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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La communauté politique en question.
Regards croisés sur l'immigration, la citoyenneté, la diversité et le pouvoir
. (2012)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Micheline Labelle, Jocelyne Couture et Frank W. Remiggi, La communauté politique en question. Regards croisés sur l'immigration, la citoyenneté, la diversité et le pouvoir. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, 2012, 375 pp. Une édition numérique réalisée avec le concours de Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean, Québec. [Autorisation de l'auteure accordée le 9 janvier 2019 de diffuser ce livre en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

La communauté politique en question.
Regards croisés sur l’immigration, la citoyenneté,
la diversité et le pouvoir.

Présentation

Avec l'accroissement voire l'accélération de la mondialisation économique et culturelle, en particulier depuis la chute du mur de Berlin et le démantèlement de l'URSS, une opinion, qui aurait, jusqu'il y a peu, été taxée d'incongruité, semble avoir gagné le statut d'évidence : la pertinence, sinon l'existence de l'État-nation et du système étatique mondial serait menacée ou, à tout le moins, appellerait à une profonde redéfinition des attributs, des structures et du rôle traditionnellement dévolus aux États. On ne saurait nier, certes, que la multiplication des accords de libre-échange et autres ententes bilatérales ou multilatérales a forcé plusieurs, sinon la quasi-totalité des États à moduler la conception – au demeurant souvent idéalisée – de leur propre souveraineté, notamment dans les domaines économique et juridique. On peut aussi penser aux contraintes et conditions imposées par des organismes internationaux, soit aux pays en développement pour qu'ils puissent recevoir l'aide dont ils ont besoin pour s'intégrer à l'économie mondiale, soit aux États « imprudents » en quête de moyens pour rétablir une économie chancelante qui menace l'équilibre économique global, comme on le voit présentement en Irlande, au Portugal et en Grèce. Un autre indice souvent mentionné de la crise alléguée des États est la désaffection des citoyens pour la politique nationale au profit d'un intérêt grandissant pour des enjeux globaux, comme l'environnement, la paix dans le monde ou la mondialisation elle-même. Portés par l'accroissement phénoménal des moyens de communication et le rétrécissement du monde qui l'accompagne – qui sont aussi des aspects de la mondialisation –, les citoyens seraient désormais citoyens du monde ; ils auraient cessé de s'intéresser aux affaires de l'État et délaissé ses institutions, confirmant du coup sa désuétude.

[2]

Au-delà de ce portrait d'un « nouvel ordre mondial » ou, à tout le moins, d'un échiquier géopolitique assujetti à des règles du jeu modifiées, où les frontières s'évanouissent et où s'amalgament jusqu'à l'extinction les cultures et les traditions nationales, il faut cependant reconnaître que la mondialisation n'est pas (encore) venue à bout des États, des sociétés qui les composent, et des divers problèmes que pose la cohabitation au sein de leurs institutions traditionnelles. Bien au contraire, la mondialisation a souvent contribué à enclencher en série des situations qui se répercutent au niveau social et étatique et qui, de ce fait, appellent un accroissement du rôle traditionnel des États, de leurs institutions et de leurs citoyens.

Ainsi, la mondialisation économique, et l'implantation des multinationales qui en est un des piliers, dans les endroits jusque-là inaccessibles au commerce et à l'exploitation des ressources naturelles, a-t-elle créé un sentiment de dépossession qui s'est manifesté de multiples façons à l'échelle nationale : mouvements de citoyens réclamant de leurs gouvernements locaux la reprise en main de leur souveraineté économique, énergétique et environnementale, réaffirmation des identités fondées sur l'origine nationale ou ethnique, l'appartenance religieuse ou la langue, et qui, dans certains cas, ont réactivé des sectarismes latents et, d'une façon générale, la recrudescence des nationalismes. Les bouleversements des modes de production locaux générés par l'arrivée des multinationales dans les pays en développement – pensons ici à l'agriculture industrielle – n'ont pas épargné non plus les populations locales réduisant de larges segments de celles-ci au chômage, à la pauvreté, sinon à la misère, tous facteurs de conflits sociaux et de mouvements migratoires. Par ailleurs, la délocalisation des entreprises alléchées par la perspective de réduire leurs coûts de production n'a pas manqué de causer, à l'autre extrémité du spectre, l'appauvrissement des travailleurs, l'érosion des solidarités qui, depuis des lustres, consolidaient leur rapport de force avec les patrons et une méfiance viscérale des immigrants et des travailleurs étrangers vus comme des compétiteurs, sinon comme les responsables de leur destitution.

Dans toutes ces situations comme dans bien d'autres parmi celles qu'a pu créer la mondialisation, c'est aux États, à leur gouvernement et à la société toute entière qu'il appartient de restaurer, voire de réinventer la trame des communautés politiques. Non pas en érigeant des barrages à la mondialisation, mais en contribuant à la création des institutions d'une gouvernance globale juste et efficace, capable d'enrayer à la source les obstacles qu'elle oppose présentement à la bonne compréhension et à une orchestration raisonnée des phénomènes liés à l'immigration, à l'ethnicité et à la citoyenneté.

La Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) s'intéresse depuis plusieurs années à l'analyse, à l'articulation théorique et aux multiples facettes de ces différentes composantes du tissu social, avec la contribution de chercheurs québécois et internationaux. Ce n'est donc pas un hasard [3] si elle a voulu rassembler dans le présent ouvrage des textes inédits qui, ensemble, tracent un état des lieux de la problématique dans laquelle s'insèrent maintenant ces questions et indiquent des pistes à suivre pour en débattre profitablement. Plusieurs questions se posent maintenant, dont celle, au premier chef, qui concerne la capacité des appareils d'États contemporains de cimenter des communautés politiques dans un contexte de mobilité spatiale accrue et de transnationalisme croissant. Il faut s'interroger en outre sur les fondements normatifs des diverses conceptions – communautariennes, libérales ou cosmopolitiques – de la citoyenneté et de la communauté politique, de même que sur l'efficacité des différents modèles d'intégration envisagés présentement pour ce qui est de lutter contre la discrimination, et de promouvoir l'égalité et la démocratie. Rassemblant des collaboratrices et collaborateurs d'Europe, du Québec, du Canada anglais et des États-Unis, l'ouvrage questionne en fait, sous des angles différents, la pertinence théorique de la notion de communauté politique lorsqu'il s'agit de penser le pluralisme résultant de l'immigration internationale, et il pose un regard critique sur le rôle que cette notion joue dans les approches courantes des phénomènes liés à la diversité.

L'ouvrage est divisé en quatre sections.

Dans la première, intitulée « L'immigration et l'État-nation contemporain », deux philosophes s'adressent d'abord à la question de la justice des politiques migratoires. Jocelyne Couture explore le bien-fondé de l'idée voulant que les politiques étatiques visant à restreindre l'immigration sont inéquitables et que, conséquemment, la justice cosmopolitique requiert l'ouverture des frontières. Elle montre les limites de cette position normative en arguant que l'égalité cosmopolitique est compromise au premier chef par l'existence de profondes disparités structurelles tant au sein de la communauté internationale qu'à l'intérieur des communautés politiques, si bien que l'injonction faite aux États d'ouvrir leurs frontières reste très en deçà des conditions dans lesquelles pourrait être réalisée la justice globale. Alex Sager, de son côté, défend l'idée que la justice des politiques d'immigration doit être évaluée non pas à l'aune du discours libéral abstrait qui domine présentement ce champ d'études, mais plutôt à la lumière d'une analyse en termes de classes, susceptible de mettre en évidence le rôle du capital humain dans la gestion de l'immigration. À partir d'une étude des programmes mis sur pied par le gouvernement du Canada pour recruter des travailleurs agricoles saisonniers et des aides domestiques, il montre que la domination et l'exploitation sont inhérentes à plusieurs de ces politiques migratoires et que celles-ci, par conséquent devraient être envisagées dans le contexte plus large de la justice globale. Dans la même section, Idil Atak aborde, elle aussi, le thème de la justice, mais dans une perspective juridique. Privilégiant une approche comparative qui expose la tendance à associer les enjeux de sécurité aux questions de migration tant en Europe qu'en Amérique du Nord, Atak montre [4] comment les contrôles migratoires et la coopération accrue entre les États ont transformé les normes et les politiques nationales, engendrant du coup des atteintes aux droits fondamentaux des étrangers, notamment des demandeurs d'asile. Ricard Zapata-Barrero, pour sa part, se penche sur un problème que le lecteur québécois sera spécialement en mesure d'apprécier, à savoir, les effets incongrus, sur les peuples minoritaires qui doivent veiller à la pérennité de leur langue, des politiques d'immigration adoptées par un gouvernement central. L'auteur examine la « voie distincte » que poursuit la Catalogne en liant étroitement la politique régionale d'immigration et la loi sur la langue catalane.

La deuxième section, « La diversité en tension », traite des polémiques et des crises qui au cours des dernières années ont ébranlé nos acquis concernant le pluralisme et secoué ainsi le monde occidental. Khursheed Wadia et Gill Allwood, examinent les différents modèles de gestion de la diversité adoptés au Royaume-Uni depuis les années 1960. Les auteurs arguent que le modèle fondé sur la cohésion communautaire, qui a remplacé depuis une décennie le multiculturalisme comme rempart à la discrimination, a pour effet de déresponsabiliser l'État et de reporter sur les individus la tâche de combattre les inégalités fondées sur les différences ethniques et « raciales ». Chedly Belkhodja et Christophe Traisnel analysent la critique conservatrice du multiculturalisme selon laquelle la diversité et le pluralisme culturel contribuent à détacher les citoyens de l'héritage national au sein duquel ils se trouvent ancrés et fragilisent, ce faisant, l'identité nationale. Les auteurs montrent comment cette critique s'est affirmée depuis quelques années en France et au Québec. Rachad Antonius, pour sa part, s'intéresse à la place de l'islam dans l'espace public des sociétés occidentales, et plus précisément aux termes du débat dans lequel se posent les controverses entourant cette question. Selon lui, les différentes approches de l'expression religieuse dans l'espace public se heurtent à la polysémie de celle-ci et négligent, entre autres choses, le fait qu'elle constitue une transposition, en contexte minoritaire, d'un discours majoritaire dans les sociétés arabes et islamiques. Naïma Bendriss et Jean-René Milot dressent un constat critique des perceptions négatives dont les Québécois de culture musulmane font l'objet et examinent comment elles sont construites à partir de concepts « lourds », tels celui de laïcité, d'égalité entre les hommes et les femmes ou encore d'universalisme.

La troisième section, « La diversité et les pratiques sociales », analyse quelques-unes des nouvelles pratiques sociales induites par la diversification ethnoculturelle. Dans son chapitre, André Jacob emprunte à Jürgen Habermas le cadre théorique de l'agir communicationnel pour montrer que, contrairement à ce que présupposent la plupart des conceptions courantes de la culture, celle-ci n'est pas un attribut essentiel et réifiable des individus, mais qu'elle s'inscrit plutôt dans les références idéologiques des classes dominantes. Les [5] différences culturelles, et l'idée même de minorité culturelle, seraient ainsi des construits sociaux qui servent la plupart du temps à justifier le statut de dominant. Les valeurs attribuées à la culture se vivent donc dans ce qu'Habermas nomme le monde vécu intersubjectivement. Sid Ahmed Soussi propose pour sa part une analyse critique des enjeux politiques et identitaires que soulève la diversification ethnoculturelle dans les milieux de travail et de l'action syndicale dans les débats portant sur l'intégration de l'immigration. Il retrace, dans cette perspective, une certaine évolution de la conflictualité politique et s'interroge sur le modèle de communauté politique dont le Québec devrait se doter. S'appuyant sur la reconnaissance par l'Organisation des Nations Unies (ONU) des droits culturels, incluant la liberté fondamentale de religion, Lucie Lamarche propose une relecture des décisions de la Cour suprême du Canada qui ont enflammé le débat québécois en opposant la liberté fondamentale de religion et le droit à l'égalité, y compris le droit des femmes à l'égalité. Selon elle, les droits culturels offrent une clef d'analyse de l'interdépendance des droits de la personne qui favorise une approche décompartimentée de ceux-ci à l'heure des sociétés complexes. Pour clore cette section, Pierre Toussaint et Fernand Ouellet portent un regard critique sur l'état de la laïcité et du pluralisme dans le milieu scolaire du Québec. Ils passent en revue les principales étapes de la mise en place du concept d'éducation interculturelle et proposent des pistes pour l'intégration des jeunes issus de l'immigration et appartenant aux minorités racisées.

La quatrième section, « La citoyenneté et la communauté politique », s'intéresse aux récents débats portant sur la citoyenneté et l'identité nationale. Ahmed Boubeker esquisse le portrait de la société des citoyens mise à l'épreuve des ruptures postcoloniales et de l'expérience des minorités racisées. Il décrit le contexte actuel dans lequel s'affirme l'émergence des minorités racisées dans l'espace public français. Il explore ensuite une autre trame de l'histoire contemporaine à travers trois figures générationnelles des luttes des laissés-pour-compte du modèle français d'intégration. Bruno Dupeyron offre une analyse sociohistorique comparée des politiques de double citoyenneté au Canada et en France qui met en évidence l'évolution parallèle du cadre juridique et des pratiques administratives des deux pays en cette matière, et cela en dépit de trajectoires historiques et migratoires différentes. Il souligne que les réformes législatives récentes ont limité, dans chacun des deux pays, le champ de la double citoyenneté, et ont pour effet de stigmatiser et de discriminer certains citoyens. L'auteur nous invite à nous interroger sur la redéfinition paradoxale de la communauté politique, au sein de laquelle des droits fondamentaux sont inégalement répartis entre ses membres. Catherine Wihtol de Wenden s'intéresse au récent débat sur l'identité nationale en France. Rappelant le caractère évolutif d'une « citoyenneté à la française » fortement questionnée au cours des deux dernières décennies par l'Europe et par l'immigration dans un contexte mondialisé, elle explique comment le débat sur [6] l'identité nationale s'est rigidifié et a finalement manqué son but, en faisant l'impasse sur la mutation des contenus de la citoyenneté vis-à-vis de l'immigration. Pour clore cette section, Micheline Labelle explore les tensions inhérentes entre les composantes de la citoyenneté. Elle montre comment les « valeurs publiques communes » ont été instrumentalisées dans les débats récents au Québec sur des questions telles que l'aménagement de la diversité culturelle, les accommodements raisonnables, la laïcité et les idéologies du multiculturalisme et de l'interculturalisme. Son chapitre explore les législations et les moments critiques qui ont marqué ces débats, en analyse les enjeux théoriques et politiques et propose des pistes pour mieux articuler interculturalisme et citoyenneté en insistant sur le statut précaire du régime de société québécois dans l'ensemble canadien.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 22 février 2020 9:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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