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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Yannick Jaffré (1999), “La maladie et ses dispositifs.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Yannick JAFFRÉ et Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, La construction sociale des maladies, pp. 41-68. Paris : Les Presses universitaires de France, 1999, 376 pp. Collection: Les champs de la santé. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 19 novembre 2008 de diffuser tous ses écrits dans Les Classiques des sciences sociales]

Yannick Jaffré

La maladie et ses dispositifs”.

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Yannick JAFFRÉ et Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, La construction sociale des maladies, pp. 41-68. Paris : Les Presses universitaires de France, 1999, 376 pp. Collection : Les champs de la santé.

Introduction
Les matérialités du corps
Les symptômes
1. Un symptôme visible et une lecture monosémique :
2. Des symptômes apparemment semblables et une lecture unifiante
3. Des symptômes cachés et des lectures sensorielles
Les qualités douloureuses
Les contextes de la maladie
La prévalence objective et perçue
La durée
Le traitement
Les incidences sociales
Les savoirs populaires et médicaux dans les interactions de soin
Dispositifs et représentations
Ouvrages cités

Introduction

Parler de maladie entraîne, bien sûr, à évoquer diverses hypothèses causales constituant des interprétations de complexité variable. Mais la maladie se présente aussi par ce qu’elle “offre“ de plus banal : le corps et ses dysfonctionnements. Abordé sous cet angle, parler de maladie consiste alors à évoquer des sensations, souligner des modifications visibles du corps ou de ses humeurs et en proposer des explications immédiates et simples. C’est donc effectuer des “constats pathologiques“, dont les observations prennent naissance - ne serait-ce que pour le désigner - dans le socle matériel du corps et de la souffrance. Outre cette prééminente matérialité physique, les interprétations populaires s'appuient aussi sur l’efficacité des traitements ou sur l'extension apparente, ressentie, du mal dans l'environnement social. Bref, on ne parle jamais de la maladie “dans le vide“. Dépeindre une maladie, la caractériser sous la forme d’une représentation, c’est toujours mettre en relation des localisations anatomiques avec des types de douleur, des traitements, des durées, etc. En fait, la représentation d’une maladie correspond toujours à des liens unissant des formes pathologiques précises et des contextes particuliers. Elle résulte d’un agencement spécifique.

Prendre au sérieux cette constatation, somme toute assez triviale, ne va pas sans entraîner quelques conséquences. Ceci conduit, par exemple, à ne pas s’en tenir à un simple recueil discursif des conceptions populaires de la maladie, mais engage à “retrouver à partir de quoi connaissances et théories ont été possibles ; selon quel espace d’ordre s’est constitué le savoir…“ Foucault (1966, 13). Autrement dit, et d'un point du vue plus méthodologique, il s'agit de proposer une démarche analytique portant sur les diverses relations unissant les représentations sociales de la maladie avec leurs “bases matérielles“, principalement constituées par les diverses caractéristiques de leurs référents morbides. C’est pourquoi nous entendons mettre en rapport les représentations discursives de la maladie avec les "dispositifs" qui pour partie les déterminent, c'est-à-dire les agencements spécifiques, objectifs, non discursifs, qui  “pèsent“ sur le contenu des représentations sociales de la maladie, et les “orientent". Nous tenterons ainsi de relier les représentations à ce qu’elles ont à penser, ou, pour utiliser un vocabulaire marxiste dont il ne faudrait pas “durcir“ les termes, nous souhaitons proposer quelques repères permettant de raccorder telles ou telles représentations à leurs “infrastructures“ corporelles et socio-sanitaires.

Par ailleurs, ces divers éléments de la réalité [1]. constitués comme des faisceaux de relations entre des symptômes, des possibilités de traitements, des douleurs, des évolutions, des enjeux… ne sont pas fixes, mais constituent, au contraire, des ensembles instables et ouverts. De “nouvelles maladies“ apparaissent (Jaffré & Olivier de Sardan, 1995), de nouveaux traitements sont disponibles, de nouvelles informations circulent, etc. C’est pourquoi nous nous efforcerons aussi de comprendre comment évoluent les contenus des "modules" (cf. dans cet ouvrage l’article de Olivier de Sardan), ou des représentations sociales de la maladie, en fonction des modifications de certains termes de leur "infrastructure".

Nous nous attacherons premièrement à souligner quelques caractéristiques des “matérialités du corps“ et des états morbides telles qu'elles sont en général perçues par les malades et leurs proches, et à mettre en rapport ces diverses expressions corporelles de la maladie avec les représentations populaires qu’elles suscitent. Nous soulignerons ensuite différentes valeurs, ou vecteurs, orientant la maladie vers certaines définitions plutôt que d'autres ; et les acteurs vers certaines pratiques au détriment d’autres possibilités. Enfin nous illustrerons les dynamiques de transformations des représentations et quelques implications pratiques de ces transformations, notamment en terme d’accès aux soins. Pour ce faire, et bien qu’il y ait quelque arbitraire à cela, nous situerons tout d’abord ce qui revient au corps, puis aux contextes des maladies, et enfin nous proposerons quelques exemples où l’emploi du concept de dispositif nous semble se révéler utile.

Les matérialités du corps

Les nosologies profanes se construisent en corrélant des symptômes et des dénominations. Par exemple le terme de sayi, en bambara, unifie un ensemble de symptômes (“jaunisse“, fatigue, etc.) qui pourraient, autrement, apparaître disparates. Notre hypothèse est que cette opération de tri, de catégorisation et de conjonction ne relève pas du seul arbitraire ni d’une pure logique symbolique et abstraite du classement. Certains symptômes sont discrets ou diffus, d’autres au contraire sont massifs ou visibles, ce qui oriente l’interprétation. Les ressentis des symptômes servent ainsi de révélateur, de “pivot“ pour un regroupement des signes en entités nosologiques populaires, et font que les mots, et les référents morbides qu’ils désignent, floculent, se choisissent, et se soumettent réciproquement.

Notre hypothèse est donc que la constitution de savoirs populaires sur la maladie est principalement régie par deux types de contraintes, la matérialité d’un corps malade ou l’ensemble des expressions phénoménales [2] de la maladie, d'une part, et d'autre part ce qu’il en est localement dicible, ou l’ensemble des agencements sémantiques contraignant l’inventaire profane des symptômes morbides et de leur physiologie. Les maladies étant diverses, ces observations profanes sont confrontées aux manifestations plus au moins complexes et parfois déroutantes des troubles sur le corps. Il s’ensuit qu’une représentation de la maladie ne peut être uniquement comprise comme un discours mais doit être aussi envisagée comme un ensemble de relations conjuguant indissociablement les diverses matérialités de la maladie et la pression sémantique d’un lexique.

Une constatation est évidente : comprendre et interpréter les effets d’une maladie est un exercice ardu. L’objet est un matériau “instable“, “changeant“ et complexe. En effet, les manifestations du pathologique sur le corps sont diverses. Des affections restent longuement “muettes“ ou apparemment bénignes (tuberculose), alors que d’autres s’expriment par de nombreux symptômes (cardiopathies), parfois spectaculaires (grand mal épileptique). Pour certains troubles douloureux, la souffrance coïncide avec un symptôme visible (plaies, brûlures). Pour d’autres, au contraire, les sensations sont diffuses, irradiantes, évoquées (affections de l’abdomen). Enfin des indispositions (fièvres, états nauséeux) relèvent plutôt d’un “sentir avant les sens“ (Merleau-Ponty, 1945) que d’une définition et localisation précise. Dans certaines maladies, le symptôme “correspond“ à la pathologie ; il en est comme le déploiement (cataracte). Différemment, une sensation de mal-être peut être associée à de multiples changements corporels observables (ictère, douleur, vomissements, etc.). Certaines affections évoluent par une aggravation du symptôme initial (ulcération), d’autres par d’étonnantes ruptures (lèpre, trachome), etc... Bref, si ce catalogue phénoménologique n’est pas exhaustif, il souligne néanmoins que les diverses visibilités immédiates qu’offre un corps malade sont souvent autant d’énigmes et de pièges pour une interprétation profane. Ces expressions morbides ne constituent pas cependant une énumération d’entités singulières. Quelques types principaux de maladie peuvent être regroupés. Pour progresser, nous allons donc analyser quelques uns de ces agencements liant des nominations à des formes d’expression des symptômes et des douleurs.

Les symptômes

Il serait bien hasardeux de s’interroger sur ce qui, de la trace corporelle ou de sa nomination, détermine le contenu de la représentation ; l’une ne va sans doute pas sans l’autre… C’est pourquoi nous proposons d’ordonner les diverses formes sémiologiques de la maladie, apparemment hétéroclites, sous quelques types de manifestations associées à autant de lectures constitutives des interprétations populaires. Il s’agit de tendances, et aucune de ces lectures n’est exclusive d’autres. Simplement certaines maladies, entre expression symptomale et modalité du déchiffrement, correspondent plutôt à tel ou tel des trois types suivants : un symptôme visible et une lecture monosémique, des symptômes apparemment semblables et une lecture unifiante, des symptômes cachés et des lectures sensorielles.

1. Un symptôme visible et une lecture monosémique

C'est le type le plus simple : des “maladies“ sont organisées autour d’un symptôme offrant une grande visibilité. Cette focalisation sur un signe pathologique est parfois attestée par le lexique. Ainsi, en pays bambara, kanjabana (cou raide/maladie) ou sensabana (jambe morte/maladie) désignent notamment la méningite et la poliomyélite. D’autres termes - tels ngunan jigin (fontanelle abaissée), ou fasanin (petit nerf, qui signale la présence de vénules sur le ventre des nourissons) - évoquent plus directement l’organe supposé être affecté par le mal [3]. De même est-il possible de regrouper des maladies provoquant un ictère et unifié par la caractéristique “jaune“ (shawara, sayi, etc.).Toutes ces manifestations ont en commun d'être caractérisées par une grande visibilité du trouble sur le corps, ce qui favorise la constitution d’ensembles sémantiques - de représentations - autour de ce qu'on pourrait appeler des "signes pathognomoniques émiques".

Dans bien des cas, ce savoir profane ne coïncide pas avec celui de la médecine. Il le déborde par excès ou par défaut, interprétant divers symptômes comme autant de maladies à part entière ou décomposant des syndromes médicaux en de multiples maux. Ce non-isomorphisme des champs sémantiques n’est pas sans conséquences pour la santé publique. Ainsi, par exemple, en pays bambara, le prolapsus rectal des nourissons est nommé kòbò (dos [fesses] sorti). À l’inverse des médecins, considérant ce signe comme lié à des diarrhées ou à une grande faiblesse de l’enfant, les pratiques de soins des vieilles guérisseuses s’appliquent directement à cette pathologie ressentie et consistent à remettre manuellement l’anus à sa place. Le dispensaire ne peut répondre aussi univoquement à une demande ainsi formulée, et préconise une réhydratation, une meilleure alimentation, etc. Cette dissonance entre l’offre et la demande explique que les itinéraires de soins des malades privilégient largement le populaire aux dépends du biomédical. Dans d’autres cas, cependant, l’altération corporelle observée peut correspondre à un symptôme pathognomonique identifié par la médecine. Cette coïncidence entre savoirs populaires et scientifiques s’applique notamment à des pathologies infantiles comme la rougeole ou la coqueluche. Ces maladies sont bien identifiées par les mères. Elles sont aussi nommées précisément dans de nombreuses langues africaines et leur traduction d’une langue à une autre ou d’un langage populaire à un code scientifique s’effectue sans difficulté [4]. Cette connivence entre des dénominations populaires et biomédicales, qui n’est bien évidemment pas une parfaite correspondance, permet évidemment d’initier un dialogue plus facile entre soignant et soigné, du moins s'il est souhaité.

2. Des symptômes apparemment semblables et une lecture unifiante

Si certaines représentations s’ordonnent autour d’un symptôme prégnant par sa grande visibilité, d’autres se présentent comme la réunion sous une seule “étiquette“ de symptômes divers qui apparaissent comme semblables. Prenons quelques exemples. En milieu sénoufo, la maladie kaliya (cf ci-dessous Ouattara) est décrite comme “une petite boule farineuse“ se manifestant principalement sous la forme de nodules ou de hernies. En milieu peul (cf ci-dessous Bouvier) deux pathologies burri et nurro, peuvent désigner diverses maladies biomédicales : un hydrocèle, une hernie, une tumeur du cou, un goître, un prolapsus anal, des hémorroïdes. En milieu bisa (cf ci-dessous Yaogo), po s’applique à une idée de masse et de grosseur, etc. En fait, dans ces exemples, les représentations populaires de la maladie conjoignent sous quelques termes des expressions physiques morbides multiples mais apparemment semblables. L’interprétation regroupe quelques sèmes visibles - la nodosité, la rotondité, et parfois la tuméfaction - et unifie ces symptômes, qui semblent “se répondre“, et être "de même nature" par leur forme ou leur consistance. Dans ce type de relation, les savoirs populaires “rassemblent qui se ressemblent“ et englobent sous une seule représentation ce qui s’exprime par des manifestations similaires : la maladie qui provoque des “boules“, celle qui se manifeste par certaines convulsions, etc., comme si, “quand elles deviennent assez denses, ces analogies franchissent le seuil de la simple parenté et accèdent à l’unité d’essence“ (Foucault, 1963, 5).

3. Des symptômes cachés et des lectures sensorielles

Si, comme des pièges pour le regard, certains symptômes s’inscrivent à la surface de la peau ou aux entours des orifices, d’autres s’expriment confusément dans l’intérieur du corps. En de tels cas, et hors l’examen des matières - sang, urine, fècès - sortant du corps, le discours populaire est privé de l’appui d’une observation directe. Ne pouvant se fonder sur une description, il pallie ce manque par l’exposition précise et quasi topographique du ressenti de la maladie. Il articule ainsi, au plus proche, le vécu du trouble et son interprétation. Ces constations peuvent être illustrées simplement par l’exemple de suma (cf ci-dessous Diallo). La maladie s’y présente comme localisée dans l’estomac et les intestins. Bien qu’invisible, elle s’y manifeste par différentes sensations, désignées de manière métaphorique, par les diverses représentations de ses modes de déplacement ("se lever", "se disperser", etc.). Plus généralement, dans les études consacrées ici aux “maladies du ventre“ (keefi, gamma, etc.), de semblables ensembles sémantiques constituent, entre sensation et lexique, des schémas perceptifs de la maladie. Ils sont composés d'une part d’un ensemble de verbes, propres à décrire des impressions cénesthésiques, correspondant aux effets de la maladie sur le corps (mûrir, se déplacer, attendre, sortir, marcher, ronger, terrasser, se réveiller, bouger, se lever, sommeiller, etc.), et d’autre part d'un ensemble de locutions plus vagues et plus générales, désignant des modes d’activation du trouble (fraîcheur, alimentation, peur, changements alimentaires). En fait, si dans nos premiers exemples les représentations des maladies usaient d’un lexique descriptif, les “maladies du ventre“, par leur opacité, imposent l’usage de verbes exprimant des impressions sensorielles. Privées d’une connaissance de l’anatomie et du fonctionnement interne du corps, les rares descriptions s'appuient sur ce qui est observable dans l’abdomen d’un animal sacrifié qui vient de mourir (kaliya, gamma[5] .

Les qualités douloureuses

Dans la plupart des cas, la recherche d’un apaisement de la douleur est au centre des itinéraires de soins. D’un point de vue linguistique, la composition lexicale de nombreux termes désignant les pathologies par l’association d’une localisation anatomique avec la signalisation d’une souffrance (dimi en bambara, doori en zarma, ciwon en haoussa, etc.) témoigne de cette préoccupation. Les lexèmes ainsi formés restent vagues et s’appliquent à diverses régions anatomiques (maux de ventre, de tête, etc.). Cependant, la douleur ne se limite pas à cette fonction très globalement classificatoire. Elle apparait aussi comme une des caractéristiques distinctives des maladies. Il est certes difficile de l’évaluer (Bazanger 1995). Elle peut néanmoins être appréhendée en fonction de seuils, allant du ressenti le plus ténu au plus mortifiant. Ainsi, par défaut, certaines afflictions ne semblent pas provoquer de douleur (fontanelle). Ensuite, au plus imperceptible, un premier ensemble de termes souligne des sensations gênantes qui expriment les mouvements internes de la maladie (cf supra). Viennent ensuite des dérangements plus douloureux (démangeaisons, état nauséeux, etc.). Enfin, pour d’autres pathologies, des termes viennent souligner la violence de l’affection : telle maladie “chauffe“, “cloue“, est “comme une lame qui coupe“ (suma), une autre “pique“ ou des douleurs articulaires “déchirent“ (zahi), etc. La douleur est un rappel de la prééminance du corps. Elle stupéfie, et incite peu à un immédiat discours interprétatif. A l’inverse, hors l’épisode aigu, elle perd son “caractère d’urgence“ pour prendre place comme un simple élément dans d’autres récits tenus sur soi-même. Bien que naïve, cette constatation explique, peut-être, le faible recueil de descriptions ethnographiques consacrées à cette question pourtant essentielle. Peu loquace, la douleur est pourtant un élément de toute compréhension des choix thérapeutiques des patients, des conduites de soin des soignants, et des attitudes des malades face à leur affection.

En effet, les malades évaluent et choisissent fort pragmatiquement les recours sanitaires en fonction de leur capacité à faire cesser la souffrance. Les systèmes profanes de soins, en dehors de quelques pratiques spécialisées (l’arrachage de dents, notamment), ne savent pas agir contre la douleur. Il s’ensuit que les populations utilisent préférentiellement la “médecine traditionnelle“ pour "des dysfonctionnements chroniques non invalidants", socialement handicapants mais dont la douleur est supportable, alors que la médecine moderne est recherchée dans les domaines où elle est manifestement plus efficace aux yeux des villageois, c'est à dire dans la prise en charge des maladies aiguës : pour des "dysfonctionnements invalidants critiques" (Gould 1957). En fait, l’usage de chaque système est en grande partie déterminée par sa capacité concrète à obtenir des résultats. En témoigne l’usage si répandu en Afrique des antalgiques modernes, en particulier sous la forme de cachet vendus à l'unité sur les marchés. Ici se conjuguent le type de douleur et l’efficacité visible de sa prise en charge.

Cette composante douloureuse opère aussi une distinction parmi les patients. En effet, les enfants en bas âge ne peuvent souvent expliciter leur douleur, mais seulement la manifester. Elle est le plus souvent interprétée par les parents et les soignants:  l’enfant est plus l’objet d’un discours que le sujet d’une parole ; et son corps est plus l’objet d’une interprétation que d’une description subjective.

“Il existe bien en effet une spécificité de la relation entre famille et soignant dans la pratique pédiatrique. Tout d’abord, il n’y a le plus souvent pas de dialogue direct entre le médecin et le soigné (l’enfant). La relation est triangulaire et la famille sert d’intermédiaire, notamment pour l’interprétation et la description des symptômes. Ceci est vrai pour les très jeunes enfants, lorsque la communication verbale est impossible ou difficile, mais le reste souvent quand l’enfant a un âge où il pourrait s’exprimer, l’histoire de la maladie étant relatée à travers l’opinion qu’en ont les parents, leur propre histoire et celle de leur relation avec leur enfant. Le médecin éprouve alors la désagréable sensation que sa relation avec l’enfant est parasitée, que celui-ci ne peut pas être “acteur“ de sa santé et de sa maladie et encore moins auteur des décisions le concernant". (Tursz 1993).

Cette situation n’est pas sans conséquences pratiques et théoriques. En effet, si globalement les mères restent soucieuses et vigilantes devant les cris et les modifications de l’humeur de leurs petits, dans les services de santé l’inattention est plus grande envers la douleur des enfants, comme si le fait de ne pas avoir de parole signifiait ne pas souffrir dans son corps. En atteste, malheureusement, “la poursuite jusqu’il y a dix ans d’opérations à vif sur des nouveaux-nés“ (Peter 1996, 388). Du point de vue des représentations, il est utile de souligner que les conceptions populaires des maladies infantiles sont pratiquement toujours des discours “de deuxième main“, proposées par des adultes. Il en résulte une minoration des données et du lexique sensoriel au profit d’interprétations symboliques s’attachant à décrire la situation singulière de celui qui commence à vivre. Les représentations populaires des maladies infantiles parlent autant des sentiments des parents que des vécus morbides des enfants.

Ces questions concernent aussi les positions respectives des soignants et de leurs clients. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les situations de deux segments de la profession médicale. Par exemple, sauf à devenir malade à son tour de la même maladie, l'infirmier ne connaîtra pas précisément dans son propre corps, les affres particulières de son patient. Par contre, les sages-femmes ont occupé ou occuperont un jour la place de la parturiente. La place de la douleur distingue donc entre les soignants. Dans le premier cas, l'infirmier ne peut, le plus souvent, que se fier au dire et à l'expression du malade ; dans le cas de l'obstétrique la sage-femme peut se référer à une mémoire personnelle du corps. Ceci étant, dans ces deux types de situation, les personnels établissent, en fonction des normes locales, une équivalence entre la “quantité de douleur ressentie“ et le type d'expression, plainte ou résignation, jugé approprié à la situation.

Enfin les conduites des malades et de leurs proches diffèrent selon le type d’affection puisqu’il existe des normes sociales définissant un idéal de conduite, une certaine posture du patient, face à la douleur. Ainsi, en milieu bambara, les conduites de celui qui souffre - allant globalement de geindre (ka tonton, kasi misènin) à crier (kule) - sont mis en rapport avec certains traits de caractère : l’endurance (dusu girinya ani fegenya, litt. cœur lourd ou léger), la bravoure (ka dimi munyu, litt. supporter la douleur), le courage (kisè) ou la force (fari). L’interprétation de ces réactions peut changer selon les types de douleurs. Il est supposé plus aisé de résister à des souffrances continuelles (dimi kudaye, litt. qui sont pour toujours) qu’à une brusque sensation (dimi balilen). Globalement, la douleur est une des modalités du rapport à soi. La supporter confirme la noblesse (a bè honroya cogo sabati), mais n’en est pas l’apanage. La bravoure (cèya), qui peut aussi être celle d’une femme “ayant des qualités d’homme“ (musokisèya ; cè dusu b’a kono , litt. elle a un cœur d’homme), dépend des capacités de chacun. Enfin, confronté à l’épreuve d’une maladie interprétée en contexte islamique comme “destin du corps“ (farikolo laada, dakan), voire comme ayant une valeur rédemptrice (bana ye farijakabo ye, litt. aumone/sortir), la douleur ou l’attente de la mort revêtent une valeur particulière. La mort subite (bali ka sa, litt. rapidement mourir) est parfois considérée comme moins “bonne“ qu’une mort lente qui permet au contraire d’expier (kafari, faire pardonner) ses fautes (bana ye jurumu kafari ye) et de témoigner de sa foi (lemineya) en Dieu.

Les contextes de la maladie

La prévalence objective et perçue

Le nombre de malades affectés par une pathologie est une donnée objective. Cependant cette quantité abstraite et dénombrable constitue aussi pour les populations un ensemble de cas observables, un “matériau expérimental“ permettant de discerner sur des corps différents la récurrence de symptômes identiques. La prévalence constitue ainsi un soubassement nécessaire permettant de penser la forme stable (canonique) d’une pathologie, et n’est donc pas sans importance dans l’élaboration et la constitution des savoirs locaux. Elle permet, en effet, de découvrir des similarités dans les troubles affectant des personnes distinctes et aide ainsi à l’identification de maladies pouvant, dès lors, être nommées et qualifiées spécifiquement, en fonction de caractéristiques propres [6]. Ce processus conduit à autonomiser certaines représentations. Prenons quelques exemples pour illustrer ce mouvement de discrimination d’affections apparemment proches. Globalement, en pays zarma, le terme totosa désigne divers troubles urinaires dont l’hématurie et les envies mictionnelles des femmes enceintes. Cependant, en fonction de la prévalence de la bilharziose, le champ sémantique du terme local se restreint, allant à s’appliquer uniquement à cette dernière pathologie remarquable par la présence de sang dans les urines [7]. Dans un autre contexte, en milieu bambara, le même processus peut être observé. En effet, la notion de mara, concernant diverses affections qui vont de la constipation à de l’angoisse, tend à désigner univoquement la cécité dans des zones de forte endémicité onchocerquienne. Bien évidemment, se conjuguent ici l’acuité d’observations qu’aiguillonne l’inquiétude face à une maladie quotidiennement rencontrée et l’impact des messages de santé. Cependant la constance de ces processus sémiologiques incite à évoquer une influence de la prévalence sur les représentations, dont la règle, fort simple, pourrait ainsi être énoncée : lorsque la prévalence d’une maladie est forte, elle tend à réorganiser le champ sémantique des représentations proches autour des symptômes les plus caractéristiques et fréquemment présentés par les malades. Ainsi le contexte épidémiologique en contraignant le contenu des interprétations apparait comme une autre “base matérielle“ des représentations populaires.

L’importance du nombre ne se limite cependant pas à constituer ce que nous avons nommé “une infrastructure“ des représentations. La fréquence d’apparition des maladies est aussi codée et interprétée de manière émique. En ce domaine, les différentes populations d’Afrique de l’Ouest représentées dans cet ouvrage, s’accordent très largement sur un ensemble de conceptions. Globalement, en effet, un premier ensemble de termes et de formes grammaticales s’appliquent à qualifier et différencier des maladies qui apparaissent ensemble, se transmettent rapidement, ou peuvent “passer de l’un à l’autre“. Pour nous limiter à la langue bambara, des distinctions y sont effectuées entre des maladies - comme la rougeole ou la méningite - susceptibles d’affecter rapidement une large population. (finyè bana, litt. maladie du vent) et celles, comme la tuberculose, qui se transmettent de l’un à l’autre de manière non épidémique (bana yèlèmata, litt. maladie qui change), mais, selon les conceptions locales, en utilisant pour ce faire différents agents (mouches, urine, saleté, sortilège, proximité corporelle, etc.). Enfin, un autre ensemble de termes s’attache à sérier des maladies en fonction de “périodes à risque“ tant calendaires - maladies de l’hivernage (sumaya) - que biologiques - période de la poussée dentaire (nynbò tuma), ou moment de l’accouchement.

D’un point de vue de santé publique, soulignons que les savoirs populaires et les savoirs médicaux s’acordent ainsi très largement sur l’identification de la plupart des maladies transmissibles et sur nombre d'états et périodes à risques. Cette correspondance explique, en partie, la forte fréquentation des consultations de PMI. Les conceptions profanes et médicales divergent par contre, dans l’interprétation des processus de transmission. En effet, les premières ont tendance à interpréter par la contiguïté (contact avec des traces d’urine, enjambements de matières souillées, etc.), ou le vouloir ("mauvais oeil", etc.), ce que les secondes, de manière descriptive [8], distinguent comme étant soit des maladies transmises par l’intermédiaire d’un vecteur (bilharziose), soit des maladies résultant d’une contamination (HIV), soit des maladies  contagieuses par simple proximité (rougeole, méningite). Enfin, un degré supplémentaire de complexité et de divergence est atteint lorsque le nombre n’est pas corrélé à une forme fixe de l’affection comme, par exemple, le SIDA. Dans ce cas, la maladie est en général identifiée aux symptômes les plus fréquemment présentés (l’amaigrissement et la diarrhée), et les autres troubles pourront être interprétés comme autant de maladies individuelles spécifiques, codées de ce fait  dans leur formes habituelles (tuberculose, maladie de peau, muguet, folie, etc.). Bref, entre la prévalence réelle et les représentations de la maladie, les rapports sont complexes et inclus dans une double relation. De manière objective, le nombre incite les acteurs sociaux à effectuer des observations sémiologiques précises ; mais ces observations étant conduites dans des catégories de pensée locale, la quantité devient alors, outre une “pression objective“, une matière soumise à interprétation.

La durée

Une maladie, c’est toujours un ensemble de phases successives. Aussi, parler de “la“ représentation d’une maladie est toujours un peu abusif ; comme un film qui ne serait décrit que sur une image arrêtée. En l’absence d’intervention, la maladie évolue et se développe selon diverses “histoires naturelles“, allant de l’aggravation à la guérison, avec ou sans séquelles. Dans le domaine biomédical, les maladies qui “durent“ sont largement regroupées sous le nom de pathologies chroniques. Le trouble, maîtrisé par un traitement mais non guéri, s’y inscrit dans une durée, une trajectoire [9], qui ne peut être régie par un schéma idéal de soin - symptôme - diagnostic - guérison (ou mort) - mais oblige à une gestion de la maladie sous la forme : symptôme - diagnostic - traitement - ? (Baszanger 1986). Ces caractéristiques induisent de nombreuses conséquences, résultant notamment d’une interaction prolongée des malades avec les services sanitaires. Très globalement, les modalités de la prise en charge sanitaire transforment les patients en acteurs de leur santé : participation aux soins, choix et observance des traitements, gestion des conséquences des modifications des traitements, etc. Cette persistance du trouble ou du handicap entraine aussi diverses conséquences sociales, obligeant notamment le malade à modifier ses insertions sociales.

Les populations abordent cette question de la “durée“, à leur façon, élaborant ainsi diverses conceptions émiques de “l’installation“, et des transformations de la pathologie. Une première réponse profane est construite autour de la supputation d’un caractère congénital, de la maladie (kaliya, gamma, kabafin). L’affection étant consubstantielle à la personne, elle peut dès lors apparaître ou disparaître en fonction de causes variées incriminant notamment des ruptures d’équilibres alimentaires. Durable ou constant sont ici synonymes de latent. Une autre hypothèse relève d'une physiologie populaire. Une maladie dont le traitement est différé peut se “disperser“ puis “s’installer“ dans le corps (sayi, kooko). La constipation, par exemple, en est alors un signe tangible et inquiétant. "Persister" est dans ce cadre proche de “durcir“ (kògò en bambara). Enfin la constance d’un état morbide peut être attribuée aux multiples transformations de maladies, qui déjouent ainsi les traitements, ce qui explique les diverses symptomatologies proposées (sumaya devient sayi, kooko devient mara, keefi devient kaliya, etc.). Durer correspond ici à muter.

Ces catégories émiques de la récurrence et de l’évolution influent sur l’utilisation des services de santé par les populations, notamment en raison de diverses discordances apparaissant à la rencontre des conceptions profanes et biomédicales. Par exemple, lorsque les représentations locales imputent la gravité d’une maladie à sa persistance - sayi -, il est difficile aux patients d’accepter une prise en charge lente et quasiment sans médicament, comme c’est le cas lorsque le médecin diagnostique, sous ce terme, une hépatite. Et, si des maladies se transforment, comment trouver le bon traitement ? Allié à d’autres facteurs, notamment économiques, l’ensemble de ces caractéristiques tend à opérer un partage entre ce qui se soigne localement, et ne relève donc pas de la “médecine des blancs“ (zahi), et les pathologies relevant d’un traitement biomédical.

Ainsi, la durée et les modes d’évolution de la maladie apparaissent comme des traits pertinents tant pour comprendre le contenu des représentations que pour analyser les conduites des populations. Entre savoir profane et savoir scientifique, les explications proposées de la progression dans le temps de la maladie diffèrent profondément. Les conceptions populaires définissent la durée en fonction de la “nature“ d’une maladie qui tend à s’enraciner dans le corps, à y trouver “assise“ (kajiri, kabafin). Pour la médecine, la constance d’une pathologie résulte d’un rapport entre étiopathogénie (le mode d’évolution du mal) et possibilités thérapeutiques [10], permettant - ou pas - de guérir, ou de maîtriser, une affection.

Le traitement

Les interactions autour du remède prennent place dans un large contexte général, où l’on peut distinguer très globalement deux grands types d’univers : celui des traitements populaires et celui des traitements pharmaceutiques. Le domaine populaire inscrit, le plus souvent, les soignants (parents ou guérisseurs) et les soignés dans une homogénéité, ou proximité linguistique, correspondant à un partage de mêmes représentations : même focalisation sur certains symptômes, même interprétation du “principe actif“ du médicament, même interprétation d’une possible inefficacité de celui-ci en fonction des composantes de la personne : “le produit ne convient pas à mon sang“. Dans cette situation, les différences de conceptions entre le malade et celui qui le traite correspondent plus à une affaire de distinctions dans les codes - urbains ou ruraux - utilisés, ou de complexité des catégories nosographiques (en particulier chez les guérisseurs), qu’à une réelle différence dans les représentations (sayi).

Quant à la médecine, elle aussi est ordonnée autour du traitement : “la médecine n’est pas là pour diagnostiquer, elle est là pour guérir. Le remède, c’est la concrétisation de l’acte médical.“ (Dagognet 1996: 33). Mais la compréhension par le malade de l'action des médicaments délivrés par la bio-médecine oblige cependant à d’autres médiations cognitives et sociales. Outre l’obligation d’un prescripteur, l’ordonnance doit aussi, tout au moins en théorie, être conforme à un diagnostic élaboré, dans une autre langue, selon une lecture médicale du trouble, puis présentée sous une forme écrite dans une pharmacie etc.

Ces diverses caractéristiques constituent les contextes généraux de l’interaction sanitaire. Plus précisément, au cœur de la démarche de soin, le traitement est l’un des éléments essentiels du dispositif produisant et modifiant les représentations sociales de la maladie. Cette emprise s’exerce de plusieurs façons.  Cependant, le schéma général du lien entre traitement et représentations populaires repose sur la possibilité de constater les effets tangibles d’un produit ou d’un traitement. En effet, contrairement aux interprétations, qui ne relèvent que d’un ordre discursif, l’action du remède peut être constaté. Aussi est-il utilisé comme un point de certitude, un "soubassement objectif", permettant la mise en œuvre de trois principales opérations cognitives.

Le traitement permet tout d’abord de garantir une hypothèse et d’identifier strictement une maladie, confortant ainsi la réunion de divers symptômes sous un même terme. Cette procédure, de vérification et de nomination “après-coup“ est, par exemple, utilisée dans le cas de gamma où des guérisseurs confirment leur diagnostic par l’observation des réactions d'un malade après administration d'un produit : “s'il vomit, c'est tôm qui l'a pris. Sinon ce n'est pas pour moi“(cf ci-dessous Tinta). Une seconde opération permet de construire des équivalences entre les diverses nominations des maladies. Sans strictement s’y limiter, ce mode de réflexion privilégie des raisonnements de forme syllogistique. Le remède, utilisé comme repère, permet d’établir des identités entre des conceptions localement proches, ou entre des pathologies biomédicales et profanes. Cette modalité de raisonnement est fréquente dans des contextes où le traitement, son utilisation et son application, sont connus. Ainsi, “puisque la chloroquine soigne le paludisme, sumaya ayant été soigné par ce produit, sumaya peut être du paludisme“. Par ailleurs, l'existence d’un remède ou d’un traitement conduit aussi à restreindre ou à circonscrire le sens de certaines entités. Ainsi, du fait que certaines formes de kaliya relèvent d'une réduction de la hernie, on tendra à distinguer, au sein de cette entité globale, une forme autonome relevant d’une action chirurgicale : un kaliya “des Blancs“. Enfin, en négatif, les entités populaires tendent à rester stables lorsqu’aucun traitement exogène ne peut s’y appliquer comme dans le cas de weyno .

Si ces règles sont simples, leur application dans des contextes réels apparait plus compliquée. Une première raison de cette complexité tient à la possibilité de cumuler ces divers raisonnements entre eux et avec d'autres. Dans le cas de sumaya, au lieu de déduire que "la chloroquine doit soigner tout sumaya", les populations “bricolent“ plutôt autour et avec ces multiples raisonnements, privilégiant par exemple le sème de l’"amertume" pour identifier d’autres remèdes comme les feuilles de nim, ou certaines boissons gazeuses amères, ou associant au syllogisme un autre raisonnement restreignant l’utilisation de la thérapeutique à telle forme particulière de cette maladie, etc. D’autre part, la complexité de ces jeux sémantiques est aussi très largement liée à celle du référent morbide. Une même expression symptômale pouvant recouvrir diverses pathologies ayant des évolutions distinctes, le traitement de ce qui apparaît comme semblable n’entraîne pas forcément les mêmes résultats (sayi). Enfin, si les médicaments s’appliquent à divers maux, ils agissent aussi de multiples manières. Les uns relèvent d’une démarche symptomatique et manifestent rapidement leurs effets (faire cesser la douleur, la fièvre). D’autres correspondent à une démarche étiologique, et n’agissent qu’avec lenteur (antibiotiques). Cette efficacité ressentie du traitement, détermine pour une grande part l’usage qui est fait des médicaments. Ainsi seront valorisé les produits procurant un mieux-être immédiat (antalgiques), rapidement efficaces (chloroquine) ou correspondant, même imaginairement, à des pathologies ressenties : vitamines pour grossir, laxatifs pour éviter les stases de la maladie, injection pour “atteindre en profondeur“ la maladie, etc. A l’inverse, des traitements s’appliquant aux risques encourus lors d’une maladie (Solution de Réhydratation Orale pour la diarrhée), agissant lentement sur un agent infectieux, ou s’appliquant à des pathologies non-ressenties (malnutrition), posent de nombreuses questions d’utilisation et d’observance des traitements. Bref, selon des agencements spécifiques, le remède est un autre trait non discursif qui influe sur les contenus sémantiques des interprétations populaires de la maladie. De ce fait, tout autant que l’existence de conceptions populaires de la maladie peut empêcher l’utilisation de certains traitements, le manque de traitements entrave la modification des pratiques et représentations (zahi, sayi).

Les incidences sociales

Toute maladie comporte des dimensions sociales et psychologiques. Cependant, pour prendre nos exemples aux extrêmes, les différences sociales et psychologiques sont importantes entre qui souffre d’un rhume et qui combat une stérilité. Bref, il y a des maladies que l’on affronte seul et dont les conséquences sociales sont marginales, alors que d’autres engagent d’emblée des significations, des liens et des statuts sociaux, comme les MST ou les troubles de la fécondité. À cet égard, le terme général de sickness recouvre une multiplicité de situations.

Cette diversité détermine aussi les modalités de la relation médicale, correspondant parfois à de simples soins ou obligeant parfois à affronter des problème d’annonce - ou non - du diagnostic ou de prise en charge psychologique. Sous l’apparente uniformité de la consultation se dissimulent bien des différences. En effet, certaines pathologies ne requièrent qu’un traitement. D’autres, plus stigmatisantes, à l’intersection du pathologique et du social, mettent en jeu l’identité des patients. Pour s’en tenir à l’exemple douloureux de ce qui relève de la fécondité, en pays bambara, tout un lexique atteste des implications sociales de cette déficience. Alors que la femme enceinte est dite atteinte par la "maladie du bonheur" (hèrèbana), une femme stérile pourra être nommée bòrògè (animal engraissé sans qu’il se reproduise). L’homme pourra être déprécié dans sa virilité (céyalagosi : sexe méprisé) ou sa descendance (kòsa : descendance morte ; kòbò : enlevée). Dans bien des cas, les imputations étiologiques redoublent et légitiment cette stigmatisation en attribuant l’infécondité [11] à un mauvais destin (muso tèrèma : femme au mauvais destin), à une violence envers le mari (a bè si ban : elle tue la vie), et à divers désordres sociaux, dont l’adultère (jènèya) qui entraîne le mélange des spermes.

De semblables conceptions concernent plusieurs pathologies présentées dans cet ouvrage. Les diverses représentations de sanyi, suma, kaliya, kooko, buuri, sont construites autour de leur localisation anatomique et “confondent“, de ce fait, le “ventre digestif“ et le “ventre sexuel“. Kooko peut ainsi débuter par des boutons sur les intestins et se terminer par des excroissances vaginales. Cette physio-pathologie populaire, évoquant des risques de stérilité au décours d’une maladie digestive, entraine des démarches de soin complexes et explique les conceptions en terme de “honte“ de maladies qui pourraient sembler anodines en dehors de ce contexte interprétatif.

Les savoirs populaires et médicaux
dans les interactions de soin

La situation sanitaire dans les pays du Sahel, peut être très largement caractérisée par la confrontation, plus au moins harmonieuse ou conflictuelle, des savoirs populaires et médicaux. Aussi une meilleure compréhension de ces deux modes d’appréhension de la maladie devrait-elle nous permettre d’améliorer notre entendement de certaines interactions entre populations et personnels de santé dans les pratiques de soin.

Pour ce faire, commençons par définir quelques caractéristiques des conceptions populaires de la maladie. Il s’agit, tout d’abord, de représentations globalisantes, classant les expériences singulières de l’affection à partir de caractéristiques communes dans un nombre relativement restreint d'entités nosologiques populaires. La succession des malades ne se présente pas comme une suite de singularités. La prolifération des cas particuliers est ordonnée, et un ensemble de notions et d’opérations cognitives permettent de passer de l'échantillon - correspondant à “une seule fois“ - au type, constituant un raisonnement pour “à chaque fois“ [12]. La création de ce soubassement cognitif, permettant d’envisager le particulier, non comme la succession hétéroclite de divers cas uniques, mais comme la récurrence de pathologies semblables appartenant à un même ensemble, est constitué grâce à la mise en œuvre de diverses opérations. Il s’agit tout d’abord de mettre en relation un domaine lexical et un type d’affection. Ainsi en parcourant diverses localisations anatomiques et modes d’expression de la maladie nous avons aussi parcouru différents types de lexiques, allant de celui des formes et des couleurs à celui des sensations, conjuguant ainsi des modes et lieux d’expression du pathologique avec leurs interprétations. Ces premières données, principalement sémiologiques, sont ensuite traitées par un ensemble d’opérations logiques semblables, quelles que soient les langues : hypostase des symptômes visibles, dénomination commune du semblable, interprétation de l’opaque et du complexe grâce à quelques verbes d’actions. Ces opérations intellectuelles, en orientant et en reliant le voir et le dire, créent “une alliance entre les mots et les choses“ (Foucault 1966, VIII) et permettent d’évoquer, à défaut d’une trop rigide épistémè, une certaine unité des systèmes ouest-africains de représentations de la maladie. Elles démontrent aussi que les conceptions populaires de la maladie ne se limitent pas à être des interprétations symboliques mais correspondent aussi à la mise en œuvre d'observations et de savoirs. Ces derniers trouvent cependant leur limite dans un mode de construction privilégiant une logique de l’expérience qui accorde crédit au ressenti et au vu [13]. Outre les exemples précédents, qui soulignaient la constitution de représentations autour de sensations ou de similitudes, cette tournure apparait aussi dans l’évocation des "causes" de certaines maladies. Par exemple, dans diverses pathologies relevant très largement d’une catégorie “fièvre-paludisme“ (cf sumaya), les représentations populaires incriminent, comme cause, des aliments huileux, gras ou trop doux. Plus que sur une hypothétique classification des aliments, le raisonnement apparaît ici fondé sur l’impression nauséeuse ressentie par le malade et provoquée par le cycle intrahépatique du parasite. Cette interprétation de type empirique conduit les représentations profanes à présenter l’effet ressenti pour la cause, et dans bien des cas à proposer comme prévention ce qui, comme la consommation des mangues, ne provoque qu’une aggravation d’un mal-être lié à la maladie.

Dans l’Afrique contemporaine, ces systèmes d’interprétations cohabitent avec des approches biomédicales dont les raisonnements, en théorie tout au moins, divergent sur plusieurs points de ces savoirs populaires. Tout d’abord, les connaissances médicales ne sont pas fondées sur l’expérience subjective de la maladie, mais relèvent globalement d’un domaine expérimental obligeant l’expérimentateur à se plier aux règles de son expérimentation. Ensuite, en liant le trouble morbide à diverses causalités allant de l’anatomopathologie à des modèles probabilistes (Vineis 1992), la médecine s’est constituée comme une “science des dissociations“ (Dagognet, 1996 op cit, 20). De ce fait, elle propose une lecture du corps, non pas anatomique, mais révélant, au contraire, des liaisons complexes entre des organes et des affections morbides. Il en va ainsi d’un œdème des membres inférieurs signalant un trouble cardiaque, de problèmes oculaires liés à un diabète, etc. Le diagnostic est ici fondé sur un discours scientifique articulant un lexique descriptif sémiologique et des représentations étiologiques savantes (physiologiques, génétiques, immunologiques, etc.) qui en organisent et en modifient l’interprétation. Il en résulte que les conceptions savantes et profanes sont d’autant plus éloignées que les premières font appel à des modèles complexes d’explication de la pathologie [14]. Par exemple, si pour une plaie tout le monde est d’accord, la situation est fort différente dans le cas d’une drépanocytose, dont l’attestation est génétique et qui de plus se manifeste par de nombreux symptômes dont des douleurs osseuses. Dans ce cas, en milieu bambara, les représentations populaires, en fonction de similarités anatomiques et sémiologiques, unifient sous un seul terme - koloci [litt. os brisé] ce qui se manifeste sensoriellement de manière semblable : drépanocytose, rhumatisme, arthrose, etc. Les savoirs locaux classent en fonction du ressenti ce que la médecine distingue selon l’étiologie.

Enfin, le déchiffrement clinique implique, outre de bonnes connaissances biomédicales, un vocabulaire suffisamment stable et précis pour distinguer sous l’apparente uniformité des souffrances les indices d’une pathologie précise [15]. Confrontés à cette même question de l’identification du trouble, les savoirs populaires utilisent, par contre, de nombreuses métaphores qui empruntent leurs termes aux domaines de la quotidienneté. Faute d’une terminologie scientifique dont l’acquisition est sans doute liée, entre autres, à une écriture permettant de fixer les termes d’un savoir stable, l’explication des dysfonctionnements du corps s’accorde avec le plus quotidien et le plus empirique et acquiert ainsi une crédibilité fondée sur l’évidence de ce qui est proche et habituel, ce qui marque aussi ses limites cognitives.

Cette distinction entre sémiologie profane et sémiologie médicale, toutes deux d'ordre discursif, ne doit pas être confondue avec une opposition entre des pratiques de soin. En effet, dans cette situation d’interlocution où les rôles de chacun sont clairement répartis entre un patient exprimant ses plaintes et un soignant devant les interpréter comme autant de signes constituant une pathologie précise [16], les difficultés sont diverses. Selon les affections, le regroupement des symptômes sous la forme d’un diagnostic est plus au moins complexe [17]. Il est aisé lorsque le trouble s’accompagne de signes pathognomoniques ; délicat lorsque les symptômes sont polysémiques et peuvent évoquer diverses pathologies. Il en va de même pour ce qui concerne la douleur où la démarche médicale, en liant l’impression douloureuse à l’affection qu’elle signale, s’applique à conférer à une sensation pénible une valeur diagnostique. Cette construction médicale d’une souffrance ressentie comme signe clinique s’effectue de manière complexe. En effet la corrélation entre une sensation et une affection impose parfois de dissocier le point douloureux (douleur évoquée) de sa cause, et toujours d’utiliser un vocabulaire suffisamment précis (douleur exquise, taraudante, etc.) pour discriminer entre divers troubles. Quels que soient le code et le savoir - technique ou populaire - utilisés, l’interprétation de la douleur sera plus ou moins complexe selon qu’elle s’offre à une lecture immédiate (ulcération, plaie, zone de grattage) ou nécessite, au contraire, un déchiffrement subtil (douleurs abdominales, thoraciques). Bref, dans la pratique de soins, le corps “loge tout le monde à la même enseigne“, et tout autant que la prégnance de certaines représentations populaires, la complexité du référent morbide peut expliquer tant les difficultés des guérisseurs que les erreurs de diagnostic de personnels de santé trop mal formés et mal équipés pour être en mesure de procéder au déchiffrement complexe de certaines souffrances. Dans ces cas, faute de connaissances suffisantes, les personnels de santé auront fréquemment, tendance à recourir à une plus immédiate interprétation populaire de la maladie.

Dispositifs et représentations

Les quelques facteurs influant sur les représentations de la maladie que nous avons décrits doivent être pensés conjointement et non comme un catalogue. Ils s’intègrent dans des relations dynamiques [18], mêlant le type de douleur, les manifestations de la maladie, le statut du malade, etc. Le tout n’est pas ici la somme de ses parties mais l’ensemble ouvert de leurs possibles relations. Il correspond, en fait, à ce que, commentant Foucault, Deleuze (1989) nomme un “dispositif“, désignant ainsi : “un écheveau, un ensemble multilinéaire (…) composé de lignes de nature différente. Et ces lignes dans le dispositif ne cernent ou n’entourent pas des systèmes dont chacun serait homogène pour son compte (…), mais suivent des directions, tracent des processus toujours en déséquilibre, et tantôt se rapprochent, tantôt s’éloignent les unes des autres“ (ibid. : 185). Aussi, rendre visible un phénomène, comprendre une représentation, ne peut uniquement consister à tenter d'en dévoiler une profondeur cachée ou un sens implicite. Il faut au contraire décrire, ou autrement dit “cartographier“ les diverses "lignes" dont l'enchevêtrement produit le "dispositif" particulier à chaque maladie.

Une première ligne est celle du fonctionnement du corps et des douleurs, diverses tant dans leurs manifestations (aiguës, chroniques) que dans le rapport qu’elles entretiennent avec les lésions où elles prennent naissance (irradiées, évoquées, fugaces, etc.). De plus, pour ce qui concerne les symptômes, le corps se présente parfois comme une profondeur où se dissimule des maladies qui ne se signalent que par des sensations, parfois comme une surface où s’inscrivent des signes visibles, directement lisibles où trompeurs. Cette distinction est au principe de cet ouvrage, du moins en ses parties évoquant des maladies visibles ou internes.

Une seconde ligne est celle du nombre de malades, de la fréquence et des circonstances d’apparition des nouveaux cas. Elle conduit à l’élaboration d'hypothèses concernant la transmission, la contagion et la contamination, et à distinguer entre les affections particulières et celles qui concernent des ensembles plus ou moins vastes et spécifiques de populations.

Une troisième ligne est celle de la durée et de l’évolution de la maladie. Outre qu’elle oblige un malade à modifier les relations qu’il entretient avec son milieu social, elle conduit à la production de “quasi concepts“ permettant d’expliquer les modifications des symptômes et leur résistance aux traitements.

Une quatrième ligne est celle des traitements. Entre médications populaires et biomédicales, elle provoque des discriminations, regroupements ou distinctions au sein des entités nosologiques, qu’elle modifie selon l’efficacité ressentie ou avérée du médicament.

Enfin une cinquième ligne lie la maladie à ses conséquences et connotations sociales.

Quelles perspectives offre une telle posture ?

Elle permet, tout d’abord, de dresser une typologie descriptive des maladies et de les mettre en rapport avec les représentations qu’elles suscitent. Ainsi, et quel que soit le contexte culturel, nous pouvons distinguer des entités nosographiques complexes qui mêlent diverses lignes en une trame serrée : l’opacité du ventre et la polysémie des symptômes, la chronicité, l’inefficacité d’un traitement biomédical (weyno). D’autres au contraire, à la limite du sémiologique et du nosographique, conjoignent la mutité du malade, la visibilité du symptôme, l’inefficacité apparente du traitement médical (ngunan jigin, kajiri).

La décomposition des représentations en leurs divers traits constitutifs permet aussi d’avancer quelques hypothèses concernant les dynamiques de transformation des modules (cf dans cet ouvrage le texte de Olivier de Sardan). Ces mutations s’opèrent, en effet, non de manière massive, mais souvent sur un seul des traits constituant la représentation globale. Par exemple, le module kaliya peut être réorganisé autour de la possibilité du seul traitement de la hernie ; dans une relation interlangue keefi et sayi sont mis en équivalence grâce à un seul symptôme ; kooko et diverses MST sont unifiés par leur seule localisation anatomique, etc.

Un tel point de vue s’applique aussi aux conduites de soin des populations. En effet, sauf à supposer “une individualité de synthèse“, définissant une personne comme “l’expression d’une culture elle-même considérée comme un tout“ (Augé 1992 [19], il semble hasardeux de faire coïncider représentations et conduites ou d’établir entre ces deux termes un strict rapport de détermination. Les raisons des pratiques semblent par contre pouvoir être décrites comme des processus certes complexes et enchevêtrés, mais largement orientés par les diverses lignes constituant les matérialités de la maladie, son dispositif. Il en est ainsi, par exemple d’une maladie comme l'abaissement de la fontanelle, qui, parce qu'elle conjugue un symptôme visible, un remède populaire simple (dont l'inefficacité n'est pas visible facilement par le sens commun), et l’absence d’un traitement médical rapide, incite peu les populations à se rendre dans des services de santé. A l’inverse, les recours biomédicaux sont rapidement utilisés pour des enfants souffrant de convulsions nommées un peu partout "maladie de l’oiseau". Bien qu’indexée sous une représentation massive et typiquement "traditionnelle" (cf. dans ce même ouvrage Bonnet) cette pathologie, aiguë, facilement identifiable, qui bénéficie d’un traitement bio-médical efficace, mène les parents des enfants atteints au centre de santé, s'il en est un à proximité.

Cette caractérisation des maladies par leur "dispositif", c'est-à-dire par une combinaison d'éléments qui détermine au moins en partie les représentations que s'en font les populations, permet aussi de comprendre la diversité des conduites de patients partageant pourtant les mêmes conceptions. En effet, plus que l’adhésion à une semblable interprétation, ces pratiques résultent souvent d’une pondération des contraintes et des risques entre les diverses lignes constituant le dispositif de la maladie. Par exemple, pour une même maladie hypertensive nommée semblablement, la composition du dispositif est très différent entre une “vieux“ et une jeune femme placée devant l’obligation de choisir entre le risque médical que pourrait entraîner un accouchement (ligne corporelle) et le risque social d’une stérilité et d’un célibat volontaire (ligne des incidences sociales).

Nous ne poursuivrons pas au delà ces exemples, soulignons simplement, pour revenir au vocabulaire marxiste qui nous servait en introduction, que les modifications des représentations, la compréhension des conduites de soin et éventuellement l’espoir de transformer certaines pratiques et représentations impliquent, plus qu’une simple description discursive, de s’attacher à la compréhension précise des bases matérielles qui déterminent les discours et les représentations.

Ouvrages cités

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Deleuze G.,1989, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, in Michel Foucault philosophe, Rencontre internationale Paris 9, 10, 11 janvier 1988, Seuil/ Des travaux, Paris, 185-195

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[1] La question n’est donc pas tant de savoir où se nichent des représentations (Sperber 1996) que d'investiguer les relations spécifiques qu’elles établissent avec et entre divers éléments de la réalité, etc.

[2] Tout discours sur le corps est évidemment déjà “un construit“.  Nous renvoyons ici aux travaux de Zola (1964) et aux récentes études de Barthe (1990), et Aïach & Cèbe (1991). Cependant par comodité, nous désignons sous le terme de phénoménal : “une logique vécue qui ne rend pas compte d’elle-même, et celle d’une signification immanente qui n’est pas claire pour soi et ne se connait que par l’expérience de certains signes naturels.“ (Merleau-Ponty 1945, 61).

[3] Cf. le texte de Jaffré dans ce même ouvrage

[4] C’est aussi ce que remarque Fassin (1986, 1122) : “Aisément identifiable, la rougeole est universellement reconnue par les mères, et même si de rares erreurs diagnostiques par excès ou par défaut restent possibles, l’analyse des résultats de l’enquête a montré que la connaissance empirique des femmes dont les enfants ont eu la rougeole est très proche de la description médicale.“

[5] Cette question des référents visibles, notamment animaux, de l’intérieur du corps pouvant servir de modèle de pensée pour une physiologie popumaire est très peu traité. Bernus, aborde cette question, il se limite cependant à comparer les entités nosographiques des maladies humaines et animales (1969).

[6] Cf. pour un cas précis Jaffré & Olivier de Sardan, 1995

[7] “Mais dans les zones des aménagements hydro-agricoles, où l’on constate une grande prévalence bilharzienne, totoosi prend peu à peu une signification univoque, et s’applique désormais essentiellement aux seules urines contenant du sang“ (Mahazou & Harouna, 1993, cités par J-P. Olivier de Sardan, 1994).

[8] D’un point de vue biomédical ces notions sont précisées plus scientifiquement par leur type d’agent pathogène: viral, bactérien, etc.

[9] “Le terme de trajectoire a la vertu de faire référence non seulement au développement physiologique de la maladie de tel patient mais également à toute l’organisation du travail déployée à suivre ce cours, ainsi qu’au retentissement que ce travail et son organisation ne manquent pas d’avoir sur ceux qui s’y trouvent impliqués.“ [Strauss A 1992]

[10] La chronicité de certaines pathologie est fortement corrélée à l’existence et la disponibilité de traitements permettant de survivre à une déficience. C’est par exemple le cas des insuffisants rénaux avec la dialyse. Dans bien des cas c’est la technique médicale qui permet, en empêchant la mort du malade, de "créer" des maladies chroniques.

[11] Dans une situation non médicalisée et un autre contexte social, cf. par exemple Journet, 1981

[12] Nous empruntons cette opposition entre type et échantillon à Ricœur (1990).

[13] Aborder le domaine des représentations par leur mode de constitution permet de distinguer entre des maladies humaines que l’on peut éprouver, des représentations des maladies animales qui ne peuvent dès lors qu’être décrites, ou plus encore des représentations du terroir, etc.

[14] C’est pourquoi il n’est pas très interessant de noter que les représentations populaires du paludisme ou le SIDA ne sont pas “réellement“ ces maladies. Imagine-t-on des populations faisant des tests biologiques ? La question est plutôt de comprendre en quoi ces diverses interprétations influent sur l’accès aux soins ou l’observance des traitements

[15] Il suffit pour s’en convaincre de lire la précision des sémiologies associant un organe et les termes qui qualifint le trouble : douleur pulsatile ou sourde, pour l’œil ; douleurs thoraciques persistantes, aiguës, constrictives, piquantes, en coups de poignard, etc. (Swartz 1991)

[16] Dans le domaine philosophique, cette dyssimétrie de l’interlocution est ainsi soulignée par Ricœur : “attribué à soi-même un état de conscience est ressenti, attribué à l’autre, il est observé“ (1990, 53).

[17] Un bel exemple de semblable construction est donné, entre bien d'autres par T R Harrison (1992) : “La douleur survient habituellement lorsqu'un stimulus capable de léser des tissus excite des afférences périphériques nociceptives. Quand un stimulus nociceptif excite les récepteurs de la peau, des muscles ou des articulations, la douleur qui en résulte est habituellement bien localisée et facilement décrite par le patient. Au contraire, une douleur viscérale est souvent difficile à localiser et peut être projetée à un territoire cutané innervé par les mêmes racines sensitives que l'organe malade“.

[18] Nous sommes ici très proche des travaux consacrés par Dujardin aux dynamiques (1932) où il souligne notamment que “si l’annuaire est un roman il a beaucoup de personnages, mais peu d’intrigue“.

[19] Nous empruntons cette citation à Bensa qui la commente ainsi : “Comment établir une connexion univoque entre le singulier (telle anglaise sur un trottoir de Londres à telle date) et le général (la société britannique) sans aplanir tous les clivages internes (en classes, générations, statuts, etc.) propres à la société anglaise, sans ramener tous les espaces sociaux différenciés à un seul, à une totalité homogène ?" (1996 : 59)



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 13 janvier 2009 7:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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