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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Nathan Keyfitz, “Développements démographiques au Québec”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Marcel Rioux et Yves Martin, La société canadienne française, pp. 227-252. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1971, 404 pp. [Version française d'un chapitre extrait des Essais sur le Québec contemporain (Jean-Charles Falardeau, éditeur, Les Presses Universitaires Laval, 1953), pp. 67-95.]

Nathan KEYFITZ 

“Développements démographiques au Québec”. 

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Marcel Rioux et Yves Martin, La société canadienne française, pp. 227-252. Montréal : Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1971, 404 pp. [Version française d'un chapitre extrait des Essais sur le Québec contemporain (Jean-Charles Falardeau, éditeur, Les Presses Universitaires Laval, 1953), pp. 67-95.]

 

Table des matières 

Introduction
 
I. CHANGEMENTS DANS LA RÉPARTITION DE LA POPULATION
 
Changements dans la proportion de la population d'origine française dans la province de Québec
 
II. ESTIMATION DU MOUVEMENT MIGRATOIRE DE L'AGRICULTURE VERS L'INDUSTRIE
 
III. CHANGEMENTS DANS LA DIVISION DU TRAVAIL
 
IV. L'INFLUENCE DES VILLES SUR LA TAILLE DE LA FAMILLE AGRICOLE
 
Tableau 1Population totale et française, Province de Québec, par comtés et zones, 1871 et 1951
Tableau 2. Proportion des Français dans la population totale, zones du Québec, 1871 à 1951
Tableau 3Hommes exerçant un travail rémunéré, âgés de 10 ans Il et plus, province de Québec - 1891 à 1951
Tableau 4Estimations de l'émigration nette hors de l'agriculture au Québec
Tableau 5Nombre de fermes et d'émigrants dans 13 comtés du Québec, 1871 à 1951
Tableau 6Distribution des émigrants agricoles selon l'âge, 13 comtés du Québec, 1871-1951
Tableau 7. Émigrants mâles en fonction du nombre d'hommes qui atteignent 15 à 24 ans - 13 comtés de l'estimation no 1
Tableau 8Main-d'oeuvre, totale et française, certaines professions, Canada, 1931 et 1941
Tableau 9Proportion de la main-d'oeuvre masculine employée dans l'agriculture, Canada et Provinces, 1941 et 1951
Tableau 10. Taux de natalité selon certains groupes d'origine ethnique, Canada, 1931 à 1951
Tableau 11Manipulations - 1,056 familles tirées du recensement de 1941 - Nombre moyen d'enfants par cellule et nombre de familles d'après lequel on a calculé cette moyenne 
Diagramme 1. Mode de transmission de la ferme

 

Introduction

 

Ce chapitre traite de quatre aspects de l'évolution démographique au Québec. En premier lieu on décrira les variations de la population des diverses régions de la province. À mesure que les paroisses rurales deviennent surpeuplées, une partie de leur population en abandonne le territoire, soit pour coloniser de nouvelles terres, soit pour émigrer vers les villes ; les neuf recensements du Canada montrent bien le rythme et l'ampleur de ces variations de la population, par paroisse et par comté. 

On se demandera ensuite dans quelle mesure ces changements sont fonction de mouvements migratoires, outre la natalité et la mortalité. Les recensements dénotent la croissance rapide des agglomérations urbaines tandis que la population rurale demeure presque constante. On essaiera d'évaluer les flux migratoires à partir des chiffres des populations rurales et urbaines, en posant quelques hypothèses sur les taux de mortalité et d'autres facteurs. 

En troisième lieu, on étudiera les changements survenus dans la division du travail, changements qui sont à la fois cause et effet de l'exode rural. En ce qui concerne le Québec il est difficile d'aborder cette question sans considérer la division du travail entre francophones et anglophones. 

Le recensement de 1951 met en évidence quelques implications de l'énorme croissance des villes pendant les années '40. Dans la quatrième et dernière partie, on essaiera de circonscrire un aspect du mouvement des idées, du changement social que détermine l'exode rural : on sait les changements de perspective qui accompagnent la migration vers la ville ; on connaît moins bien la réciproque : qu'arrive-t-il à ceux qui restent dans l'agriculture ? 

- I -

CHANGEMENTS DANS LA RÉPARTITION
DE LA POPULATION

 

La comparaison de la population des comtés du Québec en 1871 et en 1951 fait ressortir les grandes lignes de l'évolution démographique de la province. Le tableau 1 répartit les comtés en groupes d'affinité économique ou géographique ; ce sont les zones déterminées récemment par la Division des Recherches Économiques du Ministère de l'Industrie et du Commerce. Ces quinze zones donnent une image plus accessible que l'ensemble des 74 comtés qui forment la base des tables du recensement. 

Dans la région métropolitaine de Montréal, (comprenant Montréal, l'Île Jésus et le comté de Chambly) la population totale s'est multipliée par neuf en 80 ans, tandis que dans le reste de la province la population est seulement deux et demie fois plus élevée en 1951 qu'en 1871. 

Les comtés de la plaine de Montréal sont répartis en deux groupes, industriel et agricole. La population des comtés industriels a plus que doublé tandis que celle des comtés agricoles n'a enregistré qu'une augmentation de dix Pour cent. On remarque le même contraste dans la zone des Cantons de l'Est où l'accroissement de la population dans les comtés agricoles est de 50 pour cent, tandis que les comtés industriels ont triplé le chiffre de leur population. On trouve dans ces deux sous-zones des comtés typiques qui illustrent ce contraste d'une façon remarquable ; Bagot, comté agricole, a vu sa population décroître de 19,491 h. en 1871 à 19,224 h. en 1951, tandis que Drummond, classé industriel, a connu une augmentation de sa population de 10,975 à 53,426 h. 

On retrouve le même contraste ailleurs dans la province. L'industrialisation de la vallée du Saint-Maurice a fait croître la population de cette région de 41,362 en 1871 à 179,600 en 1951 ; entre-temps, la population des régions au nord de la ville de Québec (Laurentides) ou au sud de cette capitale (la rive sud) n'a pas tout à fait doublé. Le Saguenay est passé de 17,000 habitants à 198,000 ; l'accroissement, comme celui de Saint-Maurice, y est intimement lié au développement du potentiel hydro-électrique. 

Une étude au niveau des paroisses plutôt qu'à celui des comtés et zones révélerait sans doute quelques traits importants des relations entre la croissance de la population et celle de l'industrie ; les chiffres bruts par zone montrent déjà suffisamment que la population des régions industrialisées monte en flèche tandis que celle des régions agricoles ne croît que lentement ou pas du tout. 

Avant de déterminer l'importance de l'exode rural au Québec, il sera utile de noter les changements survenus dans le pourcentage de citoyens d'origine française dans les différentes régions de la province. 

Changements dans la proportion de la population
d'origine française dans la province de Québec

 

La proportion de la population d'origine française (c'est-à-dire de citoyens dont les ancêtres étaient Français, dont le nombre équivaut à peu près à la population de langue française) est passée de 78% à 82% dans la province de Québec entre 1871 et 1951. 

Cette augmentation reflète les taux relatifs d'accroissement naturel des Français et des non-Français, à deux restrictions près dont les effets sont contradictoires : d'abord une plus grande proportion de non-Français a quitté la province d'une année à l'autre, pour aller s'installer dans d'autres provinces du Canada ; d'autre part il y eut très peu de Français parmi les immigrants étrangers qui se sont établis au Québec. Cette dernière restriction n'a pas à être établie ; elle découle de l'expérience courante. La première est fondée sur les statistiques concernant l'origine ethnique des personnes venant du Québec et habitant les autres provinces canadiennes. 

En effet, si francophones et anglophones émigraient du Québec régulièrement dans les mêmes proportions, on pourrait présumer que le rapport entre francophones et population totale devrait être le même pour les Québécois de naissance qui vivent dans les autres provinces et pour ceux qui sont restés dans la province. Mais il n'en est pas ainsi. En prenant l'Ontario comme exemple, on remarque qu'en 1941, des 104,251 Québécois de naissance vivant dans cette province, 58,563 étaient d'origine française. [1] Bien que ce chiffre représente plus de la moitié du total (né au Québec), il représente une proportion beaucoup moindre que celle des Français vivant au Québec à la même époque par rapport à la population totale de cette province. On retrouve à peu près le même phénomène dans les provinces à l'ouest de l'Ontario. 

Cependant, ce sont les variations, d'une région à l'autre, du pourcentage de Français dans la population totale qui importent ici. Les zones dont on a parlé plus haut serviront encore de référence. L'accroissement du pourcentage de Français dans la population de la Plaine qui s'étend au sud de Montréal a été légèrement moindre que pour l'ensemble de la province ; cette constatation s'applique aux sous-zones industrielle et agricole séparément. On ne constate pas plus de déviation par rapport à la tendance provinciale dans la zone Montréal-Laurentides. Dans les Cantons de l'Est, cependant, la déviation est énorme : le pourcentage de Français est passé de 50 à 86.4% dans la sous-zone industrielle, et de 79.6 à 92.2% dans la sous-zone agricole. 

La vallée du Saint-Maurice, originairement presque entièrement française, a connu une légère baisse du pourcentage de Français ; cependant dans la zone Québec-Laurentides, ce pourcentage a augmenté et est passé de 93.8 à 97.7%. 

Dans la zone métropolitaine de Québec, le pourcentage de Français est monté de 75.2 pour cent à 94.3%, cependant qu'il a peu varié à Montréal où il est passé de 64.6 à 65.1%. Ce même pourcentage a peu varié non plus dans le Saguenay et le Bas Saint-Laurent ; dans la région gaspésienne il est passé de 64.9% à 82.7%, variation analogue à celle qu'a connue le comté de Saguenay sur l'autre rive du fleuve. 

Il est particulièrement intéressant d'observer l'augmentation du pourcentage de Français dans les comtés de Québec près d'Ottawa : de 45.8% en 1871 à 77.3%. On constate un changement du même ordre dans le comté de Russel en Ontario durant la même période. 

Le tableau 2 montre pour chaque zone de la province, le pourcentage de la population française par rapport à la population totale pour chaque recensement de 1871 à 1951. 

On remarque une uniformité frappante dans les changements survenus durant cette période de 80 ans. Par exemple la région industrielle des Cantons de l'Est présente le plus fort accroissement et le pourcentage de Français, à chaque décennie sans exception, marque des gains de 2.5 à 7 points. Il n'y a d'oscillations dans le tableau que là où le changement net a été infime. Dans les comtés industriels de la plaine de Montréal le pourcentage de Français est passé de 92.1 à 94.3 pour cent en 80 ans, incluant 4 décennies d'accroissement et 4 décennies de décroissement. 

 

Tableau 1

Population totale et française, Province de Québec,
par comtés et zones. 1871 et 1951

 

Retour à la table des matières

1871

1951

 

Total

Français

Français en
% du total

Total

Français

Français en
% du total

 

 

 

 

 

 

 

Total

1,191,516

929,817

78.0

4,055,681

3,327,128

82.0

Montréal MétropI.

164,014

105,946

64.6

1,436,006

934,390

65.1

Chambly

10,498

9,775

93.1

77,931

58,216

74.7

Îles de Montréal et Jésus

153,516

96,171

62.6

1,358,075

876,174

64.5

Plaine de Montréal

 

 

 

 

 

 

industriel

65,237

60,058

92.1

136,352

123,604

94.3

Beauharnois

14,757

13,251

89.8

38,748

35,876

92.6

Richelieu

20,048

19,317

96.4

30,801

30,097

97.7

Saint-Hyacinthe ..

18,310

18,075

98.7

38,101

37,425

98.2

Saint-Jean

12,122

9,415

77.7

28,702

25,206

87.8

Agricole

123,594

99,839

80.8

136,509

114,243

83.7

Châteauguay

16,166

11,288

69.8

17,857

13,714

76.8

Huntingdon

16,304

4,924

30.2

13,457

7,501

55.7

Iberville

15,413

13,971

90.6

13,507

12,777

94.6

Laprairie

11,861

10,154

85.6

18,639

14,331

76.9

Napierville

11,688

10,815

92.5

9,203

9,062

98.5

Rouville

17,634

16,954

96.1

19,506

17,629

90.4

Soulanges

10,808

9,724

90.0

9,233

8,798

95.3

Vaudreuil

11,003

9,392

85.4

17,378

13,952

80.3

Verchères

12,717

12,617

99.2

17,729

16,479

92.9

Laurentides

134,688

118,349

87.9

263,725

241,655

91.6

Argenteuil

12,806

3,902

30.5

25,872

16,971

65.6

Berthier

19,993

19,586

98.0

24,717

24,280

98.2

Deux-Montagnes

15,615

13,972

89.5

21,048

18,057

85.8

Joliette

23,075

22,020

95.4

37,251

36,497

98.0

Labelle

314

163

51.9

27,197

26,696

98.2

L'Assomption

15,473

14,979

96.9

23,205

21,801

93.9

Maskinongé

15,079

14,782

98.0

19,478

18,790

96.5

Montcalm

12,742

10,794

84.7

17,520

16,330

93.2

Terrebonne

19,591

18,151

92.6

67,437

62,233

92.3

Cantons de l'Est

 

 

 

 

 

 

Industriel

98,720

49,381

50.0

298,072

257,638

86.4

Drummond

10,975

7,036

64.1

53,426

50,807

95.1

Mégantic

18,879

12,074

64.0

45,325

43,392

95,7

Missisquoi

16,922

7,114

42.0

24,689

18,983

76.9

Richmond

11,213

3,718

33.2

34,102

28,645

84.0

Shefford

19,077

12,683

66.5

43,722

39,150

89.5

Sherbrooke

8,516

3,544

41.6

62,166

50,356

81.0

Stanstead

13,138

3,212

24.4

34,642

26,305

75.9

Agricole

120,000

95,533

79.6

188,722

174,067

92.2

Arthabaska

17,241

15,890

92.2

36,957

36,560

98.9

Bagot

19,491

19,037

97.7

19,224

19,066

99.2

Brôme

13,757

3,471

25.2

13,393

6,758

$0.5

Compton

11,988

2,890

24.1

23,856

18,293

76.7

Frontenac

5,445

4,648

85.4

30,733

30,128

98.0

Nicolet

23,262

22,621

97.2

30,335

30,050

99.1

Wolfe

8,823

7,504

85.1

18,153

17,479

96.3

Yamaska

19,993

19,472

97.4

16,071

15,733

97.9

Vallée du St-Maurice

41,362

39,842

96.3

179,600

171,868

95.7

Champlain

21,492

20,858

97.1

85,745

82,592

96.3

Saint-Maurice

19,870

18,984

95.5

93,855

89,276

95.1

Québec Métropolitain

104,187

78,277

75,2

296,515

279.528

94.3

Lévis

24,831

22,706

91.4

43,625

42,743

98.0

Québec

79,306

55,571

70.1

252,890

236,785

93.6

Québec Laurentides

50,265

47,168

93.8

93,101

90,953

97.7

Charlevoix E.

15,611

15,270

97.8

28,259

27,784

98.3

Charlevoix O.

15,611

15,270

97.8

28,259

27,784

98.3

Montmorency no 1

12,085

11,602

96.0

21,389

21,031

98.3

Montmorency no 2

12,085

11,602

96.0

21,389

21,031

98.3

Portneuf

22,569

20,296

89.9

43,453

42,138

97.0

Rive sud

106,579

99,151

93.0

189,113

186,481

98.6

Beauce

23,485

22.449

95.6

54,973

54,445

99.0

Bellechasse

17,637

17,542

99.5

25,332

25,193

99.5

Dorchester

17,779

14,996

84.3

33,313

32,435

97.4

L'Islet

13,517

13,375

98.9

22,996

22,532

98.0

Lotbinière

20,606

17,340

84.2

27,985

27,456

98.1

Montmagny

13,555

13,449

99.2

24,514

24,420

99.6

Saguenay

17,493

16,643

95.1

197,910

189,853

95.9

Chicoutimi

11,812

11,376

96.3

115,904

111,510

96.2

Lac St-Jean E.

5,681

5,267

92.7

31,128

29,086

93.4

Lac St-Jean O.

 

 

 

50,878

49,257

96.8

Bas St-Laurent

71,163

68,804

96.7

209,624

206,863

98.7

Matane

 

 

 

30,243

29,751

98.4

Matapédia

10,022

9,076

90.6

33,939

33,532

98.8

Rimouski

17,396

16,881

97.0

53,220

52,353

98.4

Témiscouata

 

 

 

28,175

27,832

98.8

Rivière du Loup

22,491

21,809

97.0

37,375

37,008

99.0

Kamouraska

21,254

21,038

99.0

26,672

26,387

98.9

Gaspésie

34,652

22,501

64.9

103,651

85,699

82.7

Bonaventure

15,923

9,545

59.9

41,121

32,065

78.0

Gaspé E.

 

 

 

37,442

29,750

79.5

Gaspé O .

18,729

12,956

69.2

15,089

14,720

97.6

Îles-de-la-Madeleine

 

 

 

9,999

9,164

91.6

Golfe

5,487

3,519

64.1

42,664

33,005

77.4

Saguenay

5,487

3,519

64.1

42,664

33,005

77.4

Outaouais-Gatineau

54,125

24,806

45.8

142,659

110,303

77.3

Hull

 

 

 

57,318

50,690

88.4

Gatineau

23,057

11,454

49.7

35,264

24,685

70.0

Papineau

14,521

9,820

67.6

29,381

25,004

85.1

Pontiac

16,547

3,532

21.3

20,696

9,924

48.0

Abitibi

 

 

 

141,458

121,978

86.2

Abitibi

 

 

 

86,356

76,904

89.1

Témiscamingue

 

 

 

55,102

45,074

81.8


 

Tableau 2

Proportion des Français dans la population totale,
zones du Québec, 1871 à 1951

 

 

1871

1881

1891

1901

1911

1921

1931

1941

1951

 

5

%

%

%

%

%

%

%

%

Total

78.0

79.0

79.7

80.2

80.1

80.0

79.0

80.9

82.0

Montréal métropolitain

64.6

65.5

63.5

65.5

63.7

61.5

60.8

63.2

65.1

Plaine de Montréal :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

industriel

92.1

93.0

94.6

93.9

93.4

94.9

92.4

94.6

94.3

agricole

80.8

81.5

82.1

81.7

82.9

83.2

83.6

84.6

83.7

Laurentides

87.9

88.5

89.8

90.5

91.1

91.6

91.8

91.7

91.6

Cantons de l'Est :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

industriel

50.0

55.3

62.1

66.2

71.6

77.3

79.8

82.8

86.4

agricole

79.6

79.3

82.8

84.3

86.9

88.8

89.9

91.0

92.2

Vallée du Saint-Maurice

96.3

95.9

96.8

97.0

93.4

95.0

95.0

95.1

95.7

Québec métropolitain

75.2

80.0

85.2

86.0

88.8

91.4

92.6

93.1

94.3

Québec Laurentides

93.8

94.8

96.4

96.5

97.2

97.3

97.0

97.8

97.7

Rive sud

93.0

94.7

96.3

96.0

97.7

98.1

98.4

98.7

98.6

Saguenay

95.1

97.9

99.2

98.4

99.1

98.1

95.6

96.3

95.9

Bas Saint-Laurent

96.7

96.6

98.5

97.0

97.9

98.6

98.1

98.0

98.7

Gaspésie

64.9

68.1

68.5

72.2

74.7

75.4

77.7

81.0

82.7

Golfe

64.1

70.9

76.1

69.6

78.5

71.6

71.4

74.2

77.4

Outaouais-Gatineau

45.8

50.1

56.3

60.3

65.5

69.6

72.0

75.3

77.3

Abitibi

53.1

45.3

65.6

85.3

81.1

83.6

86.2

 

Des tendances aussi uniformes devraient permettre des prédictions plus sûres que celles qui se dégagent de la plupart des données démographiques. Il semble clair que si l'industrialisation se poursuit à un rythme élevé, le nombre de Français dans les régions urbaines augmentera par suite des migrations. Que le rythme actuel de croissance industrielle se maintienne ou non, le taux différentiel de natalité démontré par d'autres observateurs [2] aura pour effet d'accroître la proportion de Français à la fois dans les régions industrielles et dans les régions agricoles de la province. 

Des sociologues ont considéré la distribution spatiale de groupes tels les Français et Anglais comme la conséquence aléatoire de mouvements individuels dans lesquels chacun s'établit à l'endroit qui lui convient le mieux. 

Il en est résulté un processus écologique connu sous le nom de succession, au fur et à mesure que les familles françaises Plus nombreuses ont acheté les fermes appartenant à des familles anglaises moins nombreuses ; par exemple, dans les Cantons de l'Est [3]. Selon l'un des correspondants de Horace Miner le quart environ des agriculteurs de Saint-Denis placent sur d'autres fermes deux fils par génération. [4] 

Pour effectuer une étude du phénomène de la succession dans les régions agricoles, il faudrait posséder des données sur chaque ferme dans chaque localité : il faudrait savoir si ces fermes sont exploitées par des francophones ou des anglophones, l'importance des familles, le nombre des employés et plus spécialement, le nombre des membres de chaque famille qui ont laissé : la ferme. À défaut de ces renseignements, on se fondera sur les changements, de résidence de l'ensemble de la population pour estimer les mouvements réels de population. Il faudra d'autres études pour pouvoir décomposer ces mouvements entre Français et Anglais. 

 

II

ESTIMATION DU MOUVEMENT MIGRATOIRE
DE L'AGRICULTURE VERS L'INDUSTRIE

 

On peut donner à l'ampleur de la famille canadienne-française diverses significations : espérance pour l'avenir, signe d'une vie nationale solide et vigoureuse, résultante de principes moraux ou assurance de la survivance de la nation canadienne-française. Nous ne voulons pas insister sur ces idées dans un exposé démographique qui en somme ne doit s'intéresser qu'à l'aspect numérique de la question. Beaucoup d'auteurs ont fait ressortir qu'il ne convient pas de partager les exploitations agricoles et qu'en conséquence, la ferme familiale ne devait revenir qu'à un seul héritier par génération. Les autres héritiers peuvent soit demeurer sur la ferme comme employés ou dépendants, soit s'installer sur une autre ferme, soit poursuivre des activités non-agricoles. Au Québec, s'ils laissent la ferme familiale et fondent une nouvelle exploitation, ils devront soit acheter une terre - généralement des Anglais - soit coloniser de nouveaux territoires. S'ils abandonnent l'agriculture ils deviendront prêtres ou commerçants ou bien ils iront travailler en ville dans les manufactures. Le diagramme 1 illustre la logique de ces différentes options. 

Le schéma est bien connu ; ce ne sont pas seulement les érudits mais chaque personne et chaque famille qui doivent résoudre plus ou moins consciemment ce paradoxe arithmétique qui surgit quand la famille est nombreuse et que la terre est laissée en héritage à un seul des enfants. Naturellement ces circonstances qui affectent si directement chaque famille ne peuvent que soulever la conscience populaire et devenir un sujet favori de discussion et de littérature. À cet égard, la migration hors de la terre familiale est tout à fait l'opposé du différentiel observé dans la grandeur de la famille (discuté dans la quatrième partie de cette étude) ce dernier étant considéré seulement comme une différence statistique entre groupes dont les dimensions de la famille ne semblent pas visiblement différentes. 

Bien que le phénomène de l'exode rural soit bien connu, il n'a cependant pas été mesuré. On ne peut trouver ni rapport de recensement ni annuaire statistique qui indique le nombre de jeunes Canadiens français des deux sexes qui ont abandonné leurs fermes familiales. Il serait utile de posséder ces données pour se faire une idée objective car le mouvement réel peut avoir des proportions plus grandes ou moindres que celles que leur donnent les conjectures populaires ou universitaires. Pour prévoir le rythme d'industrialisation nécessaire pour continuer à absorber l'exode rural, il faut savoir quel a été dans le passé l'ordre de grandeur de ce mouvement par rapport aux taux de natalité. 

Malheureusement l'importance de ces données n'en détermine pas nécessairement la disponibilité. Il n'existe peut-être pas de statistiques suffisamment précises pour l'étude de la période en question - il est possible que toute trace du phénomène soit définitivement perdue ; ce n'est heureusement pas tout à fait le cas. L'exode rural et le développement de l'économie industrielle sous-tendent l'évolution démographique des différentes régions de la province, telle qu'esquissée dans la première partie de cette étude ; l'utilisation de ces données et d'autres renseignements permettent de mesurer l'importance des mouvements migratoires. Il sera nécessaire de poser quelques hypothèses en cours de route ; on espère avoir pris toutes les précautions utiles. 

Peut-être vaudrait-il mieux exposer la méthodologie avant d'entrer dans les détails des chiffres. L'essentiel de la stratégie se résume dans l'emploi de deux méthodes plus ou moins indépendantes. Toute méthode fait intervenir des hypothèses arbitraires ; on en emploiera deux en considérant que la différence d'estimation constituera un premier pas dans la mesure de leurs marges d'erreur respectives.

Diagramme 1

 

 

La première méthode se limite à 13 comtés de la province. Dans chacun de ceux-ci, la majeure partie de la population vit de l'agriculture. Ces comtés constituent l'origine principale des migrations vers les villes et, ce qui est essentiel pour nos calculs, ou bien leurs limites n'ont pas changé durant la période de 1871 à 1951, ou bien leur population peut être ajustée à l'équivalent de limites fixes. La méthode est fondée sur la population des différents groupes d'âge, recensement après recensement, et sur certaines hypothèses quant aux taux de mortalité : si la population du groupe d'âge de 15 à 59 ans était de 64,000 en 1901 et de 68,000 en 1911, et qu'entre-temps, le nombre de personnes atteignant ces âges (celles qui avaient de 5 à 14 ans en 1901), moins les morts, a été de 18,000, alors 64,000 + 18,000 - 68,000 = 14,000 personnes ont dû quitter la région. L'émigration nette est ainsi considérée comme un résidu dans l'ajustement des recensements successifs. Ce calcul, amplifié dans le rapport du nombre total de fermes dans la province au nombre de fermes dans les 13 comtés constitue une première estimation de l'exode rural au Québec. 

La deuxième méthode se base sur le nombre de personnes travaillant dans les industries agricoles et non agricoles. Le fait que le personnel des industries non agricoles se soit accru de 748,000 personnes pendant que l'agriculture en perdait 17,000 entre 1891 et 1951, devrait fournir un indice du mouvement migratoire. 

L'évolution globale sur l'ensemble de la période masque un mouvement particulier remarquable après 1940. Pendant et après la dernière guerre, la population agricole de la province est tombée de 252,000 à 188,000, soit un déclin de 64,000. Ce déclin a plus que compensé l'augmentation régulière enregistrée depuis 1901 ; on a ainsi la surprise de constater que si la population du Québec a triplé entre 1901 et 1951, le nombre d'agriculteurs y a diminué. On constate une augmentation dans chacun des 13 principaux groupes professionnels des industries non agricoles excepté dans la pêche et la trappe, en déclin comme l'agriculture. L'accroissement de l'emploi dans l'industrie manufacturière, de 79,000 à 237,000, est particulièrement frappant (tableau 3).

Tableau 3

Hommes exerçant un travail rémunéré, âgés de 10 ans (a) et plus,
province de Québec - 1891 à 1951

 

Groupe professionnel

1891

1901

1911

1921

1931

1941

1951

Toutes professions

399,039

435,034

552,140

646,440

823,287

928,464

1,130,194

Agriculture

204,552 b

194,381

201,599

217,416

225,914

251,539

187,846

Pêche et trappe

4,265 c

4,317 d

4,431

4,005 e

6,418

8,081

5,538

Forestage

4,206

3,551

11,278 f

10,838

15,557

30,457

35,935

Mines et carrières

2,119

1,338

5,560 g

4,118

6,128

9,977

12,246

Manufacture

52,058

101,884

79,288

87,793

111,352

173,288

237,189

Construction

24,183

 

35,085

44,887

62,831

69,961

98,510

Transport et communication

15,533

45,171

34,952

41,263

66,018

79,317

121,643

Commerce et finance

23,788

 

51,131

63,175

78,388

81,684

106,274

Services

23,918

27,513

33,729

46,116

73,714

89,967

134,070

Professionnels

9,332

14,165

20,388

29,466

36,280

51,500

Personnels

9,307

13,202

15,806

16,753

35,021

41,534

56,410

Employés de bureau

5,998 h

15,396 h

17,219

33,086 i

43,258

49,404

69,207

Manoeuvres j

36,865

41,241

77,868

91,368

133,368

81,038

100,242

Non déclaré

1,554

242

2,375

341

3,751

21,494

a    14 ans et plus en 1941 et 1951

c    non compris les Indiens nomades

e    ne comprend pas les Indiens dans les réserves

b    y compris les enfants de cultivateurs, rémunérés ou non

d    ne comprend pas les Indiens

f     comprend les employés des moulins à papier

g    comprend presque tous les employés des mines et des fonderies, sauf les employés de bureau

h    les employés de bureau au service des gouvernements ont été classés dans les Services

i     comprend les correcteurs d'épreuves, expéditeurs, chargeurs et postiers ; l'addition de ces gens aurait augmenté de 18% l'effectif de ce groupe en 1931

j     non compris les ouvriers de l'agriculture, des pêches, du forestage et des mines

Note :     Dans la mesure du possible, on a regroupé les professions d'après la classification de 1931 ; celle-ci a cependant dû être ajustée dans certains cas.

 

 

Après avoir estimé l'accroissement naturel et la migration nette pour l'ensemble de la province, on calculera la proportion agricole de cet accroissement naturel. La seconde estimation de l'exode rural sera alors la différence entre l'accroissement naturel agricole et le nombre observé de travailleurs dans l'agriculture. 

Si les deux méthodes donnent des résultats identiques, ce sera une preuve de leur réalisme. Il est inutile d'alourdir cet exposé avec de longs calculs ; on se contentera de présenter le tableau 4 qui indique les résultats des deux méthodes. [5] 

 Tableau 4

Estimations de l'émigration nette hors de l'agriculture au Québec

 

 

Méthode 1

Méthode 2

 

(milliers)

1871-1881

34

12

1881-1891

55

55

1891-1901

57

70

1901-1911

43

48

1911-1921

54

40

1921-1931

61

57

1931-1941

33

34

1941-1951

57

114

 

394

430

 

 Pour le total et pour cinq des huit décennies, ces résultats sont étonnamment rapprochés. Les plus gros écarts concernent la décennie 1871-81 et les décennies comprenant la première et la seconde guerres mondiales. 

Jusqu'à quel point le degré de conformité entre les deux méthodes peut-il être entre elles un moyen de contrôle ? La conformité ne démontre pas le réalisme des taux de mortalité retenus, les mêmes taux ayant été employés dans les deux calculs. 

Leur validité peut cependant être jugée en ce qu'ils impliquent pour l'ensemble des groupes d'âge une mortalité inférieure à celle officiellement enregistrée pour l'ensemble de la province. Les différentiels entre taux de survivance de jeunes et de vieux, d'urbains et de ruraux pourraient être tels que le taux de survivance retenu ne soit pas trop élevé pour le groupe concerné de ruraux en âge de travailler. 

L'emploi éventuel de taux de mortalité trop bas entraîne une surestimation de l'exode rural. Les erreurs concernant la mortalité, cependant, même si elles sont substantielles ne peuvent avoir qu'un faible effet sur la marge d'erreur de l'estimation du nombre de migrants dans les groupes d'âges concernés ici ; pour les groupes d'âges de 15 à 59 ans, une erreur de 20% sur les taux entraîne une erreur de 5 à 10% sur le nombre net des migrants. 

Pour le reste, les deux méthodes sont indépendantes ; ainsi l'hypothèse de l'égalité des taux de participation masculine dans les régions agricoles et non agricoles ne conditionne que la seconde ; de même, l'hypothèse que les 13 comtés agricoles retenus contiennent un échantillon aléatoire de la population agricole totale de la province ne conditionne que la première. 

L'émigration nette pendant chaque décennie peut être exprimée de deux façons : en nombre de migrants par ferme par décennie, si l'on s'intéresse à l'impact de l'exode sur l'exploitation agricole moyenne ; et en pourcentage de migrants dans le nombre total de personnes atteignant 15 à 24 ans. 

La façon la plus simple, dans le premier cas, consiste à faire le rapport entre le nombre moyen de migrants des 13 comtés de la première estimation, et le nombre d'exploitations agricoles dans ces comtés (tableau 5, colonne 3). L'inverse de ce rapport exprime l'intervalle moyen de temps entre départs successifs (colonne 4).

Tableau 5

Nombre de fermes et d'émigrants dans 13 comtés du Québec,
1871 à 1951

 

 

Fermes

Émigrants de 15 à 59 ans

Nombre moyen d'émigrants par ferme par année

Nombre moyen d'années entre deux émigrations successives hors d'une ferme

 

(1)

(2)

(3) = [(2) / (1) =] / 10

(4) = 1 / (3)

1871

28,629

-12,149

.042

24

1881

33,032

-17,135

.052

19

1891

39,554

-17,944

.045

22

1901

31,661

-14,241

.045

22

1911

38,913

-18,406

.047

21

1921

33,839

-19,875

.059

17

1931

33,154

-10,827

.033

30

1941

35,419

-19,390

.055

18

1951

30,972

 

 

 

 

On n'a pas effectué les calculs à partir du nombre de fermes au milieu plutôt qu'à la fin de la période intercensale : les modifications dans les nombres des fermes seraient peu importantes comparées aux difficultés de calcul qu'impliquerait : ce raffinement. 

La seconde façon d'aborder la question entraîne l'étude de la distribution des migrants par groupes d'âge ; cette distribution est un sous-produit des calculs précédents. 

Le tableau 6 concerne les 13 comtés arbitrairement choisis et pour lesquels les chiffres absolus n'ont pas de signification. Entre 1871 et 1951, 47 pour cent des émigrants ruraux étaient âgés de 20 à 29 ans, et 78 pour cent de 15 à 34 ans. Au-dessus de soixante ans on enregistre un faible mouvement de retour, mouvement qui n'est pas incorporé dans le tableau 6. 

Tableau 6

Distribution des émigrants agricoles selon l'âge,
13 comtés du Québec, 1871-1951

 

Groupes d'âge

Pourcentage d'émigrants 10-59

10-14 ans

7.9

15-19 ans

14.9

20-24 ans

22.6

25-29 ans

24.9

30-34 ans

15.7

35-39 ans

6.0

40-44 ans

3.4

45-49 ans

2.5

50-54 ans

1.1

55-59 ans

1.0

Total

100.0

 La première colonne du tableau 7 indique le nombre d'hommes de 15 à 19 ans successivement recensés dans ces 13 comtés. Le cinquième de ce nombre représente le nombre d'hommes qui atteignent 15 à 24 ans par année, et fournit ainsi une estimation de la population de la cohorte à laquelle appartient le migrant. 

Il n'y a pas un âge particulier pour abandonner la ferme ; mais étant donné que la majorité des migrants, selon le tableau 6, ont de 15 à 34 ans, le tableau 7 néglige les groupes plus âgés.
 

Tableau 7

Émigrants mâles en fonction du nombre d'hommes
qui atteignent 15 à 24 ans - 13 comtés de l'estimation no 1

 

 

Population de 15 à 19 ans au début de la décennie

Hommes

Émigrants de 15 à 24 ans pendant la décennie

Hommes

Émigrants en % du nombre d'hommes atteignant 15 à 24 ans par année

 

(1)

(2)

(3)

1871-1881

12,658

9,998

39.5

1881-1891

13,141

14,349

54.6

1891-1901

13,447

15,115

56.2

1901-1911

13,179

12,490

47.4

1911-1921

13,830

15,310

55.4

1921-1931

15,088

16,251

53.9

1931-1941

15,583

10,004

32.1

1941-1951

17,126

16,678

48.7

Total 1871-1951

114,052

110,195

48.3

 

 Le nombre des migrants par décennie est dix fois la moyenne annuelle et la fraction qui émigre chaque année peut alors être obtenue en divisant le dixième du nombre des migrants par le cinquième du nombre d'hommes ayant 15 à 19 ans au commencement de la décennie. Étant donné que les migrants atteignent les âges spécifiés au cours de la décennie plutôt qu'au commencement, il y a une correspondance brute entre les intervalles de temps auxquels se rapportent le numérateur et le dénominateur. Les quotients qui en résultent sont exprimés en pourcentages dans la colonne 3 du tableau 7. 

Les rapports exprimés dans cette colonne ont une moyenne d'environ 48 pour cent. En d'autres termes, un garçon de ferme sur deux émigre de son comté entre 15 et 34 ans. Le pourcentage est moindre pour la première décennie (1871-81) ; ceci peut refléter soit l'achèvement, pendant cette période, de la colonisation des comtés, soit une erreur, la seconde estimation indiquant un chiffre plus élevé pour cette période. De 1881 à1931, le pourcentage de migrants reste stable autour de 50%. Durant la décennie commençant en 1931, l'absence d'emplois industriels a fortement ralenti l'exode rural. 

La description de Miner du cycle familial est classique. On la citera une nouvelle fois pour l'interprétation de l'exode : 

« Après huit ans de mariage, le jeune couple a déjà eu cinq enfants, dont l'un est mort. Le plus vieux a sept ans, le plus jeune est encore dans les langes. Le cycle familial est si régulier que les remarques populaires du type « Il est encore jeune, il n'a que quatre ou cinq enfants » en sont l'expression courante. ...Huit ans après, le père a 42 ans et le couple a eu dix enfants, dont trois sont morts. Les plus vieux aident aux champs et il n'y a pas de problème de main-d'oeuvre. Le père a déjà commencé à faire des plans d'avenir pour ses fils ; c'est sa responsabilité. Il lui faudra organiser l'avenir de six enfants. Le septième, évidemment, reprendra la ferme. ...Quand le jeune homme héritera, le cycle recommencera. » [6] 

Miner résume les perspectives d'avenir des dix enfants : 

« Quatre meurent avant d'atteindre 25 ans ; l'un hérite de la ferme familiale ; l'une épouse un cultivateur ; un autre, si c'est un garçon, devient prêtre ou exerce un métier, ou, si c'est une fille, entre au couvent, devient institutrice ou épouse un professionnel. Restent les trois autres enfants. Le père, tout en abandonnant progressivement ses responsabilités d'exploitant à son successeur, essaie d'acheter une autre ferme ou d'économiser pour permettre à un autre fils de se lancer dans l'agriculture quelque part. Un correspondant local estime qu'environ le quart des pères donne quelque formation professionnelle au garçon ou l'envoie trouver du travail dans un centre industriel ou en ville. » [7] 

C'est parmi ces trois derniers enfants que doivent se recruter les migrants. Miner Parle plus loin de la population célibataire de la paroisse : les hommes non mariés peuvent devenir des salariés agricoles dans cette partie du cycle où les enfants de l'exploitant ne sont pas assez vieux pour participer aux travaux de la ferme. 

Ces exposé semble d'une façon générale compatible avec nos calculs qui prévoient 50% de jeunes émigrants et un émigrant par ferme par période de vingt ans. Ces chiffres, cependant, ne sont pas typiques mais représentent une moyenne arithmétique ; ils comprennent toutes les fermes, y compris celles où il n'y a pas d'enfants. En outre, ils ne sont pas décomposés entre Anglais et Français ; cette décomposition, et d'autres opérations restent à faire. 

III

CHANGEMENTS DANS LA DIVISION
DU TRAVAIL

 

Cette troisième partie est consacrée aux ruraux qui ont abandonné leurs fermes vers les manufactures ou d'autres activités urbaines. 

Beaucoup d'études ont été entreprises sur ce sujet, y compris des interprétations très utiles des statistiques disponibles. L'encouragement et l'exemple du professeur Everett C. Hughes ont soutenu ces études, telles celles de Roy et de Jamieson ; les étudiants de la faculté des Sciences Sociales de l'Université Laval ont également conduit des recherches sur certaines industries. 

Le professeur Hughes lui-même a traité en profondeur le problème de la division du travail entre Français et Anglais. Pour lui, la manufacture n'est pas seulement le site d'un processus de production ; elle constitue en soi un système social. La notion de « qualification » pour l'emploi doit alors s'étendre jusqu'à inclure d'autres facteurs que la seule compétence technique. Si par « qualification » on n'entendait que « compétence technique », si les directeurs d'une entreprise n'étaient que des machines à maximiser les profits, alors serait toujours choisi pour un travail donné le candidat dont la compétence technique est la plus grande, parmi ceux qui accepteraient le salaire fixé. 

Cette façon de concevoir le recrutement est elle-même le produit d'une culture ; quelle que soit la vigueur avec laquelle nous acceptons tous cette culture, la sociologie doit décrire le processus de recrutement d'une façon plus objective et déterminer les éléments de choix qui ne sont pas objectifs dans le sens de la maximisation des profits. 

La qualification a naturellement pour origine les connaissances techniques acquises à l'école ; y concourent en outre l'expérience acquise au travail ainsi que des qualités comme l'initiative et la régularité. Elle englobe enfin ce que réclame la nécessité de trouver sa place dans une organisation sociale. Pour certaines fonctions, comme le montre le professeur Hughes, les critères de sélection peuvent spécifier entre autres que le candidat choisi ait une formation telle qu'il puisse sans inconvénient et avec aisance prendre part à un dîner ; pour d'autres fonctions, de telles qualités sociales ne sont pas indispensables. Quand la confiance de la direction est essentielle au travail, on a tendance à choisir un candidat qui ressemble ethnologiquement à la direction ; quand c'est la confiance du personnel qui est primordiale, le candidat choisi ressemble au personnel. 

Ainsi, l'aptitude d'un candidat n'est pas établie une fois pour toutes, mais à la suite d'une série d'étapes et de gestes séparés, comme par exemple des promotions qui selon les termes de Hughes constituent chacune un « vote de confiance ». Tels sont les facteurs en jeu dans notre situation industrielle biculturelle. 

Les études actuellement disponibles décrivent les structures de l'emploi résultant de ces processus, au recensement de 1931, pour l'ensemble du Québec ou pour Montréal. [8] Ce sont des structures où « les Canadiens français sont, comme aurait dit un géographe français, l'élément passif dans la géographie humaine de cette région. Les Anglais représentent l'élément actif, épisodique, catastrophique... » [9] À ce stade de l'étude, on s'intéressera à la division du travail entre Français et Anglais pour l'ensemble du Canada ; la comparaison des structures de l'emploi en 1931 et en 1941 permettra de déterminer les changements survenus. 

Ces changements peuvent être étudiés dans le détail de 400 groupes professionnels ; le tableau 8 ne garde que les points saillants. Dans les transports, la situation dans le trafic ferroviaire, par exemple, où les Français ne sont pas bien représentés, n'a pas beaucoup changé entre 1931 et 1941. D'autre part, la proportion de Français chez les chauffeurs et conducteurs de taxi est passée de 42 à 44% ; la même proportion est passée de 24 à 30% chez les chauffeurs de camion, de 24 à 38% chez les messagers. 

Dans les services commerciaux, la proportion de Français a peu varié chez les commerçants détaillants ; elle a augmenté chez les vendeurs et diminué chez les commis voyageurs. 

En ce qui concerne les services professionnels la proportion de Français a peu varié chez les chimistes et les ingénieurs ; dans les branches traditionnelles (médecins, avocats, notaires et prêtres), cette proportion a augmenté dans la même mesure que pour l'ensemble de la main-d'oeuvre. Si la proportion de Français n'a pas augmenté chez les ingénieurs, chez les dessinateurs elle s'est élevée de 11 à 15%. Dans les métiers moins traditionnels, la proportion de francophones a sensiblement augmenté chez les agents de police, les détectives et les chefs des postes ; de même dans certains services comme chez les concierges, les garçons de table et les cuisiniers. 

Chez les employés de bureau, la proportion de francophones s'est accrue légèrement moins que pour l'ensemble de la main-d'oeuvre. Elle est passée de 15 à 20% chez les commis d'expédition, de 20 à 25% chez les comptables, teneurs de livres et caissiers ; malheureusement ce dernier groupe réunit des personnes de revenus et de prestige très différents ; comme la répartition entre Français et Anglais a pu varier différemment entre les 3 sous-groupes, il est difficile de tirer des conclusions précises. 

Affirmer que « les Canadiens français tirent de l'arrière dans les affaires et l'industrie » est peut-être ambigu ; il semble cependant que c'était aussi vrai en 1941 qu'en 1931. Cependant, on doit considérer que les années '30 ont été une période de régression, à l'inverse des années '40. 

Le tableau 9 indique le déclin relatif et absolu de l'agriculture dans toutes les provinces après 1941. Au Québec, la main-d'oeuvre agricole est tombée de 27 à 17% de la main-d'oeuvre totale. Cette chute révèle un changement extraordinaire dans la marche des choses, un changement sans précédent en une seule décennie. Aussi attend-on avec un intérêt spécial les statistiques du recensement de 1951 sur les professions par origine ethnique.

Tableau 8

Main-d'oeuvre, totale et française, certaines professions,
Canada, 1931 et 1941

 

 

1931

1941

 

Total

Français

%

Total

Français

%

 

 

 

 

 

 

 

Toutes professions (a)

3,260,014

808,490

24.8

3,353,416

939,769

28.0

Agriculture

1,107,766

275,738

24.9

1,064,847

302,004

28.4

Cultivateurs et éleveurs

626,112

141,070

22.5

630,709

158,155

25.1

Ouvriers agricoles

478,632

134,244

28.0

431,102

143,490

33.3

Pêche, chasse et trappe

47,408

10,067

21.2

51,126

11,047

21.6

Pêcheurs

33,620

9,017

26.8

33,273

9,904

29.8

Chasseurs, trappeurs, guides

13,788

1,050

7.6

17,853

1,143

6.4

Forestage

43,995

18,614

42.3

80,248

40,395

50.3

Propriétaires et directeurs

2,463

851

34.6

2,004

799

39.9

Contremaîtres

912

384

42.1

1,321

663

50.2

Gardes et estimateurs forestiers

3,182

1,190

37.4

2,923

1,292

44.2

Bûcherons

37,438

16,189

43.2

74,000

37,641

$0.9

Mines et carrières

58,585

7,910

13.5

71,861

13.077

18.2

Propriétaires et directeurs

1,249

131

10.5

1,360

93

6.8

Contremaîtres

2,001

272

13.6

2,804

410

14.6

Industries manufacturières

394,823

94,055

23,8

561,001

154,886

27.6

Propriétaires et directeurs

36,936

7,691

20.8

35,499

6,506

18.3

Contremaîtres (b)

17,674

4,323

24.5

28,555

6,735

23.6

Boulangers

10,539

3,256

30.9

10,793

3,713

34.4

Machinistes - métall

32,476

6,240

19.2

42,924

10,001

23.3

Imprimeurs

15,576

2,177

14.0

15,997

3,583

22.4

Conducteurs de machines fixes

21,116

2,821

13.4

29,792

6,760

22.7

 

 

 

 

 

 

 

Construction

202,970

59,565

29.3

212,716

70,969

33.4

Propriétaires et directeurs

13,012

3,022

23.2

9,357

2,000

21.4

Contremaîtres

51381

1,360

25.3

4,481

1,293

28.9

Charpentiers-menuisiers

81,264

26,457

32.6

89,787

32,682

36.4

Peintres, décorateurs et vitriers

34,827

10,086

29.0

38,416

13,138

34.2

Plombiers et tuyauteurs

17,471

5,365

30.7

19,937

6,439

34.0

Transports et communications

271,244

61,746

22.8

294,800

80,754

27.4

Propriétaires et directeurs

8,397

1,287

15.3

8,299

1,080

13.0

Chauffeurs et conducteurs de taxi

15,388

6,398

41.6

15,090

6,567

43,5

Mécaniciens de locomotive

7,920

1,021

12.9

7,088

907

12.8

Chauffeurs de locomotive

5,948

919

15,5

5,235

909

17.4

Débardeurs et arrimeurs

4,816

2,093

43.5

9,476

4,168

44.0

Messagers

12,880

3,041

23.6

11,711

4,418

37.7

Cantonniers et poseurs de rails

23,587

3,871

16.4

24,422

4,928

20.2

Charettiers et conducteurs de voitures

22,286

6,879

30.9

18,720

6,515

34.8

Conducteurs de camion

43,698

10,671

24.4

80,403

23,799

29.6

Commerce

259,799

55,472

21.4

266,023

62,806

23.6

Propriétaires et directeurs - détail

94,644

20,698

21.9

100,756

23,486

23.3

Propriétaires et directeurs - gros

13,336

1,516

11.4

20,188

2,871

14.2

Voyageurs de commerce

16,495

5,465

33.1

29,882

6,575

22.0

Vendeurs en magasin

100,537

22,680

22.6

81,270

24,282

29.9

Finances

36,252

6,333

17.5

30,576

5,783

18.9

Propriétaires et directeurs

8,557

1,368

16.0

8,241

1,338

16.2

Agents d'assurances

17,049

3,795

22.3

14,571

3,596

24.7

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Services

270,573

58,873

21.8

308,550

76,951

24.9

Architectes

1,296

234

18.1

1,186

271

22.8

Artistes et professeurs d'art

1,909

296

15.5

2,328

404

17.4

Écrivains, rédacteurs et journalistes

2,880

432

15.0

3,434

731

21.3

Chimistes et métallurgistes

3,200

488

15.5

7,233

1,112

15.4

Ministres et prêtres

12,662

3,695

29.2

14,077

4,514

32.1

Dentistes

4,007

674

16.8

3,695

727

19.7

Dessinateurs

4,596

526

11.4

5,596

855

15.3

Ingénieurs professionnels

15,818

1,938

12.3

18,547

2,378

12.8

Avocats et notaires

8,004

2,081

26.0

7,791

2,249

28.9

Médecins et chirurgiens

9,817

2,204

22.5

10,339

2,470

23.9

Professeurs et directeurs

2,941

1,570

53.4

3,858

2,208

57.2

Instituteurs

18,274

4,649

25.4

21,988

5,519

25.1

Policiers et détectives

10,900

2,799

25.7

15,960

4,711

29.5

Chefs de poste

2,439

463

19.0

3,205

731

22.8

Facteurs et postiers

6,700

1,640

24.5

7,310

2,044

28.0

Propriétaires et directeurs d'hôtels

5,399

1,722

31.9

5,945

1,826

30.7

Propriétaires et directeurs de restaurants

9,765

2,369

24.2

10,859

3,535

32.6

Barbiers, coiffeurs, manucures

16,368

5,406

33.0

14,889

5,137

34.5

Cuisiniers

17,832

3,300

18.5

17,847

4,263

23.9

Gardiens

13,411

3,663

27.3

20,815

5,821

28.0

Concierges et fossoyeurs

14,691

1,878

12.8

19,221

3,628

18.9

Blanchisseurs

9,607

1,225

12.8

5,419

732

13.5

Tenanciers - chambres et pension

1,742

299

17.2

2,208

366

16.6

Garçons de table

11,203

2,149

19.2

13,735

3,728

27.1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Employés de bureau

141,191

26,876

19.0

159,779

84,586

21.6

Comptables et vérificateurs, Teneurs de livres et caissiers

46,405

9,133

19.7

46,040

11,258

24.5

Commis de bureau

94,673

17,340

18.3

110,043

22,397

20.4

Commis d'expédition

15.045

2,281

15.2

23,044

4,628

20.1

Manœuvres (non dans l'agriculture, la pêche, le forestage ou les mines)

428,062

133,400

31.2

251,889

86,511

34.3

a    Non compris les hommes du groupe professionnel « non-déclaré ».

b    Comprend les inspecteurs, expérimentation des produits chimiques et les inspecteurs, calibreurs des industries métallignes.

 

Tableau 9

Proportion de la main-d'oeuvre masculine employée
dans l'agriculture, Canada et Provinces, 1941 et 1951

 

 

1941

1951

Province

Total main-d’œuvre rémunérée

Main-d'oeuvre employée dans l'agriculture

%

Total main-d'oeuvre rémunérée

Main-d'oeuvre employée dans l'agriculture

%

Canada

3,363,111

1,064,847

31.7

4,121,832

797,874

19.4

 

 

 

 

 

 

 

Terre-Neuve

89,460

3,567

4.0

Île-du-Prince-Edouard

26,088

16,350

62.7

28,156

12,693

45.1

Nouvelle-Écosse

153,941

36,934

24.0

178,087

22,977

12.9

Nouveau-Brunswick

119,341

41,136

34.5

134,953

26,211

19.4

Québec

928,464

251,539

27.1

1,130,194

187,846

16.6

Ontario

1,140,105

264,914

23.2

1,439,966

193,795

13.5

Manitoba

215,705

90,774

42.1

232,296

70,430

30.3

Saskatchewan

273,122

184,244

67.5

251,077

141,736

56.5

Alberta

247,622

138,814

56.1

291,269

111,745

38.4

Colombie-Britannique

258,723

40,142

15.5

346,374

26,874

7.8

9 Provinces

3,363,111

1,064,847

31.7

4,032,372

794,307

19.7


 

IV

L'INFLUENCE DES VILLES SUR
LA TAILLE DE LA FAMILLE AGRICOLE

 

Il n'est pas facile de mesurer l'influence que la ville exerce sur la campagne environnante ; il semble toutefois utile à ce stade d'essayer d'en définir quelques paramètres. L'analyse des recensements a déjà permis de définir dans quelle mesure les villes du Québec recrutent à la campagne leur population croissante. Il reste à examiner si le recensement peut révéler l'effet que l'industrialisation et l'urbanisation peuvent produire sur ceux qui sont restés à la campagne. Il n'existe aucun doute que la ville exerce un effet sur l'esprit et le comportement de ceux qui s'y sont fixés ; on cherchera ici à déceler l'effet qu'elle produit sur ceux qui sont restés à la ferme. 

Il y a plusieurs façons d'attaquer le problème. L'anthropologie par exemple examinera les changements survenus avec le temps dans l'architecture, la façon de s'habiller, le genre de divertissements. On se limitera ici aux statistiques du recensement de 1941 relatives à la natalité. On essaiera de déterminer si les familles vivant près des villes sont moins nombreuses que celles qui en sont éloignées. Si, à revenus, instruction, etc. égaux, la dimension de la famille croît proportionnellement à son éloignement des villes, on aura établi dans quelle mesure l'influence des villes se fait sentir dans les campagnes environnantes. On a employé diverses méthodes plus ou moins indépendantes pour mesurer ce phénomène ; l'accord de leurs résultats suffit à fonder une conclusion raisonnablement ferme. 

Il semble utile ici d'examiner une question connexe à savoir dans quelle mesure le Canadien d'origine française est influencé par ses voisins anglophones. On pourrait penser que les Français qui vivent dans le voisinage des Anglais ont probablement plus de contacts avec eux que ceux qui en sont éloignés ; de même, s'il existe des différences de comportement entre Français « voisins » des Anglais et Français « éloignés », ces différences seront fonction de l'importance des contacts entre les deux groupes. Ici encore, on ne pourra tirer de conclusion que si les groupes de Français « voisins » et les groupes de Français « éloignés » ne diffèrent que par leur distance des Anglais ; on essaiera de s'en assurer dans la mesure du possible. 

Dans le même ordre d'idées les personnes qui demeurent près des villes doivent être relativement exposées aux influences psychologiques sociales de la vie urbaine ; un cultivateur qui demeure à proximité d'une ville y va plus souvent, y a plus d'amis et de parents, en reçoit plus de visiteurs, entre plus souvent en relations commerciales avec les habitants de la ville que celui qui en est éloigné. Si ce fait ne peut être prouvé pour chaque cas séparément, il est certainement vrai en général si l'on considère la moyenne des cas. 

L'exemple le plus remarquable de diffusion dans l'histoire est l'expansion contemporaine d'idées dites « modernes » qui accompagnent la révolution industrielle dans les régions du monde où les idées traditionnelles ont dominé. Un aspect de cette diffusion complexe a été considérablement fouillé ; c'est celui des changements dans la dimension de la famille. La plupart de ceux qui étudient les taux différentiels de fertilité, que ce soit sous l'angle de la sociologie ou sous celui de la biologie, reconnaissent le lien entre leur sujet et la révolution industrielle. 

Dans tous les pays occidentaux les plus fortunés, les citadins, les intellectuels, ont été les premiers à adopter le plus complètement le modèle de la petite famille ; ce type de diffusion rappelle celui de la mode, dont Sapir a noté le cheminement le long de l'échelle décroissante du prestige. [10] 

Les familles canadiennes-françaises ont toujours été nombreuses et elles le sont encore. Il y avait 63 naissances par millier d'habitants en 1660 et ce taux n'a pas beaucoup diminué avant le milieu du 19ième siècle [11] ; il a atteint son point le plus bas, 25 pour mille, durant les années 1930 et s'est fixé autour de 30 depuis la guerre. La tendance des naissances est difficile à déterminer en raison de l'extraordinaire récession des années '30 et de la reprise des années '40. 

Le tableau 10 montre cependant que le taux de natalité des Canadiens français et celui des Canadiens d'autres origines ont varié dans le même sens au cours des 20 dernières années. 

Tableau 10

Taux de natalité selon certains groupes d'origine ethnique,
Canada, 1931 à 1951

 

 

Total

Français

Autres

1931

 

 

 

Population féminine de 15 à 44 ans

2,306,528

651,188

1,655,340

Naissances

240,473

92,332

148,141

Taux pour 1000

104

142

89

1941

 

 

 

Population féminine de 15 à 44 ans

2,651,228

822,691

1,828,537

Naissances

255,317

101,915

153,402

Taux pour 1000

96

124

84

1951

 

 

 

Population féminine de 15 à 44 ans

3,103,807

981,761

2,122,046

Naissances

357,907

135,501

222,406

Taux pour 1000

115

138

105

 Le déclin de la natalité depuis l'époque des pionniers a indubitablement été fonction de l'urbanisation et du fait que le rôle de la cellule familiale dans l'exercice des professions urbaines est différent de celui qu'elle joue dans l'agriculture traditionnelle. Plusieurs auteurs, tant Anglais que Français, ont traité de cette opposition ville-campagne ; on analysera plutôt ici les différences au sein de la population agricole elle-même. 

Il semble peu risqué de supposer qu'un nouveau type de comportement se diffuse selon une courbe déterminée dans la société. Il apparaît chez les habitants qui par leur situation forment la « couche sensible » de la société, c'est-à-dire ces personnes qui psychologiquement sont les plus réceptives, puis se diffuse dans l'arrière-pays. L'hypothèse qu'on veut vérifier est que pour des familles de même type professionnel, cette « couche sensible » a une dimension géographique. 

On a d'abord calculé un certain nombre de corrélations entre moyennes par comté à partir des tables de recensement publiées. On a utilisé trois types de moyennes en ce qui concerne la dimension de la famille et deux mesures pour les distances. Dans certains cas on a calculé les corrélations à la fois à partir des données brutes et à partir de la transformation de celles-ci en séries hiérarchiques. Ces calculs ont donné pour résultat général une corrélation partielle d'environ 0.5 ; autrement dit quelque 0.25 de la variance de la taille de la famille par comté est fonction de l'éloignement de la ville, les facteurs revenus, éducation et âge matrimonial étant maintenus constants. 

Cependant, la recherche a requis un meilleur contrôle des variables exogènes que ne le permet le recensement, et ce, dans la mesure du possible, au niveau des familles individuelles plutôt qu'à celui des comtés. Pour y arriver, on a choisi au hasard un petit échantillon de 1,056 familles ; le caractère aléatoire de la sélection permet de tirer des conclusions avec des probabilités connues d'erreur. On a défini la fécondité comme le nombre total d'enfants qu'ont eus les mères de famille âgées de 45 à 74 ans (c'est-à-dire les mères dont la famille a déjà approximativement atteint sa taille maximum) ; l'échantillon était composé en partie de familles vivant près des villes et en partie de familles éloignées de celles-ci. 

L'échantillon constitue un groupe homogène de familles complètes dans lesquelles mari et femme étaient Français, catholiques, nés et vivant sur une ferme et le mari, exploitant agricole. Dans ce groupe on a établi des classes selon l'âge de la femme (45-54 et 55-74), l'âge matrimonial (moins de 20 et 20-24) et l'âge scolaire (moins de 7 et 7 ou plus) ; les différences à l'intérieur de ces classes peuvent être partagées entre les familles vivant près des villes et celles qui en sont éloignées sans restreindre le champ de la recherche. Comme les revenus n'étaient pas portés sur le même tableau, on n'a pu en tenir compte au niveau individuel mais seulement par comté. Deux degrés d'associations avec les Anglais ont été retenus en divisant les familles françaises entre celles qui vivaient dans une aire de dénombrement contenant au moins cinq familles anglophones et celles vivant dans une aire contenant moins de cinq familles anglaises. [12] 

Avant d'analyser les 1,056 cas de l'échantillon, on peut noter que les mères demeurant loin des villes ont eu 10.7 enfants en moyenne, cependant que les mères habitant près des villes en ont eu 9.1 en moyenne, une différence de 1.6 enfants (voir tableau 11). Cette différence n'est toutefois pas indépendante des âges matrimoniaux, etc., étant donné l'inégalité des populations des classes. 

Arithmétiquement il serait assez difficile d'estimer séparément le nombre moyen d'enfants dans les familles vivant les unes rapprochées les autres éloignées des centres urbains ; mais on peut évaluer la différence entre les deux groupes à 1.28 enfants avec un écart-type de 0.27. 

Il est impossible d'établir avec certitude que la distance est la cause de cette différence, comme on pourrait le faire dans une expérience où l'éloignement des familles des centres urbains serait aléatoire. Il est toutefois très probable que la différence relevée dans l'échantillon est du même sens que celle qu'on aurait établie par l'examen de toutes les familles des deux groupes de comtés. En d'autres termes la force ou la faiblesse de la conclusion ne réside pas dans la dimension de l'échantillon mais dans la perfection avec laquelle les variables qui peuvent être confondues avec la distance ont été éliminées. 

Les résultats sont significatifs non seulement pour la distance mais pour trois des cinq autres variables : âge matrimonial, revenu et âge scolaire ; le voisinage d'anglophones d'autre part semble ne pas avoir de rapport avec la dimension de la famille. De toute évidence les échanges entre Anglais et Français ne portent pas sur le nombre d'enfants. 

Il est nécessaire de considérer ces résultats statistiques en des termes plus larges en commençant par la notion du « cheminement » des traits culturels nouveaux dans la société. On sait qu'en général le mouvement est dirigé du riche vers le pauvre, de la ville à la campagne, etc. L'évolution de la dimension de la famille, parallèle à la diffusion de la révolution industrielle, permet de tracer ce cheminement ; c'est en effet l'un des rares traits culturels dont le mouvement parmi les différents secteurs de la population soit statistiquement bien documenté. 

On s'est demandé ici si la diffusion des idées nouvelles a une dimension spatiale. On peut difficilement espérer détecter un différentiel spatial dans une société mobile. Dans une société plus stable, et plus particulièrement là où une agriculture plus ou moins indépendante des marchés amortit l'impact des idées neuves, il est probable à priori que les traits culturels nouveaux se propagent de proche en proche à partir des villes. Quand l'analyse statistique révèle indubitablement une différence dans la taille de la famille, on peut affirmer l'existence du mouvement. Cependant ce mouvement émanant des villes ne se propage pas d'anglophone à francophone. 

On peut affirmer qu'il y a de véritables contacts entre Français et Anglais dans les affaires et dans la vie sociale ; le comportement de l'agriculteur canadien-français, en un aspect fondamental au moins, n'est cependant pas déterminé par ces contacts. L'influence qu'exerce sur lui le monde anglophone lui arrive par l'intermédiaire des villes canadiennes-françaises.
 

Tableau 11

Manipulations - 1,056 familles tirées du recensement de 1941
- Nombre moyen d'enfants par cellule et nombre de familles
d'après lequel on a calculé cette moyenne

 

 

Age actuel

 

 

45 -54

55 -74

 

 

Age au mariage

 

 

15 - 19

20-24

15-19

20-24

 

 

Années de scolarité

 

 

0-6

7

0-6

7

0-6

7

0-6

7

 

 

Nombre moyen d'enfants

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Revenu faible, zone française

 

Loin de la ville

9.4

10.7

10.3

9.8

10.1

14.5

10.4

9.8

Près de la ville

7.4

12.9

8.3

6.7

10.0

11.0

7.6

8.6

Revenu élevé, zone mixte

Loin de la ville

12.9

10.9

8.9

9.8

8.3

12.8

8.4

9.8

Près de la ville

9.7

11.3

9.4

7.1

9.0

9.9

8.6

8.6

Revenu élevé, zone française

Loin de la ville

10.9

12.9

10.6

9.8

12.1

12.5

9.0

11.3

Près de la ville

8.3

8.7

7.1

10.3

10.8

13.2

10.9

9.9

Revenu élevé, zone mixte

Loin de la ville

12.8

14.3

9.4

11.2

10.6

12.0

9.9

9.0

Près de la ville

10.5

12.2

7.6

8.8

11.0

11.0

8.6

8.4

 

 

 

Nombre de familles

Revenu faible, zone française

Loin de la ville

15

14

35

20

18

6

34

12

Près de la ville

5

8

10

37

9

8

15

22

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Revenu élevé, zone mixte

Loin de la ville

14

11

15

21

16

9

16

17

Près de la ville

3

7

14

49

12

8

17

29

Revenu élevé, zone française

Loin de la ville

35

29

24

29

31

15

22

27

Près de la ville

6

15

7

28

14

18

14

30

Revenu faible, zone mixte

Loin de la ville

9

10

14

13

14

2

9

4

Près de la ville

15

6

25

12

14

3

26

10



[1]    Recensement du Canada, 1941, vol. IV, p. 380.

[2]    C.f. Enid Charles, « The changing size of the Canadian family », 1941, Monographie du recensement, B.F.S., Ottawa.

[3]    C.f. Aileen D. Ross, « Ethnic relations and social structures : A study of the Invasion of French-speaking Canadians into an English-Canadian district », thèse de doctorat non publiée, soumise an Département de Sociologie, Université de Chicago, 1951.

[4]    Horace R. Miner, « St. Denis, a French Canadian parish », Chicago, The University of Chicago Press, 1939.

[5]    L'ensemble des calculs fait l'objet d'un autre article de l'auteur.

[6]    Horace Miner, op. cit., pp. 81-83.

[7]    Idem.

[8]    S.M. Jamieson, « French and English in the institutional structure of Montreal, A study of the social and economic division of labour », thèse de maîtrise-es-arts, Université McGill, 1938.

[9]    Everett C. Hughes, « The problem of planning in Quebec », in Housing and Community Planning, McGill, 1947, p. 159.

[10]   Edward Sapir, « Art Fashion », Encyclopedia of the Social Sciences. 10. Annuaire statistique de la province de Québec, 1913.

[11]   Pour plus de détails sur la méthodologie, voir : Nathan Keyfitz, « A factorial arrangement of comparisons of family size », American Journal of Sociology, Vol. LVIII, No 5, March 1952, pp. 470-480.

[12]   Pour plus de détails sur la méthodologie, voir : Nathan Keyfitz, « A factorial arrangement of comparisons of family size », American Journal of Sociology, Vol. LVIII, No 5, March 1952, pp. 470-480.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 9 juin 2007 18:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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