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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Denise Helly, “Une nouvelle rectitude politique au Canada. Orientalisme populaire, laïcité, droit des femmes, modernisme.” Texte inédit disponible sur les sites internet Metropolis.net, (Centre Métropolis du Québec – Immigration et métropoles, un consortium de recherche interuniversitaire composé de six universités québécoises), CERIUM (Centre d’études et de recherches internationales, Université de Montréal), Science politique, Paris. Montréal, avril 2010, 36 pp. [Autorisation accordée par Mme Helley le 25 avril 2010 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Denise Helly

Chercheure, INRS culture - société

Une nouvelle rectitude politique au Canada.
Orientalisme populaire, laïcité,
droit des femmes, modernisme
”.

Texte inédit disponible sur les sites internet  Metropolis.net, (Centre Métropolis du Québec – Immigration et métropoles, un consortium de recherche interuniversitaire composé de six universités québécoises), CERIUM (Centre d’études et de recherches internationales, Université de Montréal), Science politique, Paris. Montréal, avril 2010, 36 pp.


1. Les débats sur les minorités religieuses
2. Orientalisme érudit, orientalisme populaire
3. L’archaïsme musulman
3.1. L’autonomie individuelle des musulmanes
3.2. L’invasion de la sphère publique par la religion
4. La neutralité religieuse de l’État
4.1. Les régimes de sécularité
4.2. Les régimes de laïcité
4.3. Canada, Québec, États laïcs?
5. L’ultra-laïcisme contre l’«Islam», la liberté religieuse et les juges
Conclusion: L’évacuation de l’enjeu de la pluralité des valeurs
Bibliographie


Shall we go on conferring our Civilization upon the peoples that sit in darkness or shall we give these poor things a rest? [.] Would it not be prudent to get our Civilization-tools together, and see how much stock is left on hand in the way of Glass Beads and Theology, and Maxim Guns and Hymn Books, and Trade Gin and Torches of Progress and Enlightenment, and balance the books, and arrive at the profit and loss, so that we may intelligently decide whether to continue the business or sell out the property and start a new Civilization Scheme on the proceeds ?
(Mark Twain, To the Persons Sitting in the Dark, 1900 [1])



Trois formes de dévalorisation de l’immigration sont observables au sein des sociétés occidentales depuis les années 1990, la xénophobie, le rejet des demandeurs d’asile et des illégaux, et l’islamophobie (Cole 2009). Ce dernier terme a été créé en 1997 par l’organisme britannique Runnymede Trust pour décrire une hostilité haineuse envers les musulmans. Nous traitons ici de formes idéologiques, discursives, de cette hostilité par des sections de la population canadienne. Nous ne traitons pas de formes plus aisément observables de cette hostilité comme la discrimination (accès à l’emploi, au logement; promotion professionnelle), la victimisation (crimes haineux) et la criminalisation (profilage ethnique, effets de dispositions anti-terrorisme) [2].


1. Les débats sur les minorités religieuses

Comme en France où le débat sur le hijab existe depuis 1989, un premier débat public survient au Québec, en 1994-95, à propos du foulard islamique. L’idée d’une impossibilité ou d’un refus des ‘musulmans’ de suivre les préceptes de la modernité, en l’occurrence l’égalité de genre, sous-tend ce débat, lequel s’éteint avec un avis de la Commission des droits de la personne du Québec sur la légalité du port de signes religieux vu le droit à la liberté religieuse inscrit dans la Charte québécoise. Un autre débat public s’amorce, très médiatisé, à partir de 2001 suite aux attentats aux États-Unis, à l’adoption de mesures anti-terrorisme et à la diffusion en 2002-2003 des données du recensement canadien de 2001 montrant une croissance importante de la population musulmane. À partir de 2003, les signes religieux dans la sphère publique, notamment à l’école, et les débats à leur propos en Europe, notamment en France, deviennent à nouveau objets de l’attention des sondages et des médias: kirpan (poignard porté par les ‘baptisés’ sikh) à l'école, exclusion, à Montréal, d'une élève par un collège privé pour  foulard islamique contraire au code vestimentaire de l'institution. Le renouvellement à venir de la clause nonobstant permettant les enseignements catholique et protestant dans les écoles publiques québécoises crée aussi des controverses sur le statut de la religion dans la sphère publique alors qu’en 2004, la ‘découverte’ par le grand public de l'existence d’instances d’arbitrage religieux en Ontario lance un débat pancanadien. Puis, divers faits avivent le débat qui demeure présent depuis lors: en 2006 décision de la Cour Suprême sur la légitimité du port du kirpan à l’école et mise sur pied de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (CCPARDC, 2008), en 2007 port de la burqa par des électrices et financement public des écoles catholiques en Ontario [3], accommodements raisonnables, Programme d’Éthique et culture religieuse (Québec), crimes d’honneur (Ontario), mariages forcés. 

Ces débats sont accompagnés d’une couverture médiatique scrupuleuse d’incidents, souvent créés par des acteurs, groupes de pression, politiciens et qui donnent l’impression de demandes incessantes de reconnaissance de pratiques particulières par les musulmans. Des faits anodins deviennent des nouvelles répercutées à large échelle par les journaux locaux: port du foulard dans une équipe de soccer à Edmonton et une équipe de judo au Manitoba, longueur de la jupe d’une employée de l’aéroport de Toronto (National Post, 2007); publication du code de conduite du Conseil municipal d’Hérouxville (population 1,300) en 2007 avisant les nouveaux venus que dans ce village les femmes ne peuvent être lapidées, brûlées vivantes ou défigurées par de l’acide; confusion du Directeur général des élections et du Premier Ministre à propos du droit du port de burqa lors du vote d’octobre 2007. Comme (aucun(e) Canadien(ne) musulman(e) ne réclame ce droit, non reconnu dans des pays musulmans, un journaliste ironise:

Stephen Harper is pandering by introducing a bill to force veiled Muslim women to show their faces at the polls. If there were any evidence that veiled women are contributing to voter fraud, Mr. Harper might be on solid ground. But the government [.] has cited no evidence on the number of women who vote from behind veils. No one has said whether any do. This is a solution in search of a problem (The Globe and Mail, 30 octobre, 2007).

La différence culturelle et religieuse manifestée par des immigrants est un objet de débats et dissensions ouvertes entre Canadiens depuis les années 1980. En 1991 (Angus-Reid, 1992; Helly 2004), avant que ne surgissent les conflits publics sur des usages musulmans et sikhs, 58% des Canadiens acceptent que le gouvernement appuie la préservation d’usages culturels minoritaires pour autant que ces usages respectent les droits et libertés, que la polygamie et les mariages arrangés soient interdits et l’idée de supériorité de l’homme sur la femme soit combattue. Les réponses à d’autres questions du même sondage précisent ce niveau d’acceptation. 42% pensent que l’unité nationale est affaiblie par les minorités ethnoculturelles qui persistent dans leurs traditions, 32% que les immigrés doivent oublier leur culture aussi vite que possible et 39% que, si les immigrés désirent conserver leurs usages, ils doivent le faire uniquement dans la sphère privée. En sus, 15% avance que le mariage entre personnes de « races » différentes est une mauvaise idée et 18% que le multiculturalisme détruit la manière de vivre des Canadiens.

Les positions exprimées en 1991 et les clivages de l’opinion publique qu’ils révèlent n’évoluent guère par la suite. Entre 2005 et 2006 le pourcentage de Canadiens estimant que «trop d’immigrants n’adoptent pas les valeurs canadiennes», passe de 58% à 65% (Adams, 2007). Cependant, lors d’un sondage en octobre 2006 (Environnic /The Globe and Mail), la moitié des répondants disent que les immigrants et les groupes ethniques minoritaires doivent être libres de maintenir leur croyance et leurs pratiques culturelles au Canada et 40% qu’ils doivent se fondre dans la société canadienne et ne pas former de communautés séparées. En avril 2008 (The Globe and Mail/CTV News) 61% des répondants opinent que le Canada accorde trop de concessions (accommodations) aux minorités visibles (72% opinent de même au Québec) (Laghi, 2008). 

Des enquêtes montrent que les musulmans sont les personnes avec lesquelles environ un tiers des autres Canadiens «ne se sentent pas à l’aise». Les Canadiens ont en général une opinion plus positive des chrétiens et des juifs que des musulmans. Lors d’un sondage en juillet 2006 (Association of Canadian Studies) 24% des répondants déclarent avoir une vision très ou quelque peu négative des musulmans (comparativement à 10% dans le cas des chrétiens et 9% des juifs). Lors du sondage d’octobre 2006 (Environnics-The Globe and Mail), 37% dit avoir une impression généralement négative de l’islam en raison pour 21% de son traitement des femmes, pour 19% de la violence qui lui est rattachée, pour 17% de son association avec le terrorisme, pour 11% de son intolérance et pour 11% de ses positions extrêmes. Quand les répondants connaissent personnellement des musulmans, leur impression de l’islam est plus positive. Quelques mois plus tard (Sun Media, décembre 2006-janvier 2007), 51% des répondants à un autre sondage affirment ne pas être racistes du tout, 47% l’être et 53% développer une haute opinion des personnes d’origine arabe; comparativement une forte majorité des répondants a une haute opinion des personnes d’origine italienne, asiatique, juive et ‘noire’. En septembre 2008 (Léger Marketing), 36% des répondants disent avoir une impression défavorable des musulmans. Et, en avril 2009 (Angus Reid), 72% des répondants déclarent avoir une opinion fort favorable du christianisme, 57% du bouddhisme, 53% du judaïsme, 42% de l’hindouisme, 30% du sikhisme et 28% de l’islam (17% au Québec) (Geddes, 2009).

Une part significative de l’opinion publique canadienne n’accepte guère la présence de minorités non chrétiennes et des groupes de pression et courants d’opinion ciblent les musulmans, créant un climat de mépris, de méfiance et d’ignorance à leur égard. À lire leurs positions divulguées par les médias ou exposées dans les mémoires et lors des audiences de la CCPARDC, on distingue deux faces de ce discours d’hostilité: 1. l’une, la plus affirmée et la plus présente à l’échelle pancanadienne, reprend le discours moderniste, scientiste, qui voudrait limiter, sinon annihiler, l’influence de la religion; 2. la seconde, populiste et nativiste, invoque la perte de la culture nationale et la menace des juges sur la souveraineté populaire, et montre une nostalgie des démocraties d’avant 1945 quand les majorités culturelles, religieuses, décidaient en toute impunité du sort des minorités. Ces deux faces dessinent les contours d’un nouvel orientalisme islamophobe.


2. Orientalisme érudit, orientalisme populaire

L’orientalisme [4] est un ensemble de courants européens de pensée qui magnifient ou honnissent le monde ‘oriental’. Ils traitent des univers dits asiatiques, islamique, confucéen, hindou, comme des blocs culturels homogènes, des civilisations, l’aide de quelques traits, changeants selon la période. Concernant le bloc musulman, un orientalisme chrétien, théologique, fait de l’islam à partir du 12ème siècle une religion irrationnelle, violente, idolâtre et licencieuse (référant à la polygamie entre autres). Cette image, sans le volet licencieux, restera un canon jusqu’à l’heure actuelle. À partir du 18ème siècle, la connaissance des mondes orientaux s’étend et s’affine en Europe et un orientalisme merveilleux naît de ce développement et de la conviction des Lumières qu’en dépit de leurs différences culturelles les humains demeurent les mêmes. Cet orientalisme merveilleux met souvent en scène une esthétique sensuelle du monde arabe, un univers hors tabous où se projette la sensualité européenne (Makdisi et Nussbaum, 2008; Bernstein, 2009). L’Empire britannique développe, quant à lui à la même époque, une vision positive de l’ «Orient» dans sa poursuite du maintien de l’ordre colonial: langues, cultures et systèmes juridiques locaux, dont ceux musulmans et hindous, sont valorisés et respectés. Survient une mutation idéologique au 19ème siècle. Une hiérarchie des civilisations est inventée, et des tenants du libéralisme politique la défendent:

John Stuart Mill proclaimed self-rule as the highest form of government and yet argued against giving Indians and Africans self-rule” [.] “They were not yet civilised enough to rule themselves. Some historical time of development and civilisation [..] had to elapse before they could be considered prepared for such a task Mill’s historicist argument thus consigned Indians, Africans and other ‘rude’ nations to an imaginary waiting-room of history” (Chakrabarty, 2000).

Jusqu’au 19ème siècle, l’Empire chinois représente, notamment pour les milieux intellectuels français, un modèle d’État, de gouvernement centralisé, et l’Afrique ‘noire’ l’innocence, le hors histoire. Puis, à la faveur de l’expansion coloniale européenne, l’imagerie de l’Afrique et de l’Orient confucéen et islamique gagne en ambivalence. Si un courant érudit, français et allemand, affirme la supériorité des héritages sanskrit, arabe, sumérien sur l’héritage européen et s’accompagne d’un orientalisme juif (Reiss, 2005), un courant impose une approche, dite angliciste dans l’Empire britannique, qui appelle à l’érosion des cultures et religions locales. L’Afrique devient terre de barbarie, la Chine terre de despotisme (Dermigny, 1964) et l’« Islam » terre de refus de la modernité.

Pour cette tradition intellectuelle apparaissant avec la modernité, l’humanité comprend des pôles civilisationnels aux différences inaliénables et pérennes et l’évolution historique et socio-politique de l’«Occident» est un modèle pour les autres civilisations. Cette tradition développe un dogme du changement historique et de la modernité comme des processus universels, non spatialisés, non sociologisés, et elle omet les différentiations internes des cultures et sociétés et les relations de pouvoir entre pays et États. Elle construit trois catégories idéologiques, i.e. a historiques, a sociologiques: l’Orient (Moyen-Orient), l’Extrême-Orient et l’Europe, ce dernier formant le pôle modèle, le plus avancé, en raison de son invention des idées de liberté, citoyenneté, rationalité, égalité et urbanité (confort, plaisir, sécurité, mixité sociale). Les cultures africaines et autochtones sont ignorées ou renvoyées à une ère d’avant la Civilisation.

Cette vision dévalorisante de l’«Orient» islamique est très critiquée au fil du 20ème siècle, notamment après 1945, pour sa réification des cultures et son mythe de l’« Orient » irrationnel, despotique, dangereux (MacFie, 2002; Curtis, 2009). Saïd (1978, 1993, 1997) insiste sur la visée de domination de cette construction et B. Turner (1978) sur ses référents eurocentriques faisant de l’«Orient» un monde incapable de démocratie et de sécularisation [5]. Goody (1999) et d’autres dénoncent aussi cette idéologie.

Mais l’opposition entre les deux blocs de la guerre froide disparaît en 1989 et avec elle l’utilité d’une alliance entre religion et camp occidental. L’idée de polarité civilisationnelle est reprise par des universitaires: Lewis (1990), Barber (1996), Fukuyama (1994, 1999), Landes (2000), Pagden (2008) et Huntington (1996). Néanmoins, si Barber parle schématiquement d’une guerre entre Occident et Djihad, Huntington distingue huit pôles religieux et avance que, si la civilisation occidentale est unique, elle n’est pas universelle, et conclut que les Occidentaux doivent apprendre à composer avec un ordre mondial organisé sur la base de civilisations (1997:17-18).

L’idée d’une différence entre systèmes culturels est transformée en affrontement insurmontable entre cultures par des politiciens [6], courants d’opinion et groupes de pression qui parlent d’incompatibilité culturelle entre «Islam» et «Occident». Le terrorisme islamiste, les régimes répressifs et les conflits au Moyen-Orient et des craintes nativistes face à la nouvelle présence de musulmans en Europe (15 millions) facilitent la divulgation d’un orientalisme populaire voulant que le monde islamique soit aux antipodes de la civilisation occidentale. Notons que la Chine communiste n’est pas objet d’ostracisme de cet orientalisme populaire et que la référence confucéenne ne sert guère à expliquer sa croissance économique et son absence de démocratie [7].

L’idée d’humanité divisée en blocs civilisationnels produit la représentation d’un bloc islamique, alors qu’il ne saurait exister une entité Islam, pas plus que des entités Catholicisme, Protestantisme, Judaïsme ou Bouddhisme. Comme ces courants religieux, l’univers de l’islam a été et demeure multiple, traversé de courants rivaux, conservateurs, laïcisants, contestataires, radicaux, modernes. De plus, trois faits sont à retenir: 1. Chaque fidèle peut choisir son école religieuse et l’autorité religieuse est fragile 2. Il n’existe pas, même dans le chiisme, d’institution détenant un monopole affirmé d’interprétation de la doctrine, ce qui, entre autres, permet à Al Qaeda de donner sa vision de l’islam 3. L’« unité » de l’islam repose sur quelques dogmes, piliers (Allah, Muhammad, archange Gabriel), des préceptes cultuels et un trait caractéristique par rapport aux autres monothéismes. L’incarnation de Dieu dans l’univers humain y est une idée impossible, alors qu’elle est centrale dans les religions chrétiennes. Pour les musulmans, il ne saurait exister d’intermédiaire humain entre Dieu et les croyants. Quant à l’idée d’oumma, elle est un mythe, persistant, celui d’unir les musulmans en une seule communauté comme lors des origines de l’islam. Depuis des siècles les musulmans sont divisés par des courants religieux divers, des alignements nationaux et ethniques, voire tribaux, et comme toute population par des différences d’opinion politique, de mode de vie, de mémoire, de mode de croyance et de pratique religieuse.

Cependant, des publics non informés veulent voir en l’ «Islam» le symbole d’un monde non moderne, l’antithèse de leur ‘monde de progrès’. Depuis le 17ème siècle, selon une interprétation des Lumières [8], existe l’idée de l’émancipation des humains par la raison, i.e. leur adoption d’un mode de pensée rationnel sous l’effet de progrès scientifiques incessants, de croissance économique, de meilleur mode de gouvernement et de plus de bien-être et de moralité. Au 18ème siècle, on pensait que le commerce apporterait la prospérité, la prospérité l’accès au savoir et à la raison, et la raison le développement de la moralité des gouvernants et des gouvernés.

Durant les années 1950-80, cette idée a souvent pris la forme de l’idéologie de la modernisation selon laquelle l’application de la science et de la technique à l’organisation de la production industrielle ne pouvait que porter à envisager la marche des choses selon une logique de causalité et de rationalité et à renoncer aux doctrines eschatologiques d’un salut divinement ordonné. Et les normativités basées sur des historicités particulières, les traditions, ne pouvaient pareillement que voir leur efficacité décliner.

Définir la modernité comme une dynamique assurée d’affirmation de la rationalité est illusoire. Le débat sur les failles de cette vision qui confond modernité et modernisation, a commencé à la fin du 19ème siècle pour se poursuivre après la Première Guerre Mondiale, puis après l’Holocauste, et prendre un nouvel essor avec la critique post-moderniste. À la grande narration moderniste sur le progrès et les avancées positives des modes de pensée, de gouvernement, de gestion économique, on peut opposer les exactions des États modernes ayant assassiné hors de tout contexte de guerre internationale, 4% de leur population au 19ème siècle et 7% au 20ème siècle (Simon et Moore, 2000: int.). On peut rappeler que les régimes communistes furent des acteurs  convaincus de cette vision optimiste et l’imposèrent par la force, ou encore citer les usages meurtriers d’inventions scientifiques: bombes sur les villes japonaises en 1945, inventions de l’industrie chimique allemande: aspirine, fertilisants et cyclone B des chambres à gaz nazies (The Economist, 2009).

Nous reviendrons sur cette idée de la modernité. Pour l’heure, il suffit d’observer que ridiculiser ou chanter le progrès relève d’un même déni de la domination politique. Croissance économique, inventions scientifiques, changement institutionnel n’apportent progrès, social, économique, politique, que harnachés par une autorité politique ayant tel propos. Aussi, ne s’agit-il pas de juger une société, une culture, à l’aune de sa capacité d’invention scientifique et d’avancée sociale, mais d’analyser les rapports de pouvoir qui induisent, hypothèquent, instrumentalisent cette capacité. Le recul scientifique et économique du monde arabe et de l’Empire ottoman à partir du 16ème siècle est un fait à analyser et non à essentialiser pour faire du monde islamique un univers inapte à la modernité. Mais l’orientalisme populaire ne se propose pas d’analyser une réalité historique mais de l’instrumentaliser pour maintenir son espérance et son statut dominant. Il veut croire que les ratés du progrès ne sont que des accidents historiques et non des limites inhérentes de la modernité. Néanmoins, actuellement son espérance implique de rayer de la carte historique un pan de l’humanité, dit inapte à la modernité.

Des stéréotypes répétés dans les médias et débats publics illustrent cet orientalisme populaire. On en présentera deux centraux qui veulent prouver l’inaptitude de l’ «Islam» à la modernité: le statut des femmes, des êtres sans droits; l’incapacité de sécularisation, soit le refus de discrétion, d’invisibilité religieuse et d’institutionnalisation de l’autorité de l’État sur la religion.


3. L’archaïsme musulman

3.1. L’autonomie individuelle des musulmanes

Dans les sociétés occidentales (Delphy, 2006; Lorcerie, 2005; Scott, 2007), les femmes musulmanes sont souvent dépeintes comme des victimes captives des hommes, et quand elles disent croyantes et porter un vêtement particulier de leur plein gré, comme des aliénées inintelligentes ou des ennemis politiques dangereux, alliés des islamistes violents. Au Canada les deux premières images sont prégnantes et la démonstration du sort malheureux des ‘musulmanes’ suit deux versants. Dans les sociétés musulmanes les femmes sont assignées à des positions de non droit, à l’ignorance et à l’enfermement. En atteste la situation en Afghanistan, Arabie Saoudite, Somalie où elles sont sans droits et brutalisées. Second versant. La «loi islamique» développe l’idée d’une différence inaliénable entre femmes et hommes, plaçant les femmes sous la protection et la tutelle des hommes. Sur simplification et amalgame permettent de conclure sur le statut des femmes dans des sociétés aussi diverses que l’Indonésie, la Turquie, l’Iran, l’Algérie, l’Afghanistan. Leur sort fort opposé au sein d’un univers de plus d’un milliard de personnes est réduit à ses formes les plus oppressives connues dans l’histoire des pays musulmans. En sus, la différence entre normes culturelle nationale et islamique n’est pas faite et la « loi islamique » pas définie.

Faute de pratiques de polygamie, d’excision, de brutalité coutumière avérées parmi les Canadiens musulmans, l’inégalité subie par les Canadiennes musulmanes est appréhendée dans des formes de vêtement et, faute de port fréquent de la burqa, du tchador ou du niqab au Canada, le foulard islamique (hijab) est l’objet de l’attention. En 2007 (Environics Research Group-CBC), 60% des musulmanes canadiennes ne portent aucun vêtement particulier, coutumier, et 72% des répondants musulmans disent ne pas être dérangés par le rôle plus moderne adopté par les musulmanes au Canada.

Le stéréotype de la femme musulmane victime des hommes, de la tradition, de l’ «Islam» fut néanmoins omniprésent durant le dit débat sur la sharia en Ontario. En raison de leur foi religieuse et de différences d’histoire politique, des immigrés de toute confession préfèrent ne pas voir l’État intervenir dans leur vie privée, ce qui ne signifie pas une maltraitance assurée des femmes et des enfants. Les musulmans dans le monde sont très attachés à l’application de préceptes islamiques lors de la résolution de conflits familiaux (Inglehart, 2003). En 2007, 53% des musulmans canadiens désirent pareille résolution, 34% ne le veulent pas comme 79% des Canadiens non musulmans (Adams, 2009).

En Ontario, l’arbitrage religieux de conflits familiaux et commerciaux est possible depuis 1991 et pratiqué par des chrétiens, ismaéliens, autochtones et juifs. En 2004, une lutte d’influence entre courants musulmans est lancée par un groupe conservateur qui prétend créer LA seule instance d’arbitrage religieux légitime du Canada. Une association féministe musulmane lui oppose un refus ferme et enclenche un débat fort médiatisé, dominé cependant par des courants féministes voulant protéger les musulmanes des pouvoirs masculin, religieux et communautaire. Pendant ce débat, les musulmans dans leur ensemble sont décrits comme des sujets pré modernes, envahissant le Canada et prêts à imposer la sharia comme loi du pays canadien (Zine, 2010). L’analyse de 108 articles de Toronto Star, The Globe and Mail et du National Post met à jour une représentation centrale: l’«Islam» restreint la capacité d’agir des femmes, les musulmanes sont des victimes, «with limited agency». Les femmes sont dépeintes comme victimes des hommes parties aux instances d’arbitrage: conjoints, pères, imams (Korteweg, 2008) et «the reference to the triangle formed by (1) the imperilled Muslim Women, (2) the barbaric Muslim men and (3) the civilized (Western) Europeans” est omniprésent (Razack, 2007: 5). Significativement, les femmes participant à des arbitrages ne se voient pas donner la parole par les médias alors qu’une opposante à l’arbitrage religieux, Homa Arjoman, est souvent citée. Marion Boyd, désignée par le gouvernement ontarien pour étudier les instances d’arbitrage, rapporte:

Nous avons parlé à de nombreuses femmes, nous avons même instauré une ligne téléphonique anonyme. Nous n'avons entendu aucune femme se plaindre d'une décision arbitrale. Par contre, beaucoup de femmes musulmanes ont déploré qu'on projette d'elles une image stéréotypée, comme si elles n'étaient pas en mesure de se défendre elles-mêmes (Gruda, 2004).

À ce propos, nombre de plaintes sont déposées par des musulmanes devant des tribunaux du Québec et de l’Ontario pour un conflit familial (Helly et Hardy-Dussault, 2010). Ces femmes semblent comprendre la fonction du droit tout en étant musulmanes: quand une répudiation est en cause, elles ne condamnent pas cette pratique en soi mais le non respect par leur conjoint des procédures prescrites. Mais, selon la vision moderniste, une femme ne peut être moderne et croyante. Aussi, une position féministe est-elle que les musulmanes doivent être protégées par l’État de leur famille et communauté, des lieux dangereux. Avec raison, Razack pointe comment cette position réaffirme l’opposition modernité/pré modernité:

Ideas about women’s rights and secularism are part of the neo-liberal management of racial minority populations who are scripted as pre modern and requiring considerable regulation and surveillance. The West is once more understood as culturally committed to the values of enlightenment while the non-West remains incompletely modern at best or hostile to modernity at worst. And, if Muslim women won some protection, it was only as the cost of increasing anti-Muslim/anti-immigrant racism and consolidating the idea of civilized Europeans (Razack, 2007: 29).

Le recours au mot sharia illustre la construction d’une notion historique en catégorie idéologique. Le mot sonne dans les discours de personnes hostiles à l’islam et à la religion comme une formule magique évoquant barbarie, mutilations physiques, misogynie. Elle est un sésame qui ouvre l’univers musulman et en dévoile le retard civilisationnel. La réalité socio politique, historique et contemporaine de la sharia est ignorée. La sharia n’est pas une loi de Dieu abstraite et surplombante mais quelques principes moraux comme ceux édictés dans des textes sacrés chrétiens ou judaïques. En soi, elle n’existe pas et elle n’est pas une loi étatique, du droit positif. Elle peut être loi étatique et, dès lors, les principes qui la définissent sont différents selon l’État en cause. Les versions de la sharia appliquées au Pakistan, en Arabie Saoudite, en Somalie, en Égypte, au Maroc et autres pays ou lors des innombrables médiations opérées par des imams en Occident ou dans les pays musulmans diffèrent. Le spectre des interprétations va de la brutalité corporelle à l’imposition, au nom des droits des épouses, d’un divorce aux époux le refusant par les Shariah Councils britanniques. Mais l’orientalisme populaire a pour méthode l’amalgame afin de créer une figure terrifiante de l’islam.

Les stéréotypes de la musulmane, victime des hommes, aliénée, rebelle dangereuse, montrent à la fois une vision méprisante, misérabiliste et paternaliste de la femme musulmane (Delphy 2006) et une ignorance de la complexité de l’islam, des conflits d’interprétation entre écoles religieuses sur le statut des femmes et les luttes contre le rigorisme islamiste de féministes musulmanes (Kandiyoti, 1991; Sahgal et Yuval-Davis, 1992; Abu-Lughod, 1998; Lamrabet, 2000, 2004; al-Hibri, 2000; Badran, 1995, 2001; Mojab, 1998, 2001; Yegenoglu, 1998). Il passe sous silence les sondages dans les pays musulmans montrant un désir de démocratie et d'inclusion des femmes dans la sphère publique et une seule différence notable avec les sociétés occidentales: un puritanisme en matière de sexualité (Inglehart, 2003). Il construit des images essentialistes des musulmanes, cristallise les différences entre «Islam» et «Occident» (Göle, 1996-2003; Mernissi, 2001; Wadud, 2006) et les rend infranchissables (Saïd, 1980).

Ce stéréotype manifeste aussi un euro centrisme. A.Phillips (2007: 34-37) propose des limites à tout système culturel: protection des mineurs contre tout mal (harm), interdiction de violence physique et mentale, égalité entre femmes et hommes au sens d’égalité de choix d’un mode de vie. Ce dernier principe signifie qu’une femme peut choisir de définir les deux sexes comme différents et penser qu’égalité n’est pas similitude, une représentation que nombre de doctrines féministes occidentales  combattent et croyaient révolue. Pour Phillips, l’autonomie individuelle est une valeur première. Aussi, les choix qui contreviennent à nos convictions ne peuvent-ils être dits des décisions de victime ou une fausse conscience; la liberté individuelle ne conduit pas forcément à refuser une croyance religieuse, pas plus que la définition de la féminité prévalente en Occident. Selon une étude à Montréal (Perreault, 2007),

Les femmes musulmanes revendiquent l'égalité des sexes dans les domaines de l'éducation, au travail, en politique, dans le domaine juridique. Elles se considèrent comme égales à leurs conjoints, même si elles admettent ne pas avoir le même rôle. Les hommes sont les pourvoyeurs, alors qu'elles ont la responsabilité du cocon familial. Elles estiment qu'hommes et femmes sont égaux dans cette complémentarité.

Face à l’ethnocentrisme et l’autoritarisme des courants féministes voulant libérer les musulmanes de leur foi et de leur culture, des auteures repensent le concept de capacité d’agir des acteurs sociaux (agency) et réfutent l’image de la musulmane victime des hommes, de la religion et d’elle-même ou encore provoquant l’ordre occidental par un item vestimentaire. Ces auteures insistent sur le droit de développer d’autres schémas sur les rôles sexuels, d’investir fortement une foi religieuse (Mahmood, 2005) et de participer au débat dont elles sont le centre. Hadj-Moussa (2004), Phillips (2007), Shachar (2001), Benhabib (2002), Razack (2007), Deveaux (2006), Malik (2009), Frazer (2009) et Bilge [9] (2010) veulent donner aux musulmanes le statut d’acteurs sociaux à part entière qui leur est du et elles proposent diverses voies pour assurer leur participation à la définition du ‘problème’ qu’elles sont censées incarner [10].

3.2. L’invasion de la sphère publique
par la religion

Second stéréotype répandu, les musulmans refusent de privatiser leur pratique religieuse, car l«Islam» est incapable de penser la primauté du pouvoir politique sur le religieux. Rappelons que des États de sociétés musulmanes assurent cette primauté (Tunisie, Algérie, Turquie, Iran d’avant 1979, Indonésie) et que la retraite du chemin séculier (Esposito et Tamimi, 2000) ou la résurgence de l’islam sur la scène politique date des années 1970-80.

Au Canada, cette dite incapacité fait partie des discussions sur les signes religieux dans la sphère publique, l’arbitrage religieux et le financement des écoles catholiques. Selon une analyse d’articles de journaux québécois durant les années 1990, le refus de la 'laïcité' fut un des arguments principaux contre le port du foulard islamique (Ciceri, 1998). S. Guilbaut (CanWest, 2008) explique par exemple:

The Quebec government should adopt a charter of secularism that forbids public servants from exhibiting any form of religious expression on the job, whether that means wearing a crucifix around their neck or a Sikh turban on their head […]. A religious symbol is more than just a symbol. The hijab is more than just a piece of cloth. It's a discourse. And I don't think anyone who works for and represents the state should be a vehicle for any kind of religious or political discourse [.] In the street, anyone can dress like she wants. But in a public institution that's inherently secular, no way.

En janvier 2007, la mairesse de Québec affirme au journal Le Soleil qu'il n'y aura jamais de femme voilée à l'hôtel de ville, tant et aussi longtemps qu'elle y sera (Cloutier, 2007). Pareil point de vue est partagé au sein de la population canadienne. Selon un sondage Angus-Reid - La Presse d’octobre 2009, 59% des Québécois désirent une mesure plus radicale, l’interdiction des signes religieux dans les lieux publics. En 2007, s’opposant à la promesse des Conservateurs d'investir 400 millions de dollars dans le financement des écoles religieuses (de toutes confessions), le Parti vert d'Ontario propose d'éliminer ce financement et de tenir un référendum sur la pertinence de financer les écoles catholiques (Radio Canada, 2007). Et condamnation ouverte de la religion sur la scène publique, début 2009, des placards prônant l’athéisme sont placés sur des bus à Toronto: “There's probably no God. Now stop worrying and enjoy your life”. Une publicité similaire par Canadian Atheist Bus Campaign est refusée à London et à Ottawa, et un débat survient à Calgary. Un dirigeant communautaire musulman, Syed Soharwardy, déclare au Calgary Herald vouloir lever des fonds pour placer des placards soutenant la croyance religieuse:

In a free society, if the atheists have a right to express their opinion, then people of faith should come forward and speak up. [..] This campaign message will not be a particular Muslim, Jewish or Christian point of view. Our concept of God may be a little different, but we all believe in a divine power, a creator” (Baklinski, 2009).

Le risque d’autoriser des pratiques musulmanes dans la sphère publique, serait le retour en force de l’obscurantisme religieux. Deux postulats sous-tendent la certitude de cette catastrophe annoncée. L’un est le caractère normatif attribué à la sécularisation, la dynamique socioculturelle induisant les individus à une plus grande rationalité et à un abandon de toute foi religieuse. L’autre est une définition idéologique, tronquée, d’une forme de la séparation du religieux et du politique, la laïcité.

S’appuyant sur la conviction d’un progrès continu de l’Occident vers l’autonomisation des individus de toute croyance, ainsi que sur la conviction de la supériorité du mode de développement historique occidental, les tenants du paradigme moderniste espèrent la mort de la religion. À leurs yeux, l’expression religieuse ne saurait se maintenir face aux avancées de la science, à la diffusion des savoirs et à la démocratisation de l’éducation scolaire. Comme toute superstition, elle devrait disparaître ou pour le moins devenir socialement inefficace, invisible, reléguée à la foi personnelle et à la sphère privée.

Max Weber (Wirtschaft und Gesellschaft, 1956, Halbband, Tübingen) parla de «désenchantement du monde» à propos du déclin de l’explication religieuse du monde humain et naturel. Les Églises chrétiennes perdent de fait de leur influence au long du 20è siècle et les conflits entre croyants et athées de leur acuité. Puis, durant les années 1990, la religion redevient un item visible de la vie sociale et politique, un fait socioculturel évident sur les origines duquel nous ne reviendrons pas.

L’évidence contemporaine de la permanence de la croyance religieuse et l’affirmation des appartenances religieuses comme d’identités sociales demandant un partage de l’espace public offrent un démenti massif au paradigme moderniste. Quant aux demandes renouvelées depuis vingt ans au nom du droit à la liberté religieuse, de voir les pratiques religieuses respectées par les organisations privées (entreprises) et publiques (services publics, écoles, police), elles aggravent le malaise et l’hostilité des tenants du paradigme. Et ce, plus fortement quand ils ont été socialisés dans des sociétés historiquement catholiques, des sociétés où le dogme et le pouvoir autoritaire d’une institution religieuse ont contrecarré la démocratisation des droits, des choix culturels et de la vie politique.  

L'idée que l'univers humain est une entité logique et que les idéaux de liberté, égalité, savoir, sécurité, intérêt personnel n'entrent en conflit qu'en raison de l'irrationalité des acteurs est naïve, irréelle. I. Berlin (1959/1991:21-25, 1998, 2006) a déconstruit cette idée de la rationalité comme unique fondement des conduites humaines et, pour S. Neiman (2008), la théorie politique libérale est une description tragique de l’humain: elle développe l’idée de sa capacité de faire le mal (evil) et l’idée qu’il est la seule source de bien. Le paradigme populaire moderniste, quant à lui, ignore tout dilemme moral et dévoie le sens de la rationalité en la limitant à sa version instrumentale, sous l’influence de l’économie dans les sociétés capitalistes. La rationalité n’est en rien l’exercice d’une logique intellectuelle pour définir et affirmer ses opinions, choix et intérêts, elle est la capacité de mise à distance de ses convictions, l’ironie, le doute qui laissent place à la retenue, la tolérance, l’acceptation de la différence et du différend.

L’histoire a montré combien la thèse moderniste est erronée, irréelle. Démocratie et  diffusion des savoirs ne produisent pas un recul de la croyance religieuse. Cette forme d’évolution a été celle de sociétés d’Europe du Nord et de l’Ouest mais non de sociétés de l’Europe centrale et de l’Est, pas plus que celle des États-Unis et de pays du Sud (Sadria, 2009). Shmuel Eisenstadt (1999) parle de modernité multiple et rappelle des faits. Les traditions communautaires, religieuses, ethniques ne se dissolvent pas sous l’effet de la démocratisation et de l’expansion capitaliste et les traditions religieuses (christianisme, bouddhisme, shintoïsme, judaïsme, islam, hindouisme) demeurent souvent des éléments constitutifs de la définition des États et identités nationales (Hutchinson, 1996; Davie, 2000). En outre, la sécularisation a connu dans l’histoire des mouvements oscillatoires (Martin, 1978) et, pas plus que la mondialisation économique n’est la dissémination universelle d’une forme de capitalisme, il n’existe de modèle universel de sécularisation et de régulation constitutionnelle des liens entre État et religion. Chaque société est une combinaison propre d’éléments religieux et séculiers (Spohn, 2003).

Ce dernier aspect est au centre des arguments des courants d’opinion faisant de l’islam LE symbole du ‘retour’ néfaste du religieux dans la sphère publique. La primauté de l’État sur le religieux, ainsi que la laïcité française sont souvent invoqués dans ces débats.


4. La neutralité religieuse de l’État

L’idée d’une totale neutralité religieuse de l’État est jugée illusoire par les analystes, car que l’État suive des principes ancrés dans une philosophie séculière ou religieuse, il fait un choix [11] et il ne paraît neutre qu’aux yeux des citoyens qui adhèrent à ce choix (Rosenfeld, 2009). Mais la construction des États modernes s’est appuyée sur l’idée de neutralité de l’État comme primauté du politique sur le religieux et des régimes de relation État/Églises ont été instaurés.   

La religion fut le premier objet de réflexion sur l'inégalité en Occident vu les conflits religieux qui ravagèrent la France, puis l'Angleterre, à partir du 16è siècle. Une codification étatique de l'influence dominante d'une religion sur l'organisation sociale et le pouvoir politique est implantée par des régimes monarchiques de droit divin. En France, État catholique, en avril 1598, l’Édit de Nantes reconnaît la liberté de conscience aux protestants et, en 1648, le Traité de Westphalie crée le droit des monarques (protestants) d’imposer leur religion à leurs sujets et met fin à l’hégémonie de l’Église catholique. La notion de tolérance est pensée. Selon John Locke (Letters on Toleration, 1686), la persécution est irrationnelle et inefficace, on ne peut transformer une croyance par la force, et l'État ou une Église majoritaire ne peuvent éradiquer une foi "fausse".

Libertés de culte et de conscience sont étendues au fil des siècles à toutes les confessions et la primauté du politique sur le religieux demeure un principe fondamental des États occidentaux. Néanmoins, des États maintiennent une identité religieuse ou une relation privilégiée avec une ou des Églises influentes sur leur territoire et, ce même lors de leur démocratisation. Cette relation relève de la philosophie de la sécularité qui affirme une fin divine des univers humain et naturel et avance l’idée d’une distinction entre monde temporel, historique, politique, et monde spirituel et religieux. Selon ce courant de pensée, une relation peut être maintenue entre institutions étatiques et religieuses, car la normativité religieuse est un fait positif. La croyance et la pratique religieuse sont des faits communautaires et forment un système de pensée et un mode de vie légitimes et utiles socialement. Au 18è siècle, une autre philosophie se consolide. Dénommée secularism selon un mot paraissant en Angleterre en 1851 (Holyoake, 1896), elle refuse toute autorité de la religion sur le monde temporel et des Églises. Elle ne condamne pas la religion en soi, ne rejette pas une coexistence pacifique du séculier avec le christianisme si celui-ci favo­rise le bien de tous, mais elle avance la reconnaissance par l’État d’une éthique indépendante de toute transcendance (Kosmin et Keysar, 2007). Elle veut désacraliser l’organisation politique, séparer totalement Église et État.

Le précepte de la primauté de l’État sur le religieux se décline donc selon deux modes qui s’opposent sur un point fondamental pour l’institutionnalisation des relations entre État et religion, l’appréciation de la normativité et de la liberté religieuses et la définition de la neutralité religieuse de l’État. En effet, neutralité religieuse de l’État et contrôle des Églises par l’État ne s’équivalent pas. Tous les États modernes occidentaux contrôlent le pouvoir des institutions religieuses sur leur territoire mais tous ne définissent pas leur neutralité religieuse, soit leur protection de toutes les orientations philosophiques, comme une absence de lien entre l’État et les institutions religieuses.

La liberté religieuse, comme celle culturelle, a été conçue comme un droit négatif ou positif. Droit négatif, elle signifie l’interdiction de toute ingérence de l'État, d'individus ou de groupes dans l'expression d'une croyance religieuse. Droit positif, elle signifie la protection étatique de l'expression et de la pratique d'une foi et aussi du droit d'agir en toutes sphères selon les valeurs de cette foi. Ce qui signifie le droit du croyant de respecter ses valeurs dans tous les domaines de la vie sociale qu'il juge nécessaires, et non uniquement dans la sphère privée. Conséquemment l'État doit lui assurer la possibilité matérielle de disposer d'institutions où il peut mettre en acte ses valeurs particulières, et contribuer au financement des institutions religieuses: lieux de culte, réseau d'enseignement, associations à vocation caritative et sociale, médias, etc. Un argument démocratique est invoqué pour asseoir cette définition positive de la liberté religieuse. Le ministre des Cultes du Luxembourg le résume en 2003:

Il y a des États comme le nôtre qui ont une neutralité bienveillante à l'égard des communautés religieuses parce qu'ils sont d'avis que les religions jouent un rôle public alors que d'autres en font une affaire privée [.] S'il existe des courants forts d'opinion, ils doivent s'exprimer et je trouve normal que les communautés religieuses puissent jouer un rôle d'opinion comme les autres ("Entrevue", Le Jeudi, 30 janvier 2003, in Plural Oracle Hors série 3, 2003:3).

Les deux conceptions du lien entre État et religion ont donné lieu à une variété de formes sous la pression de compromis politiques propres à chaque société. Quatre facteurs agirent (Martin, 1978): 1. Rôle de la religion dans la construction nationale, 2. Influence de la Réforme protestante, 3. Poids des courants libéraux et socialistes, 4. Position des Églises face aux Lumières et à la démocratie (à la différence des églises protestantes, l'Église catholique n'admet les régimes démocratiques qu'à la fin du 19ème siècle).

4.1. Les régimes de sécularité

La philosophie de la sécularité fait de la liberté religieuse un droit positif et définit la croyance religieuse comme une philosophie recouvrant l’existence d’un croyant, y compris sa vie en société, et l’idée d’une sphère de la vie où la religion ne serait signifiante, lui est étrangère. L’héritage religieux de la société civile, l’action sociale et morale des Églises chrétiennes sont dits des éléments de la vie collective, de l’identité nationale et de l’État. Le régime de sécularité développé par nombre d’États européens respecte le principe de la primauté du politique sur le religieux et deux traits le caractérisent: les institutions religieuses détiennent une influence sur l’éducation scolaire, lieu par excellence de reproduction des modes de pensée, et l’enseignement religieux est obligatoire et financé par des fonds publics; l’État facilite la reproduction des institutions religieuses et leurs activités d’utilité sociale. Il peut prendre en charge les traitements des ministres de culte, les frais de fonctionnement du culte, d’entretien du bâti ou/et les activités sociales et caritatives, ou permettre la levée d’impôt par une Église, la déductibilité de dons et/ou lui accorder des exonérations fiscales (Christians, 2005). Au-delà de ces traits, le régime de sécularité est si varié qu’une typologie de ses formes est un exercice plus idéologique qu’analytique. On repère les modes suivants en Europe et Amérique du Nord:

A. Religions nationales

Quand une confession majoritaire a contribué à la construction de l’identité nationale, l’État a ‘établi’ une religion, l’a reconnue comme religion nationale, et il subsidie ses institutions, sauf dans le cas anglais. Le régime de religion nationale le plus net et aussi anachronique vu son intolérance, est l'orthodoxie religion d'État en Grèce. L'Église orthodoxe a conduit la révolution de 1821 contre l'Empire ottoman, la République grecque fut fondée "au nom de la Sainte et indivisible Trinité" et Église et État, orthodoxie et identité hellène se confondent. L'article 1de la Constitution de 1975 affirme l'orthodoxie "religion dominante", une croix figure sur le drapeau national, les fonctionnaires et le Président jurent serment sur la Bible, des icônes ornent les administrations publiques et devant le Primat de Grèce les religions minoritaires n'ont aucune personnalité juridique, les athées et non orthodoxes ne peuvent être enterrés dans les cimetières municipaux et la Grèce est le seul pays européen où n'existe aucune mosquée [12]. Autre cas semblable, révolu, le catholicisme, religion emblème de l’État franquiste (Espagne).

Des sociétés de religion nationale ont évolué différemment. En Suède jusqu’en 1999, Norvège, Islande et au Danemark, le luthéranisme est religion d'État. Il l’est également en Finlande, à l’égal de l’Église finlandaise orthodoxe. Dans ces pays, le fonctionnement des organisations religieuses et les classes d'instruction religieuse dans les écoles sont financés par les fonds publics ou par une taxe levée sur les fidèles (Finlande). En Norvège et au Danemark le Roi est chef de l'Église, comme il l’est en Angleterre et Écosse où l'Église réformée est 'établie, l'enseignement religieux obligatoire dans les écoles publiques mais où l'État ne finance pas les institutions anglicanes. L’ensemble de ces États respecte les droits des minorités religieuses, le Danemark se révélant le pays où les musulmans peuvent le plus aisément créer des écoles islamiques en Europe et où les femmes juges et avocates peuvent porter le voile en cour [13]. Les pays de religion d’État catholique sont peu nombreux: Andorre, Malte, Vatican et des cantons suisses.

B. Cultes reconnus: privilèges des églises chrétiennes

Des États développent une coopération, parfois étroite, avec des Églises chrétiennes. L'égalité des cultes ne s'oppose pas à l'établissement d'ententes entre État et communautés religieuses puisque ces accords sont en principe accessibles à tous. Toutefois, des États octroient aux cultes chrétiens des droits particuliers pour assurer la reproduction d'institutions dites essentielles à la vie de leurs fidèles et, parfois financent directement ces institutions (rémunération des ministres du culte, construction et entretien des édifices). En Autriche, Espagne, Finlande, Italie, Irlande, Allemagne, Pologne, en Alsace-Moselle et au Portugal et Luxembourg, l'Église catholique ou/et des églises chrétiennes jouissent de statut particulier à travers des accords ou des concordats. L’État allemand est l’exemple actuel le plus complet de cet octroi de privilèges, dans ce cas majeurs, aux Églises.

En 1948, les Alliés veulent instaurer un système scolaire public séculier, les Églises s'y opposent. La Loi fondamentale de la RFA fait explicitement référence à Dieu: selon son préambule, elle a été élaborée avec la conscience de la "responsabilité" du peuple allemand "devant Dieu et les hommes". Les constitutions de Länder citent au nombre des objectifs de l'enseignement, la crainte de Dieu. La Loi garantit la liberté religieuse, exige de l'État et de ses agents une attitude neutre en matière de foi religieuse et prescrit une responsabilité de l'État de contribuer au développement des forces libres de la société civile, dont les institutions religieuses. Elle définit la neutralité religieuse de l'État comme l’obligation d’assurer le développement religieux et de coopérer avec les Églises dans des domaines d'intérêt commun, social, médical, éducatif et fiscal.

La Loi stipule que l'éducation religieuse, compétence des Länder, est obligatoire dans les écoles publiques (article 7.3) sauf celles déclarées laïques (athées), et que son contenu et son enseignement sont sous le contrôle des Églises. Les enseignants, formés dans les universités publiques, parfois non croyants, reçoivent un mandat ecclésiastique et les cours (2, 3 heures par semaine) traitent de sujets religieux et sociaux (environnement, désarmement, droits de l'homme). Les parents ou élèves de plus de 14 ans peuvent refuser ces cours et, dans la plupart des Lander, les élèves doivent alors suivre des cours d'éthique ou de philosophie. La Loi fondamentale garantit aussi le droit de créer des écoles privées sous approbation des Länder et un enseignement confessionnel (article 7.4). En sus d’écoles publiques laïques et d'écoles privées, il existe trois types d'école publique selon l'enseignement religieux dispensé, catholique, évangélique et interconfessionnel, le plus répandu.

Pour être reconnue comme une institution coopérant avec l'État et obtenir financement de ses activités, une communauté religieuse doit faire montre d'une organisation représentative qui prend acte des principes de la Loi fondamentale et est organisée de manière durable et hiérarchisée afin de permettre aux autorités publiques de communiquer avec ses responsables. Les communautés de vision du monde athées et quatre religions, évangélique [14], catholique, israélites (orthodoxes/conservateurs), orthodoxe, sont reconnues par une série de concordats et d’accords regroupés sous le vocable de régime des cultes.

En 1979, 1984 et 1994, l'État espagnol qui vient d’accomplir sa démocratisation dans une société où le mouvement anti-clérical est puissant, signe, au nom de la paix sociale, des accords avec le Saint-Siège. Selon ces accords, il finance le personnel de l’enseignement religieux dans les écoles publiques et les écoles privées confessionnelles (toutes religions), la restauration du patrimoine bâti catholique et, en partie, les écoles concertadas [15]. En 1992, au nom de la présence historique islamique de la société espagnole, il reconnaît l’islam comme seconde religion de l'Espagne et imagine le traitement de l’islam le plus libéral en Europe, lequel restera sur papier (Helly, 2005).

C. Pluralisme institutionnalisé:

Les Pays Bas et la Belgique ont développé le système des piliers. Un pilier est une communauté de vie servant de cadre de référence des divers aspects de l'existence d'un individu. Les églises protestantes et catholique forment historiquement de telles communautés,offrant à leurs membres partis politiques, syndicats, hôpitaux, médias, écoles, universités, associations. Au fil du 20ème siècle des courants non religieux, libéral, humaniste, socialiste, ont obtenu le statut de pilier et les États financent en partie la marche des institutions de ces divers courants de pensée.

Cas exemplaire jusqu’en 1983, les Pays Bas. La Constitution de 1917 institue l'égalité entre écoles publiques et écoles chrétiennes et leur total financement public. En 1920, l'Acte sur l'éducation primaire autorise la création de cours de religion chrétienne dans les écoles publiques, dites neutres, à la demande de parents. Les Églises sont en charge des cours, du recrutement des enseignants et de la production du matériel didactique; elles peuvent recevoir des subventions, à la discrétion des municipalités. En 1962, l’Acte de financement (public) de la construction d’Églises concerne les lieux de culte de toutes les confessions. Le courant humaniste et les "Mahométans" sont assimilés à des églises et la première construction subventionnée de mosquée date de 1975, à Almelo.

Les Pays Bas abandonnent le système des piliers durant les années 1970-80: abolition du financement public de la construction de lieux de culte (1982) et de la rémunération des ministres de l’Église réformée (1981), entretien des lieux de culte laissé à la discrétion des municipalités (1983). La Constitution de 1983 par les articles 1 et 6 réaffirme la liberté de religion et l’égalité des cultes et des convictions religieuses et profanes, deux  principes qui, avec une séparation, de facto, non constitutionnalisée, de l'État et de l'Église, constituent depuis cette date le régime néerlandais. De multiples aménagements sont adoptés par la suite au nom de la liberté et de l’égalité religieuses[16]. La Belgique, par contre, maintient un système des piliers au nombre de sept: catholicisme, protestantisme, judaïsme, islam, anglicanisme, orthodoxie, communauté philosophique non confessionnelle. Leur personnel est rémunéré par l’État.

4.2. Les régimes de laïcité

Une autre conception refuse une définition positive de la liberté religieuse et fait de la religion une conviction et une conduite entièrement personnelles. Elle dicte une absolue séparation de l’État des institutions religieuses: l’État doit demeurer en retrait de la sphère religieuse, ne prendre aucune position hostile ou positive pour une conviction philosophique, ne financer aucun culte, adopter aucun emblème religieux et ses agents ne manifester aucune conviction religieuse. Il a une obligation: assurer la liberté d’expression des convictions et l’égalité des cultes et, à ce titre, ses agents doivent respecter les croyances religieuses des usagers des services publics (Weil, 2009).

Dit laïc en français ou secular en anglais, ce régime est lié à la fondation d'États qui voulaient ne jamais voir une seule religion ou Église recouvrir la société civile et le pouvoir politique. Il repose sur l’idée que tout humain est libre et a le droit de décider de sa vie à partir de ses propres valeurs et opinions et de s’opposer à toute opinion, croyance et coutume prescrites par une majorité. Elle implique une distinction nette entre sphère privée où s'expriment les différences religieuses et sphère publique et politique où se jouent différends et consensus. Aussi, la laïcité constitue-t-elle historiquement un trait d’États de philosophie républicaine, laquelle veut que l’allégeance collective première d’un individu soit à l’État et non à une communauté de vie (États-Unis 1776; Mexique, 1857, 1873; Turquie, 1924; France, 1946, 1958; Uruguay, 1964).  

Les régimes laïques varient, eux aussi, selon le pays et son histoire, car leur instauration fut une réponse politique à la puissance de l’Église catholique (Europe) ou à un conflit entre religions (États-Unis). Par leur pluralité religieuse originelle, les institutions étatiques des États-Unis, dont la Cour Suprême, ont pu et peuvent incarner plus strictement le principe laïc [17] que le pays souvent érigé en modèle de la laïcité, la France, société catholique. Là, une loi ordinaire de décembre 1905 interdit toute relation entre l’État et les institutions cultuelle mais ne mentionne pas la laïcité, terme introduit dans les Constitutions de 1946 et 1958 (la date de naissance de la laïcité est un sujet de débat, Lalouette, 2007, comme son contenu, car le Conseil constitutionnel évite de le préciser).

L’État français a souvent dérogé au principe laïc (Troper, 2009), notamment par les exonérations fiscales en faveur des édifices et associations cultuelles, l’entretien des bâtiments cultuels par les collectivités locales, le maintien du régime des quatre cultes reconnus en Alsace-Moselle comme de coutumes religieuses dans les Territoires d’Outre-Mer (polygamie à Mayotte) ou encore depuis 1959 le financement public du secteur scolaire catholique et depuis 1989 l’action ouverte des gouvernements de toutes obédiences pour induire la formation d’une instance nationale musulmane (fondée en 2003). L’État laïc français n’est en rien exemplaire et il faut admettre qu’il ne respecte pas les dispositions constitutionnelles de manière répétée (Woehrling, 1998: 40-43). 

Cependant, l’idée d’un mur constitutionnel infranchissable entre État et Église est une manipulation d’élites défendant leur statut et de politiciens en manque d’influence et comme l’écrit C. Laborde (2008), l’invocation d’une allégeance première à l’État peut servir à pervertir la laïcité. Comme garant de la liberté religieuse et de l’égalité des cultes, l’État laïc doit en effet intervenir. La neutralité laïque signifie qu’il ne peut favoriser un culte mais non qu’il se déclare incompétent ou indifférent quand liberté religieuse et égalité sont déniées. Cette obligation est pointée par des juristes: «une séparation complète de l’État et des Églises ne correspondrait pas à l’État de droit» (Woerhling, idem: 43). Au nom de la liberté religieuse l’État français a créé des aumôneries religieuses dans les collèges et lycées publics, les hôpitaux, l’armée et les prisons pour respecter les droits de leurs membres croyants. Il a organisé l’abattage rituel et encourage le recours au bail emphytéotique [18] pour faciliter la construction de mosquées vu les faibles moyens financiers des musulmans. On ne peut que constater en France le nombre des aménagements légitimes dans le champ religieux et le refus de politiciens et d’élites de reconnaître cette réalité comme une obligation de tout État démocratique. Volonté d’ignorance reproduite au Canada.

4.3. Canada, Québec, États laïcs?

Le régime canadien, dont relève l’État québécois, n’est pas laïc constitutionnellement et ne s’apparente pas à un régime laïc mais au régime d’États accordant des privilèges à des Églises chrétiennes. La déconfessionnalisation des écoles publiques au Québec en 1998 donne un caractère particulier à l’État québécois mais celui-ci relève du régime canadien qui, contrairement au principe laïc, permet à un agent de l’État de porter un signe religieux. La question de pareil port se posera à l’avenir au Québec.

Vu l’entrée des provinces dans la Confédération à des périodes différentes, le régime canadien comporte une constellation de systèmes scolaires d’orientation religieuse protestante, catholique ou neutre, et de statut public et confessionnel. Il présente les traits suivants:

 - Protection des libertés de conscience et de religion, renouvelée en 1982 dans la Charte canadienne des droits et des libertés (art. 2).

- Définition par la Cour Suprême de la liberté religieuse comme liberté de croire et de ne pas croire, ce qui a donné lieu à l’interdiction par les tribunaux de pratiques liées aux religions chrétiennes:prière dans les écoles publiques (Ontario, Manitoba, Saskatchewan); abolition par la Cour suprême de l’interdiction de travailler le dimanche (Big M Drug Mart, 1985).

- Non définition de la religion, car l’État canadien ne se reconnaît pas compétent pour déterminer ce qu’est un dogme reconnu et acceptable, ce qui contraint les tribunaux à statuer si une loi en traite ou pas;

- Non mention de la séparation entre État et Église dans la Constitution de 1982, dont la proclamation commence par les mots "Dans l'année du Seigneur.." et dont le préambule déclare: «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit». Néanmoins la Cour suprême n'a jamais invoqué une suprématie de Dieu dans ses jugements, et une distance entre les législatures, les gouvernements et la sphère religieuse est maintenue comme le montra la déconfessionnalisation des écoles au Québec qui ne suscita aucun débat aux Communes ou déclaration polémique du gouvernement fédéral.

- Non précision des compétences législatives et du partage des pouvoirs fédéral et provinciaux en matière de religion, mais en matière criminelle les tribunaux ont jugé toute loi concernant la religion comme relevant du Parlement fédéral (Cotler, 1982: 239, 249, 254) [19]

- En 1867 l’éducation publique a été voulue universelle, obligatoire, religieuse et morale, soit chrétienne. Le système public fut fondé comme système protestant et un statut privilégié accordé aux protestants et catholiques pour protéger leur vie collective religieuse, dont le droit à des écoles religieuses (article 93). La Charte entérine ce privilège (article 29).

- Financement public, partiel, d’écoles religieuses privées en Alberta, Colombie britannique, Québec, Ontario, Alberta et à Terre Neuve, les écoles devant respecter les standards des programmes d’éducation publique. Un financement public du secteur privé, confessionnel ou non, n’est pas permis dans les provinces maritimes (Menendez, 1996: 65-68).

- Éducation religieuse permise dans les écoles publiques, mais peu mise en œuvre vu la sécularisation des secteurs scolaires publics. En Alberta, une loi sur les écoles (School Act) en 1988 stipule: « if a board determines that there is sufficient demand for a particular alternative program, the board may offer that program to those students whose parents enroll them in the program»; «‘alternative program’ means an education program that emphasizes a particular language, culture, religion or subject-matter». Ceci permet de créer des programmes à fondement religieux  financés et administrés par le secteur scolaire public.

- Éxonération d'impôt des groupes religieux; exemption de taxes municipales, scolaire et de vente des édifices religieux; salaire des religieux minimalement imposé,

- Non intervention de l’État dans l'organisation institutionnelle des minorités religieuses. 

- Trait considéré très particulier au régime canadien, respect de l’expression individuelle de l’affiliation et de la croyance religieuses, ce que s’est traduit en 1985 par la prise en compte de la discrimination indirecte subie par des croyants. Dans un jugement en 1985 (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson Sears Ltd [1985]2 R.C.S. 536), la Cour suprême a créé l'obligation d'accommodement raisonnable. La cause opposait une employée adventiste du Septième jour demandant de conserver son emploi à temps plein tout en ne travaillant pas le jour du sabbat, et son employeur qui refusait la demande. La Cour estima qu'un accommodement devait réduire la discrimination subie par l'employée en raison de sa confession et précisa que la solution devait être raisonnable, i.e. qu'aucune contrainte excessive ne pouvait être imposée à l'employeur (coût financier excessif, inconvénients importants, réduction de normes de sécurité, atteinte aux droits d'autres employés et aux conventions collectives. La Cour estima que l'horaire de travail pouvait être aménagé. L'esprit de ce jugement s'applique à d'autres aspects du travail et à d'autres domaines tel l'offre de services et de biens privés ou publics. De très nombreux accommodements raisonnables ont été adoptés au Canada depuis 1985 [20], dont l’un important en matière de définition du régime de neutralité religieuse est celui permettant à un agent de l’État de porter un signe religieux (turban sikh autorisé dans la Gendarmerie Royale, Grant v Canada (A.G.), [1995] 1 F.C.158). Dans les autres pays, une adaptation de pratiques majoritaires discriminatoires pour les minorités religieuses existe sous le nom d’aménagements, elle n’est pas prescrite légalement.


5. L’ultra-laïcisme contre l’«Islam»,
la liberté religieuse et les juges

Nombre de Canadiens semblent confus en matière de définition des relations entre État et religion au Canada. Selon un sondage en avril 2007 (Jedwab, 2007): “Many Canadians believe that the best way to avoid meeting the particular needs of religious minorities is to separate Church and State”. Des Canadiens semblent penser que la neutralité religieuse de l’État permet d’ignorer le droit à l’égalité et la liberté religieuse des minorités religieuses, que les accommodements raisonnables relèvent d’un lien entre l’État canadien et la religion qui pourrait être annulé. Quant aux Québécois, selon un sondage Léger en 2007 (Giroux, 2007), 37% des francophones et 17% des anglophones croyaient que la Cour suprême allait trop loin en matière de protection des minorités religieuses. Les jeunes (18-24 ans) acceptaient plus que leurs aînés, les protections accordées par la Charte des droits. Et, selon un sondage CROP (L’Actualité, 1er décembre 2009), ils pensent en majorité que le Québec est un État laïc et dans un numéro de L’Actualité (Vive le Québec laïque, 1er décembre 2009 : 28), l’Allemagne, emblème de l’État séculier lié à une religion officielle, est qualifié de laïc. Ce faisant, tout État séculier est laïc. Cette assimilation du principe laïc et du principe de la primauté du politique sur le religieux passe sous silence que tous les États occidentaux, pluriels, laïcs, de concordats ou de religion officielle, contrôlent les institutions religieuses de leur territoire et que la laïcité n’est qu’une des formes de ce contrôle. Une forme qui, en théorie, refuse la coopération de l’État avec des Églises.

Cependant, un courant d’opinion décrit par M. Milot (2009) et fort audible durant les audiences publiques de la CCPARDC, veut purifier la ‘laïcité’ québécoise, la rendre plus stricte en codifiant, sinon annulant, l’expression religieuse dans les lieux publics. Il déforme le principe laïc et en fait un athéisme d’État. Pareil projet existe en France et l’opinion publique ne le partage pas: 74% des Français non musulmans estiment qu’il n’y a pas contradiction entre le fait d’être un croyant musulman et de vivre dans une société moderne [21] (Weil, 2009: 2703).

L’État laïc doit, par définition, être neutre en matière religieuse; il ne peut interdire l’expression religieuse. Le principe laïc ne signifie en rien que l’école soit un lieu d’apprentissage du rejet de la religion ou que les individus non agents de l’État ne puissent manifester leur conviction religieuse en public. La loi française de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles par les élèves d’écoles publiques n’a pu déroger à la norme laïque qu’au nom de la sécurité (lutte contre les islamistes à l’école) et de la protection de mineures [22], et après consultation prudente de la Cour Européenne. Quant au port de la burqa (niqab [23]), il ne peut être interdit à des adultes, sinon, tout signe d’appartenance religieuse, politique, culturelle, devrait être proscrit [24].

L’exigence d’une pureté religieuse de l’État québécois est la face cachée d’une volonté de dénier la liberté religieuse de minorités. Cette situation est aussi présente en France où des élites culturelles et des politiciens exigent une laïcité ‘stricte’, anti-religieuse, au nom d’un exceptionnalisme normatif de la pensée républicaine [25]. La réalité constitutionnelle et le respect des droits, dont la liberté religieuse, ne sont pas des catégories de pensée de ce courant d’opinion francophone transatlantique, nourri d’un héritage dogmatique d’anti-cléricalisme et de fondamentalisme séculariste présent dans les sociétés où conservatisme et puissance de l’Église catholique ont contrecarré un long temps la démocratie et l’individualisme. Là, les luttes historiques des démocrates et des femmes contre un clergé réactionnaire sont actuellement projetées sur l’islam, lequel ne comporte pas de clergé.

Les partisans d’une laïcité défigurée en ultra laïcisme [26] arguent d’un État poliçant la religion pour contrer des évolutions: ‘retour’ de la superstition religieuse, recul négatif de la sécularisation, refus d’avancées en matière de libéralisation des mœurs, domination masculine toujours active, culture nationale dénaturée, harmonie sociale troublée, sinon rompue. Les réalités des sociétés où l’État développe des relations avec des institutions religieuses montrent la visée politique de ces craintes. La France laïque est-elle plus sécularisée, moins ‘envahie’ par la religion que les autres sociétés européennes? Les sociétés de régime de religion nationale ou de coopération avec des Églises, Grande-Bretagne, Suède, Allemagne, montrent un fort taux de non pratiquants et, démenti total, les États-Unis sont la société la plus religieuse d’Occident. La France garantit-elle plus d’égalité pour les femmes que les États liés à des Églises? La Norvège, le Danemark, la Finlande, États de religion nationale, sont les pays les plus avancés en termes de liberté des mœurs et de statut de la femme; et l’Islande a légalisé l’avortement en 1935.

La visée des ultra laïcistes est de contester la légitimité de la liberté religieuse et ultimement celle des agents de sa protection, les juges. Dans les débats sur la religion et de l’islam au Canada, un discours dirige son animosité contre les juges, par exemple ouvertement critiqués par des participants aux audiences publiques de la CCPARDC. Ce courant d’opinion conteste le pouvoir judiciaire et les Chartes des droits et libertés au nom de la souveraineté populaire, laquelle est souvent celle d’une majorité culturelle:  

Pourquoi devrait-on imposer à la majorité de la population de vivre dans la peur et la confusion au nom de libertés dites fondamentales? La démocratie veut que la majorité se prononce. Que les élus demandent aux Canadiens ce qu’ils pensent des foulards et des kirpans, et qu’ils adoptent des lois en conséquence (lecteur de L’Actualité, 1er octobre 2006).

What exactly do Canada's human rights laws do? Well, when it comes to free speech, they do exactly the opposite of what we expect human rights laws to accomplish in foreign countries: they restrict speech, instead of enabling it. They tell Canadians what we cannot say anything that might, just possibly, offend someone belonging to a minority group. In most cases, they then go on, hypocritically, to deem themselves not to be restricting free speech. Although the human rights laws purport to protect vulnerable minority groups against bigotry and discrimination, the truth is -- they don't. They're phonies. Examined closely, these laws don't outlaw racism, sexism, homophobia, etc., universally. They ban such prejudices only when held by a few categories of individuals --people that our legislators presume to be economically powerful... No, these laws are not about banning bigotry. They're about transferring rights and power from the categories of people the legislators deemed over-endowed to those the legislators deemed under-endowed. They're really a form of wealth redistribution -- a form of back-door socialism that doesn't make people as angry as taxes because it masquerades under a mantle of righteousness (Selick, 2007).


 CONCLUSION:

L’évacuation de l’enjeu de la pluralité des valeurs

Les musulmans suscitent l’hostilité des tenants du paradigme moderniste et de l’invisibilité sociale de la religion, car la sécularisation des sociétés civiles ne semble pas à l’horizon et la question du statut public de la religion demeure posée (Berger, 1999; Casanova, 1994). Usant d’amalgames, montrant une ferme volonté d’ignorance et sur simplifiant les faits historiques, ils construisent des imageries servant leurs convictions et leurs intérêts catégoriels (médias, élites et courants de pensée en déclin d’influence, politiciens). Ils clôturent tout débat sur le caractère parfois partial des régimes séculiers (Asad, 2003; Mancini 2009), l’inéluctabilité du différend et du conflit en démocratie et les modes de régulation en démocratie du pluralisme culturel et religieux.

Il semble exister trois voies pour penser le statut de la pluralité des valeurs dans un État démocratique. L’imposition des valeurs du groupe culturel majoritaire au sein d’une société (assimilation), une vision unanimement rejetée, la tolérance ou le partage de principes communs.

Par tolérance on entend l’affirmation de valeurs considérées bénéfiques pour tous, dont au premier rang l'autonomie personnelle et la liberté individuelle; et l’acceptation d’autres valeurs qu’on considère erronées. Cette voie a été critiquée par Isaïah Berlin (1959; 1969; Gray, 1996) dans sa réflexion sur les limites du libéralisme universaliste face à la pluralité des valeurs. Selon Berlin, la tolérance comme acceptation de conceptions de l'humain différentes de l'humanisme optimiste des Lumières est un leurre. Le conflit culturel ou moral ne ressort pas de la rencontre d'univers culturels différents mais est part intégrante de l’ordre libéral. En dépit d'une même définition du Bien dans le libéralisme politique, il existe un conflit entre paix et démocratie comme face au projet de conquête nazie, ou entre égalité et justice quand, par des programmes de discrimination positive, on tente de rétablir une justice pour des catégories sociales dominées historiquement. Les idéaux modernes d’égalité et liberté s’opposent également quand la liberté d’expression des uns est une atteinte à la dignité d’autres (littérature pornographique). Ce dilemme tient au caractère souvent contradictoire des besoins humains (Gray, 2000: 7, 9), sécurité versus soumission au pouvoir par exemple. Aussi, le différend au sujet de modes de vie et de normes est-il inéluctable en démocratie.

Une autre manière de penser la pluralité des valeurs est l’idée de partage de préceptes de vie en société. La question est: ces préceptes sont-ils des principes fondamentaux ou les valeurs d’une majorité culturelle? John Gray (2006:22) propose une seule valeur commune, l’interdiction des pratiques non humaines: esclavage, génocide, persécution, torture, humiliation. Il conclut que les définitions d'un idéal de vie étant diverses, la négociation entre valeurs est irrémédiable et permanente en démocratie sous peine de déni de liberté et de dignité, et de conflit violent. Dès lors, les institutions publiques doivent négocier au jour le jour les conflits de valeurs afin de permettre une coexistence pacifique de choix culturels différents.

R. Boudon (2006) avance un principe universel menant l’évolution morale des sociétés: chaque humain a un sens de sa dignité et de ses intérêts vitaux et juge sa position sociale à cette aune. Cette dignité n’est pas consentie à tous et le sens de l’oppression est universel, présent dans tous les systèmes sociaux, même quand ils produisent des idéologies du fatalisme comme le système des castes en Inde; en effet la résignation n’est pas l’acceptation. Selon cette hypothèse, le sens de son individualité et du respect de celle-ci n’est en rien une invention européenne mais un trait humain universel qui prend forme diverse selon le contexte et seuls des rapports de pouvoir retardent sa reconnaissance par les institutions et créent conflit. Boudon cite le refus de l’abolition de l’esclavage au 19è siècle sous la pression d’intérêts économiques comme exemple de cette opposition entre une valeur d’une époque, d’une classe, et la valeur universelle, intemporelle de la dignité de soi. Dans ces conditions, le seul critère de résolution de conflits de valeurs est le respect du sens qu’une personne donne de sa dignité.

Une littérature propose aussi le dialogue entre groupes culturels plutôt que l’imposition de principes abstraits de justice (Benhabib, 2002). Phillips (2007:41) illustre l’idée. Le mariage ‘forcé’ est un mariage arrangé accepté par les deux conjoints ou imposé à ces derniers. Il ne s’agit pas de bannir tous les mariages arrangés au nom d’une coercition mais de savoir si une pression a été exercée et dans ce cas protéger les victimes. Pour ce faire, dialogue, discussion et connaissance de terrain sont nécessaires [27].

Charles Blattberg (2004, 2008) reprend l’idée de dialogue, estimant que la neutralité stricte de l’État est impossible puisqu’elle consiste à défendre un groupe non croyant contre un groupe croyant. Au nom de la valeur centrale, d’inspiration républicaine, d’adhésion des citoyens à la cité où ils vivent, Blattberg défend la conversation entre acteurs en conflit pour réconcilier des vues divergentes et arriver à une compréhension mutuelle. L’État ne saurait intervenir dans des discussions théologiques mais se doit d’induire l’organisation de ces conversations.

La solution proposée par Blattberg apparaît comme la seule offerte si la violence doit être écartée. L’arbitrage juridique ne suffit à assurer l’égalité, la liberté et la dignité de chacun quand des acteurs pervertissent le principe démocratique en assignant une catégorie sociale à un statut de sous humanité irrationnelle et menaçante. La thèse moderniste et le fondamentalisme séculariste font cela dans leur visée d’exclure les nouvelles minorités religieuses. Et l’État et les élus se doivent d’user de leur poids, de discours public, mesures incitatives, répressives, symboliques, pressions au dialogue, éducation du public, pour délégitimer des discours qui dénient dignité et appartenance aux nouvelles minorités religieuses du Canada.


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[1] Texte écrit durant la campagne électorale de 1900 alors que le Parti Républicain parlait d’apporter la lumière aux ‘dark places of the earth’ (Benfey, 2010).

[2] Elles ont été traités ailleurs: Helly, 2004, 2006, 2008, 2009, 2010; Helly & Oueslati, 2007; McAndrew, Oueslati, Helly 2007; Lenoir, Helly et al., 2009; Arcand, Helly et al., 2009; Helly et Hardy-Dussault, 2010.

[3] Déclaré par United Nations discriminatoire envers les autres religions.

[4] Auquel répond une tradition anti-occidentale (Buruma et Margalit, 2004) dont participent nombre de mouvements islamistes radicaux.

[5] Le terme de sécularisation historiquement désigne la dévolution des biens religieux à des autorités civiles et son sens actuel est celui du recul de la religiosité ou simplement de la pratique religieuse collective (unchurching) dit  José Casanova, au sein d’une société.

[6] Déclarations de Berlusconi sur la supériorité culturelle occidentale en janvier 2002, du Premier Ministre du Danemark, élu en novembre 2001, et de la chefferesse du Danish People’s Party, Pia Kjaersgaard, qui déclara lors de la campagne électorale de novembre 2001 que les Musulmans sapaient la cohésion du vrai Danemark et ses valeurs centrales; elle recueillit 12 % des votes. Déclaration du gouvernement britannique qui parle d’aller au-delà des valeurs multiculturalistes pour parler des « vraies valeurs britanniques » (The Economist, November 10, 2001).

[7] Huntington (1996) y réfère.

[8] Cette reconstruction des Lumières accorde une importance centrale à la thèse de Condorcet de fonder toute morale uniquement sur la raison et elle omet celle de philosophes comme Voltaire et Locke qui valorisaient la fonction sociale et morale, à leurs yeux, de la religion.

[9] Qui fait une excellente revue analytique du débat féministe actuel sur le concept de agency.

[10] Pour une description critique de ces voies, voir Leah Bassel,

[11] Cet aspect est central aux conflits sur l’enseignement de l’évolutionnisme, du créationnisme et d’un dessein surnaturel (intelligent design).

[12] Athènes compte quelque 60 salles de prières non légalisées dans les quartiers où vivent des musulmans et environ 300 autres salles sont ouvertes dans le nord de la Grèce où demeure une minorité turque historique.

[13] La condition de fondation d'une école est la demande par un nombre suffisant de parents.

[14] Regroupe les églises protestantes, luthériennes, calviniste et autres, et plus de 90 % (99% en 1948) des Allemands.

[15] Écoles catholiques où doivent être inscrits au moins 5% d’élèves de confession non catholique ou sans confession religieuse.

[16] Respect des prescriptions alimentaires particulières, musulmanes, hindouistes et judaïques dans les forces armées (1981) et les prisons; reconnaissance des fêtes religieuses et du vendredi comme jours fériés pour les musulmans membres des forces armées (1981) et de la fonction publique (1988) mais non du secteur privé au nom de la signification sociale fort différente des jours de fête chrétiens suivis par coutume dans l'ensemble de la société; respect des rites funéraires (1982, 1991); ouverture d'un cours de formation d'imams (1983); inclusion des musulmans dans les forums de discussion entre le gouvernement et les représentants des confessions du royaume (1983); droit de porter un foulard à l'école réaffirmé par le ministère de l'Intérieur (1985); création de la Fondation de diffusion islamique et lancement d'émissions musulmanes sur des chaînes de télévision et radio publiques (1986); autorisation, applicable à la discrétion des municipalités, des appels à la prière depuis les minarets (1987); présence d'imams dans les hôpitaux, les prisons et l'armée et création de la première école musulmane (1988); criminalisation du blasphème à l'égard de l'islam (comme des autres religions), cours de religion musulmane dans les écoles (1989) en collaboration avec la Fédération culturelle islamique; droit de jurer sur le Coran pour les membres des forces armées (1994), codification de la circoncision dans les hôpitaux (1995).

[17] Voir Greenawalt, 2009.

[18] Contrat de longue durée, dans ce cas 99 ans, concédant la jouissance d’un bâtiment ou d’un terrain contre une redevance annuelle (faible dans ce cas).

[19] La distance entre les législatures, les gouvernements et la sphère religieuse, manifestement maintenue par volonté politique dans la Constitution de 1982, s'est montrée en 1997, lors de la déconfessionnalisation des écoles au Québec qui ne suscita aucun débat aux Communes ou déclaration polémique du gouvernement fédéral.

[20] Des exemples au Québec: à l'Hôpital pour enfants à Montréal, mise en place d'une porte d'entrée actionnée manuellement pour permettre aux juifs hassidiques de visiter les malades le jour du sabbat; dans des écoles publiques, création d'une journée pédagogique mobile pour que les enfants de religions orthodoxe, copte et catholique puissent célébrer le jour de Pâques à leur date respective; évitement d'interruption des services publics dans le quartier chinois durant le Nouvel An chinois, plus récemment à l'hôpital Laval en 2006-2007 non transfusion sanguine pour des Témoins de Jéhovah, retrait du porc dans l'alimentation de juifs et présence du conjoint lors de l'examen médical de femmes musulmanes.

[21] 70% en Allemagne, 58% en Espagne, 54% au Royaume Uni et 40% aux États-Unis estiment qu’il y a conflit.

[22] La logique s’applique aussi aux femmes adultes. En 2010, la citoyenneté a été refusée à un homme imposant le port de la burqa à son épouse http://www.earthtimes.org/articles/show/307138,france-to-refuse-citizenship-to-men-who-make-wives-wear-burqas.html)

[23] Les deux tenues recouvrent totalement le corps, sauf à hauteur des yeux, une grille brodée (burqa), une fente (niqab). Selon les services de police, quelque 300 femmes portent le niqab en France,  âgées généralement de moins de 40 ans, aux 2/3 de citoyenneté française, pour la moitié nées en France et pour un quart converties (The Economist, The war of French dressing, 16 janvier 2010)

[24] Au nom de la sécurité, des mesures pourraient peut-être exiger de quiconque de s’identifier en pénétrant dans un lieu collectif, public (poste, école) et privé (commerces).

[25] La recherche d’exceptionnalisme est un trait des États républicains modernes, car, dénués de légitimité culturelle et religieuse, ils ne peuvent qu’invoquer leur régime politique pour se valoriser sur la scène interne et internationale.  L’extrême gauche, non républicaine, se positionne différemment.

[26] Que J. Baubérot (2006) qualifie d’intégrisme républicain.

[27] Phillips (p.46) donne l’exemple de l’abandon de l’excision au Sénégal. Cette pratique n’était pas admise de tous mais pratiquée de tous afin d’assurer le mariage des jeunes filles. Lorsque un accord fut conclu par tous les villages sur la fin de l’obligation d’excision, la pratique fut abandonnée en deux ans, puis officiellement interdite par l’État en 1999.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 1 mai 2010 19:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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