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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Laënnec HURBON, Culture et dictature en Haïti. L'imaginaire sous contrôle. (1979)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Laënnec HURBON, Culture et dictature en Haïti. L'imaginaire sous contrôle. Paris: Les Éditions Karthala, 1979, 203 pp. Une édition numérique réalisée par Rency Inson MICHEL, bénévole, étudiant en sociologie à l'Université d'État d'Haïti. [Autorisation accordée par l'auteur le 19 mai 2009 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Culture et dictature en Haïti.
L’imaginaire sous contrôle.

Avant-propos

Un simple coup de force de l'impérialisme américain ne suffit pas à lui seul à expliquer l'accès et le maintien au pouvoir de 1957 à nos jours des Duvalier. La « gauche » haïtienne commence à peine à prendre la mesure de la catastrophe que représente ce régime. Plus de 30 000 disparus, victimes d'une répression quotidienne érigée en système de gouvernement ; près d un million d'exilés économiques et politiques ; l'agonie lente d'un pays maintenu en vie à coup d'aides internationales qui ne servent qu'à la protection des intérêts capitalistes et de la fraction locale qui est leur alliée. Il est cependant temps de reconnaître aussi que l'escroquerie duvaliériste n'a pu durer que grâce à l'impuissance des groupes d'opposition à produire une critique radicale du langage duvaliériste : impuissance à rompre avec ce langage lui-même qu'ils reproduisent souvent à leur insu par peur d'une analyse qui mette au jour les sources de ce langage.

Une idéologie technicienne-scientiste et élitiste semble peser sur les efforts théoriques d'analyse du fascisme duvaliériste, et entraîner une véritable méfiance vis-à-vis des masses, comme si celles-ci avaient une inclinaison naturelle à adhérer à la dictature. Une critique abstraite de la négritude tient lieu la plupart du temps d'analyse culturelle, et, dans cette foulée, toutes les traditions culturelles populaires (musique, danse, peinture, sculpture, religion) dominées par le vaudou sont vouées purement et simplement au seul rôle de pilier idéologique du duvaliérisme.

Quel est le statut de la culture populaire en Haïti ? Quel emploi idéologique en fait-on ? Ou, si l'on veut, comment le pouvoir parvient-il à investir le champ de l'imaginaire et du symbolique en Haïti ? C'est à ces questions que cet ouvrage tente d'apporter, non pas des réponses, mais un éclairage. Ces questions se révèlent d'une particulière densité face au phénomène du langage duvaliériste qui a [8] toujours cherché à s'emparer de la problématique de la culture populaire. « Fascisme créole » ou « fascisme du sous-développement », ou encore « terrorisme politique d'État », ces concepts applicables aux régimes des Duvalier renvoient bien à ce que J.-P. Faye dans son Introduction aux langages totalitaires a appelé avec justesse « la plus dangereuse des expérimentations sur le rapport entre le langage et l'action » [1].

Qu'on ne s'attende pas ici cependant à une analyse historique, encore moins à une analyse politique du duvaliérisme. Cet ouvrage entend sans ambiguïté rappeler qu'il n'y a pas dépensée possible de développement en Haïti sans la pensée de la liquidation du duvaliérisme, qu'il n'y a pas non plus de liquidation du duvaliérisme sans la critique de la vie quotidienne en Haïti : critique de la domesticité, critique de la division lettrés/non-lettrés, critique de la subordination du créole au français, critique du rapport fantasmatique au vaudou, critique de l'idéologie de la couleur, critique du culte du petit chef, etc.

Nous le savons, en dépit de tous les replâtrages, notre deuil est toujours là. Les mêmes « Anges de la Mort » qui ont organisé les bains de sang et travaillé à la zombification des masses, pendant plus de vingt ans, continuent à se pavaner comme des héros. Ce que d'aucuns (dans une presse dite indépendante) ont osé appeler « la démocratie naissante » est encore chaque jour étranglé. Mais chaque jour, aussi, des espoirs cachés, enfouis, retiennent les masses opprimées sur le front d'une résistance quotidienne. J'ai tenté de montrer dans cet ouvrage que tout n'est pas consommé et que le contrôle idéologique ne parvint pas tout à fait à l'éreintement du langage populaire. Que faire de l'héritage culturel populaire ? Cette question nous est encore posée, elle nous reste sur les bras en dépit du dévoiement de la problématique culturelle par le langage duvaliériste. Assumer cette question, c'est entrer résolument dans un face-à-face avec nous-mêmes, c'est rechercher dans toutes les productions culturelles populaires les traces d'une contestation peut-être encore sourde et impuissante mais non moins réelle.

[9]

Un préjugé tenace dans nombre de pays occidentaux, mais aussi dans les îles des Caraïbes, soutient en effet que le duvaliérisme (de père en fils) s'est installé en Haïti en l'absence de toute résistance. Ainsi, par exemple, grâce au vaudou et à l'idéologie de couleur, Duvalier, « représentant des masses noires », aurait acquis une certaine ferveur populaire. A la fois production de l'impérialisme et d'une classe dominante locale qui, depuis longtemps, a perdu tout sentiment national, le régime despotique des Duvalier nous est offert comble de l'ironie comme notre « différence », notre « quant à soi », notre « nationalisme ». Pourtant, on ne le sait que trop, avec Duvalier (comme d'ailleurs avec tous les Somoza et Bokassa lâchés sur les pays du tiers monde), l'Occident capitaliste dialogue avec lui-même et organise sa prospérité avec la conscience tranquille. Il n 'a pas de peine non plus à se proclamer le défenseur des droits de l'homme, puisque les goulags sont ailleurs dans les États dits socialistes et dans le tiers monde comme dès le XVIe siècle les diables du Moyen Age avaient été transférés vers le Nouveau monde.

Cet ouvrage essaie précisément de souligner comment les thèmes du langage duvaliériste sont les thèmes de l'impérialisme culturel occidental racisme, élitisme, scientisme par quoi la culture populaire devient pur fantasme et alibi. Mais, dans un même temps, nous espérons éviter les interprétations dualistes et réductrices développées aujourd'hui par les médias sur le tiers monde.

Pour cela, j'ai procédé à une double interrogation sur :

- les sources historiques et idéologiques du langage duvaliériste (à partir d'une esquisse d'analyse de la « société civile » et du discours duvaliériste) ;

- certains axes de la culture populaire haïtienne : le vaudou et la sorcellerie, la littérature orale (à partir d'enquêtes que nous avons eu l'opportunité de mener auprès de travailleurs haïtiens émigrés), pour repérer à la fois les points d'appui idéologique du pouvoir établi et les lignes de force d'une résistance populaire.

Cette recherche voudrait avant tout contribuer aux débats  [10] en cours sur les luttes culturelles qui nécessairement accompagnent l'effort pour le changement radical en Haïti. Dressées contre l'agenouillement et toutes les formes d'humiliation et d'aliénation dans la vie quotidienne en Haïti, ces luttes attestent encore l'incessant bouillonnement de l'espoir.


[1] J.P. Faye, Introduction aux langages totalitaires. Ed. Hermann, 1972.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 14 mars 2018 11:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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