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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Louise Fontaine et Danielle Juteau, “Appartenance à la nation et droits de la citoyenneté.” Un texte publié dans le livre sous la direction de Mikhaël ELBAZ, Andrée Fortin et Guy Laforest, LES FRONTIÈRES DE L'IDENTITÉ. Modernité et postmodernité au Québec, pp. 191-205. Québec: Les Presses de l’Université Laval; Paris: L'Harmattan, 1996, 384 pp. [Autorisation accordée par la direction des Presses de l'Université Laval le 2 novembre 2010 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[191]

Louise Fontaine * et Danielle Juteau

Appartenance à la nation
et droits de la citoyenneté
”.

Un texte publié dans le livre sous la direction de Mikhaël ELBAZ, Andrée Fortin et Guy Laforest, LES FRONTIÈRES DE L'IDENTITÉ. Modernité et postmodernité au Québec, pp. 191-205. Québec: Les Presses de l’Université Laval; Paris: L'Harmattan, 1996, 384 pp.

L'état-nation et la citoyenneté
L’incorporation dans la communauté politique
Le « nation-building » au canada
Formes de la nation au Québec
Les droits sociaux de la citoyenneté
Références


How a government handles the membership-nonmembership question determines the very fabric of the nation.
Loy in Brubaker (1989)


L'État-nation et la citoyenneté

Si l'État-nation représente une manière de penser l'appartenance politique et sociale, les relations entre l'État, la nation et la citoyenneté prennent, quant à elles, des formes multiples et changeantes [1]. Les conditions d'accès à la citoyenneté [2], les droits et les obligations qui correspondent à l'appartenance à la communauté politique, de même que les liens de cette dernière avec la communauté de culture, sont autant de composantes dont les spécificités et les liens entraînent le développement de modèles nationaux distincts. En approfondissant les liens entre la communauté politique et la communauté de culture, et à la lumière d'une réflexion sur les modèles de nation, nous appréhendons aujourd'hui la question de l'identité et de la modernité au Québec.

[192]

De l'examen des droits de la citoyenneté dans les sociétés occidentales semblent se dégager trois modèles de construction de la nation. À la Kulturnation de type ethnique, fondée sur l'idée d'ancêtres communs, et à la Staatnation, dont la formation repose davantage sur une volonté politique, s'ajoutent les nations de type pluraliste où sont dissociées l'identité politique et l'identité culturelle.


L’incorporation
dans la communauté politique


Généralement, on pense les divers modèles nationaux de manière antithétique. Ainsi, à la nation qui se construit à partir d'une volonté politique s'oppose la nation qui repose sur le sang et les ancêtres communs. Les cas de la France et de l'Allemagne illustrent ces modèles types de la nation. D'un côté, on trouve le droit du sol et un code de la nationalité relativement ouvert, de l'autre, la primauté du droit du sang et un code fermé de la nationalité (Kaplan, 1991). À ces modèles correspondent des visions assimilationniste et ethniste (Simon, 1993). Dans le cas de la France, la dissociation entre le biologique et le culturel s'accompagne d'une équation entre le politique et le culturel. Selon Kaplan (1991), « on devient Français par l'apprentissage d'une culture » et la naturalisation se concède à partir d'une appréciation du degré d'« assimilation ». Ainsi, un étranger désirant la « naturalisation » ne devrait se distinguer des autres Français ni par la langue, ni par le mode de vie, ni par l'état d'esprit. Dans le cas de l'Allemagne, c'est comme si la nationalité coulait dans les veines ; le biologique prévalant sur la culture et se combinant au politique.

Mais ce découpage ne saurait être aussi tranché. Les sociétés ne sont pas des idéal-types. Comme le montrent pertinemment les travaux de A.D. Smith, le modèle dit ethniste et le modèle territorial ont des composantes communes que l'on peut retracer au sein d'une même formation nationale, dans des proportions changeantes, à des moments particuliers de son histoire (Smith, 1986 : 149).

L'analyse du cas du Québec expose cette complexité dans le processus historique de formation nationale. Au sein de cette société, dans un mouvement empreint d'une complexification croissante, on est passé d'une conception ethnique de la nation à une conception qui se rapproche davantage de la Staatnation et du modèle pluraliste.

Dans le modèle pluraliste, on retrouve un véritable droit du sol (toute personne naissant sur le territoire en est citoyen) ; la citoyenneté par déclaration y est relativement accessible, et une vision pluraliste semble aujourd'hui y émerger. On y rejette l'existence d'un lien nécessaire entre l'appartenance à la communauté politique et à la communauté des ancêtres. Qui plus est, l'intégration à la communauté politique ne passe pas obligatoirement par l'appartenance à la communauté de culture. On peut entrer dans la communauté politique sans s'« assimiler », et des identités culturelles distinctes côtoient l'identité nationale. Dans certains cas, on affirme même que la multiplicité d'identités culturelles [193] constitue le cœur, le noyau dur, de l'identité nationale. Les modèles multiculturel, interculturel, transculturel représentent peut-être diverses formes d'un premier modèle national postmoderne. Mais ce troisième modèle de type pluraliste englobe lui aussi diverses tendances qui s'entrecroisent, s'opposent ou se renforcent, selon les relations entre les groupes et les époques. Il peut être traversé, comme les autres modèles, par l'organicisme, le volontarisme (Robin, 1993), l'assimilationnisme, etc.

Le contexte québéco-canadien est caractérisé par l'émergence de plusieurs nations et de plusieurs modèles de nation. En effet, pendant que le Canada a abandonné le modèle assimilationniste en faveur du pluralisme, la nation canadienne-française de type ethnique s'est transformée en nation québécoise où se côtoient désormais les modèles assimilationniste et pluraliste ; tout cela pendant qu'émergeaient les Premières Nations qui réclament, elles aussi, des droits politiques spécifiques fondés sur l'histoire et l'origine ethnico-nationale. Rappelons-en brièvement les étapes décisives.


Le « Nation-Building » au Canada

Le Canada est un pays caractérisé par des périodes successives d'établissement [3] qui prirent la forme d'une double colonisation, française puis britannique. Les véritables peuples fondateurs ont été appelés Indiens, « Sauvages », Autochtones, Amérindiens puis Premières Nations ; les peuples colonisateurs se sont appelés peuples fondateurs et les immigrants arrivés depuis la Confédération de 1867 sont appelés groupes ethniques au Canada et, depuis les années 1980, communautés culturelles au Québec.

Les deux peuples « fondateurs » de la Confédération canadienne ont chacun articulé une conception d'une nation homogène qu'ils ont ensuite cherché à réaliser. Or, pour nourrir et conserver cette conception, il a fallu bannir les Autochtones de la réalité quotidienne, de l'économie, du politique et du juridique. À défaut de les assimiler, il a fallu les exclure légalement ou les enfermer dans des catégories légales spécifiques [4] en les parquant dans des réserves et en leur donnant divers statuts. Mais cela n'était que le début. De manière à ne pas modifier le tissu national, on verra à contenir le Canada français au Québec ; ce sera l'abolition des écoles françaises au Manitoba en 1890 et en Ontario en 1913. On verra également à gérer l'immigration, dont on ne pouvait pas se passer. On encouragera ainsi l'immigration de « Blancs », préférablement de type britannique [5] ; on refusera l'accès aux ressortissants de certains pays et on distinguera les assimilables (type nordique) des non-assimilables (type méditerranéen). À cause de leur place respective au sein des rapports sociaux ethniques, les stratégies face aux immigrants vont différer chez les deux peuples colonisateurs, mais dans tous les cas, le modèle de l'homogénéité nationale prévaut. Chez les Canadiens français se développera une conception de la nation de type essentialiste, une Kulturnation (on naît Canadien français, on ne le devient pas). Les critères de la langue et de la foi catholique seront centraux [194] à la définition d'un Nous collectif dont on cherchera à exclure les étrangers... en les envoyant dans la mesure du possible chez les Canadiens anglais, et ce, même au Québec. Du côté des Canadiens anglais se développera l'idéologie du « nativisme » et de l'anglo-conformité ; le projet d'assimiler les immigrants aux valeurs et institutions supérieures du modèle britannique [6]. La nation canadienne que l'on tente de construire à partir de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 correspond à la Staatnation. Ici, c'est l'État qui crée la nation et c'est l'élite anglo-saxonne et protestante qui s'impose comme modèle collectif et individuel. Chacun de ces modèles demeure néanmoins le sujet de controverses et d'enjeux majeurs où s'affrontent diverses conceptions de la nation. En effet, si Tardivel et Bourassa articulent des visions différentes de la nation canadienne-française, John A. Macdonald, George Brown et Henri Bourassa proposent des visions distinctes et même opposées de la nation canadienne (Juteau-Lee, 1974).

Pendant le siècle qui suit la Confédération canadienne, la majorité des immigrants s'établissent surtout dans les lointaines et isolées plaines de l'Ouest, et les deux peuples colonisateurs n'arrivent pas à se fondre l'un dans l'autre, ni dans une nouvelle nation, ni à construire une identité nationale... canadienne [7]. Le conflit non résolu opposant les deux peuples colonisateurs fonde, sinon l'émergence, tout au moins le renforcement d'une idéologie pluraliste à laquelle ni le Canada ni le Québec ne pourront désormais échapper. L’adoption d'une politique de multiculturalisme comporte non seulement la reconnaissance du pluralisme culturel comme réalité mais également comme norme. Dorénavant, le pluralisme culturel à l'intérieur d'un cadre bilingue constitue l'essence de la société et de l'identité canadiennes. La promulgation de la diversité culturelle comme objectif désirable passait néanmoins sous silence les colonialismes français et britannique. Elle occultait l'existence des Premières Nations, niait le statut national des Québécois, séparait langue et culture, taisait les inégalités politiques et économiques entre les diverses communautés ethnico-nationales et les catégories de sexe (Moodley, 1983 : 320-321) et appréhendait enfin les enjeux sociaux en termes culturels. Bref, la promulgation de la diversité culturelle masquait les rapports de pouvoir sur lesquels s'est érigée la nation canadienne.

On assiste depuis lors au Canada au développement vertigineux du multiculturalisme comme idéologie, politique et pratique. La politique officielle adoptée en 1971 fut incorporée à la Constitution de 1982 par son inscription dans la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a fait l'objet d'une loi, la Loi du multiculturalisme canadien, adoptée à l'unanimité par la Chambre des communes en 1988. Un ministère du Multiculturalisme et de la Citoyenneté fut établi en 1991 et il sera remplacé, après les élections du 25 octobre 1993, par le ministère du Patrimoine canadien [8].

Toute cette activité favorisa l'éclosion d'un pluralisme au Québec et d'une vision québécoise du pluralisme, l'interculturalisme [9]. En dépit des tiraillements que connaît la définition de la nation québécoise, plus ou moins inclusive selon [195] les circonstances et les groupes en présence, nous sommes loin de la nation canadienne-française de type ethnique. Nous examinerons maintenant ces divers mouvements d'élargissement et de contraction du Nous québécois en nous attardant à certains textes gouvernementaux auxquels nous ajouterons un document provenant du Conseil scolaire de l'Île de Montréal.


Formes de la nation au Québec

Les discours relatifs à la nation puisent à même un mythe fondateur. La nation correspond, entre autres, à une manière de se représenter différentes formes de solidarités sociales qui unissent ou divisent les membres d'une société particulière. Une telle conception du Nous collectif se formalise en de multiples discours concurrents où des individus et des groupes tentent de promouvoir un modèle de société au détriment d'autres visions globales de la société.

La (re)construction de la « nation » revêt plusieurs formes au sein du Québec contemporain. Depuis la « Révolution tranquille [10] », les orientations des divers gouvernements successifs au Québec sont marquées par la volonté de construire un Québec et une nation modernes.

Dès mars 1961, le premier ministre Lesage déclarait que « l'État québécois, c'est le point d'appui collectif de la communauté canadienne-française » (Le Devoir, 6 mars 1961). « L’appareil d'État est conçu comme étant l'instrument d'émancipation collective. » Il a comme « mission originale [...puisqu'il est le] seul État francophone d'Amérique du Nord » de veiller à la sauvegarde de la « communauté canadienne-française ». Le livre vert de 1976 (L’Allier, 1976 : 11) reprend cette idée : « Ce gouvernement est non seulement justifié de protéger et de diffuser cette culture, mais il a une obligation morale d'y prendre une part [...] en suscitant, à travers elle, le mouvement dynamique de l'expression culturelle canadienne-française. » Au début des années 1970, la commission d'enquête chargée d'étudier la situation de la langue française au Québec (communément appelée la commission Gendron) énonce que le terme « québécois » correspond à tout résident du Québec. Cette notion va considérablement se modifier dans les textes gouvernementaux au cours des années suivantes. En effet, dans le projet de loi 1, version embryonnaire de la loi 101, deux catégories sont proposées : la catégorie « québécois » désigne la « nation québécoise francophone » alors que la catégorie « minorités » regroupe tous les « non-Québécois ». Cette désignation montre jusqu'à quel point le terme québécois renvoie ici à une conception ethniste de la nation excluant du Nous québécois tous ceux qui ne sont pas canadiens-français. À la suite d'un tollé de protestations émanant de groupes divers, le terme « minorités » a été remplacé par « minorités ethniques » dans la loi 101 [11].

Cette loi annonce le commencement d'une fragmentation de plus en plus poussée entre les catégories définies comme minoritaires au Québec. De multiples façons, l'État québécois tente invariablement de préciser les contours des catégories distinctes de Québécois, semblant quelquefois les hiérarchiser [196] et même exclure certaines d'entre elles du Nous collectif. Mais l'enjeu central du débat concerne désormais la langue, sa place, sa fonction, son sens.

Dans La politique québécoise du développement culturel (1978), Camille Laurin précise que la langue française « n'est pas simplement une chaîne de mots ou une syntaxe. Elle exprime la vie d'un ensemble d'hommes et de femmes en ce qu'elle a de significatif » (Gouvernement du Québec, 1978 : 45). Cette langue agit en tant que véhicule d'une culture : la « culture de tradition française ». Celle-ci se rapporte à « des ensembles plus ou moins vastes de façons de parler, de penser, de vivre, et en corollaire, des langages, des croyances, des institutions » (Gouvernement du Québec, 1978 : 11). Cette politique culturelle, qui s'articule autour d'une « culture de convergence », ramène sous un même dénominateur des notions aussi variées que : la langue, la culture, la société et le milieu de vie. Rappelons que cette dernière notion avait été introduite dans La politique québécoise de la langue française (1977) et qu'elle correspondait à « un mode d'être, de penser, d'écrire, de créer, de se réunir, d'établir des relations entre les groupes et les personnes, et même de conduire les affaires » (Gouvernement du Québec, 1977 : 21).

Dans son livre blanc, Camille Laurin distingue trois types de « minorités » : les « minorités anglo-saxonnes », les « minorités autochtones » et les « autres minorités » (Gouvernement du Québec, 1978 : 61-93). Il propose une dynamique de rapprochement entre la « majorité francophone » et les « minorités » du Québec. La « majorité », qui se confond avec la « nation québécoise », représente l'assise par excellence de la « culture québécoise de tradition française ». Elle se définit principalement à partir de deux critères interchangeables : une langue et une culture de tradition française. Elle suppose aussi la réalisation d'un projet politique. Bergeron (1984) argumente dans ce sens lorsqu'il rappelle que depuis « l'affaire de Saint-Léonard » en 1968, la langue française au Québec est progressivement devenue une question politique. Surtout depuis l'annonce de La politique québécoise du développement culturel en 1978, langue française et « québécois » se rejoignent souvent ; majorité, nation québécoise et francophones se superposant dans l'esprit de plusieurs définisseurs de la nation.

À la veille des élections d'avril 1981, le gouvernement du Québec annonce un plan d'action à l'intention des communautés culturelles. On peut y lire que le modèle de société propose ne suppose ni une intégration à part entière des individus (le melting pot américain) ni une juxtaposition égalitaire des groupes (la mosaïque canadienne). Le modèle québécois s'élaborerait plutôt à partir d'une structure hiérarchique construite à même deux catégories sociales : la « nation québécoise » et les « communautés culturelles ». L’introduction de cette dernière catégorie découle du contexte politique postréférendaire où l'État du Québec continue d'entrer en compétition avec le gouvernement central d'Ottawa. La catégorie politique des « communautés culturelles » recèle plusieurs ambiguïtés, car les critères évoqués pour la définir varient d'un document officiel à l'autre (Fontaine et Shiose, 1991). Derrière [197] une apparente inclusion de ces membres dans le projet national de l'État québécois, divers enjeux sont occultés ; ceux-ci concernent principalement la définition de la « communauté nationale » au Québec.

Ce processus de fragmentation ethnique au Québec s'est transformé avec l'annonce de L'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration en décembre 1990. Cette politique propose un rapprochement interculturel et utilise l'expression « Québécois des communautés culturelles ». On reconnaît ici l'existence de Québécois possédant plusieurs types d'identités ; on peut être québécois et d'ethnicité italienne, par exemple. Mais l'incessante quête visant à cerner et à définir une fois pour toutes la catégorie Québécois n'était point terminée et la réflexion sur les traits qui en constituent le noyau, ses éléments distinctifs, s'est poursuivie.

Bouchard et ses collaborateurs cherchent à définir « la composante principale du Québec (83 % de la population francophone actuelle) qui fut mise en place aux 17e et 18e siècles dans la vallée du Saint-Laurent par les immigrants venus de France » (Bouchard et al., 1991 : 2-3). Ils affirment que certains hésitent à recourir à l'appellation de Québécois pour se désigner « par crainte de froisser les habitants du Québec dont le français n'est pas la langue maternelle » (ibid. : 3). Cette phrase laisse perplexe. En effet, il nous semble que le fait de réserver l'appellation de Québécois aux seuls descendants des immigrants français pourrait froisser aussi les francophones qui ne sont pas des descendants de ces immigrants français. Par ailleurs, ajoutent-ils, l'expression Québécois français demeure trop restrictive, puisqu'elle exclut les individus qui, « au fil du temps, se sont joints au premier noyau d'habitants et ont adopté leur culture » (ibid. : 3). Si l'on accepte ici que l'assimilation représente une option, un possible, on semble oublier par contre que la culture dite nationale se transforme au fil des ans et que les immigrants amènent leur propre culture. Bouchard et ses collaborateurs veulent ensuite distinguer les francophones dont les ancêtres sont établis ici depuis les XVIIe et XVIIIe siècles de ceux qui viennent d'arriver : Haïtiens, Juifs sépharades, Belges, Français, autres ressortissants de l'Afrique francophone... Il y aurait donc des Francophones québécois « F » et francophones québécois « f ». Selon nos auteurs, d'autres éléments caractérisent les Francophones québécois, F majuscule : une « territorialité », un « sentiment d'appartenance », une « dynamique collective faite d'aspirations et de finalités », une « mémoire », un « ensemble de traits et de stéréotypes » (ibid. : 8-9). En d'autres mots, les « Francophones québécois » se distinguent des « autres québécois », francophones et non francophones, par leur sentiment d'appartenance et leur dynamique collective propre ainsi que par une culture commune. Celle-ci inclut de « partager certaines valeurs fondamentales qui cimentent la collectivité québécoise [...comme] la démocratie, la liberté et la tolérance » (ibid. : 8).

Dans ce texte, la notion de Francophones québécois ne met pas seulement l'accent sur la dimension linguistique ; s'il en était ainsi, un Francophone québécois renverrait à un Québécois qui parle français, y compris des francophones [198] nés ailleurs et même les parlant français dont la langue maternelle n'est pas le français. Dans le texte de Bouchard et al., la langue semble être utilisée comme marqueur d'une collectivité qui s'est historiquement constituée sur les bords du Saint-Laurent ; la notion de francophone se superpose subrepticement à celle de canadien-français, excluant du même coup les autres francophones et autres parlant français. Ce qui montre bien la confusion qui entoure le sens qu'on accorde à la langue. Apprendre le français et le parler au Québec, cela ne suffirait donc pas à faire de quelqu'un un Francophone québécois avec un « F » majuscule ? Tous les « francophonisés » ne seront-ils jamais des Francophones québécois ? Que l'appellation de Francophones québécois demeure toujours porteuse d'ambiguïtés, nous le verrons aussi en examinant des documents plus récents.

L'adoption officielle d'une politique culturelle pour le Québec a donné lieu à une nouvelle tentative de redéfinir les assises de la société québécoise. Dans le rapport Arpin [12] soumis à madame Liza Frulla, ministre de la Culture, on apprend que la société québécoise se présente comme suit :

Il s'agit d'une société diversifiée, où, à côté de la majorité francophone (5 350 000 habitants), on retrouve les Inuit (6 000), les Amérindiens (50 000), les anglophones (500 000) et les néo-Québécois, immigrants d'origines ethniques diverses (1 000 000 environ), depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Arpin, 1991 : 18).

Fait intéressant à souligner, et fort révélateur, c'est le recours à des marqueurs différents pour délimiter les catégories retenues. Dans le cas « des descendants des immigrants français établis sur les rives du Saint-Laurent depuis les 17e et 18e siècles », c'est un critère apparemment linguistique qui est retenu. Il en est de même pour les descendants des British, puisqu'on parle d'anglophones. Les autres catégories sont désignées en fonction de l'origine ethnique, indépendamment de la langue maternelle ou de la langue d'usage. La francophonie renvoie-t-elle à une ethnicité ? Y a-t-il équation entre francophones et Canadiens français ? C'est bien ce que laisse sous-entendre le prochain passage.

Après avoir vanté les mérites de la diversité culturelle, « une richesse incontestable qui garantit une ouverture sur le monde », on rappelle que si la culture correspond à une réalité plus englobante que la langue, cette dernière constitue néanmoins un élément central de la vie culturelle. En premier lieu parce que la langue exprime notre culture, ensuite parce que la langue porte dans ses mots le souvenir et la trace du passé culturel d'une société (c'est nous qui soulignons). « Apprendre la langue, c'est apprivoiser un code, certes, mais c'est aussi s'acculturer » (Arpin, 1991 :14).

L'ambiguïté est au cœur de ce passage où la langue représente non seulement un instrument de communication, mais le véhicule d'une culture spécifique. Ce véhicule porte la trace du passé culturel et devient ainsi le marqueur d'un groupe culturel donné et de son historicité. Y aurait-il des francophones de souche ? L'expression Francophones québécois peut, dans certains cas, être interprétée comme excluant tous ceux qui ne se sont pas encore assimilés à la [199] nation quand ils parlent la langue française sans « partager la culture et la mémoire collective qui y sont véhiculées ». Notons, toutefois, que cette lecture de la société québécoise n'a pas été reprise par les instances gouvernementales [13], ce qui traduit bien la diversité des points de vue.

La politique culturelle du Québec. Notre culture Notre avenir réaffirme la « vitalité de notre identité culturelle » en proposant de : « valoriser la langue française comme moyen d'exprimer la culture et d'y accéder ; [...] valoriser l'héritage culturel ; [...] renforcer le dialogue des cultures » (Gouvernement du Québec, 1992 : 18). Autrement dit, l'État du Québec s'engage, notamment, à améliorer la qualité du français et à valoriser l'héritage culturel étant entendu que celui-ci « recouvre dorénavant la production récente tout autant que les vestiges du passé » (ibid. : 33). L’atteinte de cet objectif politique s'adresse à l'ensemble de la société québécoise qui, outre le fait d'être « d'abord francophone, [... elle réunit] les Québécois d'expression anglaise, les différentes communautés culturelles et les nations autochtones » (ibid. : 50). Dans cette politique culturelle, les membres de la société québécoise sont tantôt fragmentés en différentes catégories, alors qu'à d'autres moments, ils sont indifférenciés, puisque « le rôle de l'État [est] de s'assurer que les Québécois, quelles que soient leur origine et la région où ils habitent, puissent avoir accès à une vie culturelle et artistique » (ibid. : 98).

Le modèle fragile de la nation pluraliste est ici réaffirmé ; mais nous l'avons vu, le dérapage est facile. Tant dans ce document gouvernemental que dans d'autres qui l'ont précédé depuis les débuts de la « Révolution tranquille » au Québec, la « nation québécoise » est définie de manière plus ou moins inclusive, à partir d'une multitude d'attributs allant d'une histoire migratoire spécifique à la résidence en passant par une culture de tradition française, un héritage culturel, la langue française, le sentiment d'appartenance, etc. C'est dans un tel contexte que l'idée de citoyenneté peut intervenir pour penser autrement les liens d'« appartenance » qui unissent les ressortissants d'un territoire et pour forger une identité nationale.


Les droits sociaux de la citoyenneté

Dans les sociétés libérales de type démocratique, l'intégration représente une valeur fondamentale. Son actualisation suppose que soit réalisée l'égalité, ce qui nécessite l'institutionnalisation des trois composantes, légale, politique et sociale, de la citoyenneté. S'il existe un accord relatif sur les deux premières composantes, la réalisation des droits sociaux reste problématique.

En effet [14], le principe de l'égale dignité des êtres humains qui émerge à la fin du dix-huitième siècle a engendré à la fois une orientation de type universaliste qui reconnaît la dignité de tous les citoyens et l'égalité des droits ainsi qu'une orientation de type particulariste qui repose sur la notion moderne d'identité et réclame la reconnaissance des spécificités [15].

[200]

Ces deux modèles reposent sur la notion du respect égal (tous les citoyens ont le droit d'être également respectés). Dans le premier cas, on réclame un traitement égal indépendamment des différences ; dans l'autre, on exige que les particularismes soient reconnus et même protégés. Mais ils sont souvent en opposition, d'autant plus que ce sont les groupes culturels hégémoniques qui défendent d'habitude l'orientation de type universaliste [16]. Par conséquent, seules les cultures minoritaires se trouvent dans l'obligation d'épouser des formes qui leur sont étrangères, ce qui est perçu comme discriminatoire et comme les reléguant à une citoyenneté de seconde zone. C'est donc au nom du principe de la dignité égale des êtres humains qu'est réclamé le droit au particularisme ou encore à la non-homogénéisation culturelle et nationale. Ces revendications engendrent des conflits qui ne sont pas sans rappeler ceux qu'ont provoqués les demandes de programmes de redistribution des ressources tels les Programmes d'accès à l'égalité (Juteau et Bernier, 1993 : 12).

Les orientations sociétales diffèrent selon les pays et les contextes historiques, ce qui engendre la multiplicité des modèles. Dans le cas de la domination institutionnalisée, l'Afrique du Sud, par exemple, on ne reconnaissait pas les droits de la citoyenneté à certains résidents. L’exclusion des femmes fait aussi partie de ce modèle. Le modèle assimilationniste offre l'égalité des chances à ceux qui choisissent d'œuvrer au sein de la société dominante comme dans le cas de la France. Le modèle pluraliste englobe quant à lui au moins deux sous-catégories. L'intégration syncrétique reconnaît l'égalité des citoyens et le respect des identités ethniques tout en cherchant à définir de nouveaux symboles nationaux ; on pense ici à certains États-nations de l'Afrique postcoloniale. Le pluralisme soumis à régulation (balanced-pluralism) accepte la légitimité des identités et solidarités plurielles et favorise le pluralisme structurel ; on y cherche à résoudre la compétition pour des ressources au moyen de processus structurés de négociation entre les collectivités ethnico-nationales. Pour certains, le choix de l'option pluraliste est un choix qui reconnaît et qui respecte l'historicité des individus et des collectivités. Pour d'autres, c'est ouvrir la porte au modèle de domination institutionnalisée qui maintient les groupes minoritaires dans leur état de subordination. Pour M.G. Smith (1965) [17], qui s'est penché sur diverses conceptions du rôle des différences culturelles au sein de politiques de relations ethniques, il ne saurait y avoir de société pluraliste (plural society) qu'à la condition que l'un des groupes culturels domine les autres. Autrement, pensait-il, chacun des groupes pourrait se constituer en sociétés séparées (Smith, cité dans Horowitz, 1985 : 136) [18]. En outre, l'absence de consensus, souvent caractéristique de ce modèle de société, requerrait une forme de régulation par la force d'où résulterait une tendance à la hiérarchisation ethnique. Plus tard, Smith a raffiné cette conceptualisation en distinguant société différenciée, où la domination était évidente, de société consensuelle (consociational incorporation), où la domination explicite l'est beaucoup moins, de société uniforme, où la citoyenneté s'obtient sans l'identification à un groupe ethnique. Horowitz (1985 : 137) considère que ce sont là [201] trois formes qui correspondent à ce qu'il appelle des systèmes hiérarchisés ou non hiérarchisés ethniquement ou, encore, des systèmes où les groupes ethniques n'interagissent pas en tant que groupes politiques [19].

Ce qui est indubitable, c'est qu'un modèle national de type ethniste est celui qui risque de dégénérer en politiques et pratiques exclusionnistes, allant de l'assujettissement des non-membres à leur expulsion ou à leur épuration. Ce qui demeure également [20] certain, c'est que le refus de reconnaître l'existence d'une ethnicité historiquement construite et reconstruite semble aussi engendrer et provoquer les dérapages qui nous effraient tant. On aurait tort de confondre une revendication fondée sur le principe de l'égale dignité des êtres humains avec l'attitude de ceux qui prônent la « purification » ethnique. Traversant toutes deux la modernité, ces deux positions sont aux antipodes l'une de l'autre.

[203]

RÉFÉRENCES

Arpin, R. (sous la présidence de) (1991), Une politique de la culture et des arts, Québec.

Bergeron, G. (1984), Pratique de l'État au Québec, Montréal : Québec-Amérique.

Borella, F. (1991), « Nationalité et Citoyenneté » : 209-229, dans Colas et al., Citoyenneté et nationalité. Perspectives en France et au Québec, Paris : Presses Universitaires de France.

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Fin du texte

Notices biographiques

[367]

LOUISE FONTAINE

Louise Fontaine est professeure au Département des sciences administratives de l'Université Sainte-Anne (Nouvelle-Écosse). Ses recherches portent, notamment, sur les organisations étatiques et l'immigration, les associations ethniques et les immigrants au Québec, au Canada et en Europe. Elle a publié des articles dans plusieurs revues internationales et, récemment, aux éditions l'Étincelle (Montréal/Paris), un livre qui s'intitule : Un labyrinthe carré comme un cercle, enquête sur le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration et sur ses acteurs réels et imaginés.

[368]

DANIELLE JUTEAU

Diplômée de l'Université de Toronto, Danielle Juteau est professeure à l'Université d'Ottawa puis à l'Université de Montréal où elle fait oeuvre de pionnière. Ses travaux contribuent à la constitution du champ des études féministes et à la consolidation des études ethniques au Canada. Ses études sur les Franco-Ontariens ouvrent des voies de recherche inédites et offrent des pistes d'analyse qui servent dorénavant « de tremplins et de points de repère sociologiques aux francophonies minoritaires canadiennes ». Ses recherches, sur le travail des religieuses au Québec, sur la transformation de la dynamique ethnique et nationale au Québec, sur l'institutionnalisation des droits de la citoyenneté dans des sociétés qui adhèrent à des modèles nationaux distincts donnent lieu à l'élaboration d'une problématique novatrice axée sur l'analyse transversale des rapports sociaux ethniques et de sexes. Son approche matérialiste et non économiste, qui dépasse l'essentialisme et le constructivisme radical ambiants, lui vaut un rayonnement international. La création de programmes d'enseignement et la réalisation d'un nombre impressionnant de recherches en font un chef de file dans ses domaines d'expertise. Titulaire de la Chaire en relations ethniques, elle poursuit ce travail au Centre d'études ethniques de l'Université [369] de Montréal où elle a su créer un milieu de recherche stimulant qui témoigne de sa capacité remarquable de mobiliser les chercheurs autour de problématiques et de thèmes communs.



* Nous tenons à remercier un évaluateur externe de ses commentaires judicieux ; nous remercions également Linda Pietrantonio, étudiante au doctorat au Département de sociologie de l'Université de Montréal, qui a relu et corrigé ce texte en y apportant de substantiels ajouts. Nous demeurons, bien entendu, seules responsables de ses lacunes.

[1] Dans certains pays européens, en France notamment, c'est le concept de nationalité qui désigne le lien juridique rattachant une personne physique à un État déterminé, Staatsangehörigkeit en allemand... Le concept de citoyenneté demeure plus incertain. Au sens strict, la citoyenneté est un sous-ensemble de la nationalité ; elle est le statut juridique des personnes physiques composant le corps politique souverain dans l'État (Colas et al., 1991 : 211). Par conséquent, en France, « la nationalité est un concept juridique aux contours parfaitement définis, qui permet à tout coup de distinguer le national de l'étranger ; mais si elle entretient des rapports étroits avec la citoyenneté, elle ne se confond pas avec elle [...] » (Lochak dans Colas et al., 1991 : 179). La citoyenneté comporte diverses formes de participation à la vie collective au-delà du droit de vote ; la citoyenneté requiert la nationalité, mais cette dernière ne confère pas nécessairement la citoyenneté, on pense aux femmes, par exemple. Nationalité et citoyenneté sont des concepts de clôture sociale (Leca, 1991 : 479).

[2] La citoyenneté entendue ici dans son sens anglophone, c'est-à-dire membership.

[3] Depuis la Confédération, en 1867, le Canada a connu plusieurs changements d'ordre matériel et symbolique. Porter (1965) comparait le Canada à une gigantesque station ferroviaire où des gens arrivent alors que d'autres quittent continuellement le pays. Ainsi, entre 1851 et 1951, 7,1 millions d'immigrants sont entrés au Canada alors que 6,6 millions l'ont quitté (Porter, 1965 : 30-33). Le démographe Réjean Lachapelle identifia quatre périodes principales constitutives du Canada. Les Premières Nations furent colonisées au XVIe siècle par les Français, eux-mêmes conquis par les Britanniques en 1760 ; finalement, les « immigrants » arrivèrent de plus en plus nombreux au Canada, particulièrement à partir de la fin du XIXe siècle. Conséquemment, la composition ethnique de la population canadienne s'est considérablement modifiée et diversifiée. Actuellement, le Canada compte 27 millions d'habitants ; plus de 3 millions de personnes arrivèrent entre 1896 et 1914 et 4,9 millions entre 1946 et 1981.

[4] La première loi globale concernant les Indiens remonte à 1876. Elle rassemble toutes les lois antérieures à ce sujet. « Révisée en 1951, la loi fédérale constitue un véritable régime de tutelle des Indiens (tant individuellement que collectivement) [... qui] détermine aussi bien le statut d'Indien que l'appartenance à la bande, la structure politique et administrative que la gestion des réserves, les exemptions de taxes et l'administration financière tout en faisant des Indiens des pupilles de l'État » (Dupuis, 1991 : 42).

[5] Anglo-conformité et nativisme représentaient les idéologies dominantes. Le gouvernement canadien recherchait des immigrants blancs, préférablement britanniques ou, à défaut, européens pouvant facilement être assimilés. Conséquemment, au cours de la période de 1896-1914, 1 250 000 personnes arrivèrent de Grande-Bretagne, 1 million des États-Unis et 750 000 de l'Europe centrale ou de l'Est. En 1951, la population canadienne se répartissait ainsi : 47,9 % de Britanniques, 30,8 % de Français, 18,2 % d'autres Européens, 0,5 % d'Asiatiques et 2,5 % d'autres origines (Reitz, 1980 : 341-342). La composition ethnique de la population canadienne n'est en rien accidentelle ; elle résulte de sa politique sélective en matière d'immigration.

[6] La construction de la nation dans sa dimension symbolico-culturelle s'orientait vers une société canadienne de type britannique. Dans la majeure partie du Canada, le processus de construction et d'imposition de ce modèle fut réussi. Avec l'arrivée et l'établissement d'immigrants, principalement dans l'Ouest canadien, et leur « canadianisation », c'est-à-dire « [...] speaking English within a British-type institutional system » (Breton, 1984 : 127-128), le français sera aboli des écoles de l'Ontario et du Manitoba et des législatures ; on a établi que 390 000 Canadiens français émigrèrent aux États-Unis entre 1890 et 1920. Le Canada, espérait-on, deviendrait WASP (White, Anglo-Saxon, Protestant) autant que faire se peut. Les Britanniques tenaient le haut du pavé, alors que les Premières Nations, les Français et autres immigrants non assimilés étaient exclus tant matériellement que symboliquement. Non seulement leurs symboles et leurs langues n'étaient-ils pas représentés au sein de la nation et de ses appareils d'État, mais ces groupes occupaient les dernières positions dans la structure socioéconomique (Porter, 1965). La (re)production de la mosaïque canadienne et de ses frontières ethniques tient plus de l'accident que de la planification.

[7] Le conflit les opposant débouchera en 1963 sur une Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme chargée de proposer un nouveau modèle et une nouvelle entente. On décidera de traiter séparément les Autochtones et on accordera un brin d'attention à la contribution des autres groupes ethniques, descendants des anciens immigrants auxquels s'ajoutent les nouveaux, arrivés en très grand nombre depuis la Seconde Guerre mondiale et qui s'installent cette fois-ci surtout en milieu urbain.

Pendant que les nations canadienne-française et canadienne-anglaise seront transformées sur la scène fédérale en francophones et anglophones et qu'émergera au Québec la nation québécoise, les autres groupes en sont venus à réclamer leur place, matérielle et symbolique, au sein du Canada. Les Canadiens n'appartenant pas aux deux groupes fondateurs, soit près de cinq millions, ne pouvaient tolérer d'être ainsi laissés pour compte. Les membres de ces autres groupes contestèrent cette image d'un Canada bilingue et biculturel qui les exclut d'une modification et d'une restructuration de la dimension culturo-symbolique du Canada (Breton, 1984 : 134). Ainsi, le biculturalisme fut remplacé par le multiculturalisme et le binationalisme céda sa place au principe du partenariat entre tous ceux qui ont contribué au développement et au progrès du pays.

[8] Ce nouveau ministère fusionne quatre ministères : Secrétariat d'État, Multiculturalisme et Citoyenneté Canada, Communications Canada, Parcs Canada.

[9] L’interculturalisme, comme idéologie et comme pratique, se veut distinct de l'approche fédérale et fédéraliste que représente le multiculturalisme. On se rappellera qu'un tollé de protestations accueillit cette politique au Québec où elle fut considérée comme un instrument de banalisation du fait français au Canada ; les Québécois étant traités comme les autres groupes, leur statut de société distincte étant occulté. Le livre vert du ministre libéral Jean-Paul L'Allier vit en 1976 dans le multiculturalisme un désir d'absorber la culture québécoise dans le grand tout canadien, ne reconnaissant pas qu'elle forme une totalité. On insiste davantage sur la convergence linguistique et culturelle entre les communautés culturelles et la collectivité francophone. Le multiculturalisme est vu comme atténuant l'importance de la présence du groupe majoritaire, tout en accentuant celle des cultures minoritaires. Le principe égalitaire entre tous ces groupes culturels masque leurs différences historiques et politiques et favorise la mobilité de certains au détriment des autres.

[10] Cette expression caractérise les années 1960 et les années 1970 (Linteau, Durocher, Robert et Ricard, 1986).

[11] En 1983, la catégorie « communauté québécoise d'expression anglaise » a été ajoutée dans le préambule de la loi 101.

[12] En février 1991, la ministre des Affaires culturelles créait un groupe-conseil afin de préparer une Proposition de politique de la culture et des arts. Monsieur R. Arpin, directeur général du Musée de la civilisation (Québec), fut choisi pour le présider.

[13] Dans cette politique, trois principes généraux sont exposés en ce qui a trait à l'action du gouvernement du Québec dans le domaine culturel. Celui-ci reçoit comme mandat de veiller à « l'affirmation de l'identité culturelle » ; de soutenir les créateurs et les arts ainsi que l'accès et la participation des citoyens à la vie culturelle.

[14] Cette section reprend une analyse présentée dans Juteau et Bernier (1993).

[15] D'après Taylor (1992), avec l'idéal d'authenticité articulé par Rousseau et Herder nous est léguée une idée d'une grande puissance qui accorde une importance morale à la capacité d'écouter sa voix interne. L’identité est négociée et discutée à partir de l'intérieur et se définit par une « dialogicité » interne ; c'est au nom de cet idéal d'authenticité qu'est revendiqué le droit à la reconnaissance (politics of recognition).

[16] Traduction de « difference-blind principle of the politics of equal dignity ».

[17] Smith a raffiné la théorie de Plural Society développée par Furnival en 1948.

[18] Dans sa conceptualisation des plural societies, Smith ne considère pas tant l'importance du pouvoir économique que les différences culturelles qui peuvent s'institutionnaliser par un système de valeurs et de croyances et par un système d'actions, de structures sociales.

[19] Sur ce thème, voir en particulier le chapitre 1 de Horowitz (1985).

[20] C'est D. Juteau qui écrit.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 8 janvier 2011 11:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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