ailleurs et résolument d’ici (2010).

Le virage à la citoyenneté a lieu à la suite du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, sous l’égide d’un gouvernement souverainiste élu en 1994 (Labelle, 2000 ; Labelle et Rocher, 2006).  L’ancien ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration est désigné dorénavant comme ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (ci-après MRCI). L’ancien Conseil des Communautés culturelles et de l’Immigration mis sur pied en 1985 (en vertu d’une loi passée le 20 décembre 1984) devient le 4 septembre 1996 le Conseil des Relations interculturelles jusqu’à son abolition le 1er juillet 2011.  La promotion de la citoyenneté marque dès lors la période 1996-2003 (Québec, 1997, 1999).

Ce changement d’orientation et de discours revêt une importance politique décisive dans la mesure où le gouvernement cherche à définir une citoyenneté commune susceptible de rallier les principales composantes de la société -le Nous québécois, soit : « un attribut commun à toutes les personnes résidant sur le territoire du Québec. La citoyenneté s'enracine dans un sentiment d'appartenance partagé par des individus qui ont à la fois des droits et des libertés et des responsabilités à l'égard de la société dont ils font partie. Cette perspective de la citoyenneté reconnaît les différences tout en se fondant sur l'adhésion aux valeurs communes » (Québec 1998, p. 11). Un certain nombre de principes sous-tendent un « contrat civique » entre l’État et les citoyens : le respect des lois, le partage des principes et des valeurs démocratiques, le respect des droits et des libertés garantis par la Charte, l’exercice des responsabilités civiques et sociales, la reconnaissance de l’égalité entre les personnes (y compris entre les femmes et les hommes), la participation à la vie nationale. On reconnaît le statut historique de la communauté anglo-québécoise et des nations autochtones [1] tout en soulignant l’apport des minorités ethniques  à la vie sociale, politique et culturelle du Québec (Québec, 2000). Diverses activités publiques visent à soutenir activement cette nouvelle vision de la communauté politique québécoise : la Semaine nationale de la citoyenneté, le Prix de la citoyenneté et les certificats du mérite civique. On dissocie clairement de l’esprit du « contrat moral » qui caractérise l’Énoncé de politique Gagnon Tremblay en matière d’intégration de 1990 ; une notion susceptible de s’harmoniser avec le caractère provincial du Québec au sein de la fédération canadienne (Labelle, 2008 ; Labelle et Rocher, 2009).

La citoyenneté sera mise en veilleuse avec l’élection d’un gouvernement libéral, en avril 2003.

En 2007, le thème de la  citoyenneté refait  surface à l’Assemblée nationale du Québec, dans le contexte des discussions publiques initiées par la  Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles. Avant le dépôt du rapport de la Commission, Pauline Marois, chef du Parti Québécois et de l’opposition officielle, déposait le projet de loi no 195 Loi sur l’identité québécoise (Québec, 2007a) et le projet de loi no 196 Constitution québécoise (Québec, 2007b ; Marois, 2007).  Ces projets sont morts au feuilleton,  mais leur relance  fait partie des engagements du Parti Québécois. Le projet de loi 195 visait : « À permettre à la nation québécoise d’exprimer son identité par : 1) l’élaboration d’une constitution québécoise ; 2) l’institution d’une citoyenneté québécoise ; 3) la prise en compte dans l’interprétation et l’application des libertés et droits fondamentaux du patrimoine historique et des valeurs fondamentales de la nation québécoise, notamment de l’importance d’assurer la prédominance de la langue française, de protéger et de promouvoir la culture québécoise, de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes et de préserver la laïcité des institutions publiques » (Québec, 2007a, p. 3).

Il proposait la modification du Code civil du Québec par l’insertion après l’article 49 des éléments suivants instituant une citoyenneté québécoise : « 49.2. A qualité de citoyen toute personne qui :1° détient la citoyenneté canadienne et est domiciliée au Québec le […] ;2° est née au Québec ou est née à l’étranger d’un parent détenant la citoyenneté québécoise après le […]. Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois : 1° détient la citoyenneté canadienne depuis au moins trois mois ;2° est domiciliée au Québec ; 3° a résidé d’une manière effective sur le territoire du Québec pendant six mois, dont les trois mois précédant le dépôt de sa demande ; 4° a une connaissance appropriée de la langue française ; 5° a une connaissance appropriée du Québec et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté » (Québec, 2007a, p. 5-6).

Une fois ces conditions remplies, la personne à qui est attribuée la citoyenneté prête le serment suivant : « Je […] déclare sous serment que je serai loyal envers le peuple du Québec, que j’observerai fidèlement les lois du Québec et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen dans le respect de la Constitution québécoise (article 49.3., Québec, 2007a, p. 6).

La citoyenneté québécoise octroierait le droit d’éligibilité lors d’élections municipales, scolaires et législatives,  le droit de participer au financement public des partis politiques et d’adresser des pétitions à l’Assemblée nationale pour le redressement de griefs (Québec, 2007a,  p. 6). Enfin, certaines clauses avaient trait à l’intégration des étrangers. Le projet de loi no 195 proposait la modification de la Loi sur l’immigration au Québec (L.R.Q., chapitre I-0.2). Quant au projet de loi no 196 Constitution québécoise, il abordait diverses questions comme le territoire, le patrimoine, la langue officielle, les symboles nationaux, les droits et libertés, les compétences du Québec et enfin, les valeurs fondamentales de l’État québécois : « le Québec est une société libre et démocratique ; le Québec est un État de droit ; le Québec est une terre où les personnes sont libres et égales en dignité et en droits ; le Québec assure la promotion et la protection de la langue française et de la culture québécoise ; le Québec contribue au maintien de la paix et de la sécurité internationale ; le Québec favorise le progrès social, le développement économique et la diversité culturelle dans le monde ; le Québec agit selon les principes du développement humain et du développement durable » (Québec, 2007b, p. 3-4).

Si les définitions de la citoyenneté canadienne et d’une éventuelle citoyenneté québécoise semblent converger sous certains aspects (droits et libertés, conditions d’obtention), on ne peut que constater le profond écart en ce qui a trait à l’identité nationale et à communauté politique et nationale de référence (les deux dernières dimensions de la citoyenneté mentionnées dans la première section de ce texte).

En font foi l’obligation de connaître l’anglais ou le français au Canada versus la connaissance obligatoire du français au Québec, l’apprentissage de la langue française conçu comme un droit pour les immigrants (engageant donc l’État à fournir des services adéquats dans ce sens) dans le projet québécois, le serment d’allégeance à la Reine versus le serment d’allégeance au peuple québécois.

Officiellement, la citoyenneté canadienne découle de la Loi sur la citoyenneté de 1985 qui a été mise à jour en 2011. L’article 5 de la Loi sur la citoyenneté précise que le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois : en fait la demande ; est âgée d’au moins dix-huit ans ; est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout [...] ; a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada ; a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté ; n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20 (Canada, 2011, p. 8).

L’article 15 du Règlement sur la citoyenneté concerne la procédure à suivre pour faire la demande (certificat de naissance, pièces justificatives, etc.) et énonce les conditions d’obtention de la citoyenneté (un examen écrit ou une entrevue). L’évaluation se base sur deux critères fondamentaux : 1) la connaissance du Canada ainsi que les droits et responsabilités liés à la citoyenneté ; et 2) la connaissance suffisante du français ou de l’anglais. Les candidats adultes qui ont 55 ans ou plus n’ont pas besoin de passer l’examen pour la citoyenneté (Canada, 2011, p. 6). Le candidat doit avoir une connaissance suffisante des principales caractéristiques de l’histoire politique et militaire, de l’histoire culturelle et sociale, de la géographie physique et politique et du système politique canadien en tant que monarchie constitutionnelle du Canada (idem, p. 64).

Au cours de la cérémonie d’attribution, le candidat à la citoyenneté canadienne doit prêter un serment d’allégeance : « Je jure (ou j’affirme solennellement) que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth  Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j’observerai fidèlement les lois du Canada et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien » (Canada, 2011, p. 2).

Conclusion

L’État québécois tergiverse depuis des décennies sur les thèmes de l’interculturalisme (en principe distinct du multiculturalisme canadien) et de la citoyenneté. Ces variations ont des impacts très clairs sur le discours situationnel et normatif des organismes de la société civile et des associations de défense des minorités ethnoculturelles et religieuses.  Pour une simple raison : il y a en la matière un terrain de compétition entre deux États qui se disputent l’allégeance et la loyauté des citoyens du Québec (Labelle et Rocher, 2004).

J’ai réalisé plusieurs enquêtes sur le terrain sur ces sujets dont les résultats illustrent ce fait. Parmi elles, une enquête menée en 1996 et 1997 auprès de citoyens issus de groupes ethnoculturels de la région de Montréal révélait les impacts de ces atermoiements sur les dimensions de la citoyenneté,  l’identité en particulier. Ces citoyens avaient été choisis sur la base de leur engagement au sein de divers organismes communautaires, d'institutions publiques ou de partis politiques, œuvrant  dans des quartiers à dominante francophone (Rivière-des-Prairies et Montréal-Nord)  et des quartiers à dominante anglophone (Notre-Dame-de-Grâce et Côte-des-Neiges). L’analyse révélait : 

« Les tentatives étatiques pour mousser la citoyenneté canadienne et québécoise ne restent certes pas lettre morte, mais elles ne sont pas non plus sans rencontrer certaines résistances au sein des groupes immigrants et minoritaires. Ceci démontre l'hétérogénéité des représentations citoyennes qui se déploient au sein des populations immigrantes (comme au sein d'ailleurs des majorités des deux sociétés globales). Ces résistances portent sur des aspects spécifiques des projets sociaux ou nationaux (citoyenneté responsable, sentiment d'appartenance, culture publique commune, langue) et témoignent de l'écart entre le modèle idéal de citoyenneté qu'articulent les États et les conditions concrètes d'exercice de la citoyenneté (citoyenneté de deuxième zone ou subalterne, discrimination). Elles traduisent aussi le fait que les répondants intègrent un modèle national ou un autre (Canada versus Québec) » (Labelle et Salée, 1999).

Sur d’autres terrains, on note les mêmes trames hésitantes. Par exemple, la politique québécoise de lutte contre le racisme adoptée en 2008 et intitulée La diversité : une valeur ajoutée,  qui concerne les droits, l’accès aux droits et l’exercice des droits, première dimension de la citoyenneté, n’est pas ou mal articulé à l’horizon de la citoyenneté. L’antiracisme, l’interculturalisme et la citoyenneté y font l’objet d’enchevêtrements constants.  Or, lors de la consultation préalable de 2006, des ONG et associations de minorités ont reproché précisément au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles de traiter indistinctement de ces questions.  Une étude des documents officiels d’autres ministères révèlerait probablement les mêmes modifications dans les valeurs proclamées, les  processus de désignation de l’altérité, les représentations de l’identité nationale, les difficultés d’articulation entre éducation à la citoyenneté et éducation interculturelle,  l’évolution vers le discours dominant actuel de l’éthique et du bien commun, etc.

Certains des mémoires qui ont été présentés lors des séances de consultation de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles réclament une clarification des positions gouvernementales. Il ne faut pas non plus s’étonner que le rapport Bouchard Taylor ait tiré dans toutes les directions. Les débats en cours et futurs sur l’adoption d’une charte de la laïcité (projet de loi 60) ou sur une nouvelle Loi de l’immigration du Québec (projet de loi 71) illustrent également le chemin parcouru et le chemin à parcourir pour plus de cohérence.

RÉFÉRENCES

Barbot V. et al. (2010). D’ailleurs et résolument d’ici. Bloc québécois. Richard Vézina éditeur.

Labelle M. et F. Rocher (dir.), en collab. avec A.-M. Field (2004). Contestation transnationale, diversité et citoyenneté dans l’espace québécois, Québec, Presses de l’Université du Québec.

Labelle M., J. Couture et F. W. Remiggi (dir.) (2012). La communauté politique en question. Regards croisés sur l’immigration, la citoyenneté, la diversité et le pouvoir, Québec, Presses de l’Université du Québec.

Isin, E. F. et Turner Brian S. (2007). « Investigating Citizenship : An Agenda for Citizenship Studies », Citizenship Studies, vol. 11, no. 1, p. 5-17.

Michalowski, Ines (2011). « Required to assimilate ? The content of citizenship tests in five countries », Citizenship Studies, vol. 15, nos 6-7, p. 749-768.

Keucheyan, Razmig (2010). Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles  pensées critiques, Paris, La Découverte.

Labelle, M. Rocher, F. (2009). « Immigration, Integration and Citizenship Policies in Canada and Quebec : Tug of War between Competing Societal Projects », dans R. Barrero-Zapata (dir.), Immigration and Self-government of Minority Nations, Bruxelles, Peter Lang,  Diversitas, p.57-85.

Labelle M., Rocher F. (2004). « Debating Citizenship in Canada : The Collide of Two Nation-Building Projects », dans P. Boyer, L. Cardinal et D. Headon (dir.), From Subjects to Citizens. A Hundred Years of Citizenship in Australia and Canada, University of Ottawa Press, p.263-286

Labelle M., Salée D. (2001). « Immigrant and Minority Representations of Citizenship in Quebec », dans T. A. Aleinikoff et D. Klusmeyer (dir.), Citizenship Today. Global Perspectives and Practices, Washington, Carnegie Endowment for International Peace, p. 278-315.

Neveu Catherine, Clarke, John, Coll Kathleen, Dagnino Evelina (2012). « Introduction : Questioning Citizenship. Questions de citoyennetés », Citizenship Studies, vol15, no. 8, p. 945-964.

Picard Étienne (2002), « La notion de citoyenneté » dans Université de tous les savoirs, Le pouvoir, l’État, la politique, pp. 39-66.

Québec, Assemblée nationale. (2007a). Projet de loi no 195. Loi sur l’identité québécoise. Québec : Éditeur officiel du Québec.

Québec, Assemblée nationale. (2007b). Projet de loi no 196. Constitution québécoise, Québec : Éditeur officiel du Québec.

Québec, Conseil des Relations interculturelles (1999). Forum sur l'intégration et la citoyenneté, Montréal, Avis présenté au ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration.

Québec, Conseil des Relations interculturelles (1997). Un Québec pour tous ses citoyens. Les défis actuels d'une société pluraliste, Montréal, Avis présenté au ministre des Relations avec les citoyens et de l’Immigration.



[1] La reconnaissance officielle des nations autochtones du Québec est intervenue dès le 20 mars 1985 lorsque, à l’initiative du Premier ministre René Lévesque, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité une résolution reconnaissant notamment que les Autochtones du Québec forment des nations distinctes qui disposent du droit à l’autonomie. Les 11 nations reconnues sont : les Abénaquis, les Algonquins, les Attikameks, les Cris, les Hurons-Wendats, les Innus (anciennement les Montagnais), les Malécites, les Micmacs, les Mohawks, les Naskapis et les Inuits. Il faut aussi rappeler la Paix des Braves, en 2000.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 8 octobre 2016 9:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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