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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE L’INTERCULTURALISME. (2011)
Synthèse


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Micheline Labelle et Xavier Dionne, LES FONDEMENTS THÉORIQUES DE L’INTERCULTURALISME. Rapport présenté à la Direction de la gestion de la diversité et de l'intégration sociale, Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, Québec. Montréal: Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté, UQAM. Québec: Gouvernement du Québec, Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, septembre 2011, 61 pp. [Autorisation accordée par l'auteure le 15 novembre 2015 de diffuser le texte de cette recherche en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

[44]

LES FONDEMENTS THÉORIQUES
DE L’INTERCULTURALISME.

Synthèse

La présente étude a porté sur les fondements théoriques et idéologiques de l'interculturalisme, tels qu'ils se livrent à travers diverses écoles de pensée. Compte tenu des courts délais fixés par le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, nous avons dû restreindre l'ampleur du corpus de textes visant à illustrer divers courants théoriques dans le domaine de l'interculturalisme. Si le choix des auteurs est loin d'être exhaustif, il révèle toutefois les tendances actuelles qui se déploient dans le champ universitaire.

Dans la première partie, nous avons présenté succinctement l'idéologie assimilationniste, une idéologie libérale qui se distingue du multiculturalisme et de l'interculturalisme. Dans la deuxième section, nous avons exposé diverses approches théoriques de l'interculturalisme défendues par des théoriciens canadiens, américains et européens. La troisième section a porté sur les thèses des intellectuels québécois.

Certaines conclusions ressortent de l'analyse thématique.

  • La définition des notions. On peut constater la rareté des définitions précises en ce qui concerne la culture, le multiculturalisme et l'interculturalisme dans le corpus étudié. La définition du dialogue interculturel, la précision des espaces de dialogue, des conditions et des limites du dialogue font rarement l'objet d'élaboration. On pourra cependant [45] trouver une réflexion cohérente chez Bikhu Parekh, Seyla Benhabib et Francesco Fistetti, théoriciens préoccupés par la délibération démocratique.

  • Les niveaux d'analyse. Ces niveaux ne sont pas toujours précisés, particulièrement chez les intellectuels québécois, qui tendent à cibler le niveau des politiques publiques au sein de la fédération canadienne. On remarquera la tentative du philosophe Will Kymlicka de distinguer le niveau microsociologique, celui des « citoyens interculturels », et le niveau macrosociologique, celui de l'« État multiculturel ».

  • Les orientations théoriques. Ces orientations varient selon les auteurs. La tendance générale est l'inscription dans le libéralisme. Certains, plus critiques, sont plus sensibles à la question des rapports de pouvoir, soit pour en rendre compte au sein de la fédération canadienne, soit pour opposer intrinsèquement les majorités aux minorités. Des auteurs comme François Rocher et Micheline Labelle se réclament des théories de la citoyenneté, vaste champ qui oblige à penser les rapports de pouvoir non de façon binaire mais en les articulant selon la complexité de la différenciation sociale.

  • La relation entre l'interculturalisme et l'antiracisme. Les auteurs associés à la pensée postcoloniale sont en général plus concernés par la question du racisme que par le multiculturalisme ou l'interculturalisme. Le théoricien Paul Gilroy prône la déconstruction des fausses frontières de la « race » et la lutte contre le racisme et vise une culture conviviale, ponctuée par l'expérience ordinaire du contact soutenu, de la coopération, ce qui peut se rapprocher de l'une des meilleures visions de l'interculturalisme (bien que Gilroy n'emploie pas ce terme).

  • Les visions des rapports majorité/minorités. La dualité majorité/minorités est omniprésente dans le discours des intellectuels québécois. Elle oblitère les rapports sociaux fondés sur d'autres formes de différenciation, par exemple la classe sociale, notion évacuée des débats, même si plusieurs invoquent les inégalités et les discriminations. Cette catégorisation a des effets pervers et anticitoyens.

[46]

Les différentes tensions
associées à l'interculturalisme


La tension entre les particularités historiques des trajectoires nationales, l'ouverture à la diversité et l'interculturalisme

Cette tension se manifeste dans la difficulté à concilier l'aménagement de la diversité, le respect des différences et le souci de préserver une identité nationale particulière.

Elle se matérialise dans le document du Conseil de l'Europe et dans la pensée de Gabriella Battaini-Dragoni, pour qui l'interculturalisme tente de réconcilier l'assimilation et le multiculturalisme.

Elle s'observe dans la pensée de Bikhu Parekh, qui critique la notion de Britishness tout en insistant sur le respect de ses « valeurs constitutives ».

Elle s'observe également dans celle de Gérard Bouchard, qui insiste à la fois sur l'un des principes de l'interculturalisme, soit le principe de la préséance ad hoc à la majorité historique (principe qui s'approche dangereusement du principe de la préférence nationale de la droite française, lui a-t-on fait remarquer), et sur la nécessité du pluralisme sous la forme de l'interculturalisme.

La tension entre le respect de la différence culturelle et l'essentialisation des cultures

Cette tension s'observe entre ceux qui tendent à considérer, à catégoriser, à désigner et à défendre les droits d'« entités culturelles » vues comme des totalités homogènes et ceux qui se portent à la défense des droits individuels.

Pour Seyla Benhabib, la culture renvoie à des systèmes de significations et de représentations complexes et changeantes, toutes déchirées par des divisions internes. Trois principes doivent être considérés sur les plans théorique et politique : la réciprocité, principe voulant que les minorités aient les mêmes droits que la majorité ; l'auto-identification volontaire (voluntary self-ascription), à savoir qu'un individu n'est pas associé automatiquement, selon sa naissance, à un groupe culturel, religieux ou linguistique ; la liberté de mouvement et d'association (freedom of exit and association), principe selon lequel un individu peut s'extraire du groupe auquel il est associé (ascribed group).

Selon nous, ces principes soulignent bien la nécessité d'adopter une perspective citoyenne afin que les individus ne soient pas subsumés sous une catégorie culturelle ou ethnique « essentialisée ».

[47]

Cette tension s'observe également dans l'opposition faisant figure de dogme au Québec entre « majoritaires » et « minoritaires ».

Par exemple, même si Gérard Bouchard s'érige contre l'essentialisation de l'Autre, sa conception de l'interculturalisme se base sur une « dualité » intrinsèque entre majorité et minorités. Ce raisonnement, qui manque d'assises sociologiques, ne permet pas de jeter entre les groupes en présence des passerelles fondées sur les convictions sociales et politiques plutôt que sur l'appartenance désignée.

La plupart des intellectuels québécois associés au courant « pluraliste » et « assimilationniste » participent de la tendance à catégoriser et à essentialiser les « communautés culturelles ». La vision de l'interculturalisme en est teintée en conséquence.

Pour répondre aux défis de cette tension, Micheline Labelle tente de sortir du paradigme culturaliste pour penser la diversité sur le terrain d'une « citoyenneté sans domination » ou sur ce que l'on pourrait également nommer un « terrain politique » où se dé-ethnicisent les identités désignées.

La tension entre idéologies et politiques du multiculturalisme et de l'interculturalisme

L'évacuation des rapports de force entre le Québec et le Canada, sans compter l'absence de la problématique autochtone dans les débats, tend à négliger le fait que le multiculturalisme s'est construit historiquement au Canada contre la diversité multinationale et avec le nation-building.

En ce sens, les types de diversités relevés par Will Kymlicka se sont retrouvés en confrontation après l'adoption judiciarisée du multiculturalisme canadien. Il serait donc faux d'affirmer que l'État multiculturel libéral permet nécessairement le respect de la diversité multinationale.

L'amalgame que font certains auteurs entre les modèles du multiculturalisme et de l'interculturalisme (particulièrement chez les « pluralistes ») semble plutôt stratégique et politique. Cet amalgame vise à atténuer les tensions qui existent entre les deux modèles et les deux horizons de pensée, ainsi que les défis reliés à l'instauration d'un régime de citoyenneté québécois visant à défendre la spécificité québécoise (primauté de la langue française, pleins pouvoirs de l'État, etc.)

[48]

Certains auteurs (Alain-G. Gagnon, Rafaelle Iacovino) font du respect de la diversité multinationale au sein de la fédération canadienne une condition préalable à l'instauration de l'interculturalisme québécois.

D'autres (Micheline Labelle, François Rocher, Michel Seymour) inscrivent la pensée et la mise en acte de l'interculturalisme dans l'instauration d'un régime de citoyenneté québécois.

Les critiques formulées
envers l'interculturalisme


Certains intellectuels (Jacques Beauchemin, par exemple) considèrent que l'interculturalisme occulte les conflits qui surgissent de la diversité. Un des exemples relevés par les « assimilationnistes » concerne le cours obligatoire d'éthique et culture religieuse, considéré comme une imposition systémique de l'acceptation de la diversité, sans que les conflits politiques sous-jacents soient adéquatement problématisés.

Les « assimilationnistes » maintiennent que l'interculturalisme ne serait qu'une version « stratégique » du multiculturalisme, sous hégémonie fédérale, et ne viserait qu'à ériger un régime politique pluraliste au Québec.

À l'opposé, Seyla Benhabib, Francesco Fistetti, Micheline Labelle ou François Rocher soutiennent que la conflictualité dans une démocratie fait partie du dialogue culturel complexe et qu'on doit la prendre en compte et lui permettre de s'exprimer, plutôt que de l'évacuer. Pour ce faire, les citoyens de toutes origines doivent pouvoir prendre place dans des espaces de délibération et d'exercice du pouvoir.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 7 octobre 2016 6:39
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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