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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Denise Helly, “Pourquoi lier citoyenneté, multiculturalisme et mondialisation?” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Mikhaël Elbaz et Denise Helly, Citoyenneté, multiculturalisme et mondialisation, Québec/Paris, Les Presses de l’Université Laval/L’Harmattan, 2000. Pp. 223-256. [Autorisation formelle accordée le 11 février 2008 par l’auteure de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Denise Helly

Anthropologue, chercheure, INRS culture - société 

Pourquoi lier citoyenneté, multiculturalisme et mondialisation? 

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Mikhaël Elbaz et Denise Helly, Citoyenneté, multiculturalisme et mondialisation, Québec/Paris, Les Presses de l’Université Laval/L’Harmattan, 2000. Pp. 223-256.
 

Introduction
 
I. Limites de la solidarité sociale et du pouvoir de l’État ?
 
1.1. La transformation du marché du travail et la montée des inégalités socio-économiques
1.2. La mondialisation, seule coupable ?
1.3. Un nouveau « contrat social »
 
2. Une citoyenneté active et responsable
 
2.1. L’expansion de l’idéologie des droits individuels
2.2. Les formes de la participation sociale
 
3. Les guerres culturelles
 
3.1. La fin des cultures populaires nationales
3.2. La montée des contestations régionalistes
3.3. Égalité et diversité culturelle
 
4. Un nouveau mode de régulation internationale
 
Conclusion
Références bibliographiques

 

Introduction

 

Depuis la fin des années 1970 [1], mondialisation, citoyenneté et différences d’histoire et de culture composent une trilogie selon deux présentations contradictoires de l’importance croissante de transactions financières et de productions de biens par des réseaux internationaux plutôt que nationaux. Selon une interprétation, cette mondialisation a des effets bénéfiques. Elle rétablit la loi de la concurrence entre les individus, les entreprises et les États ; elle met de l’avant la liberté d’action économique et culturelle et la règle de l’allocation des places selon le mérite ; elle réduit le rôle trop coûteux et étendu de l’État dans les sphères économique et sociale et elle annonce une ère de nouvelle croissance économique. Selon une autre interprétation, cette mondialisation signe le triomphe de la logique du marché et son recouvrement de la vie collective, sociale, culturelle et politique ; elle affaiblit le pouvoir des États nationaux, réduit le sens du vivre ensemble, rend dérisoire l’exercice démocratique et citoyen et encourage les particularismes régionaux et communautaires. Ces deux schèmes d’explication ont en commun de présenter la nouvelle forme d’expansion capitaliste comme un processus linéaire mené par le marché. Pourtant ce processus n’est pas unidimensionnel, les acteurs sur la scène de la mondialisation sont nombreux, leur pouvoir inégal et leurs interactions à des échelles diverses. Multinationales, économies nationales, continentales et régionales, organisations étatiques et internationales, catégories sociales et rapports politiques et culturels fort différents interviennent, et ne s’intéresser qu’à un seul aspect de leurs relations relève d’un « fondamentalisme » comme l’écrit Robertson (1992 : 28). 

La mondialisation des échanges contribue en fait à transformer des dynamiques ayant assuré une relative stabilité sociale des sociétés occidentales depuis l’après-guerre. En produisant de nouvelles inégalités socio-économiques, elle porte à interroger le rôle de l’État-providence comme acteur de la solidarité collective, ainsi que la définition de la citoyenneté comme précepte égalitaire ; en accentuant l’ouverture des frontières, l’extension des communications et l’accès aux marchés extérieurs, elle amenuise les liens entre les États centraux et les économies régionales et active des conflits nationalitaires historiques ; en rendant plus nette la perception d’une différenciation sociale et culturelle croissante, elle questionne la citoyenneté comme catégorie rassembleuse d’individus de toutes histoires et cultures et réduit l’imagerie homogénéisante de la nation ; enfin, elle participe d’une mutation des relations internationales et de la consolidation d’une éthique des droits de l’Homme qui limite le pouvoir de contrôle des individus par les États.

 

1. Limites de la solidarité sociale
et du pouvoir de l’État ?

 

1.1. La transformation du marché du travail
et la montée des inégalités socio-économiques

 

Les constats sur la montée depuis vingt ans des inégalités socio-économiques et la stagnation, voire le déclin, du pouvoir d’achat de catégories salariées abondent (entre autres, Bihr et Pfefferkorn, 1995 ; Cline, 1997 ; Atkinson, 1998 ; Fox Piven et Cloward, 1998 ; Yalnizyan, 1998 ; Friedman, B.1998). En 1994, il était fait état de 60 millions de pauvres sur 300 millions d’habitants aux États-Unis et de 52 millions sur 300 millions d’habitants dans l’Union Européenne, le Royaume Uni représentant le cas le plus significatif : 13,9 millions pour une population de 60 millions (Petrella, 1997). La proportion des salariés pauvres a quasi doublé en quinze ans dans les pays de l’OCDE en raison de la progression du travail à temps partiel accepté faute d’emploi à temps plein, ainsi que de la multiplication des emplois intérimaires ou temporaires mal rémunérés (Bureau of Labor Statistics, 1997 : tableau A-7 ; Concialdi et Pontieux, 1997 ; Robert, 1998). 

Cette mutation du marché du travail a créé une nouvelle hiérarchie d’occupations qui peut porter à parler d’économies duales. Depuis les années 1960, les emplois en demande et en hausse dans les économies occidentales sont des emplois tertiaires, dont 40% dits « d’élite » ou professionnels [2] et fortement rémunérés requièrent pour le moins une scolarité universitaire de deux à trois ans, la maîtrise de l’application des technologies informatiques, une forme de créativité permanente et l’analyse d’informations ; ces emplois concernent la création de nouveaux produits et la gestion et ils ne seront pas supprimés à l’avenir par l’informatisation croissante des tâches. Une seconde catégorie d’emplois, dont l’informatisation peut réduire le nombre, dépend directement des précédents, leurs détenteurs étant les exécutants subalternes des professionnels. Enfin, une troisième catégorie comprend des emplois qualifiés, stables mais menacés de déqualification par les changements technologiques et la concurrence de marchés de main d’oeuvre moins coûteux (emplois d’exécution dans l’industrie et le commerce), ainsi que des emplois non-qualifiés, faiblement rémunérés et précaires car soumis aux aléas de la demande et peu productifs de plus-value. Aux États-Unis, le fossé entre les revenus de ces trois types d’emploi ne fait que s’élargir depuis 1979 (Carnevale et Rose, 1998 [3]).

 

I.2. La mondialisation, seul coupable ?

 

Les causes et les effets sociaux de cette transformation du marché du travail sont entrevus différemment. Un courant dit néo-libéral considère la mutation de la structure des emplois comme un produit de changements technologiques (robotisation, informatisation) et de la fin des politiques protectionnistes ; il envisage une évolution similaire à celle enclenchée par la révolution industrielle de la fin du XIXè siècle lorsque la mécanisation de la production supprima des emplois et en créa d’autres en nombre équivalent, sinon supérieur, vu le besoin de nouvelles machineries et infrastructures. Il avance qu’un processus semblable est à l’oeuvre alors qu’une partie de la main d’oeuvre industrielle est mise au chômage et que le secteur des services croît en raison de nombre de besoins individuels non satisfaits. Aussi considère-t-il positifs les effets de la nouvelle concurrence internationale, car ils permettent l’élimination de secteurs et d’unités de production peu productifs de plus-value et augmenteront à long terme les bénéfices des entreprises et les revenus des individus, et conclut-il encore que les États ne sauraient entraver cette évolution mais plutôt la favoriser en répondant aux besoins des entreprises soumises à la nouvelle concurrence internationale et nécessitant une plus grande flexibilité du travail et une réduction des charges sociales. Selon ce point de vue, la protection sociale doit être assujettie aux impératifs de la rentabilité financière des unités de production et aux recettes, variantes, de l’État. 

Un second courant affirme que le déversement d’emplois vers le tertiaire n’aura pas lieu, car la production de nombre de services intègre actuellement des technologies réductrices du temps de travail et de l’emploi (finances, banques, assurances, gestion). Certains parlent de chômage massif à venir (Club de Rome) ou encore de société sans travail (Rifkin, 1995). D’autres défendent la promotion d’une économie sociale, solidaire ou de proximité (Laville, 1994), créatrices d’emplois et répondant aux besoins sociaux non couverts par le marché en raison de leur faible solvabilité (garde d’enfants, aide aux personnes âgées, alphabétisation, assistance scolaire, protection de l’environnement, services d’intérêt local et communautaire). Un dernier courant (Barber, 1996 ; Bourdieu, 1998 ; Ramonet, 1997 ; Petrella,1996) invoque la puissance de firmes internationales financières et industrielles annulant la capacité d’intervention égalisatrice des États, réduisant leur souveraineté et leur imposant un modèle de gestion économique similaire [4]. Il demande un contrôle et une taxation des activités de ces firmes qui permettrait de maintenir les politiques de redistribution (taxe Tobin sur les transactions financières internationales, par exemple). 

Nombre d’économistes voient dans les changements technologiques réduisant le temps de travail (Marchand, 1992 ; Rigaudiat, 1993 ; Krugman, 1998), dans la concurrence accrue des marchés de main d’oeuvre nationaux (Friedman, B. idem) et dans la mutation structurelle des marchés de l’emploi (Carnevale et Rose, 1998), des processus dont les effets sociaux inégalitaires auraient pu et pourraient être atténués par les États. En effet, si la mondialisation soutient des changements de la production et de l’emploi en concentrant les activités de hautes technologie et plus-value dans les économies occidentales et en marginalisant les mains d’oeuvre les moins qualifiées, elle transforme aussi le rôle des marchés de consommation. Les classes moyennes ne sont plus le marché de base des économies nationales, et le rôle de la demande internationale plus rentable est plus important que celui de la demande intérieure. Dès lors, les politiques sociales d’après-guerre conçues comme des adjuvants des politiques de relance de marchés nationaux ont perdu leur efficacité [5], mais, bien que ces faits fussent clairs, de nouvelles politiques de redistribution des revenus n’ont pas été et ne sont pas définies malgré, de surcroît, la connaissance de surcroît des effets du vieillissement des populations et des changements technologiques sur les coûts sociaux et l’emploi. En découlent les conséquences sociales et les inégalités croissantes connues en dépit de gains de productivité importants, près de 30% depuis plus de vingt ans (Krugman, idem), ainsi que de gains de rentabilité depuis dix ans (Castells, 1998 : 113). 

De plus, alors qu’on assiste depuis les années 1980 à une réorientation plutôt qu’à une réduction du rôle de l’État en matière sociale vu le pourcentage similaire ou croissant des dépenses sociales dans les budgets publics, des auteurs (Frieden, 1991 ; Sassen, 1996) montrent combien les multinationales dépendent des politiques nationales et combien les États participent activement à la mondialisation économique par leurs politiques d’investissement, de flexibilité du marché du travail, d’innovation technologique, de fiscalité, de privatisation et d’aide aux méga-fusions et aux grandes entreprises. Des économistes récusent d’ailleurs l’affirmation selon laquelle la mondialisation économique annule la capacité d’action particulière de chaque État (Krugman, ibid. ; Boyer et Drache, 1996 ; Bairoch, 1996 ; Cohen, 1996 ; Daguzan, 1998). Si certaines technologies sont effectivement diffusées à l’échelle mondiale, il n’existe pas, selon eux, une forme optimale, néo-libérale, américaine du capitalisme en train de recouvrir le monde, mais il demeure toujours plusieurs formes de capitalismes (rhénan, français, japonais, brésilien, etc.). Sur ce point, J. Friedman (1998, à paraître) propose une analyse de la mondialisation comme d’une contraction de la domination des pôles soviétique et occidental en raison de la désagrégation de l’Union Soviétique et de la multiplication de nouveaux centres d’accumulation de capital, asiatiques notamment. Pareil déclin signifie, selon lui, la fin de l’hégémonie politico-culturelle de ces deux pôles dont les idéologies ne constituent plus des centres de références politiques (communisme ou universalisme abstrait) et des modèles d’intégration, hiérarchique et impérial (empire soviétique) ou national (États occidentaux). Ainsi conçue, la mondialisation génère une multiplication des modèles étatiques illustrée par la consolidation et le fort dirigisme économique des États de l’Asie de l’Est, alors qu’est brandie la perte de souveraineté des États. 

Par ailleurs, en dehors de toute argumentation économique, affirmer que les interventions publiques sont désormais assujetties à une internationale financière relève d’une conception des États comme d’instances de la défense des intérêts et de l’expression de tous les citoyens, et on ne voit guère dès lors comment rendre compte de l’appauvrissement de catégories sociales et de l’enrichissement d’autres depuis vingt ans.

 

I.3. Un nouveau « contrat social »

 

En dépit du poids des décisions politiques prises depuis les années 1970 et qui ne relèvent pas simplement de la mondialisation des échanges et de la production pour expliquer la croissance des inégalités, est souvent pointée la difficulté financière évidente des États-providence à assumer le coût social de la mutation du marché du travail en raison de failles souvent décrites par leurs adversaires dès les années 1960 : non-prise en compte de la limite de taxation possible des catégories nanties, recul de l’autonomie et de la liberté des individus, croissance de leur dépendance de l’État, nécessité d’une responsabilisation de chacun de sa condition sociale (Donzelot, 1984 ; Hirschman, 1991). Et les organisations politiques d’orientation social-démocrate envisagent de nouvelle manière les inégalités sociales en définissant des populations à risque, c’est-à-dire peu aptes ou incapables de faire preuve d’une performance économique et sociale sans assistance de fonds publics. Ainsi en va-t-il de l’argumentaire du plan de refonte de l’État-providence des travaillistes britanniques qui, selon les termes du Secrétaire d’État à la réforme sociale le présentant en mars 1998, liera de façon nouvelle l’État et les individus : l’État se doit de lutter contre la pauvreté et le citoyen de travailler pour assurer sa subsistance, car « il faut sortir les individus de la pauvreté et d’un état de dépendance pour les conduire vers un sens de la dignité et l’indépendance » (De Beer, 1998). Selon cet esprit, une responsabilité d’insertion sociale est demandée aux individus aux prises avec le chômage, la précarité d’emploi et des handicaps d’apprentissage, familiaux ou autres, esprit qu’illustrent les programmes de «parcours d’insertion » pour les jeunes chômeurs (Québec, France, Grande-Bretagne, municipalités italiennes) ou les restrictions d’accès à l’assurance-chômage (Canada, États-Unis). En effet, commente Mead (1997) : « Il faut établir un nouveau contrat social selon lequel les pauvres, notamment les jeunes, obtiendront une aide publique s’ils font quelque chose pour eux-mêmes, soit promettre de demeurer à l’école, cesser d’utiliser des drogues.. ». Sont également avancées, aux États-Unis particulièrement, des notions telles que l’éducation des plus défavorisés à être utiles socialement et l’implication active des communautés locales (associations de quartier) à la vie économique et à la résolution de difficultés sociales de leurs membres. Si telle implication des individus est absente, inaptitude et irresponsabilité portant au retrait de la vie sociale sont invoquées plutôt que pauvreté économique ou marginalisation sociale. Un changement de conception de ce qui était dénommé la justice sociale depuis l’après-guerre, est opéré. 

 

2. Une citoyenneté active et responsable

 

Les politiques sociales d’après-guerre constituaient un point d’ancrage de l’attachement des individus à la collectivité qu’ils forment, ainsi que de leur sens d’une appartenance sociétale. La transformation de ces politiques et la montée des inégalités sociales effritent l’idée d’une solidarité et induisent un questionnement des gouvernements sur de nouvelles formes d’activation des liens entre les membres d’une société et entre ces derniers et l’État. La solidarité et la justice sociales ne constituant plus la base assurée de ces liens comme durant les années 1950-70, une notion, la citoyenneté responsable, est devenue une clé pour revaloriser le lien sociétal et, si le devoir de responsabilité sociale est demandé de manière pressante aux plus démunis, il est également demandé à l’ensemble des individus dans les champs occasionnant des coûts à l’État et aux entreprises (hygiène de vie personnelle, éthique du travail et familiale, revendications catégorielles). 

Depuis une dizaine d’années, en Amérique du Nord et en Europe occidentale (France, Grande-Bretagne notamment), les discours gouvernementaux parlent de cohésion sociale, de lien social et de citoyenneté responsable, soit de la nécessité de voir les individus acquérir une autonomie d’action de l’État, s’impliquer dans la vie collective et développer un sens du vivre ensemble, si ce n’est un sens d’appartenance à leur société (Berger, 1998 ; Commissariat, 1997 ; OCDE, 1997 ; Gouvernement du Canada, Patrimoine canadien, 1997 ; Chambre des Communes du Canada, 1991, 1994 ; Senate of Canada, 1993 ; Nasse, 1992 ; Senate of Australia, 1991 ; Commission on Citizenship, 1990). Et l’État canadien est certainement l’un des plus actifs à tenter d’enraciner un sens d’appartenance collective sociétale vu la faiblesse de sa construction nationale (Bourque et Duchastel, voir article ci-dessus), vu les critiques sur la droite du spectre politique canadien du caractère dit diviseur de la politique multiculturaliste et vu le nationalisme québécois et les revendications autochtones. Depuis le début des années 1990, en sus de l’égalité, de la liberté et du respect de la pluralité culturelle, de l’identité et de la dignité de chacun, des valeurs sous-tendant la citoyenneté canadienne depuis vingt ans, il veut promouvoir de nouvelles valeurs communes, les contacts inter-ethniques, la responsabilité et la participation civiques de tous afin d’ancrer une identité commune et une loyauté au Canada de tous les résidents (Gouvernement du Canada, Patrimoine canadien, 1997). 

Ces discours gouvernementaux montrent au premier chef une préoccupation pour les processus qui créeraient un sentiment de communalité entre les membres d’une société (Thomas, 1997 ; Jenson, 1998 ; Helly, 1999). Ils s’alimentent à des questions : comment mobiliser les citoyens en faveur des transformations structurelles économiques, sociales et culturelles en cours, en une période de recul de légitimité de l’idéologie égalitariste et de son incarnation, l’État-providence, alors que, de plus, semble se manifester un désintérêt croissant à la vie politique ? Comment fomenter la notion de responsabilité sociale et d’appartenance collective afin que les citoyens ne se conçoivent pas comme de simples consommateurs et revendicateurs de droits et de services gouvernementaux et acquièrent la conscience d’être liés par des devoirs et des obligations ? Les instances gouvernementales occidentales s’interrogent sur de nouvelles formes d’intervention créatrices de pareille conscience et, pour l’heure, seuls des programmes d’éducation à la citoyenneté et l’incitation à plus d’implication sociale paraissent faire consensus, alors que la réduction des mécanismes producteurs d’inégalités sociales n’apparaît pas une priorité (Jenson, 1998 ; Bernard, 1999). 

Alors que la plupart des gouvernements occidentaux se préoccupent de cohésion sociale, existe depuis les années 1980 un débat en sociologie et en philosophie politique sur les fondements de la citoyenneté (Kymlicka et Norman, 1994) et du vivre ensemble. La littérature anglophone en la matière parle de sense of common good [6], la littérature franco-française parle plutôt d’exclusion, de désaffiliation sociale et de rupture de lien social sous la pression du chômage et de la précarité [7]. Quant à l’intérêt des sociologues et des politologues pour la participation associative et politique comme école de citoyenneté, il ne date pas des années 1990 mais il s’est accru durant cette période. 

 

2.1. L’expansion de l’idéologie des droits individuels

 

La question de la définition du >bon citoyen’ et du civisme comme condition de l’actualisation de l’idéal démocratique a été posée par les premiers théoriciens du libéralisme politique et du républicanisme. Modération des opinions et des contestations, tolérance, impartialité, empathie ou capacité d’admettre des points de vue différents, intérêt pour la vie politique et publique étaient des vertus utiles à la démocratie pour les Libéraux (Locke, Mill, Smith, Tocqueville, Montesquieu). Les révolutionnaires français et les républicains français et américains ont, quant à eux, pensé nécessaire une mobilisation permanente des citoyens sous la forme d’une participation effective aux débats politiques et au vote, de la manifestation d’un sens de devoirs et d’une allégeance, d’un patriotisme, à l’égard de l’État, des lois et des institutions publiques. 

Le débat sur les qualités du citoyen a été réanimé par des évolutions depuis l’après-guerre ayant deux conséquences. Depuis les années 1950 et surtout les années 1970, un fort accent a été mis sur la protection des droits individuels à la suite des exactions contre des opposants politiques et des minorités, des déplacements de populations, de l’Holocauste et aussi de la Guerre froide et de la lutte idéologique anti-communiste. Nombre de pactes internationaux ont été signés à cet effet. Par ailleurs, les États occidentaux ont étendu les droits sociaux des citoyens. De ces mutations, la citoyenneté est désormais conçue par ses porteurs comme la jouissance des libertés fondamentales et des droits sociaux, l’obéissance aux lois et le versement d’impôts mais nullement comme comportant d’autres devoirs à l’égard des concitoyens (Conover et al., 1991 ; Glendon, 1991 ; Heater, 1990). Autre évolution, à partir des années 1970, les États occidentaux ont accordé les droits sociaux aux non-citoyens en vue de gérer les difficultés d’insertion de certaines catégories d’immigrés. Le lien entre citoyenneté et nationalité s’en est trouvé moins prégnant, un fait expliquant en partie la montée des extrême-droite xénophobes et surtout une perte d’efficacité symbolique de la citoyenneté comme fondement d’une appartenance sociétale particulière. 

Dès les années 1960-70 [8] ont été formulées des critiques d’une conception « passive » de la citoyenneté se généralisant à la faveur de cette extension des droits et conduisant à une indifférence des citoyens à la vie commune et publique et, à l’égal des gouvernements occidentaux, des auteurs s’interrogent présentement sur comment fomenter une implication active et responsable des citoyens à la vie collective et un sens d’appartenance sociétale, deux propos soulevant la question de l’éventuelle nécessité de vertus citoyennes [9]. La mondialisation alimente ces interrogations, car pour certains fort entendus des instances publiques, elle oblige à réduire la dépendance des individus de l’État et à redonner vie aux organisations de la société civile, tandis que pour d’autres elle échappe au contrôle de nombre de citoyens et accentue leur aliénation vis-à-vis du politique et leur défense d’intérêts particuliers.

 

2.2. Les formes de la participation sociale

 

Une étude comparative sur l’efficacité des gouvernements régionaux italiens datant des années 1970 (Putnam et al.,1976/1993) constitue le pivot des propositions d’un courant d’esprit libéral mettant de l’avant le concept de capital social, lequel désigne surtout désormais l’insertion dans des réseaux. Cette étude montrait, selon ses auteurs, que plus dense était l’affiliation des citoyens à des organisations privées (associations, clubs, églises) et à la vie politique, plus efficace était le fonctionnement de ces gouvernements et plus élevés le niveau de tolérance des individus et leur attachement à l’idée d’égalité. Il en est conclu actuellement que plus forte est la participation sociale, civique et politique des individus, plus ces derniers développent un sens de leurs intérêts communs et une confiance les uns vis-à-vis les autres. En effet, des relations en face-à-face entre citoyens autrement anonymes et s’ignorant obligeraient à une responsabilité des paroles prononcées et des actes posés, ainsi qu’à la prise en compte de l’interlocuteur à la différence, par exemple, des émissions de télévision ou de radio durant lesquelles des auditeurs peuvent tenir des propos sans se nommer. Les notions de trust (confiance) et de connectedness (mise en réseau) en sont devenues des indicateurs de l’apparition de la notion d’intérêt collectif et l’insertion dans des réseaux et organisations de la société civile un facteur premier de la formation d’un lien sociétal. Il en est encore déduit qu’une aide financière publique à l’univers associatif, la promotion de la valeur d’entraide et la création de corps d’animateurs sociaux pourraient contrer la tendance des générations nées depuis les années 1950 à de faibles implication et responsabilisation dans leur milieu de vie, tendance, doit-on préciser, dont les preuves empiriques et sociologiques ne sont jamais présentées, si ce n’est par quelques références à l’apparition de la télévision, à la croissance de son influence et à la baisse d’inscriptions aux associations nationales renommées des États-Unis [10] (Putnam, 1996). 

Selon ce courant, le tiers secteur et le monde associatif à vocation sociale sont des écoles de citoyenneté, car ils sont les lieux mêmes de la formation de l’idée de responsabilité collective et, si subventionnés par l’État, ils permettraient la multiplication de partenariats entre les secteurs public et privé en vue de gérer des >problèmes sociaux’, locaux principalement. Ce faisant, ils représentent des éléments importants de la gestion des inégalités sociales par leur offre d’aides aux individus montrant des difficultés d’insertion (travailleurs précarisés, jeunes délinquants, familles démunies, nouveaux immigrants, etc.). Ces hypothèses ont conduit aux États-Unis à l’adoption de programmes fédéraux déléguant à des instances de la société civile la gestion des inégalités dans des quartiers pauvres de grandes agglomérations [11] et des organisations locales se sont trouvées investies de la gestion des déficits sociaux de zones urbaines défavorisées à un coût moindre pour l’État. En France, la politique de la Ville se rapproche de ce mode de gestion confié à des associations locales très faiblement financées par l’État et sous son contrôle, et vouées à endiguer les problèmes sociaux des « banlieues difficiles ». Il en est de même de programmes implantés dans d’autres pays européens. Par exemple, le gouvernement travailliste prévoit de créer des Education action zones où entrepreneurs, commerçants et autres résidents seraient encouragés à s’intéresser à la vie scolaire locale et à mettre sur pied des homework clubs et garderies en vue de réduire le décrochage scolaire et les difficultés de familles monoparentales démunies. Pareillement, dans des quartiers du nord de Londres, les écoles se sont vu attribuer la responsabilité entière de leur gestion financière et une collaboration entre écoles, police et services municipaux en charge de l’habitat a été organisée en vue de réduire les taux de criminalité, de dégradation de l’habitat et de délinquance. Power (1997) qui a étudié de similaires interventions dans cinq pays, estime que dans ce cas londonien la responsabilisation des gestionnaires locaux et des résidents a permis d’améliorer l’état du parc immobilier et la qualité de vie des habitants de ces quartiers, ainsi que d’éviter le coût de reloger ces derniers dans d’autres zones. Sur la base de la même hypothèse, s’est aussi développée aux États-Unis une gauche dite sociale voulant utiliser les réseaux locaux comme un « capital social » en vue de décentraliser les agences publiques au nom de la « démocratisation » et de l’empowerment (habilitation au contrôle) de leurs clientèles (Pierson, 1991 ; Davies, 1996). On ne peut que s’interroger à la suite de Plant (1991) et de Rustin (1991) sur les effets égalitaires et durables de ces types d’intervention. 

Un autre courant insiste, quant à lui, sur une autre fonction de la participation associative et politique comme école de citoyenneté. Il n’y voit pas simplement la base d’un sens d’appartenance et de responsabilité collectives utile à la cohésion des sociétés démocratiques, mais encore un mode de contrôle des pouvoirs économique et étatique. Walzer et Barber partagent une thèse communautarian : la liberté individuelle est toujours mise en oeuvre dans des contextes particuliers (Walzer, 1980 : 12-13), car un individu se construit en inter-action, fait des choix et formule des jugements selon l’environnement social et culturel spécifique qu’il connaît et non simplement selon un calcul rationnel, comme le veut la thèse libérale classique. Les intérêts et les décisions d’un individu dépendent plutôt de ses attaches sociales dont celles à sa communauté de vie, vu qu’il se constitue comme personne dans et par rapport à cette communauté concrète et historique. 

De cet enracinement socio-historique et communautaire incontournable de l’individu, sont tirées des conclusions quant à la formation d’une représentation du lien collectif. Le libéralisme politique est critiqué pour mettre de l’avant les intérêts individuels et catégoriels, ne pas permettre l’expression d’un sens de communalité et porter les citoyens à se retirer dans une tour d’ivoire, hors de toute préoccupation pour les autres, alors que la démocratie représentative, déléguée détruit la signification première de la citoyenneté, la participation aux décisions, et ne donne qu’une illusion de vie commune en l’absence d’un contrôle réel de l’ensemble des citoyens sur les forces économiques et la bureaucratie étatique. Aussi, ne demeure-t-il qu’un fondement d’un sens du vivre ensemble, la participation effective aux décisions d’une communauté de vie vécue. Pour Walzer, les organisations locales apparaissent les lieux où se forgent la notion d’obligations et de responsabilité mutuelles et le sens civique. Associations, syndicats, églises, clubs et toute organisation à l’échelle du lieu d’habitat ou de travail sont les terroirs de cette forme de participation créant un sens du bien commun et donnant une réalité au lien politique, citoyen. Il faut reprendre à l’État les attributions qu’il s’est données dans la gestion locale et qui appartiennent à la société civile, et ce rétablissement permettra de contrer les forces du marché et de la mondialisation génératrices d’atomisation et d’égoïsme des individus. Pour Barber (1984 : chapitre 8 ; 1996 : 226), il faut surtout réinventer des espaces de participation et de décision pour les citoyens ordinaires, non nantis et non inclus dans les réseaux professionnels du pouvoir (lobbyistes, politiciens). Ainsi sera réduit le contrôle des institutions nationales (Parlement, syndicats, grandes entreprises) par ces groupes d’intérêt et sera respecté l’exercice de la souveraineté citoyenne par chacun, lequel rend seul crédibles et légitimes les pouvoirs de l’État. Sinon, la démocratie représentative n’est qu’une confiscation du pouvoir des citoyens, confiscation que McWorld (1996) ou la puissance des multinationales et des marchés financiers accentue. Les citoyens ne choisissent plus, en effet, la direction et la finalité des actions de leur État, institution qui demeure le seul dépositaire de leur droit et de leur capacité à se gouverner. Les individus doivent aussi, selon Barber, être éduqués à leur rôle de citoyens par des programmes de civisme dispensés à l’école publique, éducation qui renforcera leur participation à la conversation publique au sens d’apprentissage de la confrontation et de la controverse au sein d’assemblées locales et de forums à l’échelle régionale et nationale. Ces instances pouvant constituer autant de corps législatifs enracineront une « démocratie forte » ou participatory democracy (1996 : 237) et un sens de communauté non pas consensuelle ou conformiste, mais amicale car construite sur le conflit, la différence et le différend. Elle transformera des individus solitaires et égoïstes en citoyens responsables acceptant de discuter de leurs désaccords et prenant conscience de la supériorité des questions collectives sur leurs préoccupations individuelles. Seront, néanmoins, exclus de ces instances les enfants, les criminels qui ont abandonné le principe de la conversation politique, et les immigrés non citoyens qui ne disposent pas du droit de vote et doivent acquérir la capacité et le désir de participer (1984 : 228). 

À ces propositions postulant une fonction civique ou citoyenne de la participation active, associative ou politique, on ne peut tout d’abord qu’objecter que les associations ou les assemblées du peuple locales ne sont pas forcément des écoles de vertu civique mais peuvent être des écoles de conformisme, d’autoritarisme et d’intolérance, des lieux de retrait souhaité de la vie de la collectivité ou encore des lieux où prévalent des coalitions d’intérêts égoïstes. Sur ce point, Walzer (1992 : 106-107) et Barber (1984 : 227) retiennent le principe du respect obligé des libertés individuelles par tout forum populaire et association et laissent supposer des interventions correctrices de l’État pour réformer les associations ou assemblées trop autoritaires ou inégalitaires. La démocratisation envisagée conduirait donc à une correction « citoyenne » par l’État de l’esprit et des activités d’organisations de la société civile. 

On peut aussi demander pourquoi seraient plus aisément atteints des consensus et fomenté un sens de l’intérêt commun à l’échelle locale qu’à l’échelle de parlements nationaux à moins d’admettre le fort contrôle social qu’implique tout face-à-face fréquent au sein de communautés de vie toujours exposées au pouvoir de majorités culturelles, morales ou politiques. De fait, comme le courant appuyant le concept de capital social, ces deux auteurs invoquent le contrôle social qui pèse sur tout individu de la part de personnes qu’il côtoie fréquemment, un contrôle qui le porte à respecter les propos qu’il tient ou les responsabilités dont il s’est investi. 

Enfin et surtout, qu’elles soient d’esprit libéral ou républicain, ces demandes de réactivation d’un sens d’appartenance collective et du lien citoyen à travers une participation active à des organisations de la société civile ou à des assemblées populaires, s’ancrent dans un constat implicite. Le politique serait devenu le lieu où les citoyens s’affrontent uniquement selon leurs intérêts immédiats, corporatistes, économiques, communautaires, culturels et le sens de l’unité de la société qu’ils devraient ressentir se serait effondré ; le politique ne serait plus la sphère de la négociation pacifique et raisonnée des tensions sociales en raison des effets atomisants du marché. Il suffirait de regrouper les individus en de nouvelles unités de coopération au sein de leurs milieux de vie pour que se forme leur sens d’un intérêt général. Pareille conception est sous-tendue par l’idée de la cohésion possible de toute communauté de vie, sinon de toute société étatisée, et par une définition de la citoyenneté comme d’une catégorie rassembleuse et égalitaire. Elle participe de l’idéologie du consensus démocratique, écrit Rancière (1995 : 158-159 ; article ci-dessus), et elle repose sur l’idée d’une collectivité une et pleine d’égaux. Depuis Locke, la tradition libérale veut qu’existe une capacité de discussion ouverte entre des individus similairement libres, discussion qu’assurent les parlements, les tribunaux et le respect des libertés fondamentales dont celle d’expression, et discussion qui porte à une neutralisation des conflits d’intérêts entre individus. Chacun selon un calcul rationnel ne peut en effet qu’admettre que son intérêt bien compris implique un renoncement. La tradition républicaine ne diffère guère, insistant simplement plus sur le renoncement des citoyens à leurs intérêts personnels au nom de l’égalité. 

Pourtant, comme les conflits d’intérêts se reproduisent et s’expriment sans cesse en régime démocratique, le bien commun semblerait plus la capacité de reconnaître la permanence et l’inévitabilité des contestations que celle d’harmoniser rationnellement des points de vue adverses (Mouffe, 1993). De plus, si l’organisation de la vie politique en démocratie se veut débat, délibération et formation de consensus sur les modes de gestion de la vie en société, le politique, soit le rapport au pouvoir, ne l’est pas. Le principe de l’égalité de chacun avec tout autre n’a jamais été respecté si ce n’est à la suite de réclamations, souvent violentes, et ceux qui ne possèdent que la liberté et l’égalité comme qualités et non la richesse, le pouvoir ou l’influence, se retrouvent non seulement démunis mais effacés de la scène démocratique (Rancière, 1995). Le politique est litige sur la question de l’égalité et la pratique réelle de la citoyenneté un acte « de rupture de la logique de domination selon laquelle les uns ont vocation à gouverner et les autres à obéir » ; le politique n’existe que lorsqu’un groupe fait la démonstration de l’injustice qu’il connaît, en se plaçant en position d’égalité avec ceux que telle injustice n’atteint pas (idem : 85). Ce fut le cas lorsque les femmes posèrent la question de savoir si le travail domestique ou la maternité étaient affaire privée ou sociale, lorsque les Noirs américains se déclarèrent des citoyens à part entière ou encore quand les prolétaires montrèrent au long du XIXè siècle et après, leur absence dans la définition du bien commun dans les sociétés démocratiques. 

Selon cette conception du politique comme partage structurellement inégalitaire du pouvoir, parler d’une communalité des citoyens apparaît fallacieux tant que les fondements de l’inégalité sociale et politique ne sont pas abordés, et le déni d’égalité à l’exercice du pouvoir ne paraît pouvoir se résoudre par une responsabilisation des citoyens de leurs conditions de vie locales ou par une démocratie conversationnelle. Pareil projet relève simplement, pour Rancière, de l’administration des tensions sociales. 

 

3. Les guerres culturelles

 

Il est un troisième aspect de la mondialisation de l’économie et des communications souvent invoqué pour mettre à jour ses effets déstabilisateurs sur la citoyenneté et la légitimité et la souveraineté des États : la destruction de l’homogénéité culturelle des sociétés nationales. Les effets de la mondialisation semblent, en fait, être autres car la culture est un enjeu politique.

 

3.1. La fin des cultures populaires nationales

 

L’expansion de marchés de produits culturels contrôlés par des multinationales principalement américaines a donné lieu à la notion qu’illustre Barber, d’une menace pesant sur les cultures populaires nationales (TV, cinéma, musique). Cette notion de menace s’appuie sur l’idée d’une supériorité esthétique, morale et éducative de ces cultures qui demeure à prouver, et dont la fonction politique de ralliement et nullement le contenu semble plutôt l’enjeu. Elle apparaît aussi ancrée dans des postulats contestés par les anthropologues. 

Tout d’abord, constats empirique et sociologique, la nouvelle culture de masse n’atteint pour l’heure qu’une très faible portion, surtout péri-urbaine et défavorisée, de la population de la planète (10%. Warnier, 1999) et elle ne semble guère devoir s’étendre au-delà vu les conditions de vie des populations rurales africaines, asiatiques et latino-américaines. De surcroît, la logique du marché porte à la multiplication de produits culturels de plus en plus diversifiés pour créer ou satisfaire les attentes de clientèles de plus en plus différenciées. 

Par ailleurs, la thèse du recouvrement de la planète par une culture de masse mondialisée détruisant un des vecteurs du rassemblement national, postule une passivité et une aliénation totale des individus exposés à sa diffusion. Pourtant, toute consommation de produits culturels à l’instar de toute pratique culturelle, participe d’une construction de sens ancrée socialement. Rambo a-t-il vraiment la même signification pour un insurgé tamoul du Sri-Lanka, un cadre du Parti communiste chinois, un habitant des favellas de Rio, un résident d’un ghetto noir ou un cadre blanc de Chicago ? Une pratique culturelle demeurant ancrée en des lieux et des catégories sociales alors même que les espaces de construction de sens entrent de plus en plus en contact et se multiplient sous l’effet de l’internationalisation des migrations, des marchés de l’information et des réseaux de communication, l’hétérogénéité des espaces culturels semble plus s’accroître que décroître et la variété de leurs implantations et de leurs interactions désormais faciliter leurs ancrages à des échelles diverses, transnationales, nationales, locales, macro- ou micro-régionales (Featherstone, 1990 ; Featherstone, Lash et Robertson, 1995 ; Hannerz, 1997 ; Castells, 1998 ; Laïdi, 1998). En témoignent la réaffirmation des diasporas, la formation de réseaux immigrés, de groupes d’intérêt et de mouvements politiques transnationaux, la montée des régions ou des idées de cosmopolitisme ou de métissage culturel que décrit Bibeau dans ce volume. Les idéologies nationales ou citoyennes semblent plus « menacées », en fait contestées, par d’autres dynamiques qu’une culture populaire planétaire de l’image et du son.
 

 

3.2. La montée des contestations régionalistes

 

L’idée de village global apparaît tout autant paradoxale si l’on observe les effets de la mondialisation des marchés comme dynamique contribuant à l’affirmation de régions. L’accès à des marchés de plus large échelle, continentaux et mondiaux, réduit la dépendance des économies régionales à la fois des marchés nationaux et des États centraux programmés pour capter toutes les ressources et les redistribuer. Il favorise le développement des régions pouvant plus aisément s’articuler aux marchés internationaux et la mise en cause du dirigisme économique des États centraux, lesquels, de plus, mettent souvent de l’avant la notion de subsidiarité pour accroître l’efficacité des interventions publiques. En ce sens, la mondialisation économique permet une contestation de la structure pyramidale et centralisatrice des États et de leurs bureaucraties. Elle offre de nouvelles possibilités et de nouveaux arguments aux contestations nationalitaires historiques et aux demandes de décentralisation, d’autonomie administrative et de sécession. Pour exemples, le Parti indépendantiste écossais, Scottish National Party (SNP), maintient que les revenus de l’exportation du pétrole extrait en Mer du nord appartiennent à la nation et à l’État écossais et il débat du dessin des frontières maritimes entre l’Écosse et l’Angleterre. Face à la montée de l’influence électorale de ce parti, le gouvernement travailliste a accordé une autonomie administrative à l’Écosse et le droit d’être représentée dans les instances européennes. Une analyse de J. Parizeau parue dans Le Devoir le 3 septembre 1998 illustre aussi ce nouveau contexte (Helly et Schendel, à paraître) : 

Lorsque René Lévesque a quitté le Parti Libéral en 1967 pour créer ce qui deviendra le Parti Québécois, la réalisation de la souveraineté était, à juste titre, considérée périlleuse. À cette époque, comme aujourd’hui, le Québec vendait hors de ses frontières presque la moitié de ce qu’il produisait. Son plus grand marché, et de loin, était alors le reste du Canada. C’était aussi le seul marché auquel il avait accès sans obstacle (enfin presque, la ligne Borden n’était pas loin). Partout ailleurs, les droits de douane étaient élevés, les quotas étaient nombreux. Si le Canada avait décidé de traiter un Québec souverain comme il traitait les États-Unis, nous aurions été coincés entre deux murailles commerciales... 

Aussi, poursuit J. Parizeau, R. Lévesque a-t-il proposé une souveraineté comportant une association économique avec le Canada, dont l’utilisation de la même monnaie, et une négociation avec le Canada pour laquelle un mandat fut demandé lors du référendum de 1980. Mais la réponse du Canada fut un refus et il fallut encadrer le débat sur la négociation, dont J. Parizeau expose le cadre : 

La première question abordée fut celle de la monnaie. On avait tellement fait peur aux Québécois avec la « piastre à Lévesque » et autres gaudrioles qu’il était temps d’en finir. D’ailleurs, l’évolution des marchés monétaires dans le monde d’aujourd’hui aurait rendu très aléatoire la création d’une nouvelle monnaie, dans un climat hostile. Donc nous garderions le dollar canadien. Nous en sommes les copropriétaires, et personne ne peut nous l’enlever. [...] La seconde question avait trait au maintien de la libre circulation des biens, de services et des personnes dans l’espace économique canadien. [...] Le projet de traité de libre-échange arriva à point nommé. Si le Québec en faisait partie, par Canada interposé, il serait protégé comme pays indépendant par les États-Unis contre les tentatives de représailles commerciales exercées contre lui par des Canadiens furieux. [...] Le projet d’entente de libre-échange entre les trois Amériques sonna définitivement le glas des espoirs de ces fédéralistes qui, si la séparation se faisait, appelleraient à l’écrasement du Québec. Tout n’était pas réglé - tant s’en faut - par ces décisions relatives à la monnaie et au libre-échange. Mais, au moins, le projet de réaliser la souveraineté du Québec cessait d’être une sorte de performance de trapèze sans filet, à la merci de la première poussée mal intentionnée. 

La dynamique d’ouverture des frontières qu’est la mondialisation mais aussi l’interprétation économiste de la vie sociale à laquelle elle a donné lieu, offrent désormais deux argumentations aux contestations régionalistes ou sécessionnistes. Enracinement local des dynamiques économiques, subsidiarité, démocratisation, tutelles, systèmes de péréquation et centralisation handicapant la croissance économique et l’intégration aux marchés non nationaux sont des arguments tout autant invoqués actuellement par des mouvements régionalistes d’orientation politique fort diverse que le droit de reproduire une spécificité historico-culturelle (Paduanie, Pays de Galles, Écosse, Pays Basque et Catalogne espagnols, Flandres, Québec, Corse, régionalisme transalpin franco-italien). Juger que ces mouvements contestataires génèrent une fragmentation sociale et nationale nocive exige de démontrer qu’ils ne correspondent pas à un processus de démocratisation et de répartition plus équitable des ressources entre régions et entre individus. Cahen (1994) rappelle avec à-propos qu’il y a trente ans les mouvements nationalitaires étaient vus comme des contestations démocratiques du centralisme étatique, de modes de développement économique inégaux et d’histoires de tutelle coloniale, alors qu’ils sont souvent moqués présentement comme des résidus de cosmogonies tribales, ethno-culturelles, mettant en cause le principe universaliste citoyen, et qu’ils sont condamnés comme fauteurs de troubles violents selon un amalgame sans égard à leur orientation politique et à leurs modalités d’action. Mouvements autonomistes ou sécessionnistes pacifistes (baltes, écossais, catalan espagnol, québécois, slovène), insurrections armées (irlandaise, basque) et conquêtes guerrières au nom d’une pureté ethnique (Croatie, Serbie) en viennent à appartenir à un univers semblable de destruction du lien citoyen, la Djihad (Barber, 1996). Mais valoriser les États centraux existants au nom du principe universaliste citoyen ne saurait constituer un argument tant que ne sont prouvé le caractère anti-démocratique des contestations indépendantistes et mise en évidence une différence de leur mode de mobilisation des « nationaux » (Herzfeld, article ci-dessus). 

Moore décrit dans ce volume les travers et les difficultés de la pensée libérale pour faire face aux demandes sécessionnistes et à la crainte de fragmentation des États existants que soulève la montée des revendications indépendantistes au sein des sociétés occidentales et non seulement dans l’ex-Empire soviétique. Le respect des membres des minorités nationales et le droit à l’auto-détermination reconnu depuis 1919 par les puissances occidentales et réaffirmé par les Nations Unies signifient-ils non seulement le droit à l’autonomie gouvernementale régionale mais aussi le droit à la sécession ? Le droit international ne permet pas de répondre par l’affirmative à cette question mais un auteur, Buchanan (1995), a tenté une réponse. À son sens, il n’existe que deux situations légitimes de sécession : le recouvrement du contrôle du territoire qu’une minorité culturelle a occupé historiquement et qu’elle s’est vu enlevé par la force ; une inégalité criante de traitement socio-économique à travers une taxation, des politiques ou des programmes désavantageant ouvertement une telle minorité. Quant à une sécession demandée pour une autre raison telle que la préservation d’une culture, elle serait recevable en système libéral si cinq preuves étaient faites (355-364). Toute autre solution que la sécession est impossible. La culture en cause et les institutions et la base matérielle [12] qui la soutiennent, constituent une contribution, voire un enrichissement, à la vie des membres de la minorité et ne comportent aucune menace ou aucun déni de droits et de libertés pour ceux-ci et d’autres, toute culture raciste, haineuse ou illibérale, devant être anéantie aux yeux de Buchanan. Autres conditions, cette culture et ces institutions doivent être en péril, le territoire du futur État souverain être économiquement viable et l’État qui se trouvera divisé par une sécession ou tout autre État ou population n’avoir aucun droit valide sur ce territoire. Comme il n’existe aucun tribunal international ou clause dans les constitutions de quelque État que ce soit, qui réglemente la validité des preuves à apporter, Buchanan parle d’une moralité de la sécession.
 

3.3. Égalité et diversité culturelle

 

Il est un autre aspect de la contestation de l’État et de la nation auquel contribuent la mondialisation économique vu l’accentuation des inégalités sociales qu’elle génère, mais aussi, facteur non secondaire, la réorientation des politiques mettant de l’avant la responsabilité de chacun de sa condition sociale. En témoigne le renversement de perspective de la question de la différenciation culturelle des sociétés occidentales. En effet, toute mise en cause du rôle égalitaire de l’État convoie une contestation de ses programmes en faveur de catégories sociales particulières, et toute interrogation sur les fondements d’un sens d’appartenance sociétale conduit à un questionnement sur les autres formes d’appartenance collective. Le thème de la fragmentation sociale et nationale par les minorités culturelles ne peut donc qu’être à l’ordre du jour. 

Actuellement, la différenciation culturelle des sociétés civiles occidentales, qu’elle soit rattachée à des minorités issues de l’immigration, nationales, religieuses, linguistiques, racialisées, féminines, homosexuelles ou à tout autre groupe dit particulier, n’est plus incluse essentiellement dans des débats publics et universitaires sur la justice sociale, mais dans des débats sur les fondements d’un sens d’appartenance sociétale (Kymlicka et Norman, à paraître : introduction). Une vignette ironique de Rancière (1995) illustre la mutation : en 1970 on parlait en France de travailleurs immigrés, en 1997 on parle d’immigrés et d’étrangers. Friedman (1998) estime, quant à lui, que l’affaiblissement des mécanismes d’intégration des États occidentaux conduit à une « nationalisation » des sociétés dont l’« ethnification » des immigrés est une manifestation et nullement le fondement. 

Durant les années 1950-70, l’attention était portée sur les inégalités socio-économiques produites par les stigmatisations culturelles et sur leur caractère systémique, non aléatoire, inscrit dans la structure des occupations et des revenus et ne paraissant devoir s’effacer au fil d’une évolution positive des mentalités. Selon l’esprit de l’État-providence d’accorder des compensations pour redresser des inégalités, des programmes d’accès à l’égalité (affirmative action) furent établis en faveur des minorités féminines, racialisées, linguistiques (francophones du Canada), dans l’enseignement supérieur et le marché des emplois publics et parfois privés. 

En dépit de leur utilité attestée aux États-Unis où ils furent appliqués à une échelle plus importante que dans tout autre pays (Bowen et Bok, 1998 [13]), ces programmes sont présentement un enjeu politique et électoral. Ils sont taxés de discriminatoires pour les hommes blancs et de causes de guerres culturelles, leur fonction égalitaire est mise en doute ou dite accomplie et leur annulation par les établissements universitaires fréquente. Ils sont similairement considérés des facteurs de division sociale au Canada par le Parti de la Réforme mais vu leur moindre efficacité dans ce pays, ils ne représentent guère un enjeu politique. 

Des controverses à propos de ces programmes ont porté (Glazer, 1983 ; Walzer, 1982) [14] et portent encore actuellement sur le risque de multiplication de demandes de réparation et de groupes d’intérêt et de clientèles émargeant au budget de l’État. Young (1989, 1990) est connue pour avoir répondu à ces critiques. Au nom de la justice sociale, elle argumenta (1990 : 40) que seuls les individus subissant une forme d’exclusion ou de marginalisation sociale au nom de marqueurs culturels (Noirs, « Hispanics », femmes, homosexuels, Autochtones) étaient éligibles à des mesures de réparation et qu’il était aisé de les définir et de refuser les revendications d’individus demandant un traitement spécial en vertu simplement d’une différence culturelle. Dumouchel expose dans ce volume une autre critique adressée à ces programmes. Accorder des droits en fonction de traits « naturels » tels que l’appartenance sexuelle, culturelle, nationale ou linguistique, conduit à une dépolitisation des rapports de pouvoir puisque des citoyens obtiennent des droits sans égard à leur poids et à leur capacité d’action sur la scène politique, et pareille intervention étatique est « destinée à créer d’immenses ressentiments ». On peut se demander si la présente réaction contre la discrimination positive aux États-Unis tient à l’octroi de droits aux Noirs, femmes et Hispanics sans relation avec leur capacité d’action politique durant les années 1960-70, alors que les contestations et les mobilisations en faveur de l’égalité des droits des Noirs et des femmes étaient fortes. Peut-être peut-on plutôt se demander si l’on assiste actuellement à une nouvelle lutte entre ces catégories sociales à la faveur de la restructuration du marché de l’emploi qui affecte des fractions des classes moyennes, blanches notamment, diminue leurs moyens financiers et réduit leur accès aux instances d’enseignement, des moyens de mobilité sociale. 

Par ailleurs, la stigmatisation culturelle ne convoie pas uniquement des effets d’inégalité socio-économique ou de représentation politique pour les individus la subissant. Elle participe de leur non-reconnaissance comme membres à part entière de la société (Bibeau, article ci-dessus) et d’une interprétation de l’histoire nationale en faveur de certains groupes (Lamoureux, article ci-dessus). La thèse libérale du caractère privé et personnel de la culture a eu une efficacité tant que pouvaient être imposées les valeurs et attitudes de majorités culturelles et l’idée d’une égalité des chances. Mais dans les sociétés actuelles où les inégalités apparaissent peu légitimes et se reproduisent fortement, où les différenciations sociales induisent une multiplicité mais aussi une nouvelle hiérarchie des modes de vie et des valeurs et où, enfin, est mis un fort accent sur les droits et libertés individuels et sur la communication (Semprini, 1997 [15]), que reste-t-il de cette efficacité aux yeux des individus ? Un accord sur les principes universalistes d’une citoyenneté active et responsable semble difficilement soutenir l’idée d’une égalité entre individus, et l’affirmation de la neutralité culturelle de l’État plutôt contribuer au marquage symbolique négatif de dits porteurs de différences culturelles et à leur aliénation à l’égard de l’État et de la société. Aussi, ne peut-on s’étonner du regain de discours gouvernementaux sur la nécessité de cohésion sociale ou de lien social. 

La réflexion universitaire sur les liens entre égalité, liberté et pluralité de culture et d’histoire est importante depuis les années 1980. Selon la conception de l’enracinement social et historique incontournable de tout individu qu’avance l’école communautarian et que reprennent nombre d’auteurs libéraux, l’État et la définition de la citoyenneté ne peuvent pas s’en tenir à l’affirmation selon laquelle l’appartenance à un groupe et l’orientation culturelle sont affaires personnelles. En effet, est-il avancé, l’appartenance à une culture influence, de façon cruciale, le bien-être des citoyens ; elle leur procure l’éventail de choix à partir desquels ils décident de la menée de leur vie, constitue l’ancrage de leur auto-identification et la garantie d’une appartenance sûre, non contestée. Elle est donc un bien primaire comme la liberté dans la mesure où elle permet à l’individu de déterminer ses propres fins et où elle favorise son autonomie. Des auteurs illustrent cette conception. 

-- L’égalité complexe : Pour Walzer, l’appartenance culturelle ne peut être passée sous silence car elle est constitutive des personnes et une valeur fondatrice puisque nous sommes égaux en raison d’une particularité : nous sommes des producteurs de culture ; nous faisons et habitons des univers de sens (1983 : 314). L’omission par le contrat politique libéral des expériences, attachements et valeurs liées à un sens d’appartenance à un groupe racial, culturel, religieux, rend irréel tout sens de vie commune en dehors du partage de ces qualités abstraites que sont les libertés et les droits, alors que les pouvoirs économiques privés et la logique du marché constituent une menace pour ces droits et libertés. Walzer critique (1983) la thèse libérale de l’égalité simple selon laquelle chacun doit bénéficier des biens de manière égale, car aucun bien, notamment l’argent, ne peut s’imposer dans une société comme instrument d’échange. Il défend la thèse de l’égalité complexe ou de l’application de principes différents selon le domaine en cause (marché du travail, école, culture) parce que respecter les individus comme des porteurs de culture implique des principes de justice élaborés à partir de la compréhension de ce que sont les biens sociaux (social goods) à leurs yeux. Mais, comme il n’existe aucune possibilité de hiérarchiser les univers culturels, justice ne peut être faite qu’en respectant les créations particulières des individus. Subséquemment, tant que l’identité ethnique sera une valeur pour des segments de la population américaine, son respect doit être assuré par l’État sous la forme d’aide aux organisations ethniques, d’enseignement de l’histoire des minorités, de respect de leurs calendriers de fêtes et de facilitation de l’apprentissage de leurs langues ancestrales (1995). Walzer opine par ailleurs que similaire respect peut être assuré aux minorités nationales par l’octroi d’une autonomie gouvernementale (ibid.). Glazer (1995 :10), quant à lui, estime que lorsque les citoyens de langue maternelle espagnole aux États-Unis ou les francophones au Canada recherchent la protection de leurs droits linguistiques, ils ne demandent pas de droits qui ne soient pas déjà acquis pour les locuteurs anglophones. 

-- Les politiques de la reconnaissance : Taylor, théoricien des politiques de la reconnaissance, affirme dans une entrevue récente (Ancelovici et Dupuis,1997 : 25-26) que la démocratie exige que la majorité prenne très sérieux l’identité citoyenne, plus importante que l’identité culturelle parce qu’elle est une condition de la démocratie et sous-entend que nous sommes tous liés par une identité de base commune. Mais, ajoute-t-il, la bonne marche d’une démocratie et la légitimité d’un État supposent un intérêt et une participation à la vie collective et politique, lesquels n’existent que si les individus s’identifient à leur pays, s’en sentent les responsables et peuvent s’affirmer comme personnes ou groupes particuliers. L’estime de lui-même de chaque citoyen dépend de l’acceptation de sa culture par la société et, si celle-ci oppose une résistance ou un refus, sa dignité et son respect de lui-même sont menacés et l’État se doit d’intervenir pour assurer sa reconnaissance par tous. Taylor cite les cas des Amérindiens et des Québécois francophones qui se sentent ignorés au Canada et celui des Noirs aux États-Unis. Selon lui, la condition d’un intérêt à la vie commune est l’appropriation de la société par les individus à travers la reconnaissance des récits et des enjeux qu’ils jugent primordiaux (morale, religion, famille par exemple). Ces récits étant construits ou hérités à travers une communauté, la reconnaissance des attaches communautaires est inévitable. Aussi estime-t-il à propos du nationalisme québécois que le fédéralisme canadien est un mode valide car le récit canadien qu’institutionnalise la politique du multiculturalisme, permet la multiplicité des récits et Aa l’avantage de mettre des choses en commun et de créer un espace plus ouvert aux identités complexes », « ce système étant lui-même une identité complexe [multiple]. On peut être canadien et québécois, manitobain et canadien. Ce ne sont pas des identités différentes mais structurées différemment (langue, histoire) » (idem : 29-30). Mais si cette définition ne convient pas à la majorité ou aux minorités oubliées, il faut en inventer une autre, le fédéralisme a-symétrique par exemple, ou se résoudre à la sécession du Québec. 

À ces dernières solutions qui illustrent à nouveau le dilemme de la pensée libérale face à des mouvements régionalistes mettant de l’avant non seulement une différence d’histoire et de culture mais aussi un rapport inégalitaire de pouvoir, des auteurs de ce volume (Bourque et Duchastel) en opposent une autre. La dynamique première de la citoyenneté particulariste, plurielle canadienne est la négation de la nation historique québécoise et seuls seraient valides la création d’un État canadien multinational et non simplement multiculturel, et l’octroi subséquent de tous les pouvoirs nécessaires au Québec pour lui permettre la reproduction de sa spécificité institutionnelle et linguistique. 

-- Les craintes : Nombre d’objections ont été soulevées à propos de la politique multiculturaliste canadienne et, de manière plus générale, de toute institutionnalisation publique du respect de particularités culturelles de groupes minoritaires. Norman en examine certaines dans ce volume et nous en présenterons quatre autres. Une suspicion que semble reproduire le gouvernement canadien dans ses documents sur la nécessité d’une loyauté de tous à l’État, naît de la volonté de voir la citoyenneté et des valeurs communes constituer le lien collectif valorisé de tous. Le lien citoyen ne saurait avoir de concurrent et doit détenir le statut de première allégeance quand bien même d’autres appartenances sont reconnues par l’État. La même suspicion a toujours été développée par la pensée républicaine, française ou américaine. Pourtant, au Canada où l’État reconnaît de fait les doubles appartenances par la politique du multiculturalisme, des enquêtes (Whitaker, 1992 ; Kymlicka, 1998 ; Mendelsohn, 1999 ; Helly et van Schendel, à paraître) et de très nombreux sondages montrent que l’identification à une culture minoritaire ou à la nation québécoise s’accompagne le plus souvent d’une vive identification à l’État fédéral, voire la renforce. À l’inverse, des enquêtes aux États-Unis (Glick Schiller et al., 1992 ; Basch, Glick Schiller et Szanton Blanc, 1994) illustrent comment la perception d’une non-acceptation dans une société d’établissement favorise une identification d’immigrés à la fois à des communautés transnationales et au pays d’origine. La compatibilité d’identités minoritaires et étatiques ou juridico-politiques, dépend du référent selon lequel les individus se distinguent eux-mêmes de ce qu’ils conçoivent comme une majorité culturelle (religion, langue, système de parenté, phénotype, mariage, etc. ; voir Modood et al., 1994). Et ce n’est tant le contenu de ce référent qui importe que sa définition par la majorité culturelle (Baumann, 1996). On ne saurait confondre identité et culture ; la première relève de l’interprétation d’un rapport socio-politique, dont celle des différences culturelles n’est qu’une expression symbolique, la seconde d’une cosmogonie incluant la sphère du politique.

Une autre objection fort fréquente veut que l’institutionnalisation étatique du respect des différences culturelles permette l’existence de communautés autoritaires empiétant sur les droits d’individus. Cette affirmation est spécieuse car, pour l’heure, il n’existe dans aucune société occidentale de politique permettant de reproduire des communautés ou des sociétés régionales dont les institutions, scolaires, gouvernementales et judiciaires ne soient pas assujetties au principe des libertés fondamentales. La politique multiculturaliste à l’égard des immigrés et de leurs descendants est significative sur ce point : toute institution ethnique doit respecter les préceptes de la Charte canadienne des droits et des libertés de la personne. Des abus peuvent certes se produire mais en quoi les différencier d’abus similaires survenant au sein d’autres organisations de la société civile ? 

Par ailleurs, l’idée que le respect institutionnalisé de différences culturelles et la critique du rôle de majorités culturelles au sein de toute société conduiraient à un relativisme culturel absolu et à un chaos est une imposture. Il existe en effet une hiérarchie des formes culturelles puisque la rationalité technologique occidentale prime sur toute autre logique culturelle et penser que toutes les constructions de sens en viendraient à détenir des valeurs équivalentes, est passer sous silence les formes de domination politique et économique (Gellner, 1992).

 

IV. Un nouveau mode de régulation
internationale

 

Il est, enfin, une mutation des relations entre les États qui leur permet d’étendre et de gérer la mondialisation. Elle prend trois formes nouvelles de définition des interactions entre États : constitution de blocs économiques (Union européenne, ALENA, Mercosur, ASEAN), réglementation internationale économique (organisation mondiale du commerce, FMI, Banque mondiale) et éthique des droits de l’homme. Cette dernière mutation concerne directement les liens entre mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme car elle appuie les demandes de respect des minorités culturelles et nationales et contribue à la formation de l’idée de société cosmopolite dépassant les frontières étatiques et reposant sur les droits individuels. 

Depuis l’après-guerre, s’est consolidée une régulation des abus portés aux libertés individuelles par les États afin, comme mentionné ci avant, de ne point voir se reproduire les conditions d’oppression et d’extermination de populations connues durant la Seconde guerre mondiale. La protection des minorités est un point de cette régulation amorcée par l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l'Homme en décembre 1948, puis du Pacte des droits civils et politiques en 1966 (entré en en vigueur en 1976). Tout en conservant une approche individualiste, ce pacte protège le droit des personnes appartenant à des minorités d’avoir « en commun avec les autres membres de leur groupe leur propre vie culturelle », dont la pratique de leur religion et de leur langue. Selon ces deux documents et d’autres, tout État doit reconnaître à chaque résident les libertés fondamentales, l’égalité devant la loi, le respect de son intégrité physique, la non-discrimination selon la race, la confession religieuse, l’origine nationale et ethnique et le droit à une vie culturelle particulière. 

Cette éthique bien que peu soutenue par des tribunaux internationaux, légitime et favorise les contestations des minorités culturelles et nationales, et est devenue un moyen de régulation internationale de la stabilité des frontières étatiques à la faveur d’une étape de la mondialisation économique, l’intégration au bloc occidental des pays de l’ex-glacis soviétique. L’adhésion des pays de l’ex-Europe de l’Est à l’Union Européenne, à l’OTAN et autres organisations transnationales est assujettie à leur implantation d’institutions juridiques et politiques démocratiques et à l’ouverture de leurs marchés intérieurs mais aussi à leur résolution de tout conflit nationalitaire, à leur respect des minorités et à leur signature de traités de bonne entente avec leurs voisins. En ce sens, l’éthique internationale des droits comme idéologie de la nécessaire instauration de régimes démocratiques et du respect des libertés individuelles à l’échelle de la planète représente un aspect de la mondialisation et de l’extension de l’influence des puissances occidentales, et l’idée d’une responsabilité des démocraties occidentales de protéger les droits de tout individu contre la souveraineté d’un État, est en train de s’imposer sous l’égide, entre autres, du Canada. Le ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy (1999), écrivait en mai 1999 que « la sécurité nationale ne suffit pas à assurer la sécurité des populations » et que devait être adoptée « une nouvelle approche de la sécurité axée sur les individus [...] qui, au lieu de privilégier la sécurité du territoire et des gouvernements, se sert des individus comme point de référence [...], transcende les frontières de l’État ». Et l’État français encore centralisateur et jacobin adhère à cette conception qui fait du respect des minorités nationales, un principe politique. Une dynamique semble enclenchée qui vient renforcer les législations adoptées en faveur des droits des minorités culturelles et nationales par les pactes internationaux et européens et, surtout, la contestation de la superposition des idées d’État et de nation.

 

Conclusion

 

La mondialisation économique remet à jour une des contradictions séculaires et fondatrices du système démocratique et capitaliste, celle entre égalité et liberté ; elle réactive les courants d’idées plaçant la défense de la liberté et de la responsabilité individuelles avant celle de l’égalité, ainsi que la critique du précepte universaliste de l’égalité des droits, que Bourdieu (1998) qualifie d’« impéralisme de l’universel ». Pour les uns, les États nationaux doivent réduire leurs politiques de redistribution ; pour les autres, ces États ne sont plus à même d’assurer l’égalité des chances et de transiger entre les intérêts du capital privé et les classes salariées les moins qualifiées vu leur soumission obligée à des institutions et des entreprises d’envergure internationale. 

La mondialisation des technologies, des marchés, de la production et des communications n’a pas pourtant d’effets aussi linéaires et la fin souhaitée ou redoutée des États-providence ne semble pas si proche. Les États-providence se maintiennent dans leur logique de corporatisme, de création de clientèles ciblées, de définition de désavantages socio-économiques et d’encadrement de la société civile ; on n’assiste nullement à leur dissolution mais à leur délégation contrôlée de certaines de leurs fonctions sociales à des organisations de la société civile et à leur moindre intervention en matière de réduction des inégalités. Et cette mutation prend des formes diverses selon l’histoire et la teneur des rapports de force politiques internes qui sont propres à chaque société. Les gouvernements américain, britannique et canadien développent des mesures et des discours similaires sur le thème de la responsabilité sociale de chaque individu mais nullement sur la nécessité d’un sens d’appartenance collective ou de loyauté à l’État comme le fait l’État canadien. 

Si on ne saurait déduire de l’internationalisation des échanges et de la production, la fin des États nationaux mais plutôt une intensification de leurs contradictions constitutives qui les porte à rechercher de nouvelles formes de mobilisation citoyenne et de création de cohésion sociale, la mutation de leurs formes d’intervention sociale effrite le pacte de solidarité instauré après-guerre, entame leur légitimité et contribue à l’affaiblissement du lien séculaire établi entre territoire, identité culturelle et État central. Montée des économies régionales, pression de flux migratoires provenant du Tiers Monde, accentuation de la différenciation sociale et culturelle, extension des modes de régulation et de coordination internationales promus par les États nationaux transforment la représentation de la relation entre État, territoire, culture, histoire et nation. Le dirigisme économique étatique comme instrument d’affirmation nationale et le projet moderne de formation de citoyens rationnels, a-historiques et libres de tout attachement local et communautaire en deviennent plus que jamais des enjeux politiques. En témoignent la mise en cause de l’État centralisé et pyramidal par les élites économiques et politiques des régions pouvant mettre à profit l’ouverture des marchés, le regain d’influence dans les pays européens de l’idée fédérale comme seule idée apte à articuler les dynamiques locale et globale à l’oeuvre, et les luttes sur les droits des minorités culturelles qui gagnent des sociétés se voulant fortement homogénéisatrices (France : femmes, homosexuels ; Allemagne : résidents d’ascendance turque). La mondialisation n’induit certes pas le questionnement sur les majorités culturelles mais contribue à son extension et à sa légitimité en accentuant les inégalités sociales et en mettant à mal l’imagerie unificatrice de l’État et de la nation.

 

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[1]    L’internationalisation contemporaine des échanges financiers et marchands a été amorcée par la politique américaine de la fin de l’étalon-or en 1971 et de la libéralisation de la circulation des capitaux en 1974.

[2]    Directeurs administratifs, consultants, avocats, experts financiers, ingénieurs, courtiers, architectes, scientifiques, responsables des ventes, gestionnaires.

[3]    Actuellement, aux États-Unis, le revenu annuel moyen des emplois professionnels est de 49.000 US$, celui des emplois stables qualifiés de 29.000 US$ et celui des emplois précaires de 19.000 US$.

[4]    Comme le rappelle Robertson (1992 : chapitre 1), n’est pas nouvelle l’idée d’une convergence des sociétés et des systèmes économiques nationaux en raison d’une dynamique de la « modernisation », du capitalisme ou de la technologie créant un village planétaire.

[5]    Pour simple exemple, selon Wuhl (1996), la division du travail sur laquelle reposaient les politiques de régulation du marché du travail d’après-guerre, apparaît inadaptée à des marchés très compétitifs, instables et modifiant sans cesse les règles d’accès à l’emploi. Cette division reposait sur deux temps : l’acquisition de qualifications et leur mise en oeuvre dans des milieux de production. La récession brutale du début des années 1980 a montré l’inadéquation de cette organisation dans des marchés d’emploi exigeant un renouvellement constant des qualifications. Devaient être envisagées une autre conception de l’itinéraire du travail plaçant en son centre l’acquisition de qualifications professionnelles et la création de mécanismes de transition d’une catégorie d’emploi à une autre, ainsi qu’une décentralisation des interventions sociales de l’État pour les rapprocher des marchés locaux qui enregistrent directement les fluctuations de l’offre d’emploi. Pourtant, des politiques de formation de la main d’oeuvre et de gestion décentralisée des marchés de l’emploi n’ont pas été programmées systématiquement ou l’ont été tardivement.

[6]    Barber, 1984, 1996 ; Bellah, 1986 ; Bellah et al., 1985 ; Lasch, 1996 ; MacIntyre, 1981 ; Sandel, 1982 ; Taylor, 1994 ; Walzer, 1974, 1983, 1992.

[7]    Castel, 1995 ; Paugam, 1991, 1996 ; Xiberras, 1993 ; pour leur analyse, Thomas, 1997.

[8]    Attaques contre l’individualisme atomistique par la contre-culture aux États-Unis et critiques réformistes en Europe, insistant sur la disparition de la culture commune, le manque de cohésion sociale et de responsabilité individuelle sous l’effet des politiques assurantielles de l’État-providence et demandant une plus forte participation des individus à la vie de l’entreprise et à la vie politique (Donzelot, 1984).

[9]    Callan, 1997 ; Dagger, 1997 ; Janoski, 1998 ; van Gunsteren, 1998 ; Kymlicka et Norman, à paraître ; Badstone et Mendieta, 1999.

[10]   Par contre la multiplication des associations locales aux États-Unis et dans les pays européens, n’est nullement prise en compte.

[11]   Une loi créa en 1992 le programme Community Development Financial Institution, selon lequel l’État, des particuliers, des fondations et des banques fournissent du capital à des organisations locales non lucratives (églises principalement) dont les membres, des personnes démunies, n’ont pas accès aux prêts bancaires et autres services financiers. Le montant de cette aide planifiée sur quatre ans fut de 382 millions de dollars prêtés à des taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché et, en 1998, la forte contribution du secteur privé permit à quelque 350 organisations de disposer de trois milliards de dollars pour gérer des programmes de développement social et économique dans des quartiers pauvres (Helly, 1999).

[12]   Buchanan (idem : 357) donne comme exemple l’extermination des troupeaux de bisons qui a réduit à néant la possibilité des Autochtones américains de perpétuer leur mode de vie.

[13]   Les inscriptions de membres des minorités racialisées (noire et latino-américaine) ont baissé de moitié dans les universités publiques de Californie et du Texas où ont été abrogées en 1996 les préférences raciales favorisant leur recrutement (Economist, 13 mars 1999).

[14]   Walzer (1995) et Glazer (1995, 1997) admettent actuellement les programmes d’action positive.

[15]   Semprini (78, 81-82, 90) parle d’un paradigme communicationnel qui considère la généralisation du fait communicatif comme le caractère principal des sociétés contemporaines. Elle parle aussi du quasi-recouvrement de la société américaine par le discours des classes moyennes nanties qui, plus préoccupées désormais d’épanouissement personnel que d’accès à des biens matériels, attribuent une valeur à la réalisation de soi et au vécu.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 26 février 2008 15:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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