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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon-François HOFFMANN, “Les États-Unis et les Américains dans les lettres haïtiennes.” Un article publié dans la revue Études littéraires, vol. 13, n° 2, 1980, p. 289-312. Érudit: http://id.erudit.org/iderudit/500517ar. [Autorisation accordée par le Professeur Hoffmann le 29 novembre 2010 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[289]

Léon-François HOFFMANN

Les États-Unis et les Américains
dans les lettres haïtiennes
.

Un article publié dans la revue Études littéraires, vol. 13, n° 2, 1980, p. 289-312. Érudit : http://id.erudit.org/iderudit/500517ar.



Jusqu'aux dernières décennies du XIXe siècle, Haïti et les États-Unis n'entretiennent que des rapports occasionnels, de nature essentiellement commerciale ; rapports modestes, d'ailleurs, le commerce extérieur d'Haïti s'effectuant surtout avec l'Europe. Très rares furent les firmes américaines qui cherchèrent à s'implanter en Haïti, peu nombreux les citoyens des États-Unis qui vinrent y chercher fortune. Il faudra du reste attendre 1862 pour que le président Lincoln accepte d'établir des relations diplomatiques avec Haïti. Craignant que de reconnaître officiellement l'indépendance de la République Noire n'encourage des soulèvements d'esclaves dans leurs circonscriptions, les parlementaires des États du sud s'y étaient jusque-là opposés. C'est dire que, contrairement à la France, à l'Allemagne et à l'Angleterre, les États-Unis ne s'ingéraient encore guère dans les affaires d'Haïti.

À la demande du gouvernement de Port-au-Prince, qui désirait pallier la pénurie de cadres et de main-d'œuvre spécialisée, des organismes privés et gouvernementaux des États-Unis avaient cependant (dès avant 1862 et à plusieurs reprises) organisé l'émigration en Haïti de techniciens et d'artisans noirs libres américains. Profitant du droit de résidence ainsi que des grandes facilités de naturalisation accordés à toute personne de descendance africaine, quelque 13 000 Américains de couleur vinrent s'établir en Haïti entre 1824 et 1828. D'autres arrivèrent en 1856 ; 1 600 émigrants débarquèrent en 1861. Un dernier groupe de 500 colons s'établit dans l'Île à Vache au sud des Cayes en 1863. Mal organisés, ces projets se soldèrent par des échecs : 1 400 des 1 600 émigrants de 1861, par exemple, réclamèrent et obtinrent d'être rapatriés [1]. Quoi qu'il en soit, l'arrivée des colons américains de couleur ne semble pas avoir laissé de traces dans les lettres haïtiennes. On trouve toutefois dans Stella d'Émeric Bergeaud (Paris, 1859), le premier en date des romans haïtiens, une référence à Miss Francis (sic pour [290] Frances) Wright ; l'auteur nous rappelle dans une note explicative que

Miss Francis Wright, écossaise d'origine et maîtresse d'une grande fortune, vint à Haïti en 1832, avec une trentaine d'esclaves, pour les y faire jouir des bienfaits de la liberté. Ces esclaves avaient été achetés à une plantation de la Louisiane. En les achetant, Miss Wright, qui avait prêché contre l'esclavage, avait à coeur de prouver aux colons américains qu'un régime doux et humain était mieux entendu que leur système violent et cruel, fondé sur la prétendue méchanceté des Africains. Elle avait échoué dans cette tentative [...] alors, s'éloignant de cette terre d'égoïsme, la philanthrope vint, comme nous l'avons dit, à Haïti avec ses esclaves, afin de les rendre libres (p. 325-326) [2].

On peut remarquer d'abord que Bergeaud parle de « colons » américains et non pas de « planteurs » ainsi qu'on les appelle généralement. Il les assimile ainsi aux colons français contre lesquels les Haïtiens s'étaient soulevés un demi-siècle plus tôt. Nous retrouverons cette assimilation des envahisseurs américains aux ennemis français de jadis. Et, en évoquant l'idéalisme de miss Wright, le romancier distingue et exalte une Américaine généreuse pour mieux dénoncer les abus d'une Amérique esclavagiste et raciste. De la même façon, deux des trois références à l'esclavage des Noirs aux États-Unis que je trouve dans la poésie haïtienne de cette première période sont des panégyriques à la mémoire de l'abolitionniste blanc John Brown (pendu à Charleston, Virginie, en 1859). Dans son poème daté de 1884, Tertulien Guilbaud compare John Brown à Toussaint Louverture et déclare :

Ce que fit le vieux Brown est plus divin, je crois.
Le gibet du martyr fait songer à la croix !
[…]
Avoir pour soi les droits et choisir le devoir ;
Libre, haïr les fers ; blanc, mourir pour le Noir :
Oh ! l'amour pouvait seul accomplir ce prodige !

Et le poème finit sur une dénonciation des Virginiens qui ont supplicié le héros :

Heureux Virginiens, tandis que le vertige
Du triomphe vous grise, à ce triste .chafaud
Lancez vos traits railleurs. Vantez, vantez bien haut
Vos succès, en mêlant à ce nom pur, auguste,
L'amère insulte — seule aumône à l'homme juste
Réservée ici-bas ! Vous faites bien. — Mais nous
Au pied de ce gibet nous tombons à genoux [...].
[291]
(T. Guilbaud, « John Brown »,
in Saint-Louis, Carlos et Lubin, Maurice A.,
Panorama de la poésie haïtienne,
Port-au-Prince, 1950, p. 86-88.)

Dans les tercets du sonnet qu'il consacre à John Brown, Edmond Laforest reprend le parallèle entre l'abolitionniste et le Messie :

Rédempteur des noirs, Brown meurt pour leur liberté.
Comme le Christ divin, rempli d'humanité,
Il plane à son gibet, transfiguré, sublime !
Mais sa semence un jour fera l'arbre du bien ;
Le droit sera la force et l'esclave un chrétien ;
Le grand peuple éteindra dans son sang le grand crime.
(E. Laforest, « John Brown », Ibid., p. 183-184 ; 1re éd. In Sonnets-médaillons du dix-neuvième siècle, Paris, 1909.)

Quand en 1865 Pierre Faubert exhorte ses compatriotes à renoncer aux querelles intestines entre Noirs et Mulâtres, il leur rappelle le temps héroïque de la guerre d'Indépendance :

Oh ! pour nous tous alors quels beaux jours ! à nos braves
La vieille Europe applaudissait ;
Et ce peuple oppresseur de millions d'esclaves,
Au bruit de leurs fers frémissait.

Faubert donne là un bel exemple de l'eurocentrisme systématique de l'élite haïtienne : prétendre que la vieille Europe ait, contrairement à l'Amérique, applaudi les esclaves révoltés, c'est singulièrement méconnaître l'histoire. Quoi qu'il en soit, les temps ont changé, et le « peuple oppresseur de millions d'esclaves » ne frémit guère plus. Ce serait plutôt aux Haïtiens de frémir désormais :

Quoi ! divisés, lorsque, tout près de votre plage,
Mulâtres et Noirs sont proscrits !
Quand cette république, appui de l'esclavage,
Rêve, avide, à vos champs fleuris !
Haines, dissensions, et ce vautour rapace
Dans votre ciel planant déjà
Pour mieux perpétuer les maux de votre race,
S'apprête à fondre sur Cuba !
(P. Faubert, « Aux Haïtiens »
in Ogé, drame et poésie fugitives, Paris, 1856, p. 143-146.)

Dans les lettres haïtiennes, le poème de Pierre Faubert est, à ma connaissance, la première dénonciation de l'impérialisme américain et la première mise en garde contre ses menées expansionnistes. Dans la deuxième période qui nous [292] intéresse, et qui va de 1880 environ au débarquement des « marines » en 1915, ces mises en garde se feront nombreuses et pressantes.

*   *   *

Il y avait de quoi s'inquiéter : déjà en 1868 le président Andrew Johnson avait proposé au Congrès (qui, heureusement, refusa son approbation) de procéder à l'annexion pure et simple de l'Île de Saint-Domingue. En 1890 le gouvernement de Washington, profitant de l'instabilité qui régnait en Haïti, chercha à se faire céder le môle Saint-Nicolas pour y établir une base navale. Grâce à la fermeté des autorités haïtiennes, le projet n'aboutit pas. Sept ans plus tard, les Américains occupaient Guantanamo, et s'emparaient par la même occasion de Cuba et de Puerto Rico. L'alerte avait été chaude, mais il était désormais clair que les États-Unis entendaient évincer de la Caraïbe les puissances européennes et y .tendre leur hégémonie, afin de protéger le canal de Panama... et de se tailler la part du lion dans l'économie des Antilles. Dès 1903, en effet, 73% des importations haïtiennes venaient des États-Unis. Jadis négligeables, les investissements américains en Haïti s’accroissaient régulièrement. Bref, il devenait évident qu'Haïti était en train d'entrer dans l'orbite des États-Unis, comme le constate Anténor Firmin dans M. Roosevelt... et la République d'Haïti (Paris, 1905) :

On ne peut résister contre l'évidence : les États-Unis ont acquis une prépondérance presque indiscutée dans les affaires internationales des deux Amériques (p. 480).

L'intervention directe de Washington dans les affaires d'Haïti, voire l'imposition du protectorat, étaient devenues des éventualités à prendre en considération. En 1873, Demesvar Delorme fait paraître à Paris ses Réflexions diverses sur Haïti. Il s'adresse à ceux de ses compatriotes qui, découragés par l'anarchie régnante, pensent qu'une mise en tutelle du pays par les Américains pourrait être une solution :

Si jamais, Haïtiens, vous perdez votre nationalité, ce dont Dieu vous garde ! vous n'aurez pas chez vous le droit de parler en hommes. Vous serez réduits à baisser la tête devant l'étranger [...] vous serez maintenus dans une sujétion aussi dure que l'esclavage...

[293]

On vous méprisera, on vous maltraitera, comme on méprise et maltraite les hommes de notre race aux États-Unis... Il ne manquera que le nom de la chose au servage humiliant où l'on vous aura réduits…

Ce danger n'est plus lointain comme dans le temps où l'on prévoyait seulement qu'il pouvait venir ; il est arrivé. Il est là, présent, pressant, dans notre île, à nos portes (p. 123, 124, 133).

Dans Bric-à-brac (Paris, 1910), Frédéric Marcelin met en garde les Haïtiens qui se réjouissent d'apprendre que les États-Unis pourraient leur consentir un prêt de cinquante millions de dollars. Pour le romancier, qui fut ministre des Finances et parle donc en connaissance de cause, cette « aide au développement » ne représente pas une aubaine, mais un grave danger. Certes, quelques porteurs de titres profiteraient de l'opération ;

Mais, pauvre petit peuple haïtien, pauvres petits nègres, naïfs et simples que nous sommes, que deviendrons-nous dans dix ans, dans cinq ans, demain peut-être ?... Nos formidables voisins sont en appétit et en bel appétit. Plus ils mangent et mieux ils ont faim. Ils ne prennent guère le temps de digérer. Qui sait s'ils n'ont pas trouvé le moment excellent pour lancer l'épervier ?... Tant pis pour toi... si ton Président, tes ministres, tes Chambres se métamorphosent en vassaux très humbles, juste ce qui est nécessaire pour le décor, de l’hounourable (sic) résident général des États-Unis ! Ils ont palpé déjà (p. 90-91) [3].

Pour Anténor Firmin, moins pessimiste, la proximité des États-Unis est au contraire une chance dont Haïti doit pouvoir profiter, puisque

Les États-Unis ont tout ce dont nous avons besoin pour nous lancer dans le sillon d'une civilisation active et laborieuse. Ils ont les capitaux de toute sorte : argent, machines, expérience du travail hardi et énergie morale à résister contre les difficultés (op. cit., p. 480).

Firmin ne croit pas à la possibilité d'un débarquement américain :

[...] quel homme d'État américain, avisé et sage, voudrait entreprendre de s'emparer de force du territoire haïtien ou d'une partie de ce territoire ?
[...] qu'Haïti soit décidée à combattre, jusqu'au dernier souffle du dernier citoyen, pour conserver son indépendance, cela n'est un doute pour personne... L'envahisseur, après toutes les horreurs d'une guerre sauvage, n'aurait pour s'asseoir que les ruines amoncelées sur le champ de ses conquêtes stériles. Pour qu'un peuple aussi pratique que celui des États-Unis se lançât bénévolement dans une telle aventure, il lui faudrait avoir, pour mobile, un intérêt si large, si puissant, qu'il surpassât toutes réflexions et toutes considérations. Je ne vois guère comment on pourrait établir une telle présomption (id., p. 476).

[294]

L'histoire n'allait hélas pas justifier l'optimisme de Firmin. Les « marines » de l'amiral Caperton débarquèrent le 28 juillet 1915, pratiquement sans rencontrer de résistance.

Pendant les décennies qui précèdent la catastrophe, la puissance américaine inquiète l'élite haïtienne. Mais en fait, que savaient les Haïtiens des États-Unis ? Fort peu de choses. Et c'est même pour cela qu'Anténor Firmin avait composé M. Roosevelt... et la République d'Haïti, dont toute la première partie est un long essai sur l'histoire des États-Unis, sur le caractère de leurs citoyens et sur les particularités de la civilisation américaine. Comme il l'explique dans sa préface :

Les Haïtiens ne connaissent pas assez les Américains. Cette négligence d'étudier l'histoire, la vie et les institutions d'un grand peuple avec lequel nous avons tant de points de contact, matériels et moraux, constitue une grave lacune et même un danger, qu'il faut combler ou conjurer au plus tôt (op. cit., p. iv).

Hommes politiques, journalistes, essayistes s'efforcent de deviner les intentions de Washington et prodiguent aux dirigeants haïtiens avertissements et conseils. Mais dans les belles-lettres proprement dites, les États-Unis et les Américains n'apparaissent guère. Mentionnons pour mémoire le poème « Yankisme » (in Poésies nationales, Paris, 1892), où Massillon Coicou accuse les Américains d'avoir sacrifié les idéaux de Franklin et de Washington à la poursuite effrénée de l'or. Ce poème déclamatoire a la particularité d'utiliser plusieurs expressions anglaises :

Il faut de l'or, — ou rien, — pour être, — ou ne pas être
Time is money. Le crime aussi.
[...]
Et toujours de l'argent ! toujours de grosses sommes !
Beaucoup d'or pour l'Américain !
Ail right ! droit vers le but, quel qu'il soit, o. nous sommes
Attirés par l'espoir d'un gain !
Cotton is king !...

On peut également relever, dans le roman de Frédéric Marcelin Thémistocle-Epaminondas Labasterre (Paris, 1901), une référence ironique à un capitaine américain qui

[...] appartenait à cette admirable race des Américains du Nord qui a intéressé Dieu lui-même, sans partager avec lui, bien entendu, au succès de ses opérations commerciales. Chaque fois qu'il réussissait une contrebande, il s'agenouillait et .levait ses mains vers lui : Ô éternel, qui êtes le vrai, [295] l'unique Dieu, je vous glorifie ! Vous m'avez permis de passer ma cargaison sans payer de droits ! Que votre nom soit béni dans les siècles des siècles ! (p. 298).

Les Haïtiens ne sont certes pas les seuls à avoir reproché aux protestants en général et aux anglo-saxons en particulier de vouloir intéresser la Divinité à leurs entreprises commerciales. Il est d'ailleurs amusant de voir Roger Gaillard reprendre le thème dans ses Charades haïtiennes (Port-au-Prince, 1972) :

Je ne vois que les Atlantes [les Américains] [...] à avoir heureusement relié l'amour du Tout-Puissant à l'intérêt le plus vif pour les biens de ce monde (p. 158).

Dans Le Manuscrit de mon ami, de Fernand Hibbert (Port-au-Prince, 1923), un Haïtien en voyage à New York écrit à ses amis : « Aujourd'hui l'argent prime tout. New York, hélas, en est la preuve vivante ». Même la façon d'être des femmes américaines lui semble déterminée par l'obsession du numéraire :

Je ne me lasse pas d'observer les Américaines, — je regarde surtout leurs yeux, [...] d'où le rêve est absent. [...] Le seul mot qu'elles prononcent avec un accent de tendresse c'est : DOLLAR (p. 100).

Pour les Haïtiens, c'est avant tout le matérialisme, le gain recherché par tous les moyens et avec bonne conscience, qui caractérise les Américains. Ainsi, bien sûr, que le préjugé de couleur qui sévissait aux États-Unis. Les rares Haïtiens à avoir séjourné dans la « République étoilée » témoignent des brimades dont leurs frères de race y sont victimes. Ainsi Demesvar Delorme, qui raconte avoir vu à New York, en 1858, un « homme de couleur, assez blanc de peau » souffleté par un pickpocket qu'il avait surpris en train de le dévaliser. Loin de prendre parti contre le voleur, la foule rit de la victime (op. cit., p. 123). Et Frédéric Marcelin constate dans Au gré du souvenir (Paris, 1913) que

Le noir haïtien regarde droit devant lui, bien en face. Son regard n'est pas vacillant et fuyant. Le noir américain baisse la tête, et ses yeux semblent toujours regarder le sol. Il n'est jamais naturel, même s'il occupe un haut rang hors de chez lui, même s'il est ministre des États-Unis à Port-au-Prince [4]. Il est alors plutôt grossier, et un peu brutal, dépassant la mesure. C'est là, sans doute, un effet du dur esclavage où il a été tenu, dont il n'a pas pu s'affranchir par lui-même et de sa situation pénible encore aujourd'hui (p. 82).

Après avoir constaté qu'à New York « le préjugé est toujours très fort », Fernand Hibbert signale que « par le mot noir, il faut [296] entendre aussi les hommes de couleur. Aux États-Unis, un nègre ou un mulâtre est appelé indifféremment coloredman » (id., p. 103). L'élite haïtienne n'allait pas tarder à vérifier à ses dépens — une fois le protectorat américain mis en place — l'exactitude de cette information. Pour l'heure, les abominations racistes auxquelles les Noirs américains étaient en butte provoquaient l'indignation de l'élite intellectuelle haïtienne, sans doute, mais il est difficile de juger dans quelle mesure les écrivains s'identifiaient aux victimes. Dans Les Thazar, de Fernand Hibbert (Port-au-Prince, 1907), le personnage éponyme, qui est ridiculisé systématiquement, s'écrie au cours d'une soirée mondaine :

Encore un nègre de lynché dans la Géorgie ! [...] Et à chaque instant nos frères sont pendus, broyés, exterminés sous les accusations les moins fondées [...] Cela dans un pays qui se dit civilisé ! Quand donc la Providence [...] fera-t-elle surgir un Dessalines dans l'Amérique du Nord, pour octroyer la véritable liberté aux martyrs du sud des États-Unis ! [...]

La tirade de M. Thazar fut accueillie par des sourires plutôt ironiques (p. 94).

Le docteur Remo, porte-parole de l'auteur, déclare : « Pour ma part [...], je crois que nous ferions mieux de nous préoccuper du sort des nègres de chez nous que de celui des nègres des États-Unis » (loc. cit.), et dénonce les vexations et les injustices auxquelles la masse paysanne est en butte. Certes, il est louable de vouloir réformer les abus dans sa propre patrie avant de critiquer celle des autres, mais il est surprenant de voir Remo et ses amis accueillir l'horrible nouvelle avec tant de phlegme.

Les analystes haïtiens ont reconnu volontiers aux Américains le dynamisme, l'esprit d'entreprise et les facultés d'organisation en tout ce qui concerne la vie matérielle. Mais c'est sur le plan humain qu'ils sont critiqués, et comparés défavorablement aux Français, vus comme des modèles de raison et de tolérance, comme les créateurs d'un humanisme dont les Haïtiens se réclamaient. Ainsi Luce Archin-Lay déclare :

[Aux États-Unis, l'on dit aux gens de couleur] : Yellow and black, go away, go away to France. Merci pour nous et pour la France. L'universelle patrie ! Foyer des lumières de vraie civilisation, de sublime générosité !
(L. Archin-Lay, « France et Haïti »,
Haïti littéraire et scientifique, I, 7, 20 avril 1905.)

[297]

En fait, rares étaient les Haïtiens qui avaient voyagé aux États-Unis : c'est en France qu'ils allaient faire des études et se tremper aux sources du savoir-faire et du savoir-vivre. Rares également les Américains qu'ils avaient pu fréquenter en Haïti même, puisque, d'une part, le tourisme restait embryonnaire et que, de l'autre, un dénombrement des résidents étrangers effectué en 1914 par le soin de la légation des États-Unis n'accuse que trente-deux Américains.

Par ailleurs, rien n'indique que les intellectuels haïtiens aient eu la moindre connaissance des écrivains américains, ni de la vie culturelle aux États-Unis. C'est encore une fois à l'Europe, et plus particulièrement à la France qu'ils demandaient modèles et inspiration. Bref, Yvette Gindine a parfaitement raison de constater que

Before 1900, the United States barely existed in the consciousness of the Haitian intellectual elite, a minuscule oligarchy taking its cultural dues and styles from France and totally uninformed on American matters.
(Y. Gindine, « Images of the American in Haitian Literature
during the Occupation, 1915-1934 »,
Caribbean Studies, 14, 3, octobre 1974, p. 38.)

*   *   *

Les choses vont changer, et de façon dramatique, avec l'occupation et la mise en tutelle d'Haïti. Ce ne sont pas seulement des troupes qui débarquent, mais de nombreux techniciens et fonctionnaires, souvent accompagnés de leur famille. À Port-au-Prince comme en province les Américains sont omniprésents, dans les ministères, sur les chantiers, aux postes de douane et de gendarmerie, dans les centres d'éducation technique. Des firmes américaines se font accorder des concessions. Des journalistes viennent faire des reportages, des hommes d'affaires viennent chercher des commandes. Bon gré mal gré, les Haïtiens ont constamment affaire aux Américains, qui louent des maisons et fréquentent les cercles et autres lieux de réunion. Savoir l'anglais devient utile, sinon indispensable. Des mots anglais entrent dans le créole : shine, boss, payroll, faire back [reculer], djob, freeze [5]. Toute sorte d'articles de consommation, produits alimentaires, textiles, machines, importés par les occupants font leur apparition. Dans les boîtes de nuit et les soirées mondaines on danse sur des airs américains. L'Amérique et ses citoyens, [298] autrefois lointains et exotiques, sont désormais présents et familiers. Présents non seulement dans la vie quotidienne mais, comme on pouvait s'y attendre, dans la littérature.

L'article déjà cité d'Yvette Gindine est un excellent survol, auquel on se reportera avec profit. Elle montre à travers l'analyse attentive de romans, de nouvelles et de pièces de théâtre que l'image — ou plutôt les images — des Américains dans la littérature haïtienne du temps de l'occupation sont diverses et nuancées. À côté de brutes sadiques et bourrées de complexes, comme le commandant Smedley Seaton (dans Le Nègre masqué, de Stéphen Alexis, Port-au-Prince, 1933), on trouve le colonel Harry Murray, qui ne partage pas les préjugés de ses compatriotes et préfère à leur compagnie celle de la bonne société port-au-princienne, dont il admire le raffinement (dans Le Joug d'Annie Desroy, Port-au-Prince, 1934). À côté de dénigrations systématiques des États-Unis on relève des analyses plus équilibrées et compréhensives. C'est que la censure veillait — surtout pendant les premiers temps de l'occupation — à ce que les attaques contre les États-Unis restent dans les limites de ce qu'elle considérait comme tolérable. C'est aussi que les écrivains haïtiens comprenaient parfaitement que leurs critiques seraient d'autant plus percutantes qu'elles garderaient au moins l'apparence d'une certaine objectivité. Et, bien sûr, c'est lorsqu'elle émane d'un occupant que la condamnation de la politique qu'il est forcé d'appliquer devient particulièrement éloquente : Gindine donne plusieurs exemples de fonctionnaires américains qui critiquent, explicitement ou implicitement, les agissements du protectorat.

Sans reprendre les analyses de Gindine, je me bornerai à quelques remarques complémentaires. Il ne faut d'abord pas oublier que le traumatisme de l'occupation força l'élite haïtienne à faire son examen de conscience, à essayer de comprendre comment elle en était arrivée à mener le pays au désastre. Les écrivains n'hésitèrent pas à stigmatiser — parfois très violemment — l'égoïsme et le manque d'esprit civique des classes dirigeantes. Ils voient l'occupation comme une agression, certes, mais aussi, et peut-être surtout, comme un châtiment mérité, infligé par Dieu ou par l'Histoire. Dans cette optique, le personnage américain et son pays fonctionnent en quelque sorte comme des réactifs qui permettent d'illustrer [299] toute la gamme des conduites possibles adoptées par les Haïtiens pendant cette sombre période. Les uns collaborent avec l'occupant et en tirent des avantages matériels, les autres se renferment dans une indignation impuissante ; certains résistent par les voies légales de la presse et des meetings ; d'autres enfin passent à l'action directe et rejoignent les guérilleros paysans. Car les paysans n'hésitèrent pas à prendre les armes lorsque leur terre, leur liberté ou leur dignité étaient menacées par les « marines », tandis que l'élite urbaine ne résista — dans le meilleur des cas — que par la parole, et sans verser son sang. Certains de ses membres choisirent de suivre le sociologue Jean Price-Mars dans la recherche d'une nouvelle image de soi fondée sur la revendication de l'héritage africain et la valorisation des masses jusqu'alors dédaignées. Les importants résultats de cette démarche en ce qui concerne les arts et les lettres ont été abondamment étudiés et ne sont pas directement de notre propos. Mais certains autres choisirent au contraire de se réclamer plus que jamais de la culture latine et française dont ils affirmaient la supériorité sur celle des « Anglo-Saxons américains ». Etre français par le comportement, par le goût et surtout par l'expression devenait une forme de résistance, une preuve de patriotisme. Le suicide du poète Edmond Laforest qui, pour protester contre l'invasion de son pays, mit fin à ses jours en serrant (dit-on) contre son coeur un dictionnaire Larousse, a valeur de symbole. Et Georges Lescouflair, dans sa chronique du journal Le Temps du 12 juin 1937, n'hésite pas à écrire :

On dit qu'Haïti imite la France. Mais c'est très bien. [...] De là cette personnalité qui en a imposé à l'occupant. Sans cette cuirasse, sans toutes ces choses de France qui sont en nous, innées ou surtout assimilées, africains et frustres nous serions restés et l'Américain aurait vite fait d'Haïti une bouchée.

L'Américain est systématiquement comparé, défavorablement, cela va de soi, au Français (ou à l'Haïtien francisé) : le Français est tolérant, l'Américain raciste ; le Français répugne à la violence, l'Américain l'exerce aveuglément ; le Français est cultivé, l'Américain ignare (le plus souvent, il ne  parle même pas français !) [6]. Même les grandes villes américaines sont inférieures à la Métropole spirituelle : dans La Blanche Négresse, de Mme Virgile Valcin (Port-au-Prince, [300] 1934), Anna Ménard réplique vivement à son père qui prétend que New York est beau :

Paris est autrement joli, père. Ici, il y a des maisons, à New York il y a des masses colossales qui, comme les marchandises en série, étalent aux yeux du touriste étonné leur insolente majesté et leur stupide désir d'épater (p. 9).

La jeune fille raconte ensuite, dans tous ses horribles détails, le lynchage d'un nègre, dont elle a été témoin en Géorgie.

Pas plus que les villes, les femmes d'Amérique ne sauraient se comparer à celles de France. C'est ce qu'explique Fernande Vernon à son mari dans Le Joug d'Annie Desroy (Port-au-Prince, 1934) :

Si tu les observais comme moi, tu verrais que la manière même de s'habiller des femmes [américaines] révèle sinon leur manque d'éducation, du moins un laisser-aller absolument peuple. [...] Il leur manque [...] l'élégance et le bon goût. Ce qui distingue la Française : l'allure, la Race (p. 37-38).

Plus de trente ans après l'occupation, Marie Chauvet, dans Amour, colère et folie (Paris, 1968), crée le négociant américain Mister Long, brute cynique et malhonnête, qui sert de repoussoir au Français Jean Luze, doué, lui, de toutes les qualités.

Il y a cependant un contexte dans lequel l'Américain est identifié au Français. Non pas à celui d'aujourd'hui, mais à celui de jadis, au colon exploiteur, raciste et brutal, que les Ancêtres avaient bouté hors du pays. Le rapprochement s'imposait et la leçon était claire : seul le départ des Américains pouvait rétablir Haïti dans sa liberté et sa dignité. Jacques Roumain, dans son article « Le peuple et l'élite » (Le Petit Impartial, 22 février 1928, cité par C. Fowler, The Knot in the Thread, Washington, D.C., 1980, p. 45), écrit : « Nous sommes aujourd'hui en face de l'Américain comme nos Ancêtres en face des armées du Premier Consul. » Trois ans plus tard, Roumain crée le paysan Désilus dans La Montagne ensorcelée (Port-au-Prince, 1931). Désilus n'a pas étudié l'histoire, mais il comprend que

Il y a cent ans on les avait foutus à la mer à coup de fusil dans le cul. Mais les voici revenus, ces fils de chiens de blancs américains. (Paris, E.F.R., 1972, p. 103.)

[301]

Dans Viejo, de Maurice Casséus (Port-au-Prince, 1935), le personnage éponyme revient en Haïti pour voir un officier américain se promener sous le péristyle du Palais national. Un compatriote lui explique :

Oui, un colon, un colon encore, et à qui on ne marchanda même pas le prix de la terre. [...] L'autre aussi était contre toi, celui d'avant 1804 (p. 7).

Dans Jésus ou Legba ? (Poitiers, 1933), Milo Rigaud prétend que,

à l'instar du cruel colon Caradeux [tristement célèbre au temps de la colonie], certains lieutenants américains auront déjà dressé des dogues affamés qui, lancés sur les premiers récalcitrants, les mangeront (p. 104-105).

Et enfin, toujours dans Viejo, André David convoque ses amis à une manifestation contre les Américains en leur disant :

Vous connaissez tous la chanson, n'est-ce pas : Dessallines pas vlé oué blancs [Dessallines ne veut pas voir les blancs]. Eh ! bien, ce soir, je vous attends tous au Champ-de-Mars, nous allons prouver à ces cochons que nous sommes toujours les mêmes héritiers de 1804... (p. 96-97).

Et ce n'est pas par hasard que la poésie haïtienne pendant l'occupation se caractérise en ce qui concerne la forme par le raffinement linguistique (extrême correction syntactique, et lexique recherché à la manière des Parnassiens et des Symbolistes) et, du point de vue thématique, par le rappel fréquent des prouesses accomplies pendant la guerre de l'Indépendance pour libérer le sol natal. Double mouvement, marquant l'appartenance à une francophonie « auto-valorisée » et, sous couleur d'exaltation d'un héroïsme passé, appel à l'action politique contre un nouvel ennemi.

Une dernière remarque : nous avons vu que, jusqu'à l'occupation, il y a très peu de personnages américains dans les lettres haïtiennes. C'est le plus souvent aux qualités et aux défauts du peuple « yankee » que l'on se réfère ; les Virginiens qui exécutent John Brown ou le capitaine qui remercie l'Éternel après avoir fraudé la douane ont valeur emblématique. À partir de 1915 commenceront à être décrits des individus, dont l'on détaillera non seulement la psychologie mais aussi le physique. Dans la mesure où établir le « portrait-robot » de l'Américain a un sens, deux de ses particularités méritent d'être signalées : il a le teint rouge et les yeux verts.

Smedley Seaton est « un jeune officier [aux] yeux verts » tandis que son compatriote Walter Kelsey, tortionnaire au [302] Pénitencier national, a « un masque bestial, couleur de carotte [...] éclairé par deux horribles petits yeux verts » (S. Alexis, op. cit., p. 123, 107) ; les Américains sont « frais et rouges comme des tomates mûres » (A. Mathon, Le Drapeau en berne, Port-au-Prince, 1974, p. 18) ; le négociant Mr. Long, « rouge comme un coq, [...] ressemble à un homard échaudé » (M. Chauvet, op. cit., p. 59) ; le docteur McLeslie « passait pour assez négrophile [...] malgré sa tignasse blonde et ses yeux verts » (M. Cass.us, op. cit., p. 100) ; le colonel Little est « la Mason-Dixon line en personne avec [...] sa rougeur qui reflète des bûchers » (Jean Brierre, Province, Port-au-Prince, 1935, p. 192) ; le lieutenant Wheelbarrow de Jacques-Stéphen Alexis a les yeux « glauques » (Romancero aux étoiles, Paris, 1960, p. 183) ; le Conseiller financier des États-Unis a « un visage au profil aigu, qu'illuminaient des yeux verts » (F. Courtois, Scènes de la vie port-au-princienne, Port-au-Prince, 1975, p. 222) et ainsi de suite.

La rougeur du teint est compréhensible : les Américains sont décrits comme des nordiques invariablement blonds ou roux, donc à la peau très blanche et sensible à l'action du soleil tropical. Cette rougeur a en outre une valeur symbolique, associée à l'orgueil, à la colère et aux appétits bestiaux. Enfin, les occupants font une consommation immodérée de rhum, preuve supplémentaire d'hypocrisie pour des gens qui ont imposé chez eux le régime de la Prohibition : l'abus de l'alcool contribue à la rougeur de leur teint. Jacques Roumain les montre « rouges d'alcool et de morgue, se pavanant dans leurs luxueuses conduites intérieures » (Les Fantoches, Port-au-Prince, 1931, p. 76).

Les yeux verts sont d'autant plus surprenants que tous les Américains dont la couleur des yeux est indiquée les ont verts. À une exception près : la petite Hélène, fille de Madame Gaby dans Mambo, de Maurice Casséus (Port-au-Prince, 1950), qui les a bleus. Il est difficile de croire à une simple coïncidence. La seule explication que je proposerais — sous toutes réserves — est que dans la mythologie des Haïtiens les yeux verts (rares mais non inexistants chez les Noirs et les Mulâtres) sont associés au pouvoir maléfique. Consciemment ou inconsciemment, les écrivains auraient ainsi doué les personnages américains d'un trait physique que la superstition tient pour inquiétant. Peut-être est-ce parce que son [303] jeune âge est un gage d'innocence que la petite Hélène a les yeux bleus ; quant à sa mère, nous ne serons pas surpris d'apprendre que « le vert de ses yeux étincelait d'une étrange façon » (op. cit., p. 103).

Entre les origines et la fin de l'occupation, les États-Unis et les Américains ont d'abord constitué pour les Haïtiens une entité inconnue ou méconnue, ensuite un danger, enfin une présence humiliante et détestée. L'image de l'Amérique puissante, matérialiste et expansionniste, et des Américains cupides, racistes et brutaux se retrouvera dans les lettres haïtiennes après l'occupation, et il serait fastidieux de documenter leur permanence. Je me bornerai à dégager ce qui me paraît nouveau dans les deux périodes qui nous restent à examiner et qui vont l'une de 1935 à 1960 environ, l'autre de 1960 à nos jours.

*   *   *

La première période est marquée par un glissement idéologique à partir du nationalisme vers la revendication de la Négritude, glissement favorisé, au sein de l'élite intellectuelle, par les écrits de Price-Mars et de ses disciples. On commence désormais à s'intéresser à l'Afrique et à se solidariser avec les Africains colonisés et leurs descendants opprimés dans le Nouveau Monde. Et aux États-Unis en particulier. Ce n'était que justice : les intellectuels Noirs américains avaient protesté contre l'occupation d'Haïti ; en 1920, James Weldon Johnson avait publié dans The Nation une série d'articles retentissants ; Langston Hughes, futur traducteur, avec Mercer Cook, de Gouverneurs de la rosée, avait visité Haïti et composé (en collaboration avec Arna Bontemps) Popo and Fifina, Children of Haiti en 1932 ; le premier livre sérieux sur le vodou, Tell My Horse, de l'écrivain noire américaine Zora Neale Hobson, avait paru en 1938.

Certes, les écrivains haïtiens avaient depuis toujours dénoncé le préjugé de couleur, la ségrégation et le lynchage aux États-Unis. Mais, comme on l'a vu, c'était avec un certain sentiment de supériorité, avec une compassion légèrement dédaigneuse pour ces frères noirs qui n'avaient pas conquis leur liberté, encore moins leur indépendance. Après avoir subi chez eux ce que les Noirs américains ne connaissaient que [304] trop bien, les écrivains haïtiens modifièrent leur optique. Surtout que dans le domaine des lettres, particulièrement respectées en Haïti, plusieurs écrivains de la « Harlem Renaissance »n avaient atteint à une réputation mondiale. Cela explique que les jeunes intellectuels haïtiens « connaissaient par coeur les vers de Langston Hughes traduits par René Piquion » (Félix Morisseau-Leroy, Récolte, Port-au-Prince, 1946) [7]. Aux yeux des Haïtiens, les États-Unis devenaient aussi le pays où des Noirs, soutenus par la fraction progressiste de l'opinion publique blanche, luttaient pour la dignité et atteignaient à l'égalité dans le domaine de l'esprit.

Les analyses des États-Unis que font les intellectuels haïtiens vont être informées par les idéologies de gauche auxquelles bon nombre d'entre eux s'étaient ralliés. Les Américains, même racistes, ne sont plus vus seulement comme des êtres malfaisants par nature, mais aussi comme des rouages, le plus souvent inconscients, de la grande machine capitaliste. Déjà Roger Sinclair, le héros du Nègre masqué de Stéphen Alexis (1933), avait laissé la vie sauve à un soldat américain prisonnier en déclarant :

Ce pauvre enfant [...] est innocent. Il est aussi un esclave. C'est Wall-Street qui l'a expédié ici pour garantir ses rapines (p. 144).

Et Jacques Roumain, fondateur du Parti Communiste haïtien, explique en 1939 que

[...] le préjugé de race manié à la fois comme un instrument de division, de diversion et de dérivation, permet l'asservissement de larges couches de la population blanche des États-Unis.
(J. Roumain, « Griefs de l'homme noir »,
La Montagne ensorcelée, Paris, 1972, p. 193 ;
1re éd., Port-au-Prince, 1939.)

En même temps, des écrivains noirs francophones, René Maran, Guy Tirolien, Léon Damas, Paul Niger, Aimé Césaire, révélaient aux Haïtiens que l'image idéalisée qu'ils se faisaient de la France ne correspondait pas à la réalité. Dans Les Arbres musiciens (Paris, 1957), Jacques-Stéphen Alexis nous fait assister à un déjeuner offert par l'ambassadeur des États-Unis à l'archevêque (français) de Port-au-Prince, qu'il désire associer au projet d'exploitation du sisal par la S.H.A.D.A. (Société haïtiano-américaine de développement agricole). Les deux compères s'entendent comme larrons en foire car

[305]

L'un n'avait à la bouche que les mots de liberté, de démocratie, d'aide fraternelle et de civilisation occidentale, l'autre ceux de paradis, de bonté, de charité et d'amour, mais ils avaient le même dénominateur commun : ils adoraient se carrer et faire la loi chez les autres (p. 77).

Les jeunes intellectuels haïtiens comprennent désormais que la vision manichéenne de l'étranger selon laquelle l'Amérique représentait le Mal absolu et la France incarnait le Bien était par trop simpliste. Le fait que les Américains avec les Français... et les Soviétiques avaient lutté côte à côte contre les nazis qui se réclamaient d'idéologies racistes ne fut pas étranger à cette prise de conscience. L'alliance contre l'ennemi commun explique sans doute qu'en 1945 Ludovic Rosemond ait pu livrer au public haïtien un panégyrique délirant des États-Unis où il n'hésite pas à affirmer que

À base des moindres efforts de ce grand peuple dominent la Charité et l'Altruisme. Pays de lumière ! Pays de générosité ! Pays de bien-être !
(L. Rosemond, Haïti et les États-Unis,
Port-au-Prince, 1945, p. 9.)

Quoi qu'il en soit, cette vision plus nuancée des choses se reflètera bien entendu dans la littérature. Par exemple, en évoquant les temps de l'occupation, et plus particulièrement les « marines » en bordée, Jacques-Stéphen Alexis écrit dans L'Espace d'un cillement (Paris, 1959) :

Ils sont comme ça, les marines, tout ivrognes, tout frénétiques, tout racistes qu'ils sont. Leurs raptus délirants, leurs amoks libidineux et même leurs cruautés mentales sont traversés d'éclairs généreux, d'enfantillages charmants et de gestes idéalistes. .a, c'est la moindre étrangeté du peuple bon enfant et généreux de l'Union étoilée (p. 134).

Et, tout en condamnant les aberrations racistes qui les déshonorent, Jacques Roumain rend hommage au peuple américain et à son président :

Comment ce peuple admirable, [...] comment ce peuple dont chaque jour nous admirons en Roosevelt la générosité et le courage, peut-il ainsi mêler la lumière et l'ombre, la démocratie et le Ku-Klux-Klan, la liberté et le lynchage, la clairvoyance intellectuelle et le préjugé de couleur ? (Op. cit., p. 198-199.)

C'est également pendant cette période que des chercheurs américains se penchèrent sur la société haïtienne et l'analysèrent avec sérieux et objectivité. On pense à Herskovits (Life in a Haitian Valley, 1937), à Leyburn (The Haitian People, 1941), à Katherine Dunham (The Dances of Haïti, 1947). Voilà qui était un changement bienvenu en regard de reportages [306] tendancieux et malveillants comme le trop célèbre Magic Island, de W.B. Seabrook (1929) [8], ou le Black Bagdad, de J.H. Craige (1933). Dans les années 40, le peintre Dewitt Peters et l'évêque anglican Alfred Voegeli encouragèrent la jeune peinture populaire haïtienne. En 1956, le docteur Mellon fonda l'hôpital Schweitzer pour les paysans de l'Artibonite. À ces Américains venus en Haïti pour comprendre et non plus pour dénigrer, les Haïtiens rendirent hommage. Herskovits est même l'original de l'anthropologue Phillips Benfield, l'un des héros du roman de Jean-Baptiste Cinéas L'Héritage sacré (Port-au-Prince, 1945).

C'est chez les écrivains haïtiens de cette période que commencent à se manifester non seulement l'influence de la littérature américaine, mais aussi celle de l'anglais dans le parler des Haïtiens. Ainsi, dans Les Arbres musiciens, Jacques-Stéphen Alexis se moque du chef d'état-major de l'armée haïtienne, qui affecte de parler comme un diplômé de West Point :

Ainsi, avant les parades militaires, parlant à son « boy », il disait toujours :
— Hé, petit boy ! Faites seller mon « horse » !
Aux « meetings » de l’état-major, méchant inlassablement sa chique, il jetait invariablement aux rapporteurs :
— Well ! O.K. !... Faites donc faire un « Survey » !... Pour dire bonjour, c'était :
— Hello, guys !... (p. 159)

Mais il n'y a pas que les militaires à se familiariser avec l'anglais : les étudiants eux aussi en sentent la nécessité, puisque c'est désormais dans les universités des États-Unis qu'ils préfèreront poursuivre leurs études :

Les plus grandes couveuses de « master of » étaient les universités de Columbia, de Fisk et de Yale. [...] On se refilait des tuyaux sensationnels :
— À Columbia, on devient M.A. (comprenez Master in Arts) en deux mois et demi...
— Tu parles ! J'ai été reçu Master of Science de Fisk University en soixante-cinq jours et quart !
— Et moi Master in Art, Bachelor of Technology de Yale, le tout en deux mois tout juste... (Id., p. 158.)

*  *  *

[307]

Ce qui nous amène à la dernière période à considérer, celle qui va de 1960 environ à nos jours. Elle est placée sous le signe de la diaspora : pour des raisons politiques, bon nombre d'écrivains sont acculés à l'exil : Francis-Joachim Roy et Jean Brierre ; Roger Dorsinville et Marie Chauvet ; Anthony Phelps et René Belance ; Franck Fouché et Félix Morisseau-Leroy ; Francis Séjour-Magloire et Gérard Etienne... bien d'autres encore. Par ailleurs, la dégradation rapide de la situation économique pousse les Haïtiens de toutes conditions sociales à quitter le pays. Cette émigration massive se fait surtout vers les États-Unis. D'importantes colonies haïtiennes se constituent à New York, à Miami, à Boston. On estime à plus de 200 000 les Haïtiens actuellement aux États-Unis [9].

L'émigration massive a eu deux conséquences. La première est une meilleure connaissance des réalités américaines, tirée non plus de livres et d'Américains de passage mais directement, et acquise pour ainsi dire in situ. Rares désormais sont les Haïtiens de l'élite qui n'ont pas séjourné aux États-Unis ; rares sont les familles haïtiennes qui n'y ont pas un ou plusieurs de leurs membres, dont ils reçoivent des nouvelles et, à l'occasion, des visites. Dans cette Amérique de l'émigrant, tout n'est pas parfait, loin de là. Mais au moins il y existe des écoles gratuites et des services sociaux ; mais au moins les Haïtiens, comme les émigrants européens qui les ont précédés, peuvent espérer, au prix de dures épreuves, la survie économique et l'intégration sociale. Même si les États-Unis ne sont pas l'Eldorado, l'émigration représente désormais une option possible. Dans Mur à crever, de Frank Etienne (Port-au-Prince, 1968), une dame haïtienne qui a envoyé son fils aux États-Unis explique :

L'important c'est d'avoir un pied là-bas. .a procure des avantages. Il nous ouvrira ainsi la route des grandes cités industrielles. Sous peu, toute la famille se fixera à New York. Je ne demande pas mieux. Ici, la vie est devenue im-posss-sible (p. 143).

Dans le même roman, un personnage accepte d'épouser une jeune fille enceinte d'un autre homme, car

La fille part bientôt pour New York. Depuis longtemps, Roland voulait se rendre aux États-Unis. Ce mariage est une affaire inespérée. C'est le plus sûr moyen pour lui d'obtenir un visa de résidence (p. 78).

L'antichambre du consulat américain devient un lieu privilégié, où les Haïtiens attendent anxieusement leur destin. Là [308] comme partout, l'inégalité règne ; comme le montre Liliane Devieux-Dehoux dans L'Amour, oui, la mort, non (Sherbrooke, P.Q., 1976) :

Un monsieur distingué se lève, prend sa serviette de cuir, rectifie son nœud de cravate, salue la secrétaire [...] et entre avec elle dans le bureau. Il est appelé, Monsieur Bardier. Il sera sans doute admis, grâce à son curriculum vitae impeccable, ses diplômes, ses garanties matérielles et morales. Il partira lui aussi, il trouvera un bon job — si le racisme ne l'en empêche pas — il s'adaptera à l’american way of life, il accumulera des dollars, il prendra racine sur le sol étranger. Mais l'homme et la femme qui bâillent et soupirent dans ce coin-là ! Mal vêtus, mal chaussés, n'ayant sans doute pour tout bien que leurs mains nues, quand est-ce qu'ils seront appelés ? (p. 49)

L'ingérence des États-Unis dans les affaires d'Haïti prend une nouvelle forme : Pour empêcher l'expression d'idées opposées à leur politique, Roger Gaillard explique, dans Charades haïtiennes (1972), qu'ils peuvent menacer de refuser les visas, « les inestimables visas » :

Si vous êtes contre nous, disent ces tremblants Messieurs de l'Ambassade, vous ne foulerez pas le sol de la Nouvelle-Atlantide ; on vous la ferme au nez, la porte du Paradis ! [...] Car sans visas, tout est perdu. On ne peut pas partir pour se faire soigner dans un centre évolué, ni pour trouver un emploi éventuel. On ne peut même pas envoyer ses enfants poursuivre là-bas des études supérieures ! (p. 206-207)

La vie en Amérique était jadis imaginée comme inhumaine et difficilement supportable pour un Haïtien. Et cette image péjorative persiste encore, surtout chez les écrivains qui composent depuis l'exil. Mais, pour bien des auteurs haïtiens, l'Amérique a sa beauté, et il n'est pas impossible d'y trouver le bonheur. Dès 1935, dans Viejo, Maurice Casséus avait chant. Harlem, où Claude Servin

[...] avait connu une vie ineffable. Il se laissait aller à songer à Harlem. Harlem, et les cabarets, le soir, où le jazz saigne sa mélancolie, et la petite Américaine couleur de sépia brûlé qu'il avait aimée toute une saison ! Une nostalgie désespérée l'empoignait... (p. 63)

Et, dans Compère général Soleil, de Jacques-Stéphen Alexis (Paris, 1955), un patron de bar évoque New York :

Ça c'était une ville ! Des dollars, il y en avait comme les étoiles du ciel. Et puis des lumières. Ça gronde, ça ronfle, une ville merveilleuse (p. 207).

Dans cette optique, une oeuvre parue récemment à Port-au-Prince est significative. Il s'agit d'un recueil de six nouvelles que Marie-Thérèse Colimon a intitulé Le Chant des sirènes (éd. du Soleil, 1979), et qui traitent toutes de l'émigration, [309] considérée parfois comme un pis-aller mais le plus souvent comme un idéal ardemment poursuivi. Une femme est abandonnée par son mari, qui est parti faire fortune « New York, sur cette terre bénie où le chômage est inconnu » (p. 54), et qui ne lui enverra jamais ni visa ni argent. Une vieille dame meurt seule, loin de ses enfants tous établis depuis longtemps à New York, à Chicago, à Boston, à Los Angeles. Une fillette pauvre, humiliée par ses camarades plus aisées, ne rêve qu'au jour où ses parents, partis clandestinement pour Miami, l'appelleront au pays du frigidaire et du « supermarket ». Toutes les filles de Madame Deltour sont à l'étranger : Marie-Odile, retardée mentale, la honte de la famille, hospitalisée quelque part en France ; Claudia, l'émancipée, partie aux États-Unis où « la liberté de moeurs est monnaie courante » : elle a fait fortune « quelque part du côté de la Californie » et en est à son troisième mariage ; Michelle, cardiologue distinguée, exerce à Toronto après avoir été formée dans un grand centre américain ; Alexandra était tombée amoureuse de l'héritier des Ibrahim, grande famille de commerçants d'origine syrienne. Les préjugés de leurs familles respectives s'étant opposés à  leur mariage, les amoureux « étaient partis sans mot dire vers la grande terre accueillante et libérale où le droit de s'aimer s'achète aisément » (p. 117). Et Madame Deltour constate que

[...] nous sommes devenus une sorte de peuple en transit, toujours prêts, comme des hirondelles, à nous envoler vers des cieux plus cléments (p. 107).

Dans un style que d'aucuns pourraient trouver désuet, l'auteur dénonce une société qui force ses membres à chercher le bonheur hors des frontières. Ce n'est pas cette condamnation qui est notre propos mais son corollaire : la vision idyllique des États-Unis qui est désormais celle de bien des Haïtiens. Aussi ne nous .tonnerons-nous pas de voir les personnages de Colimon qualifier les États-Unis de « grand et secourable pays », de « Terre Promise », de « pays convoité », de « Paradis », de « grand et trépidant carrousel », de « pays avancé qui permet [à l'intelligence] de s'épanouir », de « pays béni » et ainsi de suite, sans la moindre ironie.

De l'émigration massive, Colimon souligne l'autre conséquence qui nous intéresse : « l'engouement obstiné de la langue anglaise », bien compréhensible à partir du moment où [310] l'on rêve de s'établir à New York ou à Chicago. Bien compréhensible également que des expressions anglaises se glissent dans la langue maternelle de ceux qui sont partis depuis longtemps. Ainsi Claudia Deltour, qui parle désormais

[...] avec un accent américain, fort marqué, ponctué d'ailleurs de termes anglais (je vais faire un call... je vais cancel ma réservation... je suis très busy, any way, je viendrai te voir... go...), (p. 98)

Ainsi Adrienne Sarty, dont les lettres à son amie Silotte sont truffées de mots tels que « over-time », « subway », « lunch au snack bar », « market », « drug store », etc. Mais il y a plus : l'anglais envahit le parler même de ceux qui sont restés au pays. Ainsi la vieille Maman Ya, dont tous les enfants ont émigré et qui

[...] avait enrichi son vocabulaire de termes nouveaux et gonflés de mystérieuses promesses : Elle n'avait à la bouche que « traveller check », « transfer », « long distance », « collect » et autres mots à consonances bizarres (p. 77).

Le significatif est que Colimon n'a pas besoin de traduire ou d'expliquer ces « mots à consonances bizarres » pour le lecteur haïtien. Pas plus d'ailleurs que Jean-Claude Charles qui, dans Sainte dérive des cochons (Montréal, 1977), n'hésite pas à faire usage de l'anglais, dans le passage suivant, par exemple, où un Américain s'adresse au narrateur :

[...] je suis allé là-bas j'ai rencontré votre peuple je l'ai vu vivre hou la la quelle allégresse hou la la et puis ce sens de l'hospitalité hou la la et puis votre peinture naïve hou la la lot of geniuses such as the douanier rousseau in france or fred smith or you know the school of hlebine in yugoslavia hou la la that prooves [sic] that idealism is the only one strong leg on which a better world will stand voyez-vous... (p. 69)

Et l'on remarque également cette présence de la langue anglaise dans les oeuvres écrites en créole. Nous n'en voulons pour preuve que la pièce de Frankétienne Pélin-Tèt (Port-au-Prince, 1978), qui se passe à New York et dont les personnages sont des émigrés. La contamination du créole par l'anglais a été relevée par l'humoriste Maurice Sixto dans l'anecdote intitulée Youn lot lang (« une nouvelle langue ») de son disque Choses et gens d'Haïti. Tant la pièce que le disque ont eu beaucoup de succès en Haïti, bien que connaître l'anglais (ou du moins de l'anglais) soit indispensable à leur compréhension.

Encore une fois, ce n'est pas dire que l'image péjorative des États-Unis et des Américains ait disparu, loin de là. Pour des [311] raisons idéologiques ou tout simplement à cause d'incompatibilités affectives, des écrivains haïtiens continuent à dénoncer, en créole comme en français, leur puissant voisin. Mais il est difficile de nier qu'en même temps les Etats-Unis sont imaginés comme un pays où l'individu peut aller chercher le bien-être et la liberté, et où il n'est pas impossible de trouver des satisfactions spirituelles et esthétiques. L'« American way of life », que les Haïtiens adoptent non seulement en diaspora mais en Haïti même, dans la mesure où l'américanisation s'y implante de plus en plus, a pour conséquence la diffusion croissante de l'anglais dans la vie quotidienne. Cette évolution commence déjà à se manifester dans les lettres. Pour bien comprendre la plupart des oeuvres haïtiennes de langue française, une certaine connaissance du créole s'imposait jusqu'ici. Faudra-t-il bientôt avoir de surcroît des notions d'anglais pour lire les écrivains haïtiens ? Caractérisée jusqu'à présent par la diglossie, la situation linguistique en Haïti est-elle appelée à devenir triglossique ? L'avenir le dira, mais ce n'est en tout cas pas une hypothèse absurde.

Princeton University.



[1] Voir Ludwell L. Montague, Haïti and the United States, 1714-1938, Durham, N.C., 1940, Ch. IV : « Negro Colonization ».

[2] Le professeur Maurice Lubin me signale également, de Jean-Baptiste Romane, une Êpître à Mademoiselle Frances Wright (Port-au-Prince, 1830), que je n'ai pu me procurer.

[3] Un siècle et demi plus tard, Félix Morisseau-Leroy constatera amèrement :

plisse gouvernement prend cob méricain

plisse pèp haïtien pauve

faut crè cob méricain gan madichon [...]

plisse minisse manger cob méricain

plisse pèp haitien pauve

[plus le gouvernement prend de sous américains

plus le peuple haïtien est misérable

faut croire que les sous américains portent malheur [...]

plus les ministres s'empiffrent de sous américains

plus le peuple haïtien est misérable]

(Diacoute 2, Montréal, s.d. XXV)

[4] II s'agit de Frederick Douglass, qui fut ministre des États-Unis à Port-au-Prince de 1888 à 1891.

[5] Pradel Pompilus, La Langue française en Haïti, Paris, 1961, p. 200-239.

[6] Pour plus de détails, on voudra bien se reporter à mon article « L'étranger dans le roman haïtien », L'Esprit Créateur, XVII, 2, Summer 1977, p. 83-102.

[7] Sur la diffusion des lettres américaines en Haïti, voir Naomi M. Garret, The Renaissance of Haitian Poetry, Paris, 1963.

[8] La traduction du livre de Seabrook, préfacée par Paul Morand, parut à Paris en 1929 et provoqua l'indignation justifiée des Haïtiens (voir le compte rendu détaillé de Jean Price-Mars dans Une étape de l'évolution haïtienne, Port-au-Prince, s.d. [1929], p. 153-188). Seabrook apparaît ou est pris à partie dans plusieurs romans haïtiens : Le Joug, d'Annie Desroy, et La Blanche Négresse, de Mme Virgile Valcin, entre autres.

[9] Pour des raisons évidentes, les intellectuels en général et les écrivains en particulier préfèrent s'établir au Québec, où plusieurs maisons d'éditions accueillent leurs manuscrits. Sur les soixante-quatre poètes représentés dans l'anthologie de S. Baridon et R. Philoctète Poésie vivante d'Haïti (Paris, 1978), trente-trois résident ou sont morts à l'étranger : seize au Canada et sept aux États-Unis.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 14 janvier 2013 19:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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