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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Yannick Jaffré, “Comprendre. Les mots du malade”. Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Didier Fassin et Yannick JAFFRÉ, SOCIÉTÉS, DÉVELOPPEMENT ET SANTÉ, pp. 126-133. Paris: Les Éditions Ellipses, 1990, 287 pp, Collection Médecine tropicale. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 19 novembre 2008 de diffuser tous ses écrits dans Les Classiques des sciences sociales]

Yannick Jaffré

Comprendre. Les mots du malade”.

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Didier Fassin et Yannick JAFFRÉ, SOCIÉTÉS, DÉVELOPPEMENT ET SANTÉ, pp. 126-133. Paris : Les Éditions Ellipses, 1990, 287 pp, Collection Médecine tropicale.

Introduction

1. ÉCOUTER LES MALADES

1.1. Le corps et la personne
1.2. La maladie et les symptômes
1.3. Les causes de la maladie
1.4. Les traitements et le médicament
2. ÉCOUTER LES POPULATIONS

BIBLIOGRAPHIE

INTRODUCTION

Lire des ouvrages concernant les populations auprès desquelles et avec lesquelles nous travaillons n'est pas la même chose qu'être impliqué dans un ensemble de relations sociales, professionnelles ou même familiales. La méconnaissance de soi et les illusions entretenues sur l'autre souvent déterminent des dialogues hésitants et engendrent des relations d'incompréhension et/ou de rejet. Dans le meilleur des cas, « l'étudiant en ... » se tourne alors vers le livre afin de mieux comprendre ceux dont il a la charge ; mais ceci ne va pas non plus sans poser quelques problèmes. Les livres parlent des populations, mais les populations parlent entre elles, parlent d'elles-mêmes, parlent des autres, disent ce qu'elles ne font pas et font aussi ce qu'elles ne disent pas : « (...) par-delà les structures normatives, prenant appui sur des représentations collectives et constituant la sphère la plus statique et la plus cohérente de l'organisation villageoise, on peut distinguer certaines configurations ordonnées de relations inter-individuelles, fondées pour leur part sur le choix mutuel et qui, tout en tenant compte dans une large mesure des normes théoriques, introduisent des éléments nouveaux, créent un mouvement dynamique. » (Raynaut 1972 : 2).

Par-delà la complexité de l'articulation des divers niveaux d'analyse (celui des normes sociales, des pratiques réelles, des discours les légitimant et/ou les dissimulant, des sentiments éprouvés par les divers groupes sociaux lorsqu'ils mettent en œuvre leurs options etc.), une des difficultés majeures nous semble provenir de la différence des points de vue entre le chercheur élaborant un savoir sur un objet social et le praticien ayant à répondre à une demande en souhaitant induire volontairement un changement parmi une population.

Cette différence de position est à l'origine de bien des incompréhensions entre les praticiens du développement et les chercheurs en sciences sociales : comprendre et décrire une situation nécessite d'accumuler des données, d'organiser des connaissances afin d'en proposer une présentation rationnelle. Entendre une demande consiste à reprendre avec chaque interlocuteur, tel un commentaire infini, les signifiants culturels et psychologiques à l'origine de sa demande ou de ses pratiques.

Articuler anthropologie et médecine (mais cela serait aussi vrai dans le cadre de l'agriculture ou de l'élevage) revient alors pour les sciences sociales non seulement à fournir un savoir supplémentaire au soignant, mais aussi, à lui permettre d'interroger le discours scientifique à l'origine de sa pratique ; à l'aider à concilier obligations techniques et identités sociales.

Il ne s'agit pas ici de psychologie - nous n'écoutons pas dans la parole la vérité qui à son insu pourrait se dire - (Raimbault 1973, Raimbault et Zygouris 1976, Valabrega 1962), mais d'une sociologie dans la médecine, différente des descriptions et analyses proposées par la sociologie de la médecine (Herzlich 1970 : 7). Le discours des patients témoigne de choix et/ou d'obligations régis par des logiques autres que celles du discours scientifique.

Nous nous situons ici du point de vue du développement et espérons lui fournir des « outils » simples afin qu'il puisse mieux comprendre ceux qui s'adressent à lui. Aborder une société peut se faire à partir de trois techniques principales : écouter comment les gens parlent, comment ils nomment leurs corps, leur environnement ou tout autre domaine dans lesquels ils exercent leurs activités ; observer comment les populations agissent, quelles sont leurs pratiques affectives ; comprendre les logiques sociales à l'origine de ces représentations et pratiques.

Idéalement, l'approche d'une société « autre » ne peut se faire que sur le mode d'une réciproque interrogation. « En commençant une recherche dans une culture autre que la sienne propre, le chercheur arrive avec un problème précis, qui est déjà structuré par la culture à laquelle il appartient, c'est l'étique imposée. Cette étique de la culture du chercheur permet de faire un premier cadrage et d'entreprendre une investigation totalement émique en utilisant des instruments (...). Ensuite le chercheur établit des comparaisons entre son étique à lui et l'émique de la culture qu'il étudie, et il en dérive une étique qui a valeur pour les deux cultures. » (Bibeau 1981 : 109) Ainsi, par exemple, dans le domaine de la santé, le chercheur pourra comparer sa première approche du domaine « traditionnel » des soins avec les termes utilisés par les populations pour désigner les recours thérapeutiques dont elles disposent :

Domaine technique étudié
(catégories émiques)

Milieu populaire bambara
(catégories étiques)

« Médecins traditionnels » ou « tradipraticiens » ou recours

farafin furakéra (soignant africain)

farafin dogotoro (médecin africain)

mori (marabout)

filelikéla (devin)

numu (forgeron)

kolotugubaga (rebouteux) etc.

Nous appliquerons ces propositions sur le domaine de la santé humaine à partir d'une enquête menée en 1987 dans un hôpital provincial du Burkina Faso. L'ensemble du travail que nous présentons dans ce texte peut être élaboré simplement par un soignant, ou un responsable de projet, sans grand surcroît de travail. Il nous a semblé nécessaire que le lecteur ait accès au « discours brut » tel qu'il a été recueilli et tel qu'un praticien peut l'entendre, s'il le souhaite, au cours d'une visite, consultation ou discussion. Un bref commentaire nous permettra d'en souligner l'importance, puis nous essaierons d'en tirer quelques méthodes d'approche.

1. ÉCOUTER LES MALADES

1.1. Le corps et la personne

B.B., 70 ans, cultivateur, ethnie dagara :

Au début de ma maladie, mes jambes chauffaient comme du feu. Tout mon corps était comme du feu. La maladie a commencé par les jambes, puis est montée jusqu'à ma poitrine, mon dos aussi me fait très mal.

A.T., 26 ans, sans profession, ethnie maure

Auparavant je souffrais de la poitrine. Mon sang ne circulait pas bien dans mon corps car j'étais trop grosse. Vers la fin, la toux est venue se greffer à tout cela.

Interroger un malade, suivre une démarche diagnostique nécessite de savoir comment celui-ci nomme son corps. Le plus simple en ce domaine est de réunir quelques personnes, locutrices d'une ou de plusieurs de langues entendues dans la consultation ou parlées dans la région et de disséquer un animal (chèvre ou mouton) afin de recueillir l'ensemble du vocabulaire anatomique nécessaire à une bonne compréhension des plaintes des patients. Un guide d'enquête sera souvent fort utile (Bouquisaux et Thomas 1976).

Au cours de ce travail, les enquêteurs pourront aborder les conceptions populaires du fonctionnement du corps. Des questions du type : « Quel est le rôle du sang ? » « Quel est le rôle du cœur, des poumons ? » leur permettront de comprendre la physiologie imaginaire souvent à l'origine des traitements populaires : saignées, produits émétiques, lavements, régimes alimentaires.

Lors de ces discussions, si la situation et la qualité des participants le permettent, il est possible et fort utile d'aborder les distinctions établies entre mort et vivant. En distinguant l'éphémère du transmissible, le périssable de l'historique, les populations pourront exprimer leur conception de la personne (colloque CNRS 197 1) et spécifier les statuts sociaux des morts et des vivants (Bonnet 1988). Les questions peuvent être ainsi formulées : « Qu'est-ce qui distingue un vivant d'un mort ? » « Fait-on les mêmes funérailles pour un enfant, un adulte, une femme enceinte ? »

1.2. La maladie et les symptômes

A.S., 37 ans, éleveur, ethnie peul :

C'est au moment où la toux s'est surajoutée à cette chaleur que j'ai compris qu'elle évoluait vers la gravité. Je rejettais des crachats abondants et Épais.

Les symptômes, ici liés à la notion de corps chaud (Coppo 1986, Bonnet 1986), indiquant pour le malade son passage du normal au pathologique sont différents des signes cliniques décrits par le discours médical.

Il est important que le médecin connaisse ces « symptômes d'appel » (Negrel et Jaffré 1985) signifiant pour les populations l'entrée dans la maladie puisqu'ils seront à l'origine de leur demande de soins.

Définis par l'articulation d'un seuil culturel acceptable de douleur et d'un ensemble symbolique de signification, leur connaissance est indispensable pour quiconque souhaite entreprendre une campagne de dépistage actif et/ou accélérer la venue des patients dans des structures de soins adéquates.

Le travail peut être mené lors des consultations ou lors des enquêtes.

* Lors des consultations :

Ceci présente l'avantage de permettre le recueil des termes utilisés pour désigner les divers états morbides lors de l'événement maladie. Il ne s'agit pas alors de propos théoriques sur les pathologies mais de l'expression présente d'une plainte. Le soignant peut se constituer un lexique en notant le nom utilisé par le patient pour désigner sa maladie, les symptômes exprimés lui correspondant, et, s'il le souhaite, les signes cliniques recouvrant en partie ou totalité cette désignation populaire :

Terme utilisé par le patient

Symptômes ressentis et exprimés par le patient

Signes cliniques identifiés par le soignant

Peut évoquer la maladie

* Lors des enquêtes :

Recueillir les terminologies populaires servant à désigner les maladies peut se faire simplement en interrogeant divers groupes sociaux (hommes, femmes, « vieux », jeunes, etc.) sur les pathologies les affectant : « De quelles maladies souffrez-vous le plus au village ? », en distinguant maladies des hommes, des femmes, des enfants ; puis en identifiant chacun des termes recueillis par la liste des symptômes qu'ils subsument :

Termes populaires

Symptômes ressentis

Peut évoquer dans la nosographie biomédicale

Bien évidemment, il ne s'agit pas d'espérer faire correspondre de manière univoque, les terminologies « locales » et la nosographie biomédicale ; « le même mot envoie un message différent selon qu'il est employé par le moderne ou par le traditionnel, tout en donnant une illusion d'identité » (Benoist 1989). Par contre, en définissant chaque terme médical populaire par une liste de symptômes, il est possible de préciser le domaine des pathologies ressenties et de mieux comprendre les manifestations morbides indiquant pour les populations leur passage du normal au pathologique (présence de sang, ictère, vomissement, etc.) et déterminant leur itinéraire de soins.

1.3. Les causes de la maladie

A.O., 30 ans, blanchisseur, ethnie mossi

C'est le travail de blanchisseur que je faisais. La chaleur de ce travail peut causer la maladie, car ça chauffe les côtes.

T.D., 28 ans, cultivateur, ethnie samo :

Certains aliments peuvent donner la tuberculose, comme le lait frais bouilli avec des saletés.

Les étiologies proposées par les soignants sont différentes de celles imputées par les malades en référence aux actes de leur vie quotidienne et déterminent des itinéraires de soins où d'autres causalités pourront être proposées :

S.M., 33 ans, peintre, ethnie mossi

Un jour j'ai commencé à tousser, puis j'étais courbatu, j'avais froid, j'avais chaud. On est allé cueillir des feuilles. J'ai fait une fumigation avec, j'ai transpiré. En ce moment, on disait que c'était le « jokajo » (terme recouvrant un ensemble de pathologies : ictère, fièvre, paludisme) ; la toux s'est ajoutée, j'avais mal à la poitrine, je n'arrivais pas à me coucher (...). A cause de cela, on est allé chercher une poudre noire avec laquelle je devais faire des fumigations. Je l'ai fait également, mais ça s'aggravait encore. Certains ont fini par dire que c'était le « kooko » (hémorroïde, prolapsus rectal) (...) que j'avais des saletés dans le ventre (...). Mes vomissements étaient jaunes, mes urines également, j'avais des vertiges, c'est pourquoi on soignait aussi le « jokajo-gwé ». Une autrefois, un Monsieur m'a dit que c'était une « toux de femme ». Il m'a donné une poudre à mettre avec des « traitements africains ». Comme je ne guérissais pas, quelqu'un m'a dit qu'à Bobo Dioulasso, il y avait un docteur qui pouvait me soigner. Je ne voulais pas continuer à souffrir. Je suis venu ici, il y a du mieux, je respire bien, je ne me fatigue pas, j'ai de l'appétit.

La douleur est « pragmatique » et guide la démarche du malade dans sa recherche de soulagement ; mais entre ce début des troubles et leur résolution, s'intercale, pour une durée plus ou moins longue, un ensemble de pratiques liées à des interprétations fondées sur l'identification des symptômes les plus visibles.

Sans aborder les difficiles questions liées aux systèmes cognitifs et symboliques permettant de donner sens au malheur et à la maladie (Zempléni 1986) nous soulignerons quelques points essentiels.

Pour le soignant, il importe de recueillir les multiples dénominations de la maladie de son patient puisque ce sont elles qui influent sur son itinéraire thérapeutique, mais aussi parce qu'il pourra en les utilisant élaborer des campagnes préventives.

Les malades utilisent conjointement et complémentairement les divers recours thérapeutiques qui leur sont offerts : « Faute de mieux, on peut aller à l'hôpital pour un traitement symptomatique et retourner au village pour le traitement étiologique. C'est du reste le mode de partage africain le plus courant entre les recours à la médecine traditionnelle et la médecine occidentale ou cosmopolite » (Zempléni 1986). Si « l'anthropologue de la santé » peut constater et étudier ce phénomène, le soignant sera souvent confronté au problème de l'aggravation des pathologies liée au long détour thérapeutique entrepris par son patient. La réponse adéquate à une telle question ne sera sans doute pas dans une bien illusoire « intégration des guérisseurs traditionnels dans les systèmes nationaux de soins », mais plutôt dans une amélioration de l'écoute de la demande médicale, psychologue et sociale du malade.

Ici encore, quelques questions simples, du type : « D'après vous quelles sont les causes de votre maladie ? », « Quels traitements avez-vous déjà entrepris ? », et l'élaboration d'une carte descriptive des différents recours thérapeutiques utilisés, en précisant leurs domaines de compétences (guérisseur utilisant des produits naturels, rebouteux, spécialiste des « causes sociales », vendeur de comprimés, consultation privée des personnels de santé...) doit permettre au soignant de mieux comprendre la position de sa consultation ou de son projet dans un ensemble social global et ainsi d'en améliorer le fonctionnement.

1.4. Les traitements et le médicament

SK, 50 ans, cultivateur, ethnie diola :

Si l'on est malade, on doit chercher les médicaments pour se soigner. Le médicament que l'on doit accepter, c'est celui qui convient à son corps. Qu'il soit traditionnel ou moderne, l'essentiel c'est qu'il améliore la santé.

Vendeuse clandestine de médicaments :

Il arrive que les médicaments ne conviennent pas à certaines personnes parce que nous n'avons pas le même sang. Nous n'avons pas le même sang parce qu'il y a des médicaments qui sont inefficaces pour la maladie de certaines personnes.

La définition de l'efficacité du médicament en fonction du corps du malade et non de sa pathologie permet aux populations d'utiliser sur un même mode les divers recours et réseaux de vente des médicaments (Fassin 1985-1986).

2. ÉCOUTER LES POPULATIONS

Nous ne prendrons ici que quelques exemples afin de montrer comment la méthode d'approche précédemment présentée pour les individus peut être appliquée à des collectivités.

Ainsi que le médecin pour le corps, le technicien agricole peut se constituer, par simple interrogation des paysans avec lesquels il travaille un lexique des taxinomies agricoles locales. Nous prenons ici un exemple dans la société bambara.

NOMS BAMBARA

CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES

danga

Sol beige, sablo-limoneux, battant en saison des pluies, très dur en saison sèche, très faible cohésion, forte affinité pour l'eau.

seno

Formation dunaire très sablonneuse.

dangabilen

Sol rouge, limono-sableux à limono-argileux, généralement friable en surface, provenant de l'érosion de danga ; peut se couvrir d'un gravillon ferrugineux dans les zones très érodées.

dangafin

Sol beige, noirâtre, analogue au danga, mais plus riche en limon et en matières organiques.

jan

Sol brun, argilo-limoneux, très compact avec fentes de retrait fréquentes.

janpèrèn

Sol jan très argileux, largement crevassé.

mumusi

Sol noir, très argileux, à structure friable comprenant de nombreux modules calcaires et largement crevassé, forte cohésion des agrégats colloïdaux : faible affinité pour l'eau.

buwa

Sol gris ardoisé, limoneux, compact, pouvant être crevassé ; fond de mare.

buwabilen

Sol buwa à nombreuses taches ocres ferrugineuses, généralement fond de mare ou de marigot.

buwafin

Sol noir, limono-argileux, généralement friable en surface, riche en humus, non crevassé.

(MAGASA 1978)

S'il n'est pas au courant de ces taxinomies, comment un agronome peut-il dialoguer avec les populations ?

Les mêmes questions peuvent se poser à propos des terroirs « Il convient donc de distinguer entre le territoire d'une chefferie coutumière (soolem) et le (ou les) territoire(s) d'une maîtrise de la terre (tenpeelen) inclus dans le premier (...). Cette superposition des droits s'exerçant sur un même espace : droit sur la terre sacrée (tenpeelen), droit collectif ancestral (yaab-ramb-ziig-soogo), propriété familiale du terrain (ziig-soogo) (...), crée sur le terrain une situation toujours complexe, car avec le temps toutes ces formes de propriétés sont devenues légitimes sans qu'aucune hiérarchie soit bien établie entre ces différentes légitimités » (Bouju 1989).

Il ne servirait à rien de multiplier les exemples, qu'il nous suffise seulement de souligner qu'aucune approche compréhensive d'un groupe humain ne peut se faire sans que ne soit explicité son rôle de classement des divers objets sociaux sur lesquels s'exerce l'activité du technicien ou de développeur. Ceci n'est pas qu'affaire d'efficacité, mais aussi respect des différences que celles-ci relèvent de « l'inter » ou de « l'intra-culturel ».

Proposer un savoir sur l'autre est une étape nécessaire de la recherche, tenir compte des paroles et choix des populations serait une orientation des politiques de développement. Le chercheur ou le praticien proposent un point de vue structuré, organisé par la culture ou le domaine technico-scientifique auxquels ils appartiennent. La difficulté en ce domaine, provient du fait que « dans les conflits entre personnes ou groupes inégalement situés dans la société, ce ne sont pas les points de vue qui sont en jeu mais la question même du point de vue. Les dirigeants n'imposent pas leur point de vue : ils nient de fait l'existence même de la question du point de vue, en cherchant à imposer leur point de vue comme point de vue des choses elles-mêmes » (Darré 1985).

Comprendre et tenir compte des choix des populations n'est pas qu'affaire de « bonne volonté » ou de « bon cœur ». Cela exige quelques concepts permettant d'appréhender de manière positive et pertinente notamment les écarts entre les objectifs explicites des projets et les effets réels constatés (Boiral et al. 1985).

*  *  *

De même que la contribution de l'anthropologie de la santé ne consiste pas seulement à produire des connaissances sur la maladie, de même l'apport de l'anthropologie du développement ne peut se limiter à fournir un savoir sur des groupes sociaux : dans les deux cas, il s'agit aussi de permettre aux malades et aux populations d'être mieux entendus. Ainsi que le soulignait Emmanuel Levinas : « l'Autre est la question dont je ne suis pas la réponse ». *

BIBLIOGRAPHIE

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1962 La relation thérapeutique malade et médecin, Flammarion, Paris.

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1986 La « maladie et ses causes », L'Ethnographie, numéro spécial : 96-97.



* Je remercie le Docteur F. Simonet, M. Sanon Hassan et M. Sanou Gilbert de leur aide pour l'enquête en milieu hospitalier.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 30 mars 2009 7:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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