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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Denise Helly, “Orientalisme populaire et modernisme. Une nouvelle rectitude politique au Canada.” Un article publié dans The Tocqueville Review / La Revue Tocqueville, vol. 31, no 2, 2010. [Autorisation accordée par l'auteure le 4 novembre 2010 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.] Nous pourrons diffuser ce texte en avril 2012, à la demande de la Revue Tocqueville.

Denise Helly

Chercheure, INRS culture - société

Orientalisme populaire
et modernisme.
Une nouvelle rectitude politique
au Canada
”.

Un article publié dans, The Tocqueville Review / La Revue Tocqueville, vol. 31, no 2, 2010.


1.  Les débats sur les minorités religieuses
2.  Orientalisme érudit, orientalisme populaire
3.  L’archaïsme musulman
L’autonomie individuelle des musulmanes
L’invasion de la sphère publique par la religion
4.  La neutralité religieuse de l’État

     Les régimes de sécularité

Religions nationales
Cultes reconnus : privilèges des églises chrétiennes
Pluralisme institutionnalisé

     Les régimes de laïcité

Canada, Québec, États laïcs ?

5.  L’ultra-laïcisme contre l’islam, la liberté religieuse et les juges

Conclusion: L’évacuation de l’enjeu de la pluralité des valeurs
Bibliographie

Un article publié dans, The Tocqueville Review / La Revue Tocqueville, vol. 31, no 2, 2010.


On observe trois formes de dévalorisation de l’immigration dans les sociétés occidentales depuis les années 1990, la xénophobie, le rejet des demandeurs d’asile et des illégaux, et l’islamophobie (Cole, 2009). Ce terme, créé en 1997 par Runnymede Trust, décrit une hostilité haineuse envers les musulmans. Nous traitons ici de formes discursives de cette hostilité par des Canadiens et non de formes comme la discrimination, la victimisation (crimes haineux) et la criminalisation (profilage, effets de dispositions anti-terrorisme) [1].


1. Les débats
sur les minorités religieuses

Un premier débat public survient au Québec, en 1994-95, à propos du foulard islamique. L’idée d’une impossibilité des musulmans de suivre les préceptes de la modernité, en l’occurrence l’égalité de genre, le sous-tend et il s’éteint avec un avis de la Commission des droits de la personne du Québec sur la légalité du port de signes religieux. Un autre débat public s’amorce en 2001, à la suite des attentats aux États-Unis de la diffusion en 2002-2003 des données du recensement canadien de 2001 montrant une croissance de la population musulmane. Puis, à partir de 2003, les signes religieux dans la sphère publique et les débats à leur propos en France deviennent objets de l’attention des sondages et des médias, alors que le renouvellement de la clause permettant les enseignements chrétiens dans les écoles publiques québécoises suscite des controverses sur le statut de la religion dans la sphère publique. En 2004, la découverte par le grand public d’instances d’arbitrage religieux en Ontario donne une échelle pancanadienne aux controverses qu’avivent ensuite divers faits : décision de la Cour suprême sur la légitimité du port du kirpan à l’école (2006), création de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles au Québec (CCPARDC, 2008), discussions sur le financement public des écoles catholiques en Ontario, sur le Programme d’éthique et culture religieuse (2008, Québec), des crimes d’honneur (2009, Ontario) et une Charte de la laïcité du Québec (2009-2010).

Ces débats s’accompagnent de la couverture médiatique d’incidents souvent créés par des groupes de pression et politiciens et donnent l’impression de demandes incessantes de reconnaissance de pratiques particulières par les musulmans. Des faits anodins prennent de l’importance : foulard porté par un membre d’une équipe de soccer à Edmonton et d’une équipe de judo au Manitoba ; longueur de jupe d’une employée de l’aéroport de Toronto (National Post, 2007) ; code de conduite du Conseil municipal d’Hérouxville (population 1,300) en 2007 avisant les immigrants que les femmes ne peuvent être lapidées, brûlées vivantes, défigurées par de l’acide ; confusion du Directeur général des élections et du Premier Ministre sur le port de la burqa lors du vote de fin 2007.

Les pratiques culturelles minoritaires sont un objet de dissensions entre Canadiens depuis les années 1980. Avant que ne surgissent des conflits publics sur des usages musulmans et sikhs, en 1991 (Angus-Reid, 1992) 58% des Canadiens acceptent que le gouvernement appuie la préservation d’usages culturels minoritaires si ceux-ci respectent les droits et libertés, si la polygamie, les mariages arrangés et l’idée d’une supériorité de l’homme sur la femme sont interdits. 42 % pensent que l’unité nationale est affaiblie par les minorités ethnoculturelles qui persistent dans leurs traditions, 32 % que les immigrés doivent oublier leur culture et 39 % que les immigrés doivent conserver leurs usages dans la sphère privée. De plus, 15 % avance que le mariage entre « races » différentes est une mauvaise idée et 18 % que le multiculturalisme détruit la manière de vivre des Canadiens.

Les positions et les clivages constatés en 1991 n’évoluent pas par la suite. Entre 2005 et 2006 la part de Canadiens estimant que « trop d’immigrants n’adoptent pas les valeurs canadiennes », passe de 58 % à 65 % (Adams, 2007). En octobre 2006 (Environnic /The Globe and Mail), la moitié des répondants disent que les groupes minoritaires doivent être libres de maintenir leur croyance et pratiques culturelles et 40 % qu’ils doivent se fondre dans la société canadienne. En avril 2008 (The Globe and Mail/CTV News) 61 % opinent que le Canada accorde trop de concessions aux minorités visibles (Laghi, 2008). 

Selon les sondages, un tiers ou plus des autres Canadiens « ne se sent pas à l’aise » avec les musulmans. En juillet 2006 (Association of Canadian Studies) 24 % déclarent avoir une vision négative des musulmans (10 % dans le cas des chrétiens et 9 % des juifs). En octobre 2006 (Environnics-The Globe and Mail), 37 % ont une impression négative de l’islam en raison de : 21 % de son traitement des femmes; 19 % de sa violence ; 17 % de son association avec le terrorisme ; 11 % de son intolérance et 11 % de ses positions extrêmes. Quand les répondants connaissent personnellement des musulmans, leur impression est plus positive. En décembre 2006-janvier 2007 (Sun Media), 51 % des répondants affirment ne pas être racistes du tout, 47 % l’être et 53 % avoir une haute opinion des personnes d’origine arabe alors qu’une forte majorité a une haute opinion des personnes d’origine italienne, asiatique, juive et noire. En septembre 2008 (Léger Marketing), 36 % disent avoir une impression défavorable des musulmans et, en avril 2009 (Angus Reid), 72 % une opinion fort favorable du christianisme, 57 % du bouddhisme, 53 % du judaïsme, 42 % de l’hindouisme, 30 % du sikhisme et 28 % de l’islam (Geddes, 2009).

Une part significative de l’opinion publique canadienne n’accepte pas la présence de minorités non chrétiennes et des groupes de pression et courants d’opinion ciblent les musulmans À lire leurs réflexions dans les médias et dans les mémoires de la CCPARDC, on distingue deux facettes : la première, la plus présente à l’échelle pancanadienne, reprend le discours moderniste, scientiste, qui voudrait annihiler l’influence de la religion ; la seconde, nativiste, invoque la perte de la culture nationale et la menace des juges sur la souveraineté populaire et montre une nostalgie des démocraties d’avant 1945 quand les majorités culturelles et religieuses décidaient du sort des minorités. Elles composent un nouvel orientalisme islamophobe.


2. Orientalisme érudit,
orientalisme populaire

L’orientalisme [2] est un ensemble de courants européens de pensée qui magnifient ou honnissent le monde oriental. Ils le traitent d’univers asiatique, islamique, confucéen, hindou, comme des blocs culturels homogènes, de civilisation, à l’aide de quelques traits changeant selon la période. Concernant le bloc musulman, un orientalisme chrétien fait de l’islam à partir du XIIe siècle une religion irrationnelle, violente, idolâtre et licencieuse (polygamie). À partir du XVIIIe siècle, la connaissance des mondes orientaux s’affine et un orientalisme merveilleux naît que conforte la conviction des Lumières qu’en dépit de différences culturelles, les humains demeurent les mêmes. Cet orientalisme merveilleux met en scène une esthétique sensuelle du monde arabe où se projette la sensualité européenne (Makdisi et Nussbaum, 2008 ; Bernstein, 2009). L’Empire britannique développe à la même époque une vision positive dans sa poursuite du maintien de l’ordre colonial : langues, cultures et systèmes juridiques locaux, musulmans et hindous, sont valorisés et respectés.

Survient une mutation idéologique au XIXe siècle. Une hiérarchie des civilisations est inventée et des tenants du libéralisme politique la défendent :

John Stuart Mill proclaimed self-rule as the highest form of government and yet argued against giving Indians and Africans self-rule” [.] “They were not yet civilised enough to rule themselves. Some historical time of development and civilisation [..] had to elapse before they could be considered prepared for such a task Mill’s historicist argument thus consigned Indians, Africans and other ‘rude’ nations to an imaginary waiting-room of history.” (Chakrabarty, 2000)

Jusqu’au XIXe siècle, l’Empire chinois représente, notamment pour des milieux intellectuels français, un modèle d’État centralisé et l’Afrique noire le hors histoire. À la faveur de l’expansion coloniale, l’imagerie de l’Afrique et de l’Orient confucéen et islamique devient ambivalente. Un courant érudit, français et allemand, affirme la supériorité des héritages sanskrit, arabe, sumérien sur l’héritage européen et s’accompagne d’un orientalisme juif (Reiss, 2005). Un autre courant impose une approche selon laquelle l’humanité comprend des pôles civilisationnels aux différences inaliénables, pérennes et pour lesquels l’évolution historique de l’Occident est un modèle, vu son invention des idées de liberté, citoyenneté, rationalité, égalité et urbanité (confort, plaisir, sécurité, mixité sociale). Il développe un dogme du changement historique et de la modernité comme un processus universel, non spatialisé, non sociologisé. Il omet les différentiations internes des cultures et des sociétés, et les relations de pouvoir entre pays et États. Il construit trois catégories idéologiques, i.e. historiques et sociologiques : l’Orient (Moyen-Orient), l’Extrême-Orient et l’Europe. L’Afrique devient terre de barbarie, la Chine terre de despotisme (Dermigny, 1964) et l’Islam terre de refus de la modernité. Quant aux cultures africaines et autochtones, elles sont renvoyées à une ère d’avant la Civilisation. Cette vision est critiquée au XXe siècle, notamment après 1945, pour sa réification des cultures et son mythe de l’Orient irrationnel, despotique, dangereux (MacFie, 2002 ; Curtis, 2009 ; Saïd, 1978, 1993, 1997 ; B. Turner, 1978 ; Goody, 1999).

L’opposition entre les deux blocs de la Guerre froide disparaît en 1989 et avec elle l’alliance entre religion et camp occidental, et l’idée de polarité civilisationnelle est reprise (Lewis, 1990 ; Barber, 1996 ; Fukuyama, 1994, 1999 ; Landes, 2000 ; Pagden, 2008 ;  Huntington, 1996). Néanmoins, si Barber parle d’une simple guerre entre Occident et Djihad, Huntington distingue huit pôles religieux et selon lui, la civilisation occidentale est unique, elle n’est pas universelle. Il conclut que les Occidentaux doivent apprendre à composer avec un ordre mondial organisé sur la base de civilisations (1997:17-18).

Cette idée de systèmes culturels différents est transformée en affrontement par des politiciens [3], courants d’opinion et groupes de pression parlant d’incompatibilité entre Islam et Occident. Le terrorisme islamiste, les régimes répressifs et conflits au Moyen-Orient et des craintes nativistes face à la présence de musulmans en Europe (15 millions) facilitent la divulgation de ce nouvel orientalisme plaçant le monde islamique aux antipodes de la civilisation occidentale. Notons que la Chine communiste n’est pas objet de pareil ostracisme et que la référence confucéenne ne sert pas à expliquer sa croissance économique et son absence de démocratie [4].

L’idée d’humanité divisée en blocs civilisationnels produit l’image d’un bloc islamique, alors qu’il ne saurait exister une entité islam, pas plus que des entités catholicisme, protestantisme, judaïsme ou bouddhisme. L’univers de l’islam a été et demeure multiple, traversé de courants rivaux, conservateurs, laïcisants, contestataires, radicaux, modernes et trois traits sont à retenir : 1) Chaque fidèle peut choisir son école religieuse et l’autorité religieuse est fragile ; 2) Il n’existe pas, même dans le chiisme, d’institution détenant un monopole affirmé d’interprétation de la doctrine ; 3) L’« unité » de l’islam repose sur cinq dogmes et quelques préceptes cultuels. En sus, l’incarnation de Dieu dans l’univers humain ou l’idée d’intermédiaire humain entre Dieu et les croyants sont impossibles alors qu’elles sont centrales dans le christianisme. Quant à l’idée d’oumma, elle est un mythe, persistant, celui d’unir les musulmans en une seule communauté comme lors des origines de l’islam. Mais depuis des siècles les musulmans sont divisés par des courants religieux divers, des alignements nationaux, ethniques, tribaux, et comme toute population par des différences de mode de vie, de mémoire, de mode de croyance et de pratique religieuse.

Cependant, des publics non informés veulent voir en l’islam un monolithe non moderne, l’antithèse de leur « monde de progrès ». Depuis le XVIIe siècle, selon une interprétation des Lumières [5], existe l’idée de l’émancipation des humains par la raison, i.e. un mode de pensée rationnel soutenu par des progrès scientifiques incessants, une croissance économique, de meilleurs modes de gouvernement et plus de bien-être et de moralité. Au XVIIIe siècle, on pensait que le commerce apporterait la prospérité, la prospérité l’accès au savoir et à la raison, et la raison une plus grande moralité des gouvernants et gouvernés.

De l’après-guerre aux années 1980, cette idée a souvent pris la forme de l’idéologie de la modernisation selon laquelle l’application de la science et de la technique à la production industrielle portait à voir la marche des choses selon une logique de causalité et de rationalité et à renoncer aux doctrines eschatologiques d’un salut divinement ordonné, comme aux normativités basées sur des historicités particulières, les traditions.

Définir la modernité comme une dynamique d’affirmation de la rationalité est illusoire. Le débat sur les failles de cette vision commence à la fin du XIXe siècle pour se poursuivre après la Première Guerre mondiale, puis après l’Holocauste et prendre un nouvel essor avec la critique post-moderniste durant les années 1980. À la narration moderniste sur les avancées constantes des techniques, des modes de pensée, de gouvernement, de gestion économique, on peut opposer les exactions des États modernes ayant assassiné hors de toute guerre internationale, 4 % de leur population au XIXe siècle et 7 % au XXe siècle (Simon et Moore, 2000: intro). On peut rappeler que les régimes communistes furent des acteurs convaincus de cette vision positiviste et citer les usages de grandes inventions scientifiques : bombes sur les villes japonaises en 1945, cyclone B des chambres à gaz nazies.

De plus, ridiculiser ou chanter le progrès relève d’un même déni de la domination politique. Croissance économique, inventions scientifiques, changement institutionnel n’apportent progrès social, économique, politique, que harnachés par une autorité politique ayant un tel propos. Aussi, ne s’agit-il pas de juger une société, une culture, à l’aune de sa capacité d’invention scientifique et d’avancée sociale, mais d’analyser les rapports de pouvoir qui induisent, hypothèquent, instrumentalisent cette capacité. Le recul scientifique et économique du monde arabe et de l’Empire ottoman à partir du XVIe siècle est un fait à analyser et non à essentialiser pour faire du monde islamique un univers inapte à la modernité. Mais l’orientalisme populaire actuel veut croire que les ratés du progrès ne sont que des accidents historiques et non des limites inhérentes de la modernité, et son projet est de rayer de la carte historique un pan de l’humanité, dit inapte à la modernité.

Des stéréotypes répétés dans les médias et débats publics illustrent cet orientalisme. On en présentera deux centraux voulant prouver l’inaptitude de l’islam à la modernité : le statut inférieur des femmes ; l’incapacité d’institutionnalisation de l’autorité de l’État sur la religion.


3. L’archaïsme musulman

L’autonomie individuelle des musulmanes

Dans les sociétés occidentales (Delphy, 2006 ; Lorcerie, 2005 ; Scott, 2007), les femmes musulmanes sont souvent dépeintes comme des victimes captives des hommes, et quand elles se disent croyantes, comme des aliénées inintelligentes ou des ennemies politiques alliées des islamistes violents. Au Canada, ces images sont prégnantes et la démonstration suit deux versants : 1) Dans les sociétés musulmanes les femmes sont assignées à des positions de non droit, à l’ignorance et à l’enfermement; en atteste la situation en Afghanistan, Arabie Saoudite, Somalie ; 2) La «loi islamique» impose l’idée d’une différence inaliénable entre sexes et place les femmes sous la tutelle des hommes.

Ces deux preuves permettent de conclure sur le statut des femmes dans des sociétés aussi contrastées que l’Indonésie, la Turquie, l’Iran, l’Algérie, l’Afghanistan. Elles conduisent à réduire la diversité d’un univers de plus d’un milliard de personnes à ses formes les plus oppressives des femmes connues dans l’histoire des pays musulmans. De plus, la différence entre normes culturelle et islamique est ignorée et la « loi islamique » non définie.

Faute de pratiques de polygamie et de brutalité coutumière subies par les Canadiennes musulmanes, leur victimisation par les hommes et la religion est lue dans des formes vestimentaires et, faute de port fréquent de la burqa, du tchador ou du niqab au Canada, dans le port du foulard islamique (hijab). En 2007 (Environics Research Group-CBC), 60 % des musulmanes canadiennes disent ne porter aucun vêtement particulier et 72 % des répondants musulmans ne pas être dérangés par le rôle plus moderne adopté par les musulmanes au Canada.

Le stéréotype de la musulmane victime est omniprésent durant la controverse sur la sharia en Ontario en 2004-2005. En raison de leur foi religieuse et de différences d’histoire politique, des immigrés de toute confession préfèrent ne pas voir l’État intervenir dans leur vie privée, ce qui ne signifie pas une maltraitance assurée des femmes et des enfants. Les musulmans sont très attachés à l’application de préceptes islamiques lors de la résolution de conflits familiaux (Inglehart, 2003). En 2007, 53% des musulmans canadiens désirent pareille résolution, 34% ne le veulent pas, comme 79 % des Canadiens non musulmans (Adams, 2009).

En Ontario, l’arbitrage religieux de conflits familiaux et commerciaux est possible depuis 1991 [6] et pratiqué par des chrétiens, ismaéliens, autochtones et juifs. En 2004, une lutte d’influence entre courants musulmans est lancée par un groupe conservateur qui prétend créer L’instance d’arbitrage religieux du Canada. Une association féministe musulmane lui oppose un refus ferme et enclenche un débat fort médiatisé mais rapidement dominé par des courants féministes modernistes voulant ‘protéger’ les musulmanes. Pendant ce débat, les musulmans sont décrits comme des sujets pré-modernes et prêts à imposer la sharia comme loi du pays canadien (Zine, 2010). L’analyse de 108 articles de Toronto Star, The Globe and Mail et du National Post met à jour deux images : l’Islam restreint la capacité d’agir des femmes, les musulmanes sont des victimes, «with limited agency» (Korteweg, 2008) et l’image du «.. triangle formed by (1) the imperilled Muslim Women, (2) the barbaric Muslim men and (3) the civilized (Western) Europeans” est omniprésente (Razack, 2007: 5). Significativement, les femmes participant à des arbitrages ne se voient pas donner la parole par les médias alors qu’une opposante à ces arbitrages, Homa Arjoman, est souvent citée. Marion Boyd, désignée par le gouvernement ontarien pour étudier les instances d’arbitrage, rapporte :

Nous avons parlé à de nombreuses femmes, nous avons même instauré une ligne téléphonique anonyme. Nous n'avons entendu aucune femme se plaindre d'une décision arbitrale. Par contre, beaucoup de femmes musulmanes ont déploré qu'on projette d'elles une image stéréotypée, comme si elles n'étaient pas en mesure de se défendre elles-mêmes (Gruda, 2004).

À ce propos, nombre de plaintes sont déposées par des musulmanes devant des tribunaux du Québec et de l’Ontario pour un conflit familial (Helly et Hardy-Dussault, 2010). Ces femmes comprennent la fonction du droit : elles ne condamnent en rien des pratiques  dites islamiques (répudiation, dot) mais refusent le non respect par leur conjoint des procédures prescrites. Mais, selon la vision féministe moderniste, une femme ne peut être actrice de ses droits et croyante et les musulmanes doivent être protégées par l’État des hommes et des religieux. Cette vision réaffirme l’opposition modernité/pré-modernité :

Ideas about women’s rights and secularism are part of the neo-liberal management of racial minority populations who are scripted as pre modern and requiring considerable regulation and surveillance. The West is once more understood as culturally committed to the values of enlightenment while the non-West remains incompletely modern at best or hostile to modernity at worst. And, if Muslim women won some protection, it was only as the cost of increasing anti-Muslim/anti-immigrant racism and consolidating the idea of civilized Europeans (Razack, 2007: 29).

Par ailleurs, l’usage du mot sharia illustre la construction d’une notion historique en catégorie idéologique. Le mot sonne dans les discours des personnes hostiles à l’islam comme une formule magique évoquant barbarie, mutilations physiques, misogynie. Elle est un sésame qui dévoile le retard civilisationnel du monde musulman. Sa réalité socio-politique, historique et contemporaine est ignorée. La sharia n’est pas une loi de Dieu abstraite et surplombante mais quelques principes moraux tels des commandements édictés dans des textes chrétiens ou judaïques. En soi, elle n’existe pas et elle n’est pas une loi étatique, du droit positif. Elle peut être loi étatique et les principes qui la définissent alors, sont différents selon les États. La sharia appliquée au Pakistan, en Arabie Saoudite, en Somalie, en Égypte, au Maroc ou lors des médiations opérées par des imams en Occident diffère. Le spectre des interprétations va de la brutalité corporelle à l’imposition, au nom des droits des épouses, d’un divorce aux époux le refusant, par les Shariah Councils britanniques.

Le stéréotypes de la musulmane, victime des hommes ou rebelle dangereuse, montre une vision méprisante, misérabiliste et paternaliste de la musulmane (Delphy, 2006) et une ignorance de la complexité de l’islam, des conflits d’interprétation entre écoles religieuses sur le statut des femmes et des luttes contre le rigorisme islamiste par les féministes musulmanes (Kandiyoti, 1991; Sahgal et Yuval-Davis, 1992; Abu-Lughod, 1998 ; Lamrabet, 2000, 2004 ; al-Hibri, 2000 ; Badran, 1995, 2001 ; Mojab, 1998, 2001 ; Yegenoglu, 1998). Il passe sous silence les sondages dans les pays musulmans montrant un désir d'inclusion des femmes dans la sphère publique et une seule différence notable avec les sociétés occidentales : un puritanisme sexuel (Inglehart, 2003). Il construit des images essentialistes et cristallise les différences entre islam» et Occident (Göle, 1996-2003 ; Mernissi, 2001 ; Wadud, 2006 ; Saïd, 1980).

Ce stéréotype est euro centrique. A. Phillips (2007: 34-37) propose des limites à tout système culturel : protection des mineurs contre tout mal (harm), interdiction de violence physique et mentale, égalité entre femmes et hommes au sens d’égalité de choix d’un mode de vie. Ce dernier principe signifie qu’une femme peut accepter qu’égalité n’est pas similitude, une représentation que nombre de doctrines féministes occidentales refusent. Pour Phillips, l’autonomie individuelle est une valeur première et les choix qui contreviennent à nos convictions ne peuvent être dits des décisions de victime ou une fausse conscience. La liberté individuelle ne conduit pas forcément à refuser une croyance religieuse ou à admettre la définition de la féminité prévalente en Occident. Selon une étude à Montréal (Perreault, 2007) : 

Les femmes musulmanes revendiquent l'égalité des sexes dans les domaines de l'éducation, au travail, en politique, dans le domaine juridique. Elles se considèrent comme égales à leurs conjoints, même si elles admettent ne pas avoir le même rôle. Les hommes sont les pourvoyeurs, alors qu'elles ont la responsabilité du cocon familial. Elles estiment qu'hommes et femmes sont égaux dans cette complémentarité.

Face à l’ethnocentrisme et à l’autoritarisme des courants féministes voulant libérer les musulmanes, des auteures repensent le concept de capacité d’agir (agency) et réfutent l’image de la musulmane victime des hommes, de la religion ou provoquant l’ordre occidental par divers signes extérieurs. Elles insistent sur le droit de développer d’autres schémas sur les rôles sexuels, d’investir fortement une foi religieuse (Mahmood, 2005) et de participer au débat public. Hadj-Moussa (2004), Phillips (2007), Shachar (2001), Benhabib (2002), Razack (2007), Deveaux (2006), Malik (2009), Frazer (2009) et Bilge [7] (2010) veulent donner aux musulmanes le statut d’acteurs sociaux à part entière qui leur est dû et proposent diverses voies pour assurer leur participation à la définition du problème qu’elles sont censées incarner [8].

L’invasion de la sphère publique par la religion

Second stéréotype souvent répandu, les musulmans refusent de privatiser leur pratique religieuse, car lislam est incapable de penser la primauté du pouvoir politique sur le religieux. Rappelons que des États de sociétés musulmanes assurent cette primauté (Tunisie, Algérie, Turquie, Iran avant 1979, Indonésie) et que la retraite du chemin séculier (Esposito et Tamimi, 2000) ou la résurgence de l’islam sur la scène politique date des années 1970-80.

Au Canada, cette dite incapacité fait partie des débats sur les signes religieux dans la sphère publique, sur l’arbitrage religieux et le financement des écoles catholiques. Selon une analyse d’articles de journaux québécois durant les années 1990, le refus de la laïcité fut un argument central contre le port du foulard islamique (Ciceri, 1998) et demeure un  item de débat comme l’illustre ce passage d’un article (Guilbaut, 2008) :

The Quebec government should adopt a charter of secularism that forbids public servants from exhibiting any form of religious expression on the job, whether that means wearing a crucifix around their neck or a Sikh turban on their head [..]. A religious symbol is more than just a symbol. The hijab is more than just a piece of cloth. It's a discourse. And I don't think anyone who works for and represents the state should be a vehicle for any kind of religious or political discourse [.] In the street, anyone can dress like she wants. But in a public institution that's inherently secular, no way.

En 2007, s’opposant à la promesse des conservateurs d'investir 400 millions de dollars dans le financement des écoles religieuses (de toutes confessions), le Parti vert d'Ontario veut éliminer le financement des écoles catholiques (Radio Canada, 2007). Et condamnation plus ouverte de la religion sur la scène publique, début 2009, des placards sont placés sur des bus à Toronto : There's probably no God. Now stop worrying and enjoy your life. Une publicité similaire par Canadian Atheist Bus Campaign est refusée à London et à Ottawa, et un débat survient à Calgary. En octobre 2009, selon un sondage Angus-Reid - La Presse, 59 % des Québécois désirent l’interdiction des signes religieux dans les lieux publics.

Le risque d’autoriser des pratiques musulmanes dans la sphère publique serait le retour de l’obscurantisme religieux. Deux postulats sous-tendent la certitude de cette catastrophe annoncée. L’un est le caractère normatif attribué à la sécularisation [9], i.e. la dynamique socioculturelle induisant les individus à un abandon de la foi religieuse. L’autre est une définition tronquée, erronée, d’une forme de la séparation des pouvoirs religieux et politique, la laïcité.

S’appuyant sur la conviction d’une évolution continue vers une plus grande sécularisation, les tenants du paradigme moderniste espèrent la mort de la religion. À leurs yeux, l’expression religieuse ne saurait se maintenir face aux avancées de la science, à la diffusion des savoirs et à la démocratisation de l’éducation scolaire. Elle devrait disparaître ou pour le moins devenir socialement inefficace, invisible, reléguée à la foi personnelle et à la sphère privée. Mais, si les Églises chrétiennes perdirent de fait de leur influence au long du XXe siècle, depuis les années 1990, la permanence de la croyance religieuse et l’affirmation des appartenances religieuses comme des identités sociales demandant un partage de l’espace public offrent un démenti massif au paradigme moderniste. Les demandes depuis vingt ans de voir les pratiques religieuses respectées par les organisations privées (entreprises) et publiques (services publics, écoles, police), aggravent aussi le malaise et l’hostilité des tenants du paradigme. Et ce, plus fortement quand ils ont été socialisés dans des sociétés historiquement catholiques, où le dogme et le pouvoir autoritaire d’une institution religieuse ont contrecarré la démocratisation des droits, des choix culturels et de la vie politique.  

L'idée que l'univers humain est une entité logique et que les idéaux de liberté, égalité, savoir, sécurité, intérêt personnel n'entrent en conflit qu'en raison de l'irrationalité des acteurs est naïve, irréelle. I. Berlin (1959/1991:21-25, 1998, 2006) a déconstruit cette idée de la rationalité comme unique fondement des conduites humaines et pour S. Neiman (2008), la théorie politique libérale est paradoxale et tragique : elle développe l’idée de la capacité de l’humain de faire le mal (evil) et d’être la seule source de bien.

Par ailleurs, le paradigme populaire moderniste dévoie le sens de la rationalité en la limitant à sa version instrumentale sous l’influence de l’économie dans les sociétés capitalistes. La rationalité n’est en rien l’exercice d’une logique intellectuelle pour affirmer ses opinions, choix et intérêts, elle est la capacité de mise à distance de ses convictions, l’ironie, le doute qui laissent place à la retenue, la tolérance, l’acceptation de la différence et du différend.

L’histoire a montré combien la thèse moderniste est erronée. Démocratie et  diffusion des savoirs ne produisent pas un recul de la croyance religieuse. Cette forme d’évolution a été celle de sociétés d’Europe du Nord et de l’Ouest mais non de sociétés de l’Europe centrale et de l’Est, pas plus que celle des États-Unis et de pays du Sud (Sadria, 2009). Shmuel Eisenstadt (1999) parle de modernité multiple et rappelle des faits. Les traditions communautaires, religieuses, ethniques ne se dissolvent pas sous l’effet de la démocratisation et de l’expansion capitaliste et les traditions religieuses (christianisme, bouddhisme, shintoïsme, judaïsme, islam, hindouisme) demeurent souvent des éléments constitutifs de la définition des États et identités nationales (Hutchinson, 1996; Davie, 2000). En outre, la sécularisation a connu dans l’histoire des mouvements oscillatoires (Martin, 1978) et, pas plus que la mondialisation économique n’est la dissémination universelle d’une forme de capitalisme, il n’existe de modèle universel de sécularisation et de régulation constitutionnelle des liens entre État et religion. Chaque société est une combinaison propre d’éléments religieux et séculiers (Spohn, 2003).

Ce dernier aspect est au centre des arguments des courants d’opinion faisant de l’islam LE symbole du « retour » néfaste du religieux dans la sphère publique. Ils invoquent la primauté de l’État sur le religieux et la laïcité, française.


4. La neutralité religieuse de l’État

L’idée d’une totale neutralité religieuse de l’État est jugée illusoire par les analystes car l’État suit toujours des principes ancrés dans une philosophie séculière ou religieuse, il fait donc un choix [10] et il n’est neutre qu’aux yeux des citoyens qui adhèrent à ce choix (Rosenfeld, 2009). La construction des États modernes s’est appuyée sur l’idée de la primauté du politique sur le religieux et divers régimes de relation État/Églises ont été instaurés.   

La religion fut le premier objet de réflexion sur l'inégalité en Occident au regard des conflits religieux qui ravagèrent la France, puis l'Angleterre, à partir du XVIe siècle. Une codification étatique de l'influence dominante d'une religion sur l'organisation sociale et le pouvoir politique est implantée par un régime monarchique de droit divin, en France, au XVIe siècle et, en 1648, le Traité de Westphalie crée le droit des monarques (protestants) d’imposer leur religion à leurs sujets et met fin à l’hégémonie de l’Église catholique. Selon John Locke (Letters on Toleration, 1686), la persécution est irrationnelle et inefficace, car on ne peut transformer une croyance par la force, et l'État ou une Église majoritaire ne peut éradiquer une foi « fausse ».

Au fil du XVIIIe et du XIXe siècle, la primauté du politique sur le religieux devient un principe fondamental de tous les États occidentaux. Néanmoins, certains maintiennent une identité religieuse ou une relation privilégiée avec une ou des Églises influentes sur leur territoire. Cette relation relève de la philosophie de la sécularité qui affirme une fin divine des univers humain et naturel et avance l’idée d’une distinction entre monde temporel, historique, politique, et monde spirituel et religieux. Selon ce courant de pensée, une relation peut être maintenue entre institutions étatiques et religieuses, car la normativité religieuse est un fait positif. La croyance et la pratique religieuse sont des faits communautaires et forment un système de pensée et un mode de vie légitimes et utiles socialement.

Cependant, au XVIIIe siècle, une autre philosophie, dite secularism, se consolide. Elle refuse toute autorité de la religion sur le monde temporel et des Églises. Elle ne condamne pas la religion en soi, ne rejette pas une coexistence pacifique du séculier avec le christianisme si celui-ci favorise le bien de tous, mais avance la reconnaissance par l’État d’une éthique indépendante de toute transcendance (Kosmin et Keysar, 2007). Elle refuse toute relation de l’État avec une institution religieuse.

Le précepte de la primauté de l’État sur le pouvoir religieux se décline donc selon deux modes qui s’opposent sur un point fondamental, l’appréciation de la normativité religieuse et de la neutralité religieuse de l’État. Neutralité religieuse de l’État et contrôle du pouvoir religieux par l’État ne s’équivalent pas. Tous les États modernes occidentaux contrôlent le pouvoir des institutions religieuses sur leur territoire mais tous ne définissent pas leur neutralité religieuse, i.e. la protection de toutes les orientations philosophiques, comme une absence de lien entre l’État et les institutions religieuses.

La liberté religieuse, comme la liberté culturelle, a été conçue comme un droit négatif ou positif. Droit négatif, elle signifie l’interdiction de toute ingérence de l'État dans l'expression d'une croyance religieuse ; droit positif, la protection étatique de l’expression et de la pratique religieuses et le droit d'agir en toutes sphères selon les valeurs de cette foi. Ce qui signifie le droit du croyant de respecter ses valeurs dans tous les domaines de la vie sociale qu'il juge nécessaires, et non uniquement dans la sphère privée. En conséquence l'État se doit de lui assurer la possibilité matérielle de disposer d'institutions où il peut mettre en acte ses valeurs particulières, et l’État contribuer au financement des institutions religieuses : lieux de culte, réseau d'enseignement, associations caritatives, sociales, culturelles, médias, etc. Un argument démocratique est invoqué pour asseoir la définition positive de la liberté religieuse. Le ministre des Cultes du Luxembourg le résume en 2003 :

Il y a des États comme le nôtre qui ont une neutralité bienveillante à l'égard des communautés religieuses parce qu'ils sont d'avis que les religions jouent un rôle public alors que d'autres en font une affaire privée [.] S'il existe des courants forts d'opinion, ils doivent s'exprimer et je trouve normal que les communautés religieuses puissent jouer un rôle d'opinion comme les autres (« Entrevue », jeudi, 30 janvier 2003, in Plural Oracle Hors série 3, 2003: 3).

Les deux conceptions du lien entre État et pouvoir religieux ont pris des formes variées sous la pression de compromis politiques propres à chaque société. Quatre facteurs agirent (Martin, 1978) : 1) le rôle de la religion dans la construction nationale, 2) l’influence de la Réforme protestante, 3) le poids des courants libéraux et socialistes, 4) la position des Églises face aux Lumières et à la démocratie (à la différence des églises protestantes, l'Église catholique n'admet les régimes démocratiques qu'à la fin du XIXe siècle).

Les régimes de sécularité

La philosophie de la sécularité fait de la liberté religieuse un droit positif et définit la croyance religieuse comme une philosophie recouvrant la vie d’un croyant, y compris sa vie en société, et l’idée d’une sphère de la vie où la religion ne serait signifiante lui est étrangère. L’héritage religieux de la société civile et l’action sociale et morale des églises chrétiennes sont dits des éléments de la vie collective, de l’identité nationale et de l’État. Un régime de sécularité est développé par nombre d’États européens, dont toutes les monarchies constitutionnelles. Les institutions religieuses y détiennent une influence sur l’éducation scolaire, et l’enseignement religieux est obligatoire et financé par des fonds publics. Selon le pays, l’État peut aussi financer les traitements des ministres du Culte, les frais du culte et d’entretien du bâti, les activités sociales et caritatives des églises, permettre la levée de l’impôt par l’une d’elles et accorder des exonérations fiscales (Christians, 2005). Au-delà de ces traits, le régime de sécularité est varié et on repère les modes suivants en Europe et Amérique du Nord :

Religions nationales

Quand une confession majoritaire a contribué à la construction de l’identité nationale, l’État a « établi » une religion, i.e. l’a reconnue comme religion nationale, et il subvient à ses institutions, sauf dans le cas anglais. Le régime de religion nationale le plus net et aussi anachronique vu son intolérance est la religion orthodoxe, religion d'État en Grèce. L'Église orthodoxe a conduit la révolution de 1821 contre l'Empire ottoman, la République grecque fut fondée « au nom de la Sainte et indivisible Trinité » et Église et État, religion orthodoxe et identité hellène se confondent. L'article 1 de la Constitution de 1975 affirme la religion orthodoxe « religion dominante », une croix figure sur le drapeau national, les fonctionnaires et le Président jurent serment sur la Bible, des icônes ornent les administrations publiques et devant le Primat de Grèce les religions minoritaires n'ont aucune identité juridique, les athées et non-orthodoxes ne peuvent être enterrés dans les cimetières municipaux et la Grèce est le seul pays européen où n'existe aucune mosquée [11]. Autre cas, révolu, le catholicisme, religion de l’État franquiste (Espagne).

Des sociétés de religion nationale ont évolué différemment. En Suède jusqu’en 1999, Norvège, Islande et au Danemark, le luthéranisme est religion d'État comme il l’est en Finlande avec la religion orthodoxe. Dans ces pays, le fonctionnement des organisations religieuses et les classes d'instruction religieuse dans les écoles sont financés par les fonds publics ou par une taxe levée sur les fidèles (Finlande). En Norvège et au Danemark, le Roi est chef de l'Église. Il l’est aussi en Angleterre, en Écosse où l'Église réformée est établie, l'enseignement religieux obligatoire dans les écoles publiques mais où l'État ne finance pas les institutions anglicanes. L’ensemble de ces États respecte les droits des minorités religieuses, le Danemark se révélant le pays où les musulmans peuvent le plus aisément créer des écoles islamiques en Europe et où les femmes juges et avocates peuvent porter le voile à la cour de justice [12]. Les pays de religion d’État catholique sont peu nombreux : Andorre, Malte, le Vatican et des cantons suisses.

Cultes reconnus : privilèges des églises chrétiennes

Des États développent une coopération, parfois étroite, avec des Églises chrétiennes. L'égalité des cultes ne s'oppose pas à l'établissement d'ententes entre État et communautés religieuses puisque ces accords sont en principe accessibles à tous. Toutefois, des États octroient aux cultes chrétiens des droits particuliers pour assurer la reproduction d'institutions dites essentielles à la vie de leurs fidèles et, parfois, financent directement ces institutions (rémunération des ministres du Culte, construction et entretien des édifices). En Autriche, Espagne, Finlande, Italie, Irlande, Allemagne, Pologne, en Alsace-Moselle et au Portugal et Luxembourg, l'Église catholique ou/et des églises chrétiennes jouissent de statut particulier à travers des accords ou des concordats. L’État allemand est l’exemple le plus complet de cet octroi de privilèges.

En 1948, les Alliés veulent instaurer un système scolaire public séculier, les Églises s'y opposent. La Loi fondamentale de la RFA fait référence à Dieu : selon son préambule, elle a été élaborée avec la conscience de la « responsabilité » du peuple allemand « devant Dieu et les hommes ». Les constitutions de Länder citent au nombre des objectifs de l'enseignement, la crainte de Dieu. La Loi garantit la liberté religieuse, exige de l'État et de ses agents une attitude neutre en matière de foi religieuse et prescrit une responsabilité de l'État de contribuer au développement des forces libres de la société civile, dont les institutions religieuses. Elle définit la neutralité religieuse de l'État comme l’obligation d’assurer le développement religieux et de coopérer avec les Églises dans des domaines d'intérêt commun, social, médical, éducatif et fiscal.

La Loi stipule que l'éducation religieuse, compétence des Länder, est obligatoire dans les écoles publiques (article 7.3) sauf celles déclarées laïques (athées), et que son contenu et son enseignement sont sous contrôle des Églises. Les enseignants, formés dans les universités publiques, parfois des non-croyants, reçoivent un mandat ecclésiastique et les cours (2 ou 3 heures par semaine) traitent de sujets religieux et sociaux (environnement, désarmement, droits de l'homme). Les parents ou élèves de plus de 14 ans peuvent refuser ces cours et, dans la plupart des Länder, les élèves doivent alors suivre des cours d'éthique ou de philosophie. La Loi fondamentale garantit le droit de créer des écoles privées sous approbation des Länder et un enseignement confessionnel (article 7.4). En plus des écoles publiques laïques et des écoles privées, il existe trois types d'école publique selon l'enseignement religieux dispensé, catholique, évangélique et interconfessionnel, le plus répandu.

Pour être reconnue comme une institution coopérant avec l'État et obtenir le financement de ses activités, une communauté religieuse doit prendre acte des principes de la Loi fondamentale et être organisée de manière durable et hiérarchisée afin de permettre aux autorités publiques de communiquer avec ses responsables. Les communautés de vision du monde athées et quatre religions (évangélique [13], catholique, israélites (orthodoxes/conservateurs), orthodoxe) sont reconnues par des concordats et accords regroupés sous le vocable de « régime des cultes ».

En 1979, 1984 et 1994, l'État espagnol qui vient d’accomplir sa démocratisation dans une société où le mouvement anti-clérical est puissant, signe, au nom de la paix sociale, des accords avec le Saint-Siège. Selon ces accords, il finance le personnel de l’enseignement religieux dans les écoles publiques et les écoles privées confessionnelles (toutes religions), la restauration du patrimoine bâti catholique et, en partie, les écoles concertadas [14]. En 1992, au nom de la présence historique islamique de la société espagnole, il reconnaît l’islam comme seconde religion de l'Espagne et imagine le traitement de l’islam le plus libéral en Europe, lequel restera sur papier (Helly, 2005).

Pluralisme institutionnalisé

Les Pays Bas et la Belgique sont des systèmes de piliers. Un pilier est une communauté de vie servant de cadre aux divers aspects de l'existence d'un individu. Les églises protestante et catholique forment historiquement de telles communautés, offrant à leurs membres partis politiques, syndicats, hôpitaux, médias, écoles, universités, associations. Au fil du XXe siècle des courants non religieux, libéral, humaniste, socialiste, obtiennent le statut de pilier et les États financent en partie la marche de leurs institutions.

Cas exemplaire jusqu’en 1983, les Pays Bas. La Constitution de 1917 institue l'égalité entre écoles publiques et écoles chrétiennes et leur total financement public. En 1920, l'Acte sur l'éducation primaire autorise la création de cours de religion chrétienne dans les écoles publiques, dites neutres, à la demande de parents. Les Églises sont en charge des cours, du recrutement des enseignants et de la production du matériel didactique ; elles peuvent recevoir des subventions à la discrétion des municipalités. En 1962, l’Acte de financement (public) de la construction d’Églises concerne les lieux de culte de toutes les confessions. Le courant humaniste et les Mahométans sont assimilés à des églises et la première construction subventionnée de mosquée date de 1975, à Almelo.

Les Pays Bas abandonnent le système des piliers durant les années 1970-80 : abolition du financement public de la construction de lieux de culte (1982) et de la rémunération des ministres de l’Église réformée (1981), entretien des lieux de culte laissé à la discrétion des municipalités (1983). La Constitution de 1983 par les articles 1 et 6 réaffirme la liberté de religion et l’égalité des cultes et des convictions religieuses et profanes, deux  principes qui, avec une séparation, de facto, non constitutionnalisée, de l'État et de l'Église, constituent depuis le régime néerlandais. De multiples aménagements sont adoptés ensuite au nom de la liberté et de l’égalité religieuses [15]. La Belgique maintient le système des piliers au nombre de sept : catholicisme, protestantisme, judaïsme, islam, anglicanisme, religion orthodoxe, communauté philosophique non confessionnelle. Leur personnel est rémunéré par l’État.

Les régimes de laïcité

Une autre conception refuse une définition positive de la liberté religieuse et fait de la religion une conviction et une conduite entièrement personnelles. Elle dicte une absolue séparation de l’État des institutions religieuses : l’État doit demeurer en retrait de la sphère religieuse, ne prendre aucune position hostile ou positive pour une conviction philosophique, n’adopter aucun emblème religieux et ses agents ne manifester aucune conviction religieuse. Il a l’obligation d’assurer la liberté d’expression des convictions et l’égalité des cultes et, à ce titre, ses agents doivent respecter les croyances religieuses des usagers des services publics (Weil, 2009).

Dit laïc en français ou secular en anglais, ce régime est lié à la fondation d'États qui voulaient ne jamais voir une ou des Églises recouvrir la société civile et le pouvoir politique. Il repose sur l’idée que tout humain est libre et a le droit de décider de sa vie à partir de ses propres valeurs et de s’opposer à toute opinion, croyance et coutume prescrites par une majorité. Elle implique une distinction nette entre sphère privée où s'expriment les différences religieuses et sphère publique et politique où se jouent différends et consensus. Aussi, la laïcité constitue-t-elle historiquement un trait d’États de philosophie républicaine, laquelle veut que l’allégeance collective première d’un individu soit à l’État et non à une communauté de vie (États-Unis 1776 ; Mexique, 1857, 1873 ; Turquie, 1924 ; France, 1946, 1958 ; Uruguay, 1964).

Les régimes laïques varient selon le pays, car leur instauration fut une réponse politique à la puissance de l’Église catholique (Europe, Amérique latine), de l’islam (Turquie) ou à un conflit entre Églises chrétiennes (États-Unis). Vu la pluralité religieuse de la société civile, les institutions étatiques des États-Unis, dont la Cour suprême, incarnent plus le principe laïc [16] que le pays érigé en modèle de la laïcité, la France catho-laïque (Laborde, 2008). Là, une loi ordinaire de 1905 interdit toute relation entre l’État et les institutions cultuelles et le terme « laïcité » fut introduit dans les Constitutions de 1946 et 1958 [17].

L’État français déroge au principe laïc (Troper, 2009) par les exonérations fiscales en faveur des édifices et associations cultuelles, l’entretien des bâtiments cultuels par les collectivités locales, le régime des quatre cultes reconnus en Alsace-Moselle, des coutumes dans les Territoires d’Outre-Mer (polygamie, Mayotte), le financement depuis 1959 du secteur scolaire catholique et l’activisme, depuis 1989, de tous les partis politiques afin d’organiser une instance nationale musulmane (fondée en 2003). L’État français n’est en rien exemplaire, il ne respecte pas une stricte séparation État-religion (Woehrling, 1998: 40-43). Ce fait montre comment l’histoire et les luttes de pouvoir façonnent la laïcité (Laborde, 2005, 2009 ; Froidevaux-Metterie, 2007 ; Koussens, 2009) et comme dans le cas de toute autre catégorie idéologique ou disposition constitutionnelle, en proposent des définitions différentes. Un seul principe semble dès lors distinguer la laïcité des autres régimes de neutralité religieuse, le refus de voir l’État assumer une identité religieuse, notamment par le port de signes religieux par ses agents.

Par ailleurs, la neutralité laïque ne signifie pas que l’État se déclare incompétent ou indifférent quand liberté religieuse et égalité sont déniées : « une séparation complète de l’État et des Églises ne correspondrait pas à l’État de droit » (Woerhling, idem: 43). Par respect de la liberté religieuse, des aumôneries religieuses ont été créées dans les collèges et lycées publics, les hôpitaux, l’armée et les prisons, l’abattage rituel organisé et l’usage de baux emphytéotiques [18] encouragé pour faciliter la construction de mosquées, étant donné les faibles moyens financiers des musulmans.

Canada, Québec, États laïcs ?

Le régime canadien n’est pas laïc constitutionnellement et s’apparente au régime d’États accordant des privilèges à des églises chrétiennes. Etant donné l’entrée des provinces dans la Confédération à des périodes différentes et le partage des pouvoirs entre ordres fédéral et provincial, notamment en matière d’éducation, il comporte une constellation de systèmes scolaires d’orientation protestante, catholique ou neutre, et de statut public et confessionnel. Il présente les traits suivants :

– Protection des libertés de conscience et de religion, renouvelée en 1982 dans la Charte canadienne des droits et des libertés (art. 2) ;

– Définition par la Cour Suprême de la liberté religieuse comme liberté de croire et de ne pas croire, ce qui a donné lieu à l’interdiction par les tribunaux de pratiques liées aux religions chrétiennes : prière dans les écoles publiques (Ontario, Manitoba, Saskatchewan) ; abolition par la Cour suprême de l’interdiction de travailler le dimanche (Big M Drug Mart, 1985) ;

– Non définition de la religion, car l’État canadien ne se reconnaît pas compétent pour déterminer ce qu’est un dogme reconnu et acceptable, ce qui contraint les tribunaux à statuer si une loi en traite ou pas ;

– Non mention de la séparation entre État et Église dans la Constitution de 1982, dont la proclamation commence par les mots « Dans l'année du Seigneur.. » et dont le préambule déclare : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Néanmoins la Cour suprême n'a jamais invoqué une suprématie de Dieu dans ses jugements, et une distance entre les législatures, les gouvernements et la sphère religieuse est maintenue comme le montra en 1998 la déconfessionnalisation des écoles publiques au Québec qui ne suscita aucun débat aux Communes et aucune déclaration polémique du gouvernement fédéral ;

– Non précision des compétences législatives et du partage des pouvoirs fédéral et provinciaux en matière de religion, mais en matière criminelle les tribunaux ont jugé toute loi concernant la religion comme relevant du Parlement fédéral (Cotler, 1982: 239, 249, 254) [19] ;

– En 1867 l’éducation publique a été voulue universelle, obligatoire, religieuse et morale, soit chrétienne. Le système public fut fondé comme système protestant et un statut privilégié accordé aux protestants et catholiques pour protéger leur vie collective religieuse, dont le droit à des écoles religieuses (article 93). La Charte entérine ce privilège (article 29) ;

– Financement public, partiel, d’écoles religieuses privées en Alberta, Colombie britannique, Québec, Ontario, Alberta et à Terre Neuve, les écoles devant respecter les standards des programmes d’éducation publique. Un financement public du secteur privé, confessionnel ou non, n’est pas permis dans les provinces maritimes (Menendez, 1996: 65-68) ;

– Éducation religieuse permise dans les écoles publiques mais peu présente étant donné la sécularisation des secteurs scolaires publics. En Alberta, une loi sur les écoles (School Act) de 1988 stipule : « if a board determines that there is sufficient demand for a particular alternative program, the board may offer that program to those students whose parents enroll them in the program »; «‘alternative program’ means an education program that emphasizes a particular language, culture, religion or subject-matter ». Cela permet de créer des programmes à fondement religieux financés et administrés par le secteur scolaire public.

– Éxonération d'impôt des groupes religieux; exemption de taxes municipales, scolaire et de vente des édifices religieux; salaire des religieux minimalement imposé ;

– Non intervention de l’État dans l'organisation institutionnelle des minorités religieuses ;

– Trait considéré très particulier, respect de l’expression individuelle de l’affiliation et de la croyance religieuses, ce que se traduit par la prise en compte de la discrimination indirecte subie par des croyants. Dans un jugement en 1985 (Commission ontarienne des droits de la personne vs. Simpson Sears Ltd [1985]2 R.C.S. 536), la Cour suprême a créé l'obligation d'accommodement raisonnable. La cause opposait une employée adventiste du Septième jour demandant de conserver son emploi à temps plein et de ne pas travailler le jour du sabbat, et son employeur qui refusait la demande. La Cour estima qu'un accommodement devait réduire la discrimination subie par l'employée en raison de sa confession et que la solution devait être raisonnable, i.e. qu'aucune contrainte excessive ne pouvait être imposée à l'employeur (coût financier excessif, inconvénients importants, réduction de normes de sécurité, atteinte aux droits d'autres employés et aux conventions collectives. La Cour estima que l'horaire de travail pouvait être aménagé. L'esprit de ce jugement s'applique à d'autres aspects du travail et à d'autres domaines telle l'offre de services et de biens privés ou publics. De très nombreux accommodements raisonnables ont été adoptés au Canada depuis 1985 [20], dont l’un, important en matière de définition du régime de neutralité religieuse, permet à un agent de l’État de porter un signe religieux (turban sikh autorisé dans la Gendarmerie Royale, Grant v Canada (A.G.), [1995] 1 F.C.158). Dans les autres pays, une adaptation de pratiques majoritaires discriminatoires pour les minorités religieuses existe sous le nom d’aménagements, mais n’est pas prescrite légalement.


5. L’ultra-laïcisme contre l’islam,
la liberté religieuse et les juges

Nombre de Canadiens sont confus en matière de définition des relations entre État et religion. Selon un sondage de 2007 (Jedwab, 2007) : « Many Canadians believe that the best way to avoid meeting the particular needs of religious minorities is to separate Church and State ». Selon cette majorité la neutralité religieuse de l’État permettrait d’ignorer le droit à l’égalité et la liberté religieuse des minorités religieuses. Quant aux Québécois, selon un sondage de Léger en 2007 (Giroux, 2007), 37 % des francophones et 17 % des anglophones croyaient que la Cour suprême allait trop loin en matière de protection des minorités religieuses. Les jeunes (18-24 ans) acceptaient plus que leurs aînés les protections accordées par la Charte des droits. Et, selon un sondage CROP (L’Actualité, 1er décembre 2009), ils pensaient en majorité que le Québec était un État laïc. Dans L’Actualité (« Vive le Québec laïque », 1er décembre 2009: 28), l’Allemagne, emblème de l’État séculier lié à une religion officielle, fut dit laïc selon une confusion totale entre principes laïc et primauté du politique sur le religieux. Tous les États occidentaux, pluriels, laïcs, de concordats ou de religion officielle contrôlent les institutions religieuses, la laïcité n’étant qu’une des formes de ce contrôle. 

Néanmoins, des élites et politiciens en manque d’influence et imbus du postulat moderniste anti-religieux manipulent l’idée d’un mur infranchissable entre État et religion et un courant d’opinion décrit par M. Milot (2009) et fort populaire durant les audiences publiques de la CCPARDC veut purifier la « laïcité » québécoise, la rendre plus stricte en codifiant, sinon annulant, l’expression religieuse dans les lieux publics. Il déforme le principe laïc et en fait un athéisme d’État. Pareil projet existe en France et l’opinion publique ne le partage pas : 74 % des Français non musulmans estiment qu’il n’y a pas contradiction entre le fait d’être un croyant musulman et de vivre dans une société moderne [21] (Weil, 2009: 2703).

L’État laïc est neutre en matière religieuse mais ne peut interdire l’expression religieuse. Le principe laïc ne signifie pas que l’école soit un lieu d’apprentissage du rejet de la religion ou que les individus ne puissent manifester leur conviction religieuse en public. La loi française de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles par les élèves d’écoles publiques n’a pu déroger à la norme laïque qu’au nom de la sécurité (lutte contre les islamistes à l’école) et de la protection de mineures [22], et après consultation prudente de la Cour européenne. Quant au port de la burqa (niqab [23]), selon les chartes québécoise et canadienne des droits et des libertés, il ne peut être interdit à des adultes, sinon tout signe d’appartenance religieuse, politique, culturelle, devrait l’être [24].

L’exigence d’une pureté religieuse de l’État québécois n’est que la face cachée d’une volonté de dénier la liberté religieuse de minorités. Cette situation est présente en France où est parfois exigée une laïcité « stricte » au nom d’un exceptionnalisme normatif de la pensée républicaine [25]. La réalité constitutionnelle et le respect des droits, dont la liberté religieuse, ne sont pas des catégories de pensée de ce courant d’opinion francophone transatlantique, nourri d’un héritage dogmatique d’anti-cléricalisme et de fondamentalisme séculariste propre aux sociétés où conservatisme et puissance de l’Église catholique ont contrecarré un long temps la démocratie et l’individualisme. Là, les luttes historiques des démocrates et des femmes contre un clergé réactionnaire sont actuellement projetées sur l’islam, lequel ne comporte pas de clergé.

Les partisans d’une laïcité défigurée en ultra laïcisme [26] arguent d’un État poliçant la religion pour contrer des évolutions : « retour » de la superstition religieuse, recul de la sécularisation, domination masculine réintroduite, culture nationale dénaturée, harmonie sociale troublée, sinon rompue. Mais comparée aux autres sociétés européennes, la France laïque est-elle plus sécularisée, moins « envahie » par la religion ? Les sociétés de régime de religion nationale ou de coopération avec des églises, Grande-Bretagne, Suède, Allemagne, montrent un haut taux de non pratiquants et, démenti total, les États-Unis, de régime laïque par excellence, sont la société la plus religieuse d’Occident. La France garantit-elle plus d’égalité pour les femmes que les États liés à des églises ? La Norvège, le Danemark, la Finlande, États de religion nationale, sont les pays les plus avancés en termes de liberté des mœurs et de statut de la femme ; et l’Islande a légalisé l’avortement en 1935.

La visée des ultra-laïcistes est de contester la légitimité de la liberté religieuse et ultimement celle des agents de sa protection, les juges. Au Canada, un discours dirige son animosité contre les juges ; par exemple, ils sont ouvertement critiqués par des participants aux audiences publiques de la CCPARDC. Ce courant d’opinion conteste le pouvoir judiciaire et les Chartes des droits et libertés au nom de la souveraineté populaire, laquelle est souvent celle d’une majorité culturelle :  

Pourquoi devrait-on imposer à la majorité de la population de vivre dans la peur et la confusion au nom de libertés dites fondamentales ? La démocratie veut que la majorité se prononce. Que les élus demandent aux Canadiens ce qu’ils pensent des foulards et des kirpans, et qu’ils adoptent des lois en conséquence (lecteur de L’Actualité, 1er octobre 2006).

What exactly do Canada's human rights laws do? Well, when it comes to free speech, they do exactly the opposite of what we expect human rights laws to accomplish in foreign countries : they restrict speech, instead of enabling it. They tell Canadians what we cannot say anything that might, just possibly, offend someone belonging to a minority group. In most cases, they then go on, hypocritically, to deem themselves not to be restricting free speech. Although the human rights laws purport to protect vulnerable minority groups against bigotry and discrimination, the truth is -- they don't. They're phonies. Examined closely, these laws don't outlaw racism, sexism, homophobia, etc., universally. They ban such prejudices only when held by a few categories of individuals --people that our legislators presume to be economically powerful... No, these laws are not about banning bigotry. They're about transferring rights and power from the categories of people the legislators deemed over-endowed to those the legislators deemed under-endowed. They're really a form of wealth redistribution -- a form of back-door socialism that doesn't make people as angry as taxes because it masquerades under a mantle of righteousness (Selick, 2007).


Conclusion: L’évacuation de l’enjeu
de la pluralité des valeurs

Les musulmans suscitent l’hostilité des tenants du paradigme moderniste qui désirent une invisibilité sociale de la religion. Mais la sécularisation totale des sociétés ne semble pas à l’horizon et la question du statut public de la religion demeure posée (Berger, 1999 ; Casanova, 1994). Usant d’amalgames, montrant une ferme volonté d’ignorance et simplifiant les faits historiques, ils construisent des imageries servant leurs convictions et les intérêts catégoriels (médias, politiciens, élites et courants de pensée en déclin d’influence). Ils clôturent tout débat sur le caractère parfois partial des régimes séculiers (Asad, 2003 ; Mancini, 2009), sur l’inéluctabilité du différend et du conflit en démocratie et sur les modes de régulation démocratique du pluralisme culturel et religieux.

Il semble exister trois voies pour penser le statut de la pluralité des valeurs en démocratie. L’imposition des valeurs du groupe culturel majoritaire au sein d’une société (assimilation), une vision rejetée, la tolérance ou le partage de principes communs.

Par tolérance on entend l’affirmation de valeurs considérées bénéfiques pour tous, dont au premier rang l'autonomie personnelle et la liberté individuelle ; et l’acceptation d’autres valeurs qu’on considère erronées. Cette voie a été critiquée par Isaïah Berlin (1959, 1969 ; Gray, 1996) dans sa réflexion sur les limites du libéralisme universaliste face à la pluralité des valeurs. Selon Berlin, la tolérance comme acceptation de conceptions de l'humain différentes de l'humanisme optimiste des Lumières est un leurre. Le conflit culturel ou moral ne ressort pas de la rencontre d'univers culturels différents mais est part intégrante de l’ordre libéral. En dépit d'une même définition du Bien dans le libéralisme politique, il existe un conflit entre paix et démocratie comme réponse au projet de conquête nazie, ou entre égalité et justice quand, par des programmes de discrimination positive, on tente de rétablir une justice pour des catégories sociales dominées historiquement. Les idéaux modernes d’égalité et liberté s’opposent également quand la liberté d’expression des uns est une atteinte à la dignité d’autres (littérature pornographique). Ce dilemme tient au caractère souvent contradictoire des besoins humains (Gray, 2000: 7, 9), sécurité versus soumission au pouvoir par exemple. Aussi, le différend au sujet de modes de vie et de normes est-il inéluctable en démocratie.

Une autre manière de penser la pluralité des valeurs est l’idée de partage de préceptes de vie en société. Mais ces préceptes sont-ils des principes fondamentaux ou les valeurs d’une majorité culturelle ? John Gray (2006:22) propose une seule valeur commune, l’interdiction des pratiques non humaines : esclavage, génocide, persécution, torture, humiliation. Il conclut que les définitions d'un idéal de vie étant diverses, la négociation entre valeurs est irrémédiable et permanente sous peine de déni de liberté et de dignité, et de conflit violent. Dès lors, les institutions publiques doivent négocier au jour le jour les conflits de valeurs afin de permettre une coexistence pacifique de choix culturels différents.

Raymond Boudon (2006) avance un principe universel menant l’évolution morale des sociétés : chaque humain a un sens de sa dignité et de ses intérêts vitaux et juge sa position sociale à cette aune. Cette dignité n’est pas consentie à tous et le sens de l’oppression est universellement présent, même dans les sociétés produisant des idéologies du fatalisme comme le système des castes en Inde ; en effet la résignation n’est pas l’acceptation. Selon Boudon, le sens de son individualité et du respect de celle-ci n’est en rien une invention européenne mais un trait humain universel qui prend des formes diverses selon le contexte, et seuls des rapports de pouvoir retardent sa reconnaissance par les institutions et créent conflit. Boudon cite le refus de l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle sous la pression d’intérêts économiques comme exemple d’opposition entre la valeur d’une époque, d’une classe, et la valeur universelle, intemporelle de la dignité de soi. Dans ces conditions, le seul critère de résolution de conflits de valeurs est le respect du sens qu’une personne donne de sa dignité.

Une littérature propose le dialogue entre groupes culturels plutôt que l’imposition de principes abstraits de justice (Benhabib, 2002). Phillips (2007:41) illustre l’idée. Le mariage forcé est un mariage arrangé accepté par les deux conjoints ou imposé à ces derniers. Il ne s’agit pas de bannir tous les mariages arrangés au nom d’une coercition mais de savoir si une pression a été exercée et dans ce cas protéger les victimes. Pour ce faire, dialogue, discussion et connaissance de terrain sont nécessaires [27].

Charles Blattberg (2004, 2008) reprend l’idée de dialogue, estimant que la neutralité stricte de l’État est impossible puisqu’elle consiste à défendre un groupe non croyant contre un groupe croyant. Au nom de la valeur d’adhésion des citoyens à la cité où ils vivent, il défend la conversation entre acteurs en conflit pour réconcilier des vues divergentes, et si l’État ne saurait intervenir dans des discussions théologiques, il se doit d’induire l’organisation de ces conversations.

La solution proposée par Blattberg apparaît comme la seule offerte si la violence doit être écartée. L’arbitrage juridique ne suffit à assurer l’égalité, la liberté et la dignité de chacun quand des acteurs pervertissent le principe démocratique en assignant une catégorie sociale à un statut de sous-humanité irrationnelle et menaçante. La thèse moderniste et le fondamentalisme séculariste font cela dans leur visée d’exclure les nouvelles minorités religieuses. Et l’État et les élus se doivent d’user de leur poids, de discours public, de mesures incitatives, répressives, symboliques, de pressions au dialogue, d’éducation du public pour délégitimer des discours qui dénient dignité et appartenance aux nouvelles minorités religieuses du Canada.


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[1] Formes traitées ailleurs : Helly, 2004, 2006, 2008, 2009, 2010; Helly et Oueslati, 2007 ; Lenoir, Helly et al., 2009 ; Helly et Hardy-Dussault, 2010.

[2] Auquel répond une tradition anti-occidentale (Buruma et Margalit, 2004) dont participent nombre de mouvements islamistes radicaux.

[3] Déclarations de Berlusconi sur la supériorité culturelle occidentale en janvier 2002, du Premier ministre du Danemark, élu en novembre 2001, et de la chefferesse du Danish People’s Party, Pia Kjaersgaard, qui déclara lors de la campagne électorale de novembre 2001 que les musulmans sapaient la cohésion du vrai Danemark et ses valeurs centrales ; elle recueillit 12 % des votes. Déclaration du gouvernement britannique qui parle d’aller au-delà des valeurs multiculturalistes pour parler des « vraies valeurs britanniques » (The Economist, 10 novembre 2001).

[4] Huntington (1996) y réfère.

[5] Cette reconstruction des Lumières accorde une importance centrale à la thèse de Condorcet de fonder toute morale uniquement sur la raison et elle omet celle de philosophes comme Voltaire et Locke qui valorisaient la fonction sociale et morale, à leurs yeux, de la religion.

[6] Et le demeure à certaines conditions depuis 2006 (Cuttings ).

[7] Qui fait une excellente revue analytique du débat féministe actuel sur le concept de agency.

[8] Pour une description critique de ces voies, voir Leah Bassel,

[9] Le terme de sécularisation désigne historiquement la dévolution des biens religieux à des autorités civiles et son sens actuel est celui du recul de la religiosité ou simplement de la pratique religieuse collective (unchurching) dit  José Casanova, au sein d’une société.

[10] Cet aspect est central aux conflits sur l’enseignement de l’évolutionnisme, du créationnisme et d’un dessein surnaturel (intelligent design).

[11] Athènes compte quelque 60 salles de prières non légalisées dans les quartiers où vivent des musulmans et environ 300 autres salles sont ouvertes dans le nord de la Grèce où demeure une minorité turque historique.

[12] La condition de fondation d'une école est la demande par un nombre suffisant de parents.

[13] Regroupe les églises protestantes, luthériennes, calviniste et autres, et plus de 90 % des Allemands (99 % en 1948).

[14] Écoles catholiques où doivent être inscrits au moins 5 % d’élèves de confession non catholique ou sans confession religieuse.

[15] Respect des prescriptions alimentaires particulières, musulmanes, hindouistes et judaïques dans les forces armées (1981) et les prisons ; reconnaissance des fêtes religieuses et du vendredi comme jours fériés pour les musulmans membres des forces armées (1981) et de la fonction publique (1988) mais non du secteur privé au nom de la signification sociale fort différente des jours de fête chrétiens suivis par tradition dans l'ensemble de la société ; respect des rites funéraires (1982, 1991) ; ouverture d'un cours de formation d'imams (1983) ; inclusion des musulmans dans les forums de discussion entre le gouvernement et les représentants des confessions du royaume (1983) ; droit de porter un foulard à l'école réaffirmé par le ministère de l'Intérieur (1985) ; création de la Fondation de diffusion islamique et lancement d'émissions musulmanes sur des chaînes de télévision et radio publiques (1986) ; autorisation, applicable à la discrétion des municipalités, des appels à la prière depuis les minarets (1987) ; présence d'imams dans les hôpitaux, les prisons et l'armée et création de la première école musulmane (1988) ; criminalisation du blasphème à l'égard de l'islam (comme des autres religions), cours de religion musulmane dans les écoles (1989) en collaboration avec la Fédération culturelle islamique ; droit de jurer sur le Coran pour les membres des forces armées (1994), codification de la circoncision dans les hôpitaux (1995).

[16] Voir Greenawalt, 2009.

[17] La date de naissance de la laïcité est sujet de débat (Lalouette, 2007), comme son contenu que le Conseil constitutionnel évite de préciser.

[18] Contrat de longue durée, dans ce cas 99 ans, concédant la jouissance d’un bâtiment ou d’un terrain contre une redevance annuelle (faible dans ce cas).

[19] La distance entre les législatures, les gouvernements et la sphère religieuse, manifestement maintenue par volonté politique dans la Constitution de 1982, s'est affichée en 1997, lors de la déconfessionnalisation des écoles au Québec qui ne suscita aucun débat aux Communes ou déclaration polémique du gouvernement fédéral.

[20] Des exemples au Québec : à l'Hôpital pour enfants à Montréal, mise en place d'une porte d'entrée actionnée manuellement pour permettre aux juifs hassidiques de visiter les malades le jour du sabbat ; dans des écoles publiques, création d'une journée pédagogique mobile pour que les enfants de religions orthodoxe, copte et catholique puissent célébrer le jour de Pâques à leur date respective ; évitement d'interruption des services publics dans le quartier chinois durant le Nouvel An chinois, plus récemment à l'hôpital Laval en 2006-2007 non transfusion sanguine pour des Témoins de Jéhovah, retrait du porc dans l'alimentation de juifs et présence du conjoint lors de l'examen médical de femmes musulmanes.

[21] 70 % en Allemagne, 58 % en Espagne, 54 % au Royaume Uni et 40 % aux États-Unis estiment qu’il y a conflit.

[22] La logique s’applique aussi aux femmes adultes. En 2010, la citoyenneté a été refusée à un homme imposant le port de la burqa à son épouse. URL.

[23] Les deux tenues recouvrent totalement le corps, sauf, à hauteur des yeux, une grille brodée (burqa) ou une fente (niqab). Selon les services de police, quelques 2 000 à 3 000 femmes portent le niqab en France. Selon The Economist (The war of French dressing, 16 janvier 2010) rapportant un chiffre inférieur (300), elles seraient âgées généralement de moins de 40 ans, aux deux tiers de citoyenneté française, pour la moitié nées en France et pour un quart converties.

[24] Au nom de la sécurité, des mesures pourraient exiger de quiconque de s’identifier en pénétrant dans un lieu collectif, public (poste, école) et privé (commerces).

[25] La recherche d’exceptionnalisme est un trait des États républicains modernes, car, dénués de légitimité culturelle et religieuse, ils ne peuvent qu’invoquer leur régime politique pour se valoriser sur la scène intérieure et internationale. L’extrême gauche, non républicaine, se positionne différemment. URL

[26] Que J. Baubérot (2006) qualifie d’intégrisme républicain.

[27] Phillips (p.46) donne l’exemple de l’abandon de l’excision au Sénégal. Cette pratique n’était pas admise de tous mais pratiquée de tous afin d’assurer le mariage des jeunes filles. Lorsqu’un accord fut conclu par tous les villages sur la fin de l’obligation d’excision, la pratique fut abandonnée en deux ans, puis officiellement interdite par l’État en 1999.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 26 janvier 2013 12:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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