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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Richard Jones, “Le Journal, 1929-1932.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS, 1930-1939, pp. 165-175. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1978, 361 pp. Collection: Histoire et sociologie de la culture, no 11. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[165]

« Le Journal », 1929-1932.

par Richard Jones

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS, 1930-1939, pp. 165-175. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1978, 361 pp. Collection: Histoire et sociologie de la culture, no 11. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

I.   La politique
II.  La nation
III. D'autres thèmes
IV. Les adversaires

Les années 20 sont des années de vaches maigres pour les conservateurs au Québec, tant sur la scène provinciale que sur la scène fédérale. En 1921, à la suite de la crise de la conscription, la province envoie à Ottawa un solide bloc libéral de soixante-cinq députés et, avant la fin de la. décennie, les rouges marquent leur trentième anniversaire au pouvoir dans la vieille capitale. Le succès des bleus n'est guère plus reluisant aux élections fédérales de 1925 et 1926 : ils font élire seulement quatre députés au Québec, tous dans des districts largement anglophones. Seuls les partisans les plus convaincus osent encore espérer que leur parti remontera la côte.

La grande presse de langue française est presque entièrement libérale (la Presse, le Canada et le Soleil) ou indépendante (le Devoir et l'Action catholique). À Québec, devant la tiédeur de l'allégeance conservatrice de l'Événement, les bleus n'ont pas d'organe pour défendre leurs intérêts. C'est dans cette conjoncture extrêmement pénible que naît, en décembre 1929, le Journal. Il se considère, avec ce qui doit paraître à l'époque un excès d'optimisme, « le signe, le plus frappant peut-être, de l'incontestable renouveau qui se manifeste dans le parti [1] ». Son but est d' « enrichir et fortifier » la cause des conservateurs du Québec ; le nouvel hebdomadaire vise, plus précisément, à favoriser le triomphe électoral des bleus dans le double domaine fédéral et provincial. Ce ne sera pas sans mal.

On nous dit, dès le deuxième numéro, que quelques-uns des « membres influents » du Parti conservateur ont lancé le Journal et, selon toute indication, l'industriel John Price se trouve parmi les principaux bailleurs de fonds. L'administrateur est Thomas Maher, ingénieur-forestier, aussi organisateur du Parti conservateur pour le district de Québec et candidat malheureux dans Charlevoix-Saguenay aux élections fédérales de 1930.

[166]

Le Journal retient les services de Louis Francoeur (1895-1941), journaliste déjà avantageusement connu, comme rédacteur en chef. Francoeur arrive du Montreal Star et avait travaillé précédemment à la Patrie. Non seulement journaliste mais politicien engagé, il sera le porte-étendard de son parti contre Taschereau lui-même dans le comté de Montmorency, lors des élections provinciales de 1931. Maurice Dupré, solliciteur-général du Canada dans le cabinet Bennett, et Onésime Gagnon, député fédéral de Dorchester, deviennent éventuellement propriétaires du Journal. Alors que le Journal appuie la candidature d'Onésime Gagnon lors de la convention de Sherbrooke en 1933, Francoeur travaille activement pour Maurice Duplessis, s'appliquant même à faire choisir des duplessistes comme délégués de toutes les régions de la province. Peu après, il quitte son poste et, en 1934, Camillien Houde l'engage à l'Illustration, son journal personnel. En 1935, Francoeur participe aux élections fédérales en tant que candidat stéveniste et nationaliste canadien-français dans Saint-Jacques, mais le libéral, Fernand Rinfret, ancien ministre et maire de Montréal, l'emporte facilement.


I. - La politique

Le Journal est, en premier lieu, un journal à caractère politique. Sa tâche consiste à défendre la cause de R. B. Bennett à Ottawa et celle de Camillien Houde et Maurice Duplessis à Québec. En 1929, la ligne de conduite du nouvel hebdomadaire est toute tracée : le Canada et le Québec se trouvent en mauvais état sur tous les plans, l'opposition rouge est au pouvoir dans les deux capitales et, pour les conservateurs, on ne peut que très facilement établir une relation de cause à effet entre ces deux prémisses. Mais, en juillet 1930, Bennett défait King aux élections générales, et le Journal doit donc rajuster son tir. Plus grave, le Canada continue à sombrer dans la dépression malgré la présence des conservateurs sur la scène fédérale et dans beaucoup de capitales provinciales. Nous le verrons plus loin, on essaiera alors de montrer que Bennett déploie un enthousiasme exceptionnel et qu'il se hâte d'adopter les mesures correctives nécessaires ; cependant, l'héritage du régime libéral se révèle un fardeau très lourd et, la crise étant d'envergure mondiale, la solution ultime ne dépend pas du gouvernement canadien. À la défaite du gouvernement Bennett en 1935, on dira qu'il a subi le sort réservé à tous les gouvernements de temps de crise. Mais [167] le Journal est avant tout un journal du Québec, et Taschereau détenant le pouvoir pendant ces années, c'est à son gouvernement qu'il faut s'en prendre. Si la dépression sème la misère au Québec, nous dit-on, les libéraux provinciaux doivent en porter une large part de responsabilité. Durant la période dont nous avons traité, soit de 1929 à 1932, les libéraux contrôlent au moins un Parlement, sinon les deux, ce qui facilite les critiques des journalistes bleus.

Quels sont donc les péchés du gouvernement King et du Parti libéral au fédéral ? D'abord, on leur reproche d'avoir aggravé la crise du chômage par une politique d'immigration indiscrète pendant les années 20 et - pourquoi pas ? - entre 1896 et 1911. Lorsque les radicaux se mettent à faire du tapage, on prétend que la plupart d'entre eux, voire tous les communistes, sont des étrangers qui ont pu entrer au Canada grâce à cette imprudente politique fédérale. « Le gouvernement rouge d'Ottawa favorisant l'entrée des rouges de Moscou.... c'est bonne logique [2] », affirme l'éditorialiste. Les libéraux ont aussi ouvert les portes du pays aux juifs, groupe inassimilable qui ne cesse de nous tracasser.

La politique économique de King est aussi une cause de nos malheurs. Au dire de l'opposition, les libéraux n'accordent pas une protection tarifaire adéquate à nos industries et à nos denrées agricoles, et il en résulte que les nôtres chôment. On cite particulièrement les exemples du beurre de la Nouvelle-Zélande, des oeufs de l'Australie et des chaussures des États-Unis et de l'Angleterre. Malgré les nombreuses difficultés, King se refuse à l'action. Ou bien il adopte la « méthode de l'autruche », pour ne point voir les problèmes autour de lui, ou bien il se réfugie dans une partisannerie honteuse, par exemple lorsqu'il affirme qu'il ne donnera pas un « cinq sous » pour remédier au chômage dans les provinces conservatrices. C'est donc « l'opportuniste sans boussole et sans programme, sans principe et sans logique [3] ». On ne peut compter sur lui pour régler nos difficultés économiques.

Le gouvernement King se voit également impliqué dans des scandales. Le plus célèbre de l'époque est celui de la Beauharnois, et Ottawa refuse de faire une enquête sur le financement de la combine. Le Journal revient à maintes reprises sur cette question pour déplorer la conduite du cabinet.

Au cours de la campagne électorale fédérale de l'été 1930, le Journal soutient naturellement qu'il faut remplacer King par Bennett. Dans un cinglant réquisitoire, l'éditorialiste affirme : « M. King, c'est l'instabilité, l'incohérence, la tergiversation, la gravitation vers l'orbe américain [168] ou le soleil britannique. C'est le départ des nôtres et le chômage, c'est la dépression des affaires, les petits salaires, la stagnation, la rareté de l'argent, le blé qui nous reste sur les bras [4] ». Bennett, par contre, inspire la confiance : il « parle et agit en homme d'affaires prudent et avisé, qui se guide à la lumière des principes et les adapte avec souplesse aux nécessités de l'heure et aux caprices des circonstances [5] ». Bennett, comme on le sait, écrase King, remportant cent trente-sept sièges comparativement à quatre-vingt-onze pour les libéraux. Fait encore plus frappant, les conservateurs disposent d'un contingent québécois de vingt-quatre députés.

Maintenant que Bennett tient les rênes du pouvoir, tout devrait s'améliorer. Pourtant la dépression s'aggrave, même si les journalistes déclarent que la situation est « incomparablement meilleure » chez nous que dans 90 pour cent des pays [6], que « le pire est passé [7] », qu'on a « quelque raison d'espérer la fin de la crise [8] », et que la crise « a perdu en acuité » bien qu'« elle n'en gagne pas moins en surface et en ampleur [9] ».

L'autre volet de la position du Journal est de souligner les multiples initiatives louables ainsi que le travail acharné de l'infatigable premier ministre. Entre autres, Bennett commence par freiner la « criminelle immigration [10] » et convoque une conférence nationale sur le chômage. Mais ses mesures tarifaires sont d'un intérêt particulier pour le Journal. Le premier ministre mérite des applaudissements quand il prend position contre le « Wheat Pool » de l'Ouest et refuse d'établir des prix minima pour le blé canadien, promettant de faire de son mieux pour le vendre à l'étranger et de « resserrer le tarif autant que l'intérêt national l'exigera [11] ». En mars 1931, on apprend que Bennett a fait tomber le nombre des immigrants à 25 000 et qu'il a trouvé des emplois pour 350 000 chômeurs [12]. À la conférence impériale de Londres, fin 1930, Bennett se fait l'avocat d'une préférence tarifaire pour l'Empire : s'il ne triomphe pas, la faute en revient au gouvernement travailliste de Ramsay MacDonald. Le rétablissement espéré ne se fait pas sentir en 1932 parce que « nous payons les erreurs de King [13] ». Mais au milieu de l'année, les commentaires à l'endroit de Bennett et de ses réalisations sont tellement élogieux que le lecteur d'aujourd'hui peut se demander si la crise n'était pas en voie de disparition ! « Le Canada a su tenir tête à l'orage », clame l'éditorialiste. « Il a dompté les éléments subversifs qui avaient toutes les sympathies du gouvernement libéral-progressiste-travailliste. Il a redonné à la nation l'espoir et la volonté de triompher d'obstacles surgis avant lui. Aujourd'hui, il prend devant le [169] monde entier l'attitude exemplaire, en convoquant la première conférence économique internationale [14]. » Il s'agit, bien entendu, de la conférence d'Ottawa. Notons cependant que des louanges touchent surtout des intangibles : il n'y a rien sur le chômage, rien sur l'industrie, rien sur le bien-être.

Une mesure de Bennett qui n'a sans doute pas plu au Journal a été l'établissement d'une radio d'État. Lorsqu'on en avait parlé sous le régime libéral, l'éditorialiste avait dénoncé « le dangereux principe de l'étatisation de toute chose [15] » et le Journal avait organisé une campagne contre le projet. Mais quand c'est Bennett, le premier ministre tory lui-même, qui le met sur pied, il n'y a pas un mot de critique à son endroit.

La politique provinciale occupe une place plus importante que la politique fédérale. Dans chaque numéro de l'hebdomadaire, on discourt sur les méfaits du régime Taschereau. Il y a deux principales accusations : d'abord, la corruption puis, en second heu, l'aliénation du patrimoine national et « l'exploitation incohérente et pernicieuse de nos ressources naturelles [16] » : ces deux thèmes reviendront de façon constante. On espère d'ailleurs que la défaite des libéraux fédéraux aura des répercussions sur la politique provinciale et on affecte un optimisme croissant quant aux chances des bleus québécois. Taschereau - « Alexandre-le-Petit, empereur [17] » - aura sûrement des surprises. Des élections complémentaires en novembre 1930, au cours desquelles sont élus deux conservateurs, dont Paul Sauvé, fils d'Arthur, augmentent les espoirs : le peuple québécois semble déterminé à « chasser du temple ces pharisiens de la politique libérale [18] ». À la fin de sa première année de publication, le Journal sollicite un « petit cadeau » de la part de Taschereau : non du patronage, ni des contrats d'impression, mais tout simplement des élections générales au plus tôt !

Les conservateurs provinciaux de Camillien Houde présentent un programme axé sur le nationalisme et les mesures sociales. « Soyons enfin les maîtres chez nous » et « Houde c'est le peuple, Taschereau c'est l'argent [19] » sont leurs éternels refrains. Mais la « revanche du bon sens [20] », tant attendue, ne se réalise pas. Houde et ses troupes sont littéralement balayées par la marée rouge. L'amertume et la déception du Journal ne connaissent pas de bornes. Il accuse le gouvernement d'avoir tripatouillé les listes électorales, de s'être livré à des violences et à des intimidations de toutes sortes, de s'être abondamment servi des [170] boissons alcooliques, bref d'avoir volé l'élection. Sa colère déborde quand, peu après, le gouvernement Taschereau fait adopter la fameuse loi Dillon, le « bill des lâches », qui rend très difficiles les contestations d'élections. Les journalistes y voient « la destruction du droit du faible, le triomphe de la brutalité servie par la force et l'argent [21] ». Pourtant ils ne démissionnent pas, leurs critiques reprennent de plus belle, ce n'est que partie remise. Lorsque Houde réintègre la vie privée après sa défaite aux élections municipales de Montréal en avril 1932, le Journal le félicite chaleureusement de ses réalisations qu'on espère loin d'être terminées.


II. - La nation

Le Journal est nationaliste canadien et canadien-français. À première vue, on explique mal ses sympathies pour Bennett que les historiens considèrent comme impérialiste et plutôt hostile aux revendications des francophones. Peut-être les historiens sont-ils trop catégoriques dans leurs jugements. Ou serait-ce que le parti pris des journalistes les aveuglait devant le leader tory ?

« King règne, l'oncle Sam gouverne [22]. » C'est ainsi que le Journal résume sa conviction suivant laquelle la politique tarifaire de King facilite l'emprise des Américains sur l'économie canadienne. Que recommande le Journal afin de garantir notre émancipation ? Des tarifs plus élevés pour obliger les Américains à venir s'installer au Canada s'ils veulent faire des affaires ici. Il est peut-être difficile pour l'observateur d'aujourd'hui de penser qu'une politique tarifaire encourageant les Américains à établir des succursales au Canada soit une mesure nationaliste, mais c'est ainsi que le Journal voyait la question. Passons !

Quant aux relations impériales, on trouve King trop dévoué aux intérêts britanniques. Sur le plan commercial, il fait des concessions dangereuses. Sur le plan politique, nous ne sommes toujours pas « une nation indépendante. L'égalité de statut est une niaiserie sonore. Nous sommes un dominion britannique, égal à la Mère-Patrie en certaines choses, subordonné en d'autres [23]. » Bennett, par contre, met « le Canada d'abord » et voudrait que notre pays joue un rôle de premier plan dans l'Empire britannique [24].

Le Journal fait montre également d'un vif nationalisme canadien-français. Louis Francoeur est personnellement un grand ami et admirateur [171] d'Armand Lavergne. Les éditorialistes partagent l'avis que, sous King, le Québec est nettement défavorisé. Alors que la plus grande députation libérale vient du Québec, ce sont les Ontariens et même les députés de l'Ouest qui occupent les places de choix dans le cabinet fédéral. Le « bloc québécois » à Ottawa se contente de jouer un rôle d'étampe de caoutchouc et n'a aucun prestige. Le Canada français compte pour peu dans la fonction publique. Enfin, certains incidents donnent le ton aux revendications. Quand un dirigeable arriva à la base de Saint-Hubert, ce n'est qu'à la dernière minute, face aux nombreuses plaintes des Canadiens français, que le gouvernement consentit à engager un journaliste francophone pour rapporter l'événement à la radio. Le Journal commente avidement l'affaire : « Rien n'a mieux illustré que cet incident l'influence exacte que nous avons à Ottawa. Nous sommes quantité négligeable [25]. »

Bennett accède au pouvoir. Le Québec a maintenant cinq ministres, dont trois Canadiens français - Arthur Sauvé, Alfred Duranleau et Maurice Dupré - autant qu'il n'en avait jamais eu sous King malgré la présence de soixante et un libéraux québécois à Ottawa. « C'est dire que notre province reçoit un traitement de choix du Parti conservateur [26] », affirme l'hebdomadaire de Québec. Plus tard, on souligne avec fierté la nomination de deux Canadiens français à l'exécutif des Chemins de fer nationaux, on soutient que le français est utilisé beaucoup plus en Chambre, et on déclare que R.B. Bennett respecte le principe du bilinguisme officiel dans le domaine parlementaire plus que jamais auparavant. Par ailleurs, à maintes reprises, le Journal rapporte l'existence de quelques postes vacants dans la fonction publique et demande qu'on n'oublie pas les nôtres : on peut imaginer le dénouement, car on ne revient pas sur le sujet !

Le nationalisme économique du Journal se manifeste à travers son hostilité aux trusts au Québec. Il participe vigoureusement à la campagne contre le trust de l'électricité dans la province, plus précisément contre la Quebec Power, et il stigmatise Taschereau quand celui-ci refuse d'accorder à la ville de Québec le droit de municipalisation [27]. Le nationalisme est donc un thème important dans les pages de l'hebdomadaire conservateur pendant les années 1929-1932, quoique les réalisations semblent loin d'être spectaculaires.

[172]


III. - D'autres thèmes

D'abord d'ordre politique, le Journal aborde, par ce biais, beaucoup d'autres sphères d'intérêt. C'est ainsi qu'on revendique pour la famille certaines législations sociales comme les allocations familiales (« recommandées par l'Église et par tous les sociologues [28] »), un régime de pensions à la vieillesse indigente, et une amélioration de la loi sur les accidents du travail ; la loi existante pénalisait l'ouvrier qui était père de nombreux enfants, car l'employeur s'en tirait pour moins cher s'il engageait un jeune homme sans famille ou un célibataire. Quant à l'éducation, le Journal désire conserver le système actuel tout en souhaitant son amélioration au moyen d'octrois plus généreux aux institutions, etc. Il mène une vigoureuse campagne contre les écoles juives que le gouvernement Taschereau semble vouloir établir et insiste pour que l'enseignement public reste absolument sous le contrôle des chrétiens. Des écoles juives ouvriraient sûrement la porte à l'établissement d'écoles pour d'autres minorités et le résultat serait alors inéluctable : « Qui ne voit la préparation sournoise des esprits à l'acceptation de l'école neutre, comme un moindre mal, comme la seule échappatoire rationnelle au tohubohu qui se prépare [29] ? » Sur le plan de la religion, le Journal court à la défense du cardinal Rouleau, lorsque Taschereau critique l'opinion de l'archevêque sur les écoles juives. Plus, il prend à partie le premier ministre, qui qualifie son gouvernement de « seul gouvernement catholique de l'Amérique », sur la question du respect du dimanche, et il dénonce la loi du cinéma qui défend aux enfants d'entrer au théâtre mais permet d'afficher à la porte « des crudités plus osées que celles que la censure autorise sur l'écran [30] ». Quant au divorce, le Journal épouse la position de l'Église lorsqu'on discute à Ottawa de nouveaux projets de bill.


IV. - Les adversaires

Le Journal. est un organe de combat « carrément bleu » et ses principaux adversaires sont, bien entendu, les libéraux, le « bloc québécois » à Ottawa sous King et la clique de  « maîtres-ès-perfidies » à Québec sous Taschereau. Nous avons déjà signalé les multiples méfaits des deux partis. Les journaux libéraux sont aussi les ennemis du Journal ; celui-ci est continuellement aux prises avec le Soleil ainsi qu'avec la Presse et le Canada, parfois même avec la Patrie et l'Événement. L'unique journal qui trouve grâce à ses yeux est l'Action catholique.

[173]

En dehors des cadres des partis politiques, trois groupes apparentés constituent une cible constante de l'hebdomadaire bleu : les immigrants, les juifs et les communistes. C'est bien sûr la faute de la politique libérale d'immigration si nous avons des juifs et des communistes au Canada. Quand Bennett restreint l'immigration peu après son avènement au pouvoir, le Journal manifeste on ne peut plus clairement son approbation : « Finie l'invasion à pleins bateaux des mendiants d'Ukraine, des petits juifs de Galicie, des Centraux miséreux. Le Canada cesse, enfin, d'être le dépotoir des nations surpeuplées de l'Europe centrale et méridionale [31]. » Les manifestations bruyantes pendant la dépression sont, d'après le Journal, largement le fait d'immigrants, et « nous payons pour l'erreur du passé [32] », quand Laurier amenait ces étrangers sur nos rives.

Les juifs sont encore moins prisés que les immigrants en général. D'abord, ce ne sont pas des chrétiens. « Le juif est partout l'ennemi de Jésus-Christ, de son Église et du nom chrétien [33] », souligne-t-on. Partout où il passe, il cherche à dominer et à « faire plier autrui vers lui [34] ». Les journalistes opposent une vigoureuse résistance à leurs prétendues ambitions sur le plan scolaire. Ils craignent également que Peter Bercovitch ne soit nommé ministre dans le cabinet Taschereau ; quel soulagement lorsque la chose ne se produit pas ! C'est quand même un avertissement qu'il convient de ne pas oublier. Après tout, la politique demeure une des seules sphères que le juif ne contrôle pas et « il est de sage précaution, l'expérience le prouve, de l'en tenir éloigné le plus longtemps possible [35] ».

La menace communiste se dessine au Québec au début des années 30 et le Journal se hâte d'en prévenir ses lecteurs. Il félicite Bennett de tenir tête aux communistes et condamne les libéraux fédéraux qui appuient J.S. Woodsworth, député travailliste et fondateur en 1932 de la C.C.F., lorsque celui-ci demande le rappel de l'article 98 du Code criminel, utilisé pour arrêter et condamner plusieurs chefs communistes. Mais dans ses attaques contre les communistes, les préoccupations politiques partisanes se manifestent toujours. Si les communistes semblent connaître des succès au Québec, c'est que le régime Taschereau refuse de faire les réformes qui enrayeraient leur expansion. « Le gouvernement de M. Taschereau ne légitime pas l'éclosion du bolchevisme, mais il l'explique - hélas ! [36] » prétend un des éditorialistes. Et lorsque les puissances d'argent agitent l'épouvantail du communisme, c'est en vue de protéger leurs propres intérêts contre tout projet de [174] réforme. Il faut donc un gouvernement qui sera « libre des puissances d'argent [37] ». Si Taschereau subsiste au pouvoir, nous risquons une révolte d'en bas. Mais « changeons le corps complet des officiers, remplaçons-le par une nouvelle phalange, et il ne sera plus question de mutinerie dans l'équipage [38] ».

* * *

Le Journal est donc un journal de combat politique et ce sont des considérations politiques qui semblent dicter ses prises de position sur toutes les questions de l'heure. Il cherche à combler un vide à Québec et au Québec, et il réussit à maintenir un tirage se chiffrant par 20 000 exemplaires environ. La Crise n'est cependant pas un moment propice pour lancer une publication et le Journal doit renoncer à son ambition de devenir rapidement quotidien [39]. Quelle est l'influence politique de ce journal ? Certes, il est difficile de la mesurer, mais son succès n'est sûrement pas plus grand que celui de la cause qu'il défend. Modestement, il croit avoir quelque peu préparé le terrain pour Bennett en 1930, mais le succès de Bennett ne s'explique-t-il pas davantage par la conjoncture de l'époque que par les appels partisans de cet hebdomadaire ? Accepter cette thèse nous permet d'être plus tendre à l'endroit du Journal quand il s'agit de rendre compte de la débandade des conservateurs provinciaux en 1931 !

Richard JONES

Département d'histoire,

Université Laval.



[1] 14 décembre 1929.

[2] « La politique I », 1er mars 1930.

[3] Ibid., 24 mai 1930.

[4] « La politique », 14 juin 1930.

[5] « M. Bennett », 24 mai 1930.

[6] « C'est une crise mondiale », 6 décembre 1930.

[7] « Le pire est passé », 14 mars 1931.

[8] 19 décembre 1931.

[9] « La vie moins chère », 11 novembre 1932.

[10] « La politique », 30 août 1930.

[11] « Le discours du Regina », 3 janvier 1931.

[12] 14 mars 1931.

[13] 23 avril 1932.

[14] « Il y a deux ans », 29 juillet 1932.

[15] « La politique », 8 février 1930.

[16] Ibid., 18 janvier 1930.

[17] « Alexandre-le-Petit », 9 août 1930.

[18] « La politique », 9 novembre 1930.

[19] 15 août 1931.

[20] « L'écrasement », 15 août 1931.

[21] 5 décembre 1931.

[22] 18 janvier 1930.

[23] « La politique », 7 juin 1930.

[24] Ibid., 27 septembre 1930.

[25] 24 mai 1930.

[26] 9 août 1930.

[27] 1er janvier 1932.

[28] « La politique », 4 janvier 1930.

[29] Ibid., 22 mars 1930.

[30] « La censure du cinéma », 24 janvier 1931.

[31] « Finis, les immigrants », 16 août 1930.

[32] « Problèmes », 20 mai 1932.

[33] « Les juifs et notre système scolaire », 29 novembre 1930.

[34] « La fin ? » 4 avril 1931.

[35] « Un déconfit », 31 octobre 1931.

[36] « Bolchevisme », 31 janvier 1931.

[37] « Alerte ! » 2 mai 1931.

[38] « Irrespect », 16 mai 1931.

[39] Il faut attendre 1936. En 1938, il est acheté par le propriétaire du Soleil qui le fusionne à l'Événement pour en faire l'Événement-Journal.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 14 mars 2011 15:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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