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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

ROMANTIQUE ESPAGNE. L'IMAGE DE L'ESPAGNE EN FRANCE ENTRE 1800 ET 1850. (1961)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon-François HOFFMANN, ROMANTIQUE ESPAGNE. L'IMAGE DE L'ESPAGNE EN FRANCE ENTRE 1800 ET 1850. PUBLICATIONS DU DÉPARTEMENT DE LANGUES ROMANES DE L'UNIVERSITÉ DE PRINCETON, NEW JERSEY. PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE, PARIS, 1961, 1re édition, 203 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par le Professeur Hoffmann le 29 novembre 2010 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

ROMANTIQUE ESPAGNE.

L’image de l’Espagne en France
entre 1800 et 1850.



Avant-propos

Si, comme l'indique notre titre, nous parlons d' « image » de l'Espagne, c'est pour indiquer que l'objet de notre étude n'est pas une réalité absolue, mais au contraire une représentation subjective. En d'autres termes, il ne s'agira pas ici d'établir le bilan exact des connaissances que les Français pouvaient avoir sur l'Espagne ; notre but est de fixer, et si possible d'analyser, une certaine conception française de ce pays. Nous croyons avec M. Guyard que « chaque peuple prête aux autres des caractères plus ou moins durables [1] ». C'est, en effet, tout un peuple que nous essaierons de sonder, c'est l'âme collective française qui nous fournira les données du problème. Par les manifestations de l'âme collective, nous entendrons une manière spéciale d'envisager le monde, de réagir à la vie, de considérer les hommes, inhérente à la condition de Français. Dépassant les différences d'origine, d'éducation et de tempérament, l'âme collective est pour nous un phénomène mystérieux, mais indéniable. Il comprend à la fois sensibilité, imagination, instinct, pour autant que certains aspects de ces facultés se retrouvent dans chaque membre de la communauté. La notion d'âme collective est particulièrement accessible au psychologue qui étudie les foules : la foule acquiert une personnalité qualitativement différente de la somme de celles qui la constituent ; de même, l'âme collective est plus que l'ensemble des différentes âmes dont elle est composée.

L'image que les Français du XIXe siècle se faisaient de l'Espagne est donc nécessairement le produit de certitudes et de suppositions, d'illusions et de préjugés, de jugements approbateurs ou péjoratifs. Chacun de ces éléments pourra évoluer sous l'influence de facteurs divers : un événement politique est susceptible d'ébranler certaines idées préconçues ; une mode littéraire, de renforcer certains lieux communs. C'est ainsi, par exemple, que [2] nous serons amenés à constater des modifications dans l'image que nous étudions, après la guerre d'Espagne, puis après le triomphe de l'école romantique.

Si nous avons choisi de considérer les cinquante premières années du XIXe siècle, c'est qu'elles constituent, dans l'optique de notre sujet, une période particulièrement riche. Entre 1800 et 1850, l'histoire de la France (comme l'histoire de l'Espagne d'ailleurs) est marquée par des changements de la plus haute importance. Sans doute est-ce sous l'effet de ces changements que de profonds remous se produisent dans l'âme française. C'est l'époque où, dans l'Europe tout entière, les originalités nationales s'affirment, où les peuples manifestent une nouvelle curiosité à l'égard de leurs voisins. Avec les progrès du romantisme, la France se tourne vers l'étranger et recherche ce qu'il peut avoir de caractéristique ou d'inusité. Certains éléments, dédaignés jusqu'alors, viennent rehausser, rendre plus complexe, plus variée, l'image que les Français se faisaient de l'Espagne.

Nous ne nous dissimulons pas les difficultés que comporte notre étude. L'image qu'un peuple se fait d'un pays étranger se reflète dans bien des domaines : la littérature, les arts plastiques et décoratifs, la musique, la danse, la mode. Il serait intéressant de savoir dans quelle mesure s'est développé l'enseignement de la langue espagnole, quels livres espagnols étaient traduits et s'ils trouvaient un grand nombre de lecteurs, quels produits typiques de l'Espagne étaient en faveur auprès du public français. Il faudrait également pouvoir disposer de statistiques indiquant, année par année, combien de Français allaient en Espagne et, inversement, combien d'Espagnols venaient en France. Mais la tâche de rassembler une documentation complète aurait demandé les efforts conjugués d'une équipe de chercheurs, travaillant pendant de longues années. Force nous, est de reconnaître que bien des renseignements nous manquent totalement, et que ceux dont nous disposons sont parfois incomplets ou contradictoires. Aussi serons-nous obligés d'écarter certains aspects de la question, de n’en mentionner d'autres que pour mémoire, quitte à en faire le sujet d'études qu'il serait bon d'entreprendre à l'avenir.

Nos sources les plus précieuses ont été, bien entendu, littéraires. Il nous a cependant fallu choisir entre les livres, les revues, les journaux et les correspondances écrites entre 1800 et 1850, et susceptibles de contenir un témoignage significatif, une interprétation intéressante, Notre enquête ne peut guère prétendre avoir épuisé le sujet. Cependant, nous espérons ne pas avoir négligé de documents de première importance, et nous croyons [3] même en avoir signalé qui avaient échappé à l'attention de nos prédécesseurs.

C'est à dessein que nous nous abstiendrons, en général, de formuler des critiques quant à la valeur littéraire des œuvres que nous citerons. Certes, il nous arrivera de mentionner des ouvrages tombés dans un oubli bien mérité. Certes, nous retiendrons parfois des niaiseries ou des absurdités. Mais, pour nous, un témoignage sera précieux non pas par sa valeur intrinsèque, mais plutôt dans la mesure où il constitue un élément de statistique, où il illustre une opinion, un préjugé.

Nous essaierons de choisir nos citations chez des auteurs aussi variés que possible. On remarquera que nous avons tendance à négliger les plus grands : il nous a semblé, en effet, que l'imagination d'un Hugo, par exemple, crée une image de l'Espagne profondément originale et personnelle, que sa vision poétique dépasse la vision collective. L'image hugolienne, plagiée par les écrivains de troisième ordre peut être plus intéressante, dans ce sens qu'elle se manifeste chez eux sous une forme moins nuancée et donc plus représentative de l'imagination collective.

Nous n'hésiterons pas à sortir parfois du domaine littéraire pour considérer certaines manifestations d'ordre sociologique. Nous examinerons, par exemple, la mode vestimentaire, l'engouement pour le tabac espagnol. Car pour un individu qui a lu Calderon, il y en a cent qui fument des papelitos ; pour chaque historien qui s'intéresse à la Péninsule, il y a dix élégantes qui portent des mousselines « à la dona Sol ». Ces petits détails de la vie quotidienne nous paraissent significatifs. Une cigarette ou une étoffe prennent une valeur symbolique en représentant, pour bien des personnes, Un peu de cette Espagne rêvée sur laquelle elles n'avaient que des idées fantaisistes.

  En somme, si un homme connaît bien l'Espagne, s'il en parle la langue, s'il en est en quelque sorte « spécialiste », son témoignage ne sera pas précisément une manifestation de l'âme collective, mais plutôt un facteur qui pourra l'influencer. C'est de cette manière que nous envisagerons les nombreux ouvrages écrits en français par des réfugiés politiques espagnols qui désiraient faire mieux comprendre leur pays.

Notre travail se composera de trois Parties. Dans la Première, nous constaterons l'existence d'une image de l'Espagne en France, et nous étudierons l'évolution qu'elle a subie au cours de la première moitié du XIXe siècle, sous l'influence des événements et de la littérature. Nous verrons aussi la présence de l'Espagne dans la vie quotidienne française.

[4]

Dans la Deuxième Partie, nous négligerons la chronologie pour tâcher d'effectuer une synthèse et de dégager les éléments principaux de l'Espagne telle que se la représentait l'imagination collective pendant la période étudiée. En guise d'illustration, nous remarquerons que, dans Carmen de Mérimée, se retrouvent presque tous les aspects du rêve espagnol. Enfin, nous passerons brièvement en revue les critiques que des érudits français et espagnols ont faites de cette image.

Dans la Troisième Partie, nous essaierons de signaler à quelles nécessités psychologiques peuvent être attribués l'intérêt pour la Péninsule et les formes particulières sous lesquelles s'exprime cet intérêt. Il s'agira, en somme, d'expliquer le rêve espagnol par l'analyse de l'âme collective.

En résumé, notre étude comportera trois démarches différentes : constatation du phénomène et de son évolution, mise en relief de ses traits généraux, tentative d'explication psychologique.

Notre but sera atteint si nous réussissons à compléter les travaux fragmentaires dont l'image de l'Espagne en France a fait l'objet, et à signaler certains problèmes jusqu'à présent délaissés par la critique. Bien que nécessairement incomplète, la bibliographie que nous avons établie sera, nous osons l'espérer, utile aux comparatistes. D'une part, elle complète celle que Baldensperger et Friedrich ont publiée en 1950, et constitue un répertoire des œuvres critiques sur le sujet ; de l'autre, elle comporte une liste d'ouvrages écrits entre 1800 et 1850, dans lesquels on trouve des témoignages sur l'image de l'Espagne en France. Enfin, nous espérons démontrer que, contrairement à ce que l'on croit généralement, les Français de l'époque ressentaient une sincère admiration pour cette Espagne que leur imagination avait plus souvent tendance à embellir qu'à dénigrer.



[1] Marius-François GUYARD, La Littérature comparée, Paris, 1951, p. 24.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 7 mai 2014 8:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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